Intervention de Chantal Jouanno

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 10 mai 2011 : 1ère réunion
Audition de Mme Chantal Jouanno ministre des sports

Chantal Jouanno, ministre des sports :

Le plaisir est partagé ! D'autant que le Sénat vit un printemps du sport : nous avons longuement débattu de la proposition de loi relative à l'organisation du championnat d'Europe de football de l'UEFA en 2016 - je salue le rapporteur Dufaut qui a contribué à son adoption rapide, qui était nécessaire pour lever les verrous juridiques - ; nous discuterons prochainement de l'opportune proposition de loi du groupe RDSE sur l'éthique sportive, sans oublier les travaux de la délégation aux droits des femmes qui a choisi cette année pour thème le sport. Les valeurs du sport ou encore le fair play financier méritent effectivement des débats de fond : il est impossible de cantonner la discussion à des enjeux purement sportifs quand le sport joue un tel rôle dans la résolution des difficultés de la société.

Quelques mots de cette épouvantable affaire des quotas au sein de la fédération française de football (la FFF). Le 28 avril, le site Mediapart titre « Foot français : les dirigeants veulent moins de Noirs et d'Arabes ». L'article est étayé par la retranscription des propos tenus lors de la réunion du 8 novembre. Ces propos sont graves car l'instauration de quotas discriminatoires, fondés sur l'origine ou la couleur de peau, constitue un délit pénal au regard de la loi relative à la lutte contre les discriminations de 2001. Le ministère a aussitôt diligenté l'inspection générale de la jeunesse et des sports qui a travaillé de manière indépendante. De son côté, la FFF a mis en place une commission d'enquête interne, confiée au député de la gauche démocrate et républicaine Braouzec, également président de la fondation du football. Comme des fuites ont eu lieu, les deux missions ont finalement travaillé chacune de leur côté. Elles aboutissent à la même conclusion : aucun élément matériel ne nous autorise à transmettre cette affaire à la justice ; un débat déplacé a eu lieu, mais il n'a donné lieu à aucune décision, à aucune politique de quotas, officieuse ou officielle. Le directeur technique national, qui pilotait la réunion, n'a pas été à la hauteur de sa mission ; il n'a pas su orienter les débats, les contrôler. Quant à l'entraîneur national, les transcriptions montrent qu'il n'était pas préparé à ce type de débat. Il n'a jamais eu d'orientations racistes, ce dont témoignent ses sélections. En tant que ministre, je n'ai, hélas !, aucun pouvoir de sanction ; l'affaire est désormais entre les mains du conseil fédéral qui se réunit jeudi pour décider des sanctions internes. Nous avons proposé un audit managérial de la direction technique nationale ainsi que la création d'un observatoire indépendant sur les problèmes de racisme, de discriminations, mais aussi de communautarisme dans les écoles de formation et l'organisation du football, comme il en existe un pour les comportements durant les matchs.

J'en arrive à l'objet initial de cette audition : nos ambitions pour le sport français, dont témoigne le choix du Président de la République et du Premier ministre de créer un ministère de plein exercice. Tout d'abord, il s'agit d'inventer un modèle de gouvernance du sport fondé sur - osons le mot - la démocratie participative plutôt que sur un tête-à-tête entre ministère et mouvement sportif. D'où l'instauration de l'Assemblée du sport. Cette instance de concertation réunit des représentants de l'État, du mouvement sportif, des collectivités territoriales et du monde économique à parité. Durant l'étape de réflexion, qui prendra fin en juin, nous avons également associé la société civile, qui forme un cinquième collège. En septembre, une fois les propositions actées, nous pérenniserons ce modèle de concertation pour un véritable suivi, une évaluation et un respect des engagements pris par chacun des acteurs. Les six sénateurs, désignés par votre commission, apportent un éclairage utile à ces travaux dont le but est d'identifier les propositions consensuelles.

Nous instaurons aussi un nouveau modèle de gouvernance, en renforçant la place des collectivités territoriales. De fait, celles-ci, au premier rang desquelles les communes, sont le premier financeur du monde sportif. Nous avons augmenté le nombre de leurs représentants au sein de la commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (la CERFRES), responsable des normes sportives, et des commissions territoriales du centre national pour le développement du sport (le CNDS). De plus, nous signerons prochainement une convention avec l'association des maires de France. Le but est de formaliser notre partenariat sur les diagnostics territoriaux approfondis (les DTA). Ce programme, qui me tient à coeur, consiste à établir un bilan des ressources en équipements sportifs et de la demande en pratique sportive sur un territoire donné, ce qui suppose un engagement des collectivités. Nous travaillons également avec le sénateur Doligé, investi d'une mission sur les normes, afin d'alléger les normes fédérales qui pèsent sur les collectivités territoriales sans qu'il y ait eu de concertation préalable. D'après les premières rencontres, il y a urgence à renforcer l'ingénierie locale : de nombreuses collectivités territoriales ignorent ce qui relève de l'obligation ou de la faculté - par exemple, les prescriptions en vue d'accueillir une compétition sportive ne s'imposent pas à tous.

Ensuite, la défense des valeurs sportives constitue la raison d'être de ce ministère. En France, c'est une question régalienne quand de nombreux pays européens se contentent d'une agence ou d'un mouvement sportif autonome. Lorsqu'un scandale éclate, on se tourne vers l'État. L'affaire des quotas à la FFF montre la limite de l'exercice : le mouvement sportif revendique son autonomie - je n'ai aucun pouvoir sur le directeur technique actuel -, mais l'État le finance au titre de la mission de service public. Nous devons donc être intransigeants sur les valeurs. Les clubs jouent un rôle fondamental dans le renforcement de la cohésion sociale et l'enseignement des règles et du respect de l'autre par le jeu, les deux vertus du sport ; c'est ce qu'on appelle « l'école du vestiaire ». Aussi ai-je refusé, à mon arrivée au ministère, d'augmenter le plancher de la subvention du CNDS, ce qui aurait entraîné l'exclusion de 45 % des clubs ruraux. En revanche, les aides du CNDS seront liées, dès l'an prochain, au respect d'un projet éducatif et éthique au sein du club. Ce système de « civi-conditionnalité » s'applique aux fédérations dès cette année avec dix conditions à respecter.

Nous agissons également sur les questions plus traditionnelles, comme le dopage. Il fallait renforcer, au-delà de notre dispositif de contrôle et de lutte relativement performant, le plan national de prévention. Pour 2011-2014, nous avons défini trois axes. Premièrement, sensibiliser un large public via des événements populaires telles les courses hors stade et un travail conjoint avec le conseil supérieur de l'audiovisuel et la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie - je ne suis pas hostile au parallèle entre drogue et dopage. Deuxièmement, nous voulons toucher les 16 millions de licenciés en obligeant les fédérations à inclure dans leur convention d'objectifs un plan de prévention du dopage, ce qui est pour l'instant marginal. Dès cette année, la fédération ne touchera pas de crédits si elle n'adopte pas de plan de prévention. Les trafics empruntant les mêmes réseaux que la criminalité organisée classique, l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) doit s'appuyer sur des commissions régionales. Piloté par la gendarmerie, il est très performant : il a démantelé, avec le concours de la police, des finances et des douanes, le plus gros réseau de trafiquants en Europe en décembre dernier, dont pas moins 10 000 personnes sur le seul territoire français.

Pour lutter contre les violences, nous avons installé un comité du supportérisme, qui sera présidé par le député Eric Berdoati. Il aura pour charge d'intégrer les associations de supporters, celles qui sont respectables du moins, dans l'organisation et la définition de la politique. A sa charge d'établir une charte nationale qui établira les droits et devoirs des associations de supporters. Enfin, lundi prochain, sera créé le comité de lutte contre les discriminations, prévu de longue date, pour lutter contre le racisme, mais aussi l'homophobie et le sexisme - un sujet prudemment enfoui.

Enfin, j'en viens à une question d'importance : le risque de corruption avec l'ouverture des paris sportifs en ligne. D'après le récent rapport du président de l'autorité de régulation des jeux en ligne (l'ARJEL), le développement de ce secteur est conforme à nos prévisions quand certains tablaient sur une explosion : en six mois, les paris sportifs ont représenté 450 millions d'euros. Ce n'est qu'un début. Votre collègue François Trucy travaille à l'évaluation de la loi sur les paris en ligne. Le président de l'ARJEL a proposé, pour prévenir les phénomènes de corruption, de rendre obligatoire un volet anti-corruption dans les conventions avec les fédérations et de mettre sur pied une instance, quelle que soit sa forme juridique, pour croiser les informations afin de détecter les phénomènes anormaux. Cette instance prendra la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP).

Pour finir, les moyens du ministère et du CNDS sont passés de 480 millions d'euros en 2000 à 844 millions ; nous veillerons à préserver ce niveau de crédits en 2012. Nous avons dégagé 158 millions pour les stades, 38 millions pour les trois projets d'équipements olympiques que nous avons hérités de la candidature de « Paris 2012 » - le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, la piscine olympique et la base nautique de Vaires-sur-Marne - et 50 millions durant cinq ans, au sein du CNDS, pour les Arénas. Avec ces 25 grands équipements sportifs, la France devrait rattraper son retard sur les autres pays européens dans cinq ans. Le comité « grands équipements », au sein du CNDS, définira les critères ouvrant droit à la labellisation « Grand équipement », comme l'a suggéré M. Costantini dans son rapport. Le ministère veut également résorber les inégalités territoriales en matière d'équipements sportifs. Nous y verrons plus clair, une fois dressés les diagnostics que j'ai mentionnés. Un plan de rattrapage de 15 à 20 millions d'euros est déjà prévu pour la Seine-Saint-Denis qui, avec la population la plus jeune, est le département le plus pauvre après Paris... Le CNDS en financera la moitié ; nous venons de dégager 8 millions d'euros ce matin.

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