Intervention de Pascale Andréani

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 juin 2010 : 1ère réunion
Audition de Mme Pascale Andréani ambassadeur représentante permanente de la france au conseil de l'atlantique nord

Pascale Andréani, Ambassadeur, Représentante permanente de la France au Conseil de l'Atlantique Nord :

Monsieur le Président, les sujets que vous avez évoqués sont effectivement au coeur des débats actuels au sein de l'OTAN, dans la perspective du prochain sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Lisbonne, les 19 et 20 novembre.

En ce qui concerne l'Afghanistan, plusieurs échéances sont devant nous. La conférence de Kaboul, prévue en juillet, aura une importance particulière et abordera l'ensemble des volets : la sécurité, la gouvernance et le développement. Les élections parlementaires auront lieu le 18 septembre. Quelques semaines plus tard, lors du sommet de Lisbonne, l'Alliance analysera l'évolution de la situation au regard des objectifs poursuivis, à savoir la transition et le transfert progressif des responsabilités aux Afghans. C'est bien vers ce but que tendent nos efforts actuels au plan militaire bien sûr, mais également en matière de formation des forces de sécurité afghanes, de partenariat avec les autorités afghanes et de coopération avec les Etats voisins. La FIAS devra également définir comment elle pourra accompagner les processus de réconciliation et de réintégration que le président Karzaï entend initier. En fin d'année 2010, nous verrons dans quelle mesure il sera possible d'annoncer le transfert complet de responsabilité aux autorités afghanes dans certaines provinces ou districts. Lors de la dernière réunion des ministres de la défense, les 10 et 11 juin, le général Mac Chrystal a indiqué que la situation sécuritaire s'améliorait mais que la transition prendrait du temps. Il a fait état de progrès plus modestes dans les domaines de la gouvernance et du développement. Nous nous trouvons donc actuellement dans ce processus de transition et nous espérons pouvoir faire état de premiers résultats positifs au mois de novembre, au sommet de Lisbonne.

Je souhaiterais insister sur un point important : la nécessaire coordination, dans cette phase de transition, entre les actions militaires et civiles. A cet effet, le Secrétaire général de l'OTAN a désigné un haut représentant civil, M. Mark Sedwill, ancien ambassadeur britannique en Afghanistan. Celui-ci assure l'interface entre la FIAS, les organisations internationales telles que l'ONU et l'UE, les équipes provinciales de reconstruction (PRT), et les organisations non gouvernementales.

En ce qui concerne la révision du concept stratégique de l'OTAN, le rapport du groupe d'experts présidé par Mme Madeleine Albright ne constitue qu'une première étape. Il incombe désormais au Secrétaire général d'élaborer un projet qui sera soumis aux nations. Après une phase de consultation incluant notamment les pays partenaires, il remettra ce projet à la fin du mois de septembre. S'ouvrira alors une troisième étape au cours de laquelle sera négocié le texte définitif qui sera soumis à l'approbation des chefs d'Etat et de gouvernement en novembre à Lisbonne.

S'agissant des missions et finalités de l'Alliance, un accord assez large s'est réalisé sur la nécessité de trouver un bon équilibre entre la défense collective et les opérations de gestion de crise. Certains alliés, parmi les nouveaux Etats membres, plaident fortement en faveur de la défense collective et du renforcement de la crédibilité de l'article 5. La France, pour sa part, insiste sur la prise en compte de la dissuasion nucléaire comme élément clef de la défense collective.

Le rapport Albright souligne la nécessité pour l'OTAN de s'adapter aux nouvelles menaces et à ce titre, les cyberattaques doivent faire l'objet d'une attention particulière. Il s'agit aujourd'hui avant tout d'une responsabilité nationale, mais l'OTAN doit protéger ses infrastructures et peut assister certains pays pour faire face à de telles menaces.

Le périmètre géographique de l'OTAN fait également l'objet de réflexions dans la perspective de la révision du concept stratégique. A la notion d'élargissement, le Secrétaire général préfère la réaffirmation du principe de la « porte ouverte ». Dans l'immédiat, la question de l'adhésion ne se pose que pour les Etats des Balkans. L'admission de l'ARYM/Macédoine a été approuvée dans son principe mais continue d'être subordonnée au règlement du litige sur la dénomination du pays. Le plan d'action pour l'adhésion (MAP) a été accordé au Monténégro et, sous conditions, à la Bosnie-Herzégovine. Il paraît indispensable de rappeler dans le concept stratégique les critères à appliquer pour de nouvelles adhésions. Celles-ci doivent se traduire par un renforcement de la stabilité régionale et de la sécurité de l'Alliance.

L'un des éléments les plus novateurs par rapport au concept stratégique de 1999 est la place faite aux partenariats. La question des relations avec la Russie suscite un débat entre la volonté de faire progresser le partenariat et les préoccupations des Etats issus de l'ex-bloc de l'Est, réticents à faire confiance à la Russie. Il y a une véritable nécessité de renforcer le dialogue avec la Russie et de mettre en oeuvre des coopérations au sein d'un partenariat stratégique. Il faudra faire preuve de créativité pour y parvenir. Une autre dimension nouvelle tient à l'importance prise par les partenariats avec les pays méditerranéens et les pays du Golfe.

La France souhaiterait aller plus loin que ne l'a fait le rapport Albright sur le partenariat avec les autres organisations internationales, en particulier l'Union européenne. Le rapport Albright demeure en effet prudent sur les relations OTAN-Union européenne, Il s'agit d'un sujet difficile qui bute sur la question de Chypre. Actuellement, le seul mécanisme institutionnel régissant les relations entre les deux organisations résulte des accords « Berlin plus », conçus pour mettre certains moyens de l'OTAN à disposition de l'Union européenne sur les théâtres où l'Alliance n'est pas engagée. Par définition, ces arrangements ne sont pas applicables lorsque les deux organisations agissent côte à côte sur un même théâtre d'opération, comme cela est actuellement le cas au Kosovo, en Afghanistan ou dans le Golfe d'Aden pour la lutte contre la piraterie. La Turquie ne souhaite pas aller au-delà de la stricte mise en oeuvre des mécanismes « Berlin plus », auxquels Chypre ne peut participer faute d'accord de sécurité avec l'OTAN. Inversement, Chypre bloque tout accord de sécurité entre l'Union européenne et la Turquie, empêchant par exemple cette dernière de participer aux travaux de l'Agence européenne de défense comme le font la Norvège ou l'Islande. Le Secrétaire général souhaite pouvoir formuler des propositions afin d'améliorer la situation, notamment en développant des mécanismes informels. Il rencontre déjà régulièrement la Haute Représentante de l'UE.

Le troisième grand sujet d'actualité à l'OTAN concerne la réforme de l'organisation. Le rapport Albright insiste sur la nécessité de cette réforme et il est indispensable, aux yeux de la France, de lancer ce processus et d'obtenir des résultats dès le sommet de Lisbonne.

Il s'agit tout d'abord d'améliorer le fonctionnement du siège de l'organisation, en réduisant le nombre de comités, aujourd'hui supérieur à 400, en facilitant le processus décisionnel, en établissant une coopération plus efficace entre la structure civile et la structure militaire. Le dépassement très important constaté entre les besoins financiers liés aux différents programmes militaires envisagés et le plafond budgétaire fixé pour les dépenses d'investissement pour la sécurité témoigne d'une absence de planification et d'un contrôle politique insuffisant sur ces programmes. Il sera donc indispensable d'établir des priorités pour les investissements futurs.

La structure militaire de commandement devra elle aussi faire l'objet d'une rationalisation. Elle mobilise aujourd'hui un effectif de 12 000 à 13 000 personnes. Les ministres de la défense de neuf Etats membres ont préconisé, il y a quelques mois, une réduction significative qui permettrait de la ramener en-dessous de 10 000 personnes. C'est une hypothèse sur laquelle travaille actuellement le Secrétaire général. Il paraît également nécessaire de réduire le nombre d'états-majors, et on peut s'interroger sur la nécessité de maintenir trois commandements de forces interarmées, actuellement situés à Brunssum, Naples et Lisbonne.

La volonté de réforme a été exprimée notamment par le Secrétaire général, mais l'Alliance décide par consensus. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, le Danemark ou encore le Canada, plaident pour des mesures ambitieuses. D'autres Etats membres - l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal, la Turquie - sont en revanche très attentifs au maintien d'un certain nombre de structures implantées sur leur territoire. Cela laisse augurer des discussions difficiles.

Enfin, l'ordre du jour du sommet de Lisbonne comprendra également la défense antimissile. L'OTAN développe actuellement le programme ALTBMD consacré à la défense antimissile de théâtre, pour lequel moins d'un quart du coût total (qui s'élève à 800 millions d'euros) a été financé. Selon le Secrétaire général, un investissement supplémentaire de l'ordre de 200 millions d'euros sur dix ans, s'ajoutant aux 800 millions d'euros déjà programmés pour l'ALTBMD, permettrait d'élargir ce programme à la défense des territoires des pays alliés. Mais ce chiffrage ne concerne que les systèmes de commandement et de contrôle. Lors de la dernière réunion des ministres de la défense de l'OTAN à Bruxelles, M. Hervé Morin a souligné la nécessité d'obtenir des clarifications techniques et financières sur l'architecture complète du système, ainsi que sur les règles d'engagement qui devront être définies. Nous n'avons pas encore de réponses à ces questions.

Le rapport Albright a qualifié la défense antimissile de « mission militaire essentielle » de l'Alliance atlantique. Nous nous interrogeons sur les conséquences juridiques et financières d'une telle qualification. Avant toute décision, il conviendra d'avoir des précisions techniques et financières pour pouvoir déterminer si cette capacité nouvelle doit être prioritaire au regard des nombreux besoins de l'Alliance. C'est au sommet de Lisbonne que cette question devrait être tranchée par les chefs d'Etat et de gouvernement.

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