Outre les effets macroéconomiques des fonds souverains, M. Yves Jégourel, maître de conférences à l'université Montesquieu, procédant à l'aide d'une vidéo-projection, a axé son intervention sur trois thèmes : la stabilisation ou non du prix des actifs financiers ; les motivations stratégiques, politiques, ou au contraire financières, des fonds souverains et les possibles réflexes protectionnistes unilatéraux qu'elles peuvent engendrer ; enfin, les réponses économiques et politiques pouvant être apportées à l'émergence d'une nouvelle forme de capitalisme d'Etat.
Tout d'abord, il a souligné, mais relativisé, le risque potentiel de déstabilisation du prix de l'or, des matières premières ou de l'immobilier. Il a mis l'accent sur un risque d'amplification de la volatilité du prix de certaines classes d'actifs du fait du manque de transparence des fonds souverains, de leur fonctionnement institutionnel et de leur stratégie d'investissement. Enfin, il a jugé que le risque de déstabilisation des régimes de changes, bien qu'improbable, n'était pas totalement à exclure.
Il a ajouté que les fonds souverains étaient susceptibles de jouer un rôle positif dans le financement des entreprises et la stabilité financière. Leur vocation d'optimisation du couple rendement/risque les conduit, en effet, à accroître leur exposition aux actions et au capital-investissement, mais ils tendent à se repositionner sur les marchés émergents, au détriment des Etats-Unis et de l'Europe. Leurs stratégies d'investissement en ont également des investisseurs de moyen et long termes, voire de très long terme, avec une faible rotation des actifs et une exigence de rentabilité raisonnable, a priori facteurs de stabilisation des marchés. Ces fonds ont aussi joué un rôle de « financeur » en dernier ressort auprès d'un secteur bancaire gravement affecté par la crise des subprimes. Les fonds souverains peuvent enfin contribuer au financement du développement en Afrique.
Concernant le risque géopolitique résultant d'éventuelles prises de participation dans des entreprises à haute valeur technologique et à fort potentiel de croissance, M. Yves Jégourel a estimé qu'il pouvait alimenter des réflexes protectionnistes unilatéraux et dommageables, et que ce risque tenait, plus largement, à la possible inclusion de critères d'investissement extra-financiers, notamment éthiques ou religieux, dans les choix d'investissement des fonds. Ce risque géopolitique n'est cependant pas propre aux fonds souverains et se retrouve dans le rôle ambigu joué par les fonds d'investissement privés sous influence gouvernementale, ainsi que l'illustre l' « encerclement » de certains segments de l'industrie européenne d'armement terrestre par des fonds américains.
Les réponses à ce risque géopolitique sont, selon lui, de plusieurs ordres :
- tenter « l'audacieux pari » du code de bonne conduite afin d'améliorer la transparence, la prévisibilité et l'obligation de rendre des comptes des fonds souverains. Cet équilibre coopératif demeure cependant difficile à trouver et donc hypothétique ;
- favoriser l'émergence d'une définition européenne des secteurs stratégiques protégés, au regard du critère de souveraineté nationale, et imposer le principe de réciprocité ;
- renforcer le rôle des fonds de capital-risque soutenant les PME stratégiques, et trouver les conditions d'une mobilisation accrue de l'épargne nationale en faveur du financement des entreprises ;
- enfin, construire une vision géostratégique de long terme, associant pouvoirs publics, « think tanks » et secteur privé afin d'appréhender les opportunités et menaces éventuelles liées à ce nouveau « capitalisme d'Etat ».
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, Mme Laura Restelli-Brizard, avocate associée au cabinet Squadra, a entendu répondre à la question : faut-il craindre les fonds souverains, et si oui, lesquels ? Elle a fait référence à plusieurs typologies, dont celle élaborée par le FMI, et a identifié cinq éléments caractéristiques d'un fonds souverain : la souveraineté étatique, des excédents monétaires en devises étrangères ou revenus de matières premières, l'absence de recours à l'endettement, la haute tolérance aux investissements les plus risqués et une volonté d'investir à long terme.
Elle a ensuite proposé sa propre typologie en fonction de leur caractère « agressif » ou passif sur les marchés d'actions et de leur plus ou moins grande transparence :
- parmi les fonds « actifs », les fonds des pays du Golfe persique entendent préparer l'ère de l'après-pétrole. Ils s'appuient pour cela sur une stratégie d'investissement ouvertement axée sur le long terme, ne sont guère intéressés par une participation au conseil d'administration des sociétés détenues, et recourent largement aux gestionnaires et consultants extérieurs. Les craintes sur ces fonds sont, selon elle, généralement infondées ;
- les fonds du Sud-Est asiatique (Singapour, Malaisie et Corée du Sud) sont bien acclimatés aux marchés financiers et disposent d'un portefeuille d'actifs plus ou moins internationalisé. Certains d'entre eux ont adhéré à un code de bonne conduite élaboré avec les Etats-Unis, et les risques liés à ce type de fonds ne sont autres que ceux traditionnellement attachés à tout acteur important des marchés financiers ;