Il serait en tout cas intéressant de tester la crédibilité de ces résultats avec d'autres molécules.
Je discuterai d'abord de la méthodologie. Les enquêtes reposent finalement sur deux sources, le système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (Sniiram) et le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).
Outil de travail précieux pour la réalisation des allocations budgétaires, le PMSI permet de classer les patients au sein de groupes homogènes, établis selon les codes de l'American Society of International Medicine (Asim) et de l'OMS. Cette méthode a cependant des limites en matière d'épidémiologie. A l'évidence, son application est une cause d'erreurs et d'approximations. En 2005, l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) estimait elle-même entre 15 % et 20 % les erreurs de classification dues aux difficultés de codage. La proportion était déjà assez importante.
Sur le fond, je dois rappeler que les enquêtes de la Cnam avaient pour objet la sélection des valvulopathies liées au benfluorex. Elles devaient pointer des insuffisances valvulaires pures, organiques et restrictives. Faute de code applicable aux valvulopathies médicamenteuses, les auteurs des enquêtes ont tenté de convoquer toutes les insuffisances valvulaires indépendamment de leurs causes. Ils ont ainsi eu recours à un code binaire, pointant soit des insuffisances valvulaires rhumatismales, soit des insuffisances non rhumatismales. Or, comme dans les autres pays industrialisés, les secondes sont en France devenues rares. Les maladies dégénératives en constituent de loin les causes les plus fréquentes. Cette classe, non individualisée dans les bases, est cependant forcément sous-représentée.
La réalisation d'erreurs était sans doute inévitable avec le type de codage utilisé. Prenons l'exemple des polyvalvulaires, ces malades souffrant de lésions au niveau de plusieurs valves. Dans deux cas sur trois, les valvulopathies médicamenteuses entraînent ce type de lésions.
Deux codages ont été utilisés pour cette population. L'un d'entre eux fait appel à un code spécifique regroupant, sous la même appellation - « atteintes valvulaires » - les trois grands types de dysfonctionnement des valves : un rétrécissement ; une insuffisance ; l'association d'un rétrécissement et d'une insuffisance.
Comme la lecture des tableaux et des textes de Cnam 2 permet de le comprendre, le rétrécissement aortique et le rétrécissement mitral ne peuvent cependant être causés par l'action du benfluorex. Sur les 165 patients suivis, le lien a pourtant été établi quarante et une fois, soit pour un quart des polyvalvulaires. La sélection des patients a ainsi souffert d'importants biais méthodologiques.
Je m'interroge par ailleurs sur l'analyse réalisée des soixante-quatre cas de décès pointés. Agées en moyenne de soixante-neuf ans au moment de leur disparition, les personnes du groupe souffraient de multiples pathologies, dont des insuffisances coronariennes, des hypertensions artérielles et des insuffisances respiratoires. Il est difficile de ne pas penser qu'elles n'ont pas, en l'occurrence, joué un rôle.
La réalisation d'études individuelles montre qu'un fait étranger à l'action du benfluorex - et souvent également au système cardiaque - était en l'espèce en cause dans un cas sur trois : une hémorragie cérébrale, une tumeur, un cancer. Dans les deux tiers des cas, le benfluorex pourrait donc certes être l'agent responsable de la mort, mais au même titre que toute autre cause d'insuffisance valvulaire.
Malheureusement, les dossiers des quarante-six personnes hospitalisées - deux tiers des soixante-quatre cas étudiés - n'ont pas été consultés. L'on y aurait trouvé les échocardiogrammes, les comptes rendus opératoires ou les comptes rendus anatomiques. Ces pièces auraient permis aux auteurs de Cnam 2 de faire état d'opinions plus fortes. Ces analyses au cas par cas ont cependant été négligées. Elles ont peut-être été jugées superflues ou incompatibles avec la réalisation d'études épidémiologiques.
Les auteurs de ces enquêtes ont dû penser pouvoir s'appuyer sur de seuls calculs statistiques. Les vérités ainsi obtenues ne correspondent cependant pas aux vérités cardiologiques.
Ma dernière réserve concerne, je vous l'ai dit, les extrapolations statistiques. Catherine Hill a réalisé l'exercice en se fondant sur les enquêtes de la Cnam. Il lui a inspiré un article récemment publié dans la presse médicale.
Ces extrapolations reposent sur les postulats suivants : le nombre d'hospitalisations pour insuffisances valvulaires chez les malades exposés au benfluorex est multiplié par trois dans une cohorte de diabétiques de quarante à soixante-neuf ans (cf. étude Cnam 1) ; les mêmes règles peuvent s'appliquer pour le calcul de la fraction de décès attribuables au benfluorex.
Je conteste pour ma part le second de ces deux postulats. De l'aveu même de Catherine Hill, l'extrapolation du nombre de décès au regard du nombre d'hospitalisations ne peut se réaliser qu'à deux conditions : le facteur 3 de sur-risque s'applique à la population générale de tout âge, qu'elle soit diabétique ou non ; le même taux de mortalité doit être affiché parmi les patients atteints de valvulopathies causées par l'action du benfluorex et parmi les patients atteints d'autres maladies valvulaires. Ces présupposés se heurtent également aux réalités cardiologiques.
Si ces enquêtes montrent un lien entre l'apparition de valvulopathies et l'action du benfluorex, elles ne permettent pas, en revanche, de quantifier le degré de dangerosité de la molécule. A cet égard, les statistiques de morbidité annoncées manquent certainement de crédibilité ; elles reposent de fait sur l'extrapolation de données de base partiellement erronées.
La réalisation d'une nouvelle évaluation serait souhaitable. L'exercice serait confié à un comité d'experts élargi, qui rassemblerait des épidémiologistes, mais aussi des cardiologues spécialisés et des chirurgiens cardiaques.