La commission a organisé une première table ronde sur la stratégie d'investissement des fonds souverains : rentabilité à long terme ou contrôle sectoriel ?, avec M. Jean-Paul Betbèze, directeur des études économiques du Crédit agricole, M. François Bujon de l'Estang, président de Citigroup France, M. Michael Doran, avocat associé au cabinet Gide Loyrette Nouel (Londres), M. Yves Jégourel, maître de conférences à l'université Montesquieu (Bordeaux IV), et Mme Laura Restelli-Brizard, avocate associée au cabinet Squadra.
a rappelé que si les fonds souverains étaient anciens, la crise récente des « subprimes » avait attiré l'attention sur ces nouveaux intervenants du système financier international, qui sont apparus comme « les sauveurs du capitalisme » en raison de leur participation à la recapitalisation des banques en crise.
A cet égard, il a souligné que l'essor des fonds souverains constituait en grande partie le « miroir des ajustements » que les pays industriels n'avaient pas su accomplir, puisqu'ils avaient fortement investi en titres de dettes des Etats membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Après avoir rappelé que leurs actifs pouvaient être estimés à 12.000 milliards de dollars en 2015, M. Jean Arthuis, président, a souligné la spécificité des fonds souverains qui présentaient le caractère de fonds d'Etat, tout en investissant dans des secteurs considérés comme stratégiques, ce qui avait suscité des interrogations de la part des autorités politiques. Dans ce contexte, il a observé que l'opacité de certains de ces fonds avait suscité des demandes de transparence et conduit au lancement d'initiatives distinctes par la Commission européenne, le Fonds monétaire international, l'OCDE et les Etats-Unis.
Il a ainsi appelé à concilier la liberté du commerce et la préservation des intérêts stratégiques, en vue d'une certaine normalisation des fonds souverains.
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Jean-Paul Betbèze, directeur des études économiques du Crédit agricole, a souligné l'accélération historique du rôle des fonds souverains, dont les réserves actuelles, estimées à 3.300 milliards de dollars, pouvaient donner lieu à diverses interprétations : si celles-ci ne représentaient que le dixième de l'encours des fonds de pension ou des fonds mutuels, et le sixième de l'encours des fonds d'assurance mondiaux, leur croissance rapide ne rend pas compte de leur place croissante dans le système financier mondial, alimentée par une double rente - gazière et pétrolière, d'une part, de change (réserves monétaires), d'autre part.
Il a remarqué que ces fonds étaient essentiellement présents dans les pays asiatiques et du Golfe persique, à l'exception notable du Fonds de pension du gouvernement norvégien. Il a observé que la rente monétaire dont bénéficiaient les fonds souverains des pays émergents ou en développement s'expliquait par un écart de salaire pouvant être de l'ordre d'un à vingt entre la Chine et les pays industrialisés d'Europe occidentale, lequel était encore renforcé par la sous-évaluation du yuan chinois.
Dans ce contexte, les investissements croissants des fonds souverains posent la question du caractère spécifique ou non de ces acteurs financiers. Ils constituent des intervenants de longue période, présents non seulement sur les marchés obligataires publics et dans des grandes entreprises cotées, mais également dans d'importantes petites et moyennes entreprises des pays occidentaux. Il a ajouté que l'investissement d'un fonds souverain était, par ailleurs, la preuve de la solidité financière de l'entreprise dans laquelle ils acquéraient des participations.
a mis en garde contre le double écueil d'une vision excessivement pessimiste et d'une analyse des fonds souverains par simple référence à d'autres acteurs mieux connus, tels que les fonds de pensions, ce qui tendrait alors à sous-évaluer leurs spécificités. Il a appelé à l'élaboration d'une réponse organisée des pouvoirs publics au niveau européen, suivant l'exemple de la réflexion en cours aux Etats-Unis, ce qui exigeait une meilleure connaissance en termes d'intelligence économique, qui prenne en compte la rationalité des interventions des fonds souverains en tant qu'acteurs.
a relevé que, selon M. Jean-Paul Betbèze « les fonds souverains vont croître et embellir ». Cela ne reflète-t-il pas un fatalisme face aux déséquilibres budgétaires et commerciaux persistants des pays industrialisés ?
a montré que cet essor témoignait également de l'efficacité des fonds souverains, qui se positionnaient non seulement sur des titres de dette publique particulièrement sûrs, mais également sur les marchés d'actions.
a souligné l'écart dans l'évaluation de l'encours dont dispose le fonds souverain des Emirats Arabes Unis, l'Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), estimé entre 250 et 875 milliards de dollars, et le poids du Fonds de réserve national pour les retraites irlandais, dont le montant atteint 28 milliards de dollars dans un pays beaucoup moins peuplé que la France et qui a rattrapé, puis dépassé, le niveau de vie de la France en l'espace de seulement vingt ans.
Pour M. Jean-Paul Betbèze, le Fonds de pensions irlandais présente cette caractéristique d'être entièrement public et de recueillir l'ensemble des investissements du pays pour le paiement des pensions futures, ce qui explique son poids financier.
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. François Bujon de l'Estang, président de Citigroup France, a souligné le rôle croissant des fonds souverains comme véhicules d'investissement, devenus un des principaux modes d'investissement alternatif dans le monde.
D'ores et déjà, leur encours dépasse celui des « hedge funds » et des fonds de capital-investissement, mais les encours les plus importants restent nettement inférieurs à ceux des gérants de capitaux comme Barclays Global Investors, State Street Global Advisors ou Fidelity Investment.
Il a ensuite cité l'exemple de plusieurs prises de participations de fonds d'investissement au capital de grandes sociétés, à l'instar du Government Investment Corporation (GIC) de Singapour dans la banque UBS, ou de China Investment Corporation (CIC) dans le groupe de capital-investissement Blackstone. En ce sens, il a relevé que les investissements dans le secteur financier réalisés par les fonds souverains, minoritaires en 2006 (3,8 % de leurs investissements totaux), étaient devenus prépondérants en 2007 (63,8 % des investissements totaux).
Cet essor est effectivement lié, d'une part, au déséquilibre croissant de changes des Etats-Unis et des Etats membres de l'Union européenne, dont les déficits commerciaux cumulés sont équivalents à ceux des Etats en situation d'excédent commercial (principalement, le Moyen-Orient et l'Asie) et, d'autre part, à une accélération de l'augmentation des réserves de change, en hausse de 140 % au cours des cinq dernières années. Par ailleurs, il a souligné que le prix du baril de pétrole constituait naturellement un facteur décisif de l'augmentation du montant de pétro-dollars disponible.
a rappelé que lors du déplacement de la commission dans les pays du Golfe Persique en mars 2007, il avait été retenu une hypothèse d'augmentation du prix du baril de pétrole nettement inférieure à la réalité constatée depuis. Par conséquent, les fonds souverains de ces Etats sont appelés à se développer plus rapidement que prévu.
Revenant sur l'historique des fonds souverains, M. François Bujon de l'Estang a souligné la création ancienne de plusieurs d'entre eux, comme la Kuweit Investment Authority en 1953 ou Temasek à Singapour en 1974.
Il a ensuite établi une classification des fonds souverains en cinq catégories, selon leur gestionnaire :
- des fonds relevant des banques centrales ;
- des fonds souverains ayant pour but la stabilisation du cours des matières premières, comme le fonds de stabilisation russe, financé par les exportations d'hydrocarbures ;
- les fonds souverains ayant principalement un rôle de préservation des ressources en matières premières afin de réaliser des investissements dans l'économie nationale, tel que l'Abou Dhabi Investment Authority des Emirats Arabes Unis ou le fonds de pension du gouvernement norvégien ;
- des fonds gouvernementaux jouant principalement un rôle d'investisseur, comme la Mubadala Development Company des Emirats Arabes Unis ;
- enfin, d'autres groupes ou entreprises combinant une propriété publique et un rôle d'investisseur, et qui peuvent donc être ainsi assimilés à des fonds souverains, à l'image de Gazprom.
S'agissant de l'activité des fonds souverains, M. François Bujon de l'Estang a souligné que la plupart d'entre eux procédaient désormais à des investissements plus risqués, et que leurs activités tendaient à se diversifier, à l'instar de la Qatar Investment Authority, qui recourait également à des opérations à effet de levier, c'est-à-dire incluant de la dette et offrant des possibilités de retour élevé sur investissement.
Puis il a montré que les choix de localisation géographique des interventions des fonds souverains auraient un effet différencié sur la croissance des pays les plus anciennement industrialisés, l'impact sur le taux de croissance mondiale étant proportionnellement plus élevé en cas d'investissement dans des pays émergents tels que la Chine ou l'Inde.
Il a dressé un bilan des bénéfices potentiels et des menaces supposées que comportait le développement des fonds souverains. D'une part, il a souligné qu'il s'agissait d'investisseurs de long terme ayant un faible endettement et qui permettaient non seulement de bénéficier de l'apport de capitaux étrangers, mais encore d'accroître les possibilités d'entrée sur des marchés émergents, sous réserve de réciprocité. D'autre part, il a relevé que des règles de transparence et de gouvernance devaient être adaptées aux fonds souverains, présents dans des secteurs stratégiques, et qu'ils représentaient une forme de renationalisation par l'entrée au capital d'entreprises privées d'investisseurs publics ou contrôlés par les pouvoirs publics.
Il a ainsi mis en garde contre tout réflexe défensif vis-à-vis des fonds souverains, évoquant les réticences des pouvoirs publics, notamment vis-à-vis des fonds souverains des pays d'Extrême-Orient, alors qu'ils offraient des opportunités de placement stable et à long terme.
a observé que « nécessité fait loi » lorsque les fonds souverains financent une part croissante de la dette publique, et que la meilleure réponse consiste donc en une réduction des déficits publics.
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Michael Doran, avocat associé au cabinet Gide Loyrette Nouel, a ensuite présenté le développement des fonds souverains comme vecteur de diversification de l'accès au crédit.
Après avoir rappelé qu'il existait aujourd'hui une quarantaine de fonds souverains dans le monde et que d'autres pouvaient être appelés à se créer au Japon, en Inde, au Brésil, en Arabie Saoudite et en Islande, il a détaillé les qualités que présentaient les fonds souverains :
- actionnaires sur le long terme, ils prennent des participations minoritaires, inférieures à 10 % du capital total des sociétés-cible ;
- actionnaires peu agressifs par comparaison aux fonds spéculatifs, ils restent peu représentés dans les organes d'administration et occasionnent peu de litiges avec les actionnaires ou les organes d'administration des sociétés.
a souligné les spécificités des fonds souverains en qualité d'investisseurs en titres de dette, susceptibles également de recourir à l'effet de levier. Il a évoqué la possibilité que les fonds souverains se positionnent comme intervenants directs sur le marché du crédit, en concurrence des banques, y compris au sein de l'Union européenne. A cet égard, il a appelé à ne pas sous-estimer la capacité des fonds souverains à s'adapter aux circonstances et à prendre place sur ce nouveau secteur d'activité malgré leur absence d'expérience, en rappelant que les banques, dont c'est le métier de base, n'ont pas su faire face, pour leur part, à la crise des « subprimes ».
Puis il a mentionné les discussions entre certains fonds souverains, comme la Mubadala Development Company des Emirats Arabes Unis, avec des agences de notation pour devenir des intervenants à part entière sur l'ensemble des segments des marchés financiers. Il a estimé cette évolution d'autant plus remarquable qu'il s'agissait encore d'investisseurs hybrides, capables de combiner les qualités des fonds d'investissement et des fonds spéculatifs et dont il fallait envisager, à l'avenir, une coopération accrue dans une perspective de maximisation du profit recherché. Il a donc appelé à considérer les fonds souverains moins comme une menace stratégique que comme des conglomérats financiers.
a relevé le rôle que pourraient ainsi jouer les fonds souverains dans l'accès au crédit.
Outre les effets macroéconomiques des fonds souverains, M. Yves Jégourel, maître de conférences à l'université Montesquieu, procédant à l'aide d'une vidéo-projection, a axé son intervention sur trois thèmes : la stabilisation ou non du prix des actifs financiers ; les motivations stratégiques, politiques, ou au contraire financières, des fonds souverains et les possibles réflexes protectionnistes unilatéraux qu'elles peuvent engendrer ; enfin, les réponses économiques et politiques pouvant être apportées à l'émergence d'une nouvelle forme de capitalisme d'Etat.
Tout d'abord, il a souligné, mais relativisé, le risque potentiel de déstabilisation du prix de l'or, des matières premières ou de l'immobilier. Il a mis l'accent sur un risque d'amplification de la volatilité du prix de certaines classes d'actifs du fait du manque de transparence des fonds souverains, de leur fonctionnement institutionnel et de leur stratégie d'investissement. Enfin, il a jugé que le risque de déstabilisation des régimes de changes, bien qu'improbable, n'était pas totalement à exclure.
Il a ajouté que les fonds souverains étaient susceptibles de jouer un rôle positif dans le financement des entreprises et la stabilité financière. Leur vocation d'optimisation du couple rendement/risque les conduit, en effet, à accroître leur exposition aux actions et au capital-investissement, mais ils tendent à se repositionner sur les marchés émergents, au détriment des Etats-Unis et de l'Europe. Leurs stratégies d'investissement en ont également des investisseurs de moyen et long termes, voire de très long terme, avec une faible rotation des actifs et une exigence de rentabilité raisonnable, a priori facteurs de stabilisation des marchés. Ces fonds ont aussi joué un rôle de « financeur » en dernier ressort auprès d'un secteur bancaire gravement affecté par la crise des subprimes. Les fonds souverains peuvent enfin contribuer au financement du développement en Afrique.
Concernant le risque géopolitique résultant d'éventuelles prises de participation dans des entreprises à haute valeur technologique et à fort potentiel de croissance, M. Yves Jégourel a estimé qu'il pouvait alimenter des réflexes protectionnistes unilatéraux et dommageables, et que ce risque tenait, plus largement, à la possible inclusion de critères d'investissement extra-financiers, notamment éthiques ou religieux, dans les choix d'investissement des fonds. Ce risque géopolitique n'est cependant pas propre aux fonds souverains et se retrouve dans le rôle ambigu joué par les fonds d'investissement privés sous influence gouvernementale, ainsi que l'illustre l' « encerclement » de certains segments de l'industrie européenne d'armement terrestre par des fonds américains.
Les réponses à ce risque géopolitique sont, selon lui, de plusieurs ordres :
- tenter « l'audacieux pari » du code de bonne conduite afin d'améliorer la transparence, la prévisibilité et l'obligation de rendre des comptes des fonds souverains. Cet équilibre coopératif demeure cependant difficile à trouver et donc hypothétique ;
- favoriser l'émergence d'une définition européenne des secteurs stratégiques protégés, au regard du critère de souveraineté nationale, et imposer le principe de réciprocité ;
- renforcer le rôle des fonds de capital-risque soutenant les PME stratégiques, et trouver les conditions d'une mobilisation accrue de l'épargne nationale en faveur du financement des entreprises ;
- enfin, construire une vision géostratégique de long terme, associant pouvoirs publics, « think tanks » et secteur privé afin d'appréhender les opportunités et menaces éventuelles liées à ce nouveau « capitalisme d'Etat ».
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, Mme Laura Restelli-Brizard, avocate associée au cabinet Squadra, a entendu répondre à la question : faut-il craindre les fonds souverains, et si oui, lesquels ? Elle a fait référence à plusieurs typologies, dont celle élaborée par le FMI, et a identifié cinq éléments caractéristiques d'un fonds souverain : la souveraineté étatique, des excédents monétaires en devises étrangères ou revenus de matières premières, l'absence de recours à l'endettement, la haute tolérance aux investissements les plus risqués et une volonté d'investir à long terme.
Elle a ensuite proposé sa propre typologie en fonction de leur caractère « agressif » ou passif sur les marchés d'actions et de leur plus ou moins grande transparence :
- parmi les fonds « actifs », les fonds des pays du Golfe persique entendent préparer l'ère de l'après-pétrole. Ils s'appuient pour cela sur une stratégie d'investissement ouvertement axée sur le long terme, ne sont guère intéressés par une participation au conseil d'administration des sociétés détenues, et recourent largement aux gestionnaires et consultants extérieurs. Les craintes sur ces fonds sont, selon elle, généralement infondées ;
- les fonds du Sud-Est asiatique (Singapour, Malaisie et Corée du Sud) sont bien acclimatés aux marchés financiers et disposent d'un portefeuille d'actifs plus ou moins internationalisé. Certains d'entre eux ont adhéré à un code de bonne conduite élaboré avec les Etats-Unis, et les risques liés à ce type de fonds ne sont autres que ceux traditionnellement attachés à tout acteur important des marchés financiers ;
- les fonds à stratégie industrielle sont essentiellement représentés par les trois entités chinoises, qui cherchent à pérenniser des ressources énergétiques hors de Chine et à faciliter des transferts de technologie, et ciblent des secteurs tels que les télécommunications, les médias et les matières premières. Mme Laura Restelli Brizard a considéré qu'ils portaient un risque industriel non négligeable, en particulier du fait de la faible réciprocité de l'ouverture commerciale. Elle a également évoqué la probable création d'un fonds souverain indien, qui pourrait présenter des caractéristiques proches de ceux de la Chine, en raison d'un biais protectionniste analogue ;
- les deux fonds souverains de la Russie contribuent également à accroître les ressources énergétiques hors des frontières russes, mais dans le cadre d'une stratégie politique, en tant que moyen de pression sur les Etats voisins. Les éventuelles craintes sur les investissements de ces fonds devraient faire l'objet d'un débat politique, mais peuvent être alimentées par une certaine opacité, notamment sur l'oligarchie des compagnies russes de production et de distribution énergétiques ;
- les fonds du gouvernement norvégien, respectivement dotés de 322 milliards de dollars et 2,6 milliards de dollars, illustrent une stratégie relativement passive et sécurisée, intermédiaire entre celle d'un fonds de pension et celle d'un fonds de capital-investissement. Elle a rappelé que la transparence de leurs objectifs d'investissement et allocations d'actifs était réelle, que leurs comptes étaient audités et qu'ils adhéraient à une charte éthique. Le portefeuille du fonds de pension du gouvernement norvégien est exposé à 60 % aux actions, soit environ 3.000 participations, qui ne dépassent pas, individuellement, 3 % du capital des sociétés détenues ;
- enfin, la stratégie des autres fonds, parmi lesquels ceux du Brésil et du Nigeria, est encore assez floue et méconnue, et repose sur une plus grande proportion de titres non cotés.
a rappelé que les fonds souverains, thème majeur appelé à être de nouveau débattu, marquaient le retour d'une forme de capitalisme d'Etat et que leur dynamique était alimentée par les nombreux déséquilibres des pays occidentaux. Plutôt que de craindre résolument la croissance de fonds souverains dont nos économies sont également responsables, il importe d'apprendre à « vivre avec » en gardant à l'esprit que l'acquisition de PME exportatrices par ces fonds peut constituer le prélude à de nouvelles délocalisations. Il a également considéré que la situation actuelle impose aux pays occidentaux, et particulièrement à la France, de constituer leurs propres fonds, ce qui suppose de poursuivre la réduction des déficits publics.
Puis la commission a organisé une seconde table ronde sur l'acceptabilité et la redevabilité des fonds souverains, avec M. Pierre-Ignace Bernard, directeur associé de McKinsey & Co, M. Gilles Dard, président de Merrill Lynch (France), M. Pierre Delsaux, directeur libre-circulation des capitaux, droits des sociétés et gouvernement d'entreprise à la Commission européenne, M. Igor Noskov, conseiller financier à l'ambassade de la Fédération de Russie en France, et M. Olivier Prost, avocat associé au cabinet Gide Loyrette Nouel (Bruxelles).
a indiqué que cette seconde table ronde était consacrée aux moyens de rendre les fonds souverains plus acceptables et plus responsables.
Après avoir évalué les actifs sous gestion des fonds souverains entre 3.600 et 4.200 milliards de dollars actuellement et, d'ici à 2015, à 12.000 milliards de dollars, M. Pierre-Ignace Bernard, directeur associé de McKinsey & Co, procédant à l'aide d'une vidéo-projection, a entendu relativiser l'importance de ces réserves à l'échelle des classes d'actifs financiers internationales. La capitalisation boursière des marchés mondiaux d'actions représente ainsi 50.300 milliards de dollars, la gestion collective 48.100 milliards de dollars, et les émissions obligataires du secteur privé 42.800 milliards de dollars. De même, les transactions des fonds souverains constituent une partie infime des volumes annuels de négociation sur les marchés financiers mondiaux : 0,06 % du volume global de négociation et 0,43 % des transactions sur les marchés d'actions.
Une estimation de la répartition des encours des fonds souverains, par classe d'actifs et par zone géographique, révèle également que les prises de participation potentiellement « actives » au capital de sociétés étrangères demeurent nettement inférieures, avec 200 milliards de dollars, aux participations de nature équivalente dans des sociétés domestiques (1.936 milliards de dollars). Tant qu'un écart significatif de performance n'était pas anticipé, on ne peut sans doute guère s'attendre à un basculement important des investissements à caractère passif vers des investissements actifs, et des marchés domestiques vers ceux étrangers. Il a ajouté qu'avec 24 %, les participations des fonds souverains représentaient une fraction minoritaire du montant global des opérations de fusions-acquisitions des pays émergents vers les pays industrialisés (environ 174 milliards de dollars), mais proportionnellement plus élevée si l'on se rapportait aux 15 principales opérations.
La réalisation d'investissements pour un montant élevé et une part significative du capital pouvait, en revanche, exercer un effet éventuellement perturbant. M. Pierre-Ignace Bernard a dès lors évoqué trois pistes de solutions « minimalistes » pour améliorer l'acceptabilité des fonds souverains :
- l'articulation des modes de gouvernance des fonds : principes de la relation des fonds souverains avec le gouvernement, composition du conseil d'administration, approche des décisions d'investissement et de la gestion des risques, règles de gouvernance interne assurant l'intégrité des décisions prises ;
- la formalisation des procédures opérationnelles des fonds, c'est-à-dire de leur politique d'investissement, qui doit définir l'objectif des positions financières les plus significatives, et de leur mode d'implication éventuellement envisagé dans la gestion des sociétés rachetées ;
- enfin et dans un objectif de transparence, une meilleure communication des fonds sur leurs sources de financement et leurs objectifs d'investissement, les principes directeurs d'interaction avec les sociétés rachetées, leur structure de gouvernance et le rôle du gouvernement.
a fait part de l'expérience récente de sa société, qui avait levé pour 12,8 milliards de dollars de capital en décembre 2007 et janvier 2008 sous forme d'actions préférentielles, dont 9 milliards de dollars avaient été souscrits par trois fonds souverains : Temasek (5 milliards de dollars), Kuwait Investment Authority (2 milliards de dollars) et la Korea Investment Corporation (2 milliards de dollars). Les autres investisseurs - fonds de pension et fonds d'investissement - avaient souscrit au même type d'instrument.
Il a déclaré que la réactivité des fonds souverains avait bénéficié à sa société, qui était satisfaite de disposer de tels actionnaires se comportant en investisseurs passifs et de long terme, disposant d'une longue expérience des marchés, et constituant un gage de confiance dans les perspectives de la banque. Puis, en réponse à M. Jean Arthuis, président, il a précisé que la souscription des actions préférentielles était rémunérée par un dividende compris entre 9 et 11 %.
Il a fait part de son incertitude sur les orientations de ces fonds actionnaires dans l'hypothèse où leur investissement dans Merrill Lynch ne se révèlerait pas rentable, tout en évoquant le précédent de la China Investment Corporation, présente au capital du fonds de LBO Blackstone, coté et dont le cours avait fortement chu en bourse. Il a ajouté que les marges d'action des fonds souverains seraient structurellement limitées par les capitalisations boursières, ce qui les conduirait sans doute à accroître leurs investissements domestiques.
a exposé certaines tendances de la stratégie d'investissement des fonds souverains et estimé que la phase actuelle de hausse de l'exposition de ces fonds aux classes d'actifs plus risquées, qui pourrait à terme atteindre 6.000 milliards de dollars, ne contribuerait sans doute pas à modifier substantiellement le prix de ces actifs. En revanche, les fonds seraient conduits à diversifier leurs placements dans des actifs non libellés en dollars, accentuant ainsi les pressions à la baisse sur cette devise. Ils auraient également davantage recours à la gestion intermédiée, ce qui aurait un impact favorable sur l'industrie de la gestion d'actifs, avec un apport potentiel de 3.000 milliards de dollars.
S'agissant de la transparence des fonds souverains, il a comparé le fonds de pension du gouvernement norvégien, dont l'allocation d'actifs (60 % en actions) et l'objectif de rendement (6 à 6,5 %) étaient publics, et qui recourait largement aux gérants externes, et la China Investment corporation (CIC), plus opaque, mais dont le lien capitalistique avec Blackstone pourrait induire une évolution favorable. Il a ajouté que la CIC poursuivait des objectifs de rendement, de diversification de ses actifs hors de la zone dollar et de maîtrise stratégique de l'énergie et des technologies, tout en cherchant à minimiser l'impact politique de ses décisions d'investissement et en déléguant une part importante de sa gestion à des professionnels.
a ensuite relativisé la nouveauté comme l'importance du phénomène des fonds souverains. Il a rappelé que de tels fonds étaient présents en Europe depuis les années 1950, et que le volume relatif de leurs investissements restait limité. Cependant, il a reconnu que le débat était légitime, dans la mesure où les investissements des fonds souverains augmentaient et se diversifiaient. Il a noté que ce débat se concentrait sur l'influence gouvernementale qui pouvait s'exercer à travers les fonds souverains, et sur la question de la réciprocité entre les pays de rattachement des fonds souverains et les pays où ces fonds investissaient. Par ailleurs, il a distingué les fonds souverains des entreprises d'Etat.
Il a indiqué que la « réponse » de la Communauté européenne (CE) au développement des fonds souverains était bien commune à l'ensemble des Etats membres, dans la mesure où le Traité CE garantissait la liberté de circulation des capitaux, à la fois entre Etats membres et entre ces Etats et des Etats tiers, sans distinguer entre investisseurs publics et investisseurs privés. L'Europe est donc « ouverte » aux fonds souverains, même si le droit communautaire autorise les Etats membres à protéger leurs intérêts « stratégiques ». Cette notion, dans le silence du Traité CE, a été interprétée par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) dans un sens restrictif. En particulier, elle ne recouvre pas le simple intérêt économique d'un Etat.
Cependant, dans le respect de ces principes communautaires, chaque Etat membre a pu se doter d'une législation propre sur les investissements internationaux. En vue de fixer une « doctrine » commune sur les fonds souverains, le Conseil des ministres de l'économie et des finances, en février 2008, a validé une recommandation de la Commission européenne. Estimant qu'un renforcement de la réglementation en vigueur n'est pas approprié, elle préconise la mise en place de codes de bonne conduite, librement adoptés par les fonds souverains, afin de garantir tant leur indépendance à l'égard des gouvernements que la transparence de leurs politiques d'investissement.
Il a fait état des premières réactions des représentants de fonds souverains à cette recommandation. D'une part, ils estiment que des règles identiques doivent s'appliquer aux autres investisseurs, capital-investissement et fonds spéculatifs notamment. D'autre part, ils appellent la Communauté européenne à faire également preuve de transparence, s'agissant de sa politique à l'égard des fonds souverains.
Enfin, il a estimé que le principe d'ouverture du marché européen aux investissements internationaux, dans la mesure où il s'était révélé bénéfique à l'Europe, devait être maintenu. Néanmoins, à ses yeux, cette ouverture du marché exclut la « naïveté » des acteurs, et des garanties de transparence doivent être aménagées en conséquence.
En réponse à M. Jean Arthuis, président, il a précisé que la Commission européenne ne souhaitait pas lier le débat relatif aux fonds souverains à la demande faite auprès de certains pays, comme la Chine, de s'ouvrir davantage aux investissements européens.
a fait part de son regret que le débat actuel sur les fonds souverains se soit déplacé du terrain économique au plan politique. Il a estimé que l'accueil réservé à un fonds souverain était fonction de l'image de son pays de rattachement.
Il a rappelé l'évolution très rapide qu'avait connue la Russie, d'une économie centralisée à une économie de marché. Selon lui, le pays s'est ouvert et continue de s'ouvrir aux investissements étrangers. Parallèlement, la hausse du prix des ressources naturelles a assuré à la Fédération des réserves de change qui alimentent son Fonds de stabilisation. Celui-ci est divisé en deux parts :
- d'une part, un « fonds de réserve », destiné à amortir d'éventuels chocs budgétaires (125,4 milliards de dollars au 1er avril 2008) ;
- d'autre part, un « fonds du bien-être national », ayant pour but de faire fructifier une partie des recettes énergétiques du pays, notamment par des investissements directs à l'étranger (32 milliards de dollars au 1er avril 2008).
Il a indiqué que les deux fonds étaient dirigés par le ministère russe des finances, la gestion de certaines opérations pouvant être déléguée à la banque centrale ou à des établissements financiers. Cette gestion vise à garantir l'intégrité des moyens des fonds et la stabilité des revenus issus de leurs placements, dans une perspective de long terme. Sur cette gestion, le ministre des finances produit des rapports réguliers au gouvernement, qui en rend compte au Parlement.
Il a jugé que, dans le contexte de la crise financière actuelle, l'activité des fonds souverains, dont les investissements s'inscrivaient traditionnellement dans le long terme, pouvait contribuer à restaurer la confiance des acteurs du marché. Il a reconnu que l'importance des liquidités dont disposaient ces fonds les poussait à présent à réorienter leur politique d'investissement, en privilégiant les placements les plus rentables. Mais, selon lui, les analyses véhiculées par la presse économique, notamment française, sur le « danger » qu'ils représenteraient pour les économies occidentales, étaient excessives. Il a souligné que les organisations économiques internationales, comme le FMI, la Banque mondiale ou l'OCDE, s'accordaient à reconnaître leur rôle positif en termes de normalisation des marchés financiers. Aussi, il a appelé au respect des règles de libre concurrence et à l'abandon des velléités protectionnistes qui pouvaient se faire jour à l'encontre des fonds souverains.
Répondant à M. Jean Arthuis, président, il a précisé que la réciprocité, à ses yeux, consisterait à traiter de manière identique les investisseurs publics et les investisseurs privés, en particulier les fonds spéculatifs (« hedge funds »), ainsi qu'à appliquer les mêmes règles de conduite aux fonds considérés par l'Europe comme « souverains » et à la Caisse des dépôts et consignations par exemple.
procédant à l'aide d'une vidéo-projection, a montré que les fonds souverains évoluaient dans un cadre juridique d'ores et déjà substantiel.
Il a tout d'abord présenté les règles communautaires applicables aux mouvements de capitaux, qui concernaient notamment les relations des Etats membres avec les Etats tiers, et s'appliquaient aux investissements directs comme aux investissements de portefeuille. Des mesures restrictives sont possibles, à l'initiative des Etats membres, à la condition d'être justifiées par des objectifs « légitimes ». Il a fait observer que c'était dans ce cadre que le gouvernement français avait publié le décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005, dit « anti-OPA », imposant une autorisation préalable du ministre chargé des finances pour les investissements étrangers dans certains secteurs d'activité susceptibles d'intéresser l'ordre public, la sécurité publique ou la défense nationale.
Il a ensuite rappelé que la Commission européenne exerçait un contrôle sur les concentrations d'entreprises au sein du marché européen. Par ailleurs, il a mentionné la réglementation internationale des services financiers et l'existence d'un contrôle des subventions internationales dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
S'interrogeant sur la nécessité d'envisager une réglementation spécifique pour les fonds souverains, il a préconisé de limiter les possibilités de restrictions aux seules menaces graves et bien établies pour l'économie d'un pays. Selon lui, c'est dans cette direction que se dirigent les récentes initiatives internationales, celles du FMI comme celles de la Commission européenne. Cependant, il a reconnu qu'une certaine vigilance était nécessaire. Dans cette perspective, le régime de réciprocité organisé par la directive communautaire relative aux OPA lui parait bien correspondre aux dispositifs qu'il convient de mettre en oeuvre.
s'est enquis de la situation du décret dit « anti-OPA » au regard des règles communautaires, qu'il revenait à la Commission européenne d'apprécier. M. Pierre Delsaux a indiqué que les discussions entre les services de la Commission et les autorités françaises se poursuivaient, en vue de la meilleure issue possible.
a estimé que, compte tenu de l'évolution des pays émergents depuis quelques années, les économies européennes devaient se préparer à un « décentrement » du monde. Elle a souscrit à la nécessité d'accompagner ce mouvement « sans naïveté ». A ses yeux, le meilleur moyen, pour les entreprises européennes, de s'insérer favorablement dans la nouvelle donne économique mondiale y est d'investir leur capital productif.
a assimilé l'activité des fonds souverains, qui constituait pour lui une forme de nationalisation, à un nouveau « capitalisme d'Etat ». A ce titre, il a regretté l'absence de fonds souverains français. Dans la mesure où ces investisseurs peuvent apparaître de nature à déstabiliser la concurrence, il a estimé que l'instauration de règles de bonne gouvernance et de transparence permettrait d'apaiser les craintes des acteurs du marché. Par ailleurs, ces fonds participant au financement des déséquilibres commerciaux et budgétaires nationaux, il a espéré que l'attention nouvelle qui leur était portée pourrait contribuer à la sensibilisation de l'opinion publique à la nécessité des réformes destinées à restaurer les finances publiques.