Intervention de Nicolas About

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 juin 2010 : 1ère réunion
Maisons départementales des personnes handicapées et politique du handicap — Examen des amendements au texte de la commission

Photo de Nicolas AboutNicolas About, président du groupe de travail, rapporteur :

Le rapport que notre groupe de travail sur la fin de vie a adopté la semaine dernière n'a pas la prétention de dresser un tableau exhaustif de ce sujet difficile, ni d'en tirer des conclusions définitives. Il a plus simplement pour ambition d'en faire une analyse et il comporte deux propositions qui me paraissent pragmatiques.

L'analyse découle de la vingtaine d'auditions que nous avons conduites dans le souci d'entendre l'expression de toutes les familles de pensée, sans exclusive.

Deux points me semblent essentiels. Tout d'abord, et je pense relayer notre sentiment unanime, nous souhaitons rompre avec une vision purement technicienne de la fin de la vie qui peut aboutir à l'acharnement thérapeutique. Les droits reconnus au patient, sa volonté d'autonomie par rapport à la décision médicale, le fait qu'il puisse décider lui-même de la poursuite ou de l'arrêt des traitements, font l'objet d'un consensus social. La loi Leonetti du 22 avril 2005, venant elle-même à la suite de la loi Kouchner, s'inscrit dans cette logique. Ainsi, la mort n'est plus nécessairement masquée, niée, par la médecine, même si, comme l'a indiqué François Autain, elle l'est encore parfois. Ceux qui le souhaitent peuvent choisir d'y faire face en pleine conscience.

Notre consensus va encore plus loin sur la manière d'aborder la fin de vie. En effet, tant les partisans des soins palliatifs que ceux de l'euthanasie cherchent d'abord à lutter contre la douleur. Plus personne aujourd'hui n'entend lui attribuer une valeur morale ou spirituelle qui ferait obstacle à sa prise en charge ou empêcherait de chercher à la soulager. Que ce soit en diffusant les pratiques palliatives ou en choisissant une « mort douce » provoquée, nous nous préoccupons tous de trouver le meilleur moyen pour que la fin de vie soit, au moins physiquement, apaisée.

La différence entre les conceptions possibles réside ailleurs, dans l'attitude face à la mort elle-même. Pour certains, il faut l'accepter et attendre l'échéance en vivant pleinement tous les instants qui nous en séparent. Pour d'autres, il faut pouvoir maîtriser la mort, non pas prétendre la surmonter, mais pouvoir la choisir et par là conserver jusqu'à la fin la conduite de son existence et l'évolution de son corps.

Face à ces deux attitudes, que permet l'état du droit ? D'abord, si le suicide n'est plus pénalement réprimé en France depuis le code pénal de 1810, le cas du suicide assisté est plus complexe : on ne peut réprimer une action destinée à accomplir un acte qui n'est pas lui-même répréhensible mais le risque d'incrimination sur la base de l'assassinat, de l'empoisonnement ou même de la non-assistance à personne en danger est réel.

La question centrale, comme l'a souligné Gilbert Barbier, est celle du rôle du médecin. La loi Leonetti admet, on le sait, le « double effet » des soins palliatifs : un soin destiné à apaiser la douleur peut avoir aussi pour effet de réduire l'espérance de vie. Ce soin pourra être prodigué si le patient ou son entourage sont informés de ses conséquences potentielles. C'est donc l'intention du médecin qui marque la frontière entre un acte destiné à soulager la douleur, et celui qui abrège la vie.

Plusieurs des personnes auditionnées nous ont affirmé que cette distinction est confuse, voire hypocrite, et qu'elle ne permet pas une bonne application de la loi. Pourtant, la détermination de la valeur d'un acte en fonction de l'intention qui le sous-tend est l'un des fondements de notre droit pénal. Ceux qui sont partisans de l'euthanasie devraient donc compléter la loi Leonetti plutôt que la changer, car elle est cohérente du point de vue des soins palliatifs. Par ailleurs, même si l'euthanasie venait à être autorisée, il est évident, comme le montre l'exemple belge, que les soins palliatifs continueraient à jouer un rôle prédominant dans la fin de vie.

Incontestablement, la loi Leonetti a apporté une solution acceptable pour de nombreux cas en affirmant le droit des malades de refuser le traitement et en demandant la mise en place de soins palliatifs une fois que les soins curatifs ne sont plus envisageables. Bien sûr, il faut que cette loi soit mieux connue et que des moyens supplémentaires soient alloués aux soins palliatifs. Ceux-ci ne doivent d'ailleurs plus être cantonnés aux unités spécialisées mais être intégrés aux pratiques de l'ensemble des services hospitaliers confrontés à la fin de vie et étendus, autant qu'il est possible, aux soins dispensés à domicile.

J'estime cependant, à titre personnel et cette considération ne figure pas en tant que telle dans le rapport, que la loi Leonetti ne règle pas un cas particulier : celui des personnes qui ne sont pas nécessairement en fin de vie mais qui se trouvent dans l'incapacité physique de mettre elles-mêmes fin à leurs jours, si tel devait être leur souhait face aux difficultés insurmontables de leur existence quotidienne. A la suite de la question que m'avait posée Marie-Thérèse Hermange, je précise que j'exclus de cette interrogation les personnes atteintes de troubles mentaux ou d'un handicap mental dont le consentement me semble ne pouvoir être valablement recueilli.

Je suis parfaitement conscient du message que sont venues nous porter plusieurs des personnes auditionnés sur le risque que certaines de ces personnes puissent voir, dans un débat sur l'euthanasie qui leur serait particulièrement consacré, une remise en cause du combat qu'elles mènent à chaque instant pour vivre. Mais mon optique est précisément inverse. Offrir à ceux qui se sont tant battus la possibilité de s'arrêter, quand ils l'auront voulu, sans être une fois encore dominés par le corps contre lequel ils ont dû combattre, c'est leur donner une perspective apaisante. Je ne plaide évidemment pas pour qu'ils aient recours à l'euthanasie mais je conçois que si la possibilité leur en était offerte, cela en aiderait certains à mieux vivre sans jamais, peut-être, y avoir recours.

Concernant l'évolution éventuelle de notre droit, notre rapport ne peut qu'exposer les différents arguments pour et contre une légalisation de l'euthanasie. Bien évidemment, il ne tranche pas en faveur de l'une ou l'autre de ces thèses. Il appartiendra à chacun de prendre, le moment venu, ses responsabilités en fonction de ses convictions les plus profondes. Nous en aurons probablement l'occasion lors de l'examen de la proposition de loi, dont nos collègues François Autain et Guy Fischer ont annoncé le dépôt et dont il nous a été dit que l'inscription à l'ordre du jour serait demandée.

Le groupe de travail a adopté, tout en notant les réserves de Gilbert Barbier, deux propositions :

- la première concerne les procès pour euthanasie. L'audition du président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, a été, sur ce point, particulièrement éclairante. Les juges ont eu à connaître d'une vingtaine de cas d'euthanasie sur les dix dernières années, ce qui est faible. Seule la moitié d'entre eux a abouti devant les tribunaux. Mais ces cas, particulièrement douloureux, ont-ils réellement leur place en cour d'assises ? Je ne le crois pas et nous devons empêcher que d'autres familles n'aient à supporter un tel drame judiciaire, qui s'ajoute au drame humain qu'elles ont déjà vécu. Le groupe de travail demande donc que le Garde des Sceaux adresse aux parquets une instruction tendant, après qu'ils se seront assurés que l'euthanasie était uniquement motivée par la volonté de mourir de la personne, au classement sans suite de ces affaires. Comme le suggérait le président Louvel, la base juridique de ce classement pourrait être celle de l'article 122-2 du code pénal.

Cet article, qui prévoit les cas d'irresponsabilité pénale, a déjà été appliqué par un juge d'instruction au cas d'une mère ayant fait l'injection d'un produit létal à son fils devenu tétraplégique et qui lui demandait de mourir. Le juge a estimé que la volonté du fils s'était substituée à celle de la mère et que cette dernière n'était donc pas responsable de ces actes. Cette interprétation et l'instruction qui, sur cette base, pourrait être donnée aux parquets, me paraissent d'autant plus intéressantes qu'elles sont susceptibles de répondre à la situation des personnes qui, sans être nécessairement en fin de vie, désirent mettre fin au combat quotidien qu'elles mènent pour survivre mais qui ne peuvent techniquement se donner la mort, comme je l'exposais précédemment ;

- la deuxième proposition répond au besoin de connaissances sur les pratiques liées à la fin de vie en France, et précisément sur les euthanasies, dont on sait qu'elles sont, dans les faits, pratiquées en dehors du cadre de la loi. Il existe plusieurs rapports sur la mort à l'hôpital et l'on dispose d'études partielles qui montrent que des décisions d'euthanasie sont prises dans des services médicaux. Mais aucune étude systématique n'a été menée à ce jour sur ce sujet sensible.

L'observatoire de la fin de vie, créé le 10 février dernier à la suite du rapport Leonetti et que préside Régis Aubry, ancien président du comité de suivi du développement des soins palliatifs, pourrait valablement conduire cette étude.

J'insiste, toutefois, sur le fait qu'il est essentiel qu'elle repose sur des méthodes internationalement reconnues et qui permettent la comparaison entre la situation de la France et celle d'autres pays concernant la fin de vie et l'euthanasie.

Le professeur Luc Deliens, de l'université libre flamande de Bruxelles, que nous avons entendu, est un spécialiste reconnu en ce domaine et son approche pragmatique a grandement servi à la réflexion engagée par le législateur belge. Le groupe de travail pourrait donc demander qu'une étude sur les circonstances de la fin de vie en France soit menée selon les principes que ce professeur a élaborés. Il peut sembler paradoxal, voire impossible, de mener une étude et de publier un rapport sur des pratiques illégales, mais le professeur Deliens a déjà conduit un travail de ce type pour d'autre pays, en entourant ses recherches d'un certain nombre de garanties pour les professionnels de santé qui décrivent leurs pratiques, notamment en matière d'anonymat et d'absence de poursuites.

Si l'observatoire de la fin de vie était dans l'incapacité de répondre à cette demande, ne pourrait-on imaginer que la commission des affaires sociales, qui dispose de crédits d'études, demande au professeur Deliens de la conduire pour elle, ce qu'il serait disposé à faire ?

Telles sont les conclusions du groupe de travail. Si vous autorisez la publication de ce rapport d'information, les contributions personnelles des membres du groupe qui souhaiteront préciser leur point de vue, y figureront en annexe.

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