Intervention de Félix Desplan

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission outre-mer - départements d'outre-mer - examen du rapport pour avis

Photo de Félix DesplanFélix Desplan, rapporteur pour avis :

L'avis budgétaire outre-mer fait l'objet, depuis cette année, de deux avis, l'un consacré aux DOM, dont je suis le rapporteur, le second aux COM, confié à Monsieur Cointat. Toutefois, la première partie du rapport, consacrée aux crédits de la mission, à son évolution, à ses indicateurs ainsi qu'à la politique de défiscalisation, est commune aux deux avis.

Le projet initial de loi de finances pour 2012 prévoyait, pour la mission outre-mer, 2,179 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,035 milliards d'euros en crédits de paiement. Toutefois, après l'annonce du Premier ministre du 24 août dernier, selon laquelle un effort supplémentaire d'un milliard d'euros d'économies devait être recherché, la mission outre-mer a fait l'objet d'un coup de rabot de 48 millions d'euros en autorisations d'engagement, portant ainsi celles-ci à 2,131 milliards d'euros et de 56 millions d'euros en crédits de paiement, portant ces derniers à 1,979 milliard d'euros. Ce coup de rabot conduit à une diminution des autorisations d'engagements égale à 1,15 % par rapport au budget de 2011 et les crédits de paiement au même niveau.

On constate que si les crédits de la mission « outre-mer » ont augmenté dans le cadre de la loi de finances pour 2010, en raison des mouvements sociaux ayant secoué les DOM des Antilles et à la suite de l'adoption de la LODEOM, la mission outre-mer a connu une forte diminution en 2011 et une nouvelle en 2012. Dans le cadre du PLF pour 2012, le niveau des crédits de la mission n'atteint pas celui du budget pour 2010.

Les indicateurs de performance qui accompagnent la mission ne permettent pas de mesurer la rentabilité des choix effectués par l'État en faveur des outre-mer. Or, les priorités données en matière de défiscalisation et d'exonération des charges patronales et sociales devraient nécessairement s'accompagner d'une étude d'impact.

La défiscalisation représente en effet 2,96 milliards d'euros, soit 1,5 fois le montant des crédits de paiement de la mission outre-mer. Force est de constater qu'il s'agit d'un dispositif coûteux pour lequel il n'existe aucun dispositif d'évaluation des dépenses fiscales pour les DOM et est limité pour les COM. C'est pourquoi l'initiative de Messieurs Carrez, Cahuzac et Bartolone visant à demander au Gouvernement de déposer un rapport au Parlement sur l'opportunité de transformer les dépenses fiscales en dotations budgétaires me paraît tout à fait excellente. Je souhaite préciser d'ailleurs que, compte tenu de la priorité donnée ces dernières années à la dépense fiscale en outre-mer, la limitation des niches fiscales sans compensation a un impact beaucoup plus fort sur les territoires ultramarins que sur ceux de l'hexagone. Elle freine carrément leur développement.

Enfin, la dernière observation sur ce premier point concerne l'accompagnement budgétaire utilisé pour la départementalisation de Mayotte. Au titre du PLF pour 2012, Mayotte devrait bénéficier de 700 millions d'euros en autorisations d'engagement et 659,3 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation respective de 2,07 % et 1,2 % par rapport à 2011. Toutefois, on constate que les crédits destinés à Mayotte sont affectés en priorité à la modernisation et au renforcement du développement économique de Mayotte et non, à proprement parler, à l'évolution institutionnelle de ce territoire. Seuls les crédits alloués à la nouvelle organisation judiciaire et à la mise en place du revenu de solidarités actives participent directement à l'effort de l'évolution institutionnelle de Mayotte.

Je souhaiterai maintenant aborder les questions liées à la lutte contre l'immigration clandestine et l'amélioration des moyens de la justice qui font l'objet d'une volonté affichée du Gouvernement mais avec des moyens limités.

On constate une pression migratoire hétérogène dans les DOM, avant tout liée à l'importance des facteurs géographiques et économiques. Ainsi, la proximité géographique d'Anjouan et de Mayotte ou bien la montée récente du cours de l'or pour la Guyane expliquent en grande partie l'importance de ce phénomène qui s'accompagne d'une immigration clandestine forte. On estime le nombre d'immigrés clandestins entre 30.000 et 60.000 en Guyane, soit entre le quart et le tiers de la population, et à 15.000 en Guadeloupe, soit 3 % de la population. A Mayotte, les immigrés clandestins sont évalués à 50.000, représentant entre un quart et un tiers de la population.

Le Gouvernement a souhaité répondre à cette situation par la mise en place d'une politique active de reconduite à la frontière. Les objectifs ont été largement dépassés : en 2010, on dénombre 13,65 % de reconduites à la frontière en plus des objectifs initiaux prévus pour les cinq DOM, en raison de l'augmentation des effectifs de police et de gendarmerie nationales. Pourtant, force est de constater que cette politique du chiffre atteint ses limites puisque, comme l'a montré la Cour des Comptes dans un récent rapport, en raison de la persistance des flux migratoires clandestins.

Une politique de coopération transfrontalière, aujourd'hui peu développée, représenterait véritablement un outil de lutte contre l'immigration clandestine. En Guyane, la lutte contre l'orpaillage clandestin ne saurait sans doute se limiter à des opérations policières et militaires ; son efficacité serait sans doute favorisée par la mise en oeuvre d'une stratégie plus globale, mobilisant toutes les administrations concernées et nécessitant donc une coordination interministérielle, sous l'autorité même du premier ministre.

Rappelons également la situation de surpopulation des centres de rétention administrative -à titre d'exemple, le taux d'occupation du CRA de Pamandzi a atteint 145 % en 2009 - ainsi que les conditions de salubrité très préoccupantes. Cette situation est ancienne et n'a fait l'objet que d'améliorations légères et timides. En effet, les crédits consacrés à la politique immobilière des CRA sont modestes et affectés prioritairement à des réhabilitations de centres existants, alors que la réalisation d'opérations nouvelles s'impose en la matière.

Enfin, le dernier point sur lequel je souhaiterais attirer votre attention, concerne la situation de la justice dans les DOM. On constate toujours la persistance d'une surpopulation carcérale dans les DOM des Antilles et à Mayotte, malgré l'augmentation du nombre de places dans les maisons d'arrêt ou les centres pénitentiaires entre 2006 et 2011, égale à 24 %. A titre d'exemple, le taux d'occupation du QMA de Baie-Mahault en Guadeloupe est de 156,4 %. En revanche, la situation de la Réunion se distingue par un taux d'occupation inférieur à 100 % dans deux des trois centres pénitentiaires.

Pour faire face à cette situation, un certain nombre d'opérations immobilières visent à augmenter la capacité d'hébergement et la mise aux normes des différentes structures. Malgré une légère amélioration, on ne peut que regretter que la réalisation des extensions ou des reconstructions des établissements pénitentiaires soit annoncée à des horizons éloignés alors même que la situation de surpopulation carcérale est ancienne et atteint aujourd'hui, dans beaucoup d'établissements, un seuil inacceptable.

Dernière observation, les juridictions judiciaires et administratives doivent faire face à un afflux de dossiers que leurs moyens limités ne permettent pas de traiter efficacement. Ainsi, en Guadeloupe, les délais moyens de jugement du tribunal administratif de Basse-Terre sont de deux ans et demi contre onze mois en moyenne en métropole mais ce délai s'élève à cinq ans pour les dossiers non urgents. La réalisation de nouveaux locaux tarde également, comme l'illustre la Cour d'appel de Fort-de-France, qui est logée dans des locaux provisoires depuis ... 1981.

En conclusion, je souhaite rappeler que les concours de politiques transversales, qui représentent environ 85 % de l'effort global de l'État, sont en stagnation pour les DOM. Les crédits de la mission outre-mer, représentant environ 15 % de l'effort global de l'État, sont, eux aussi, en stagnation pour les DOM.

J'ajoute que seule une autorité rattachée au Premier ministre permettrait d'imposer à chaque département ministériel une bonne prise en compte de l'outre-mer dans les politiques dont il a la charge et d'imposer une réelle coordination, pour une politique plus efficace.

Aussi, après ce bref tour d'horizon, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « outre-mer ».

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