Ce rapport est le fruit d'une mission qui m'a été confiée à la suite de la décision du bureau de notre commission de suivre le projet de création de la Maison de l'Histoire de France. Je vous proposerai, dans mes conclusions, que nous continuions, à l'avenir, à assurer ce suivi.
J'ai procédé à plus d'une trentaine d'auditions, des historiens aux muséographes et scénographes, en passant par les responsables politiques, y compris de l'outre-mer. J'ai également visité plusieurs musées historiques en France, comme l'historial de Péronne et le château des ducs de Bretagne à Nantes, mais aussi en Allemagne, avec le musée historique allemand de Berlin. De ce long travail de consultation et d'investigation, je tire une première conclusion : les controverses suscitées par ce projet sont essentiellement le résultat d'une communication parfois mal coordonnée et d'une concertation sans doute insuffisante en amont de la communauté scientifique. Il me semble donc bienvenu que notre commission s'emploie à clarifier les éléments du débat.
À la crainte d'une instrumentalisation de l'histoire présentée sous la forme d'un roman national, se sont ajoutées les critiques sur le choix d'une localisation dans le quadrilatère Rohan-Soubise des Archives nationales.
Or, j'ai pu constater que la très grande majorité des personnalités que j'ai entendues, notamment des historiens a priori hostiles au projet présidentiel, n'était nullement opposée au principe d'une institution de médiation culturelle destinée à valoriser nos collections à caractère historique, comme nous savons le faire pour les beaux-arts, à conférer une plus grande visibilité à notre réseau de musées d'histoire et de société et à mieux faire connaître les travaux de la recherche en histoire. Le sens même du projet a été jugé pertinent, les critiques se focalisant sur la méthode.
Les Archives nationales avaient conduit une réflexion approfondie sur la relance de leur musée de l'histoire de France, un temps mis en sommeil, ayant abouti à des propositions ambitieuses et d'une très grande finesse, tant sur le plan scientifique, sous le contrôle d'un comité présidé par Pierre Nora lui-même, que sur le plan de la programmation immobilière. J'ai dit la part que les Archives nationales pouvaient prendre dans le projet.
Dans un premier temps, j'ai dressé dans mon rapport un état des lieux de notre réseau de musées d'histoire, particulièrement riche et dense, mais encore méconnu. Nos musées d'histoire et de société répartis sur l'ensemble du territoire, dont le nombre est évalué entre 800 et un millier, sont régis par des statuts très disparates. Je vous renvoie à l'excellent travail de Laurent Gervereau et de Marie-Hélène Joly sur le sujet. La plupart appartiennent aux collectivités territoriales et principalement aux municipalités ; d'autres ont été créés par le biais d'initiatives privées et sont bien souvent gérés, avec succès, dans un cadre associatif.
Alors que nos musées des beaux-arts disposent d'établissements, comme le Louvre et le Centre Georges-Pompidou, leur conférant une visibilité et un prestige internationaux de premier ordre, il est paradoxal que notre pays ne dispose pas d'une institution de médiation culturelle en mesure de valoriser nos collections à caractère historique et de replacer notre pays au coeur des parcours itinérants des grandes expositions internationales à dimension historique.
D'où l'idée de valoriser la richesse de notre patrimoine historique en donnant une tête de pont à notre réseau de musées d'histoire, appelée à renforcer les liens entre les musées d'histoire locaux et la communauté scientifique. Ce projet devra impérativement s'inscrire dans un ensemble de politiques publiques destinées à revaloriser l'enseignement de l'histoire, aujourd'hui exposé à une crise sans précédent : sacrifice de la chronologie, dégradation des conditions de formation des enseignants, insuffisance des supports pédagogiques, diminution du nombre d'heures d'enseignement mais aussi du nombre d'enseignants en histoire, foisonnement des lois mémorielles, autant de symptômes préoccupants d'une crise profonde de l'enseignement de l'histoire. La Maison de l'Histoire de France doit, dès lors, s'imposer comme le couronnement d'un édifice d'initiatives publiques en vue de revaloriser l'enseignement de l'histoire.
M. Jean-François Hebert dans son rapport de préfiguration, envisageait quatre missions principales pour l'institution : un musée accessible à tous les publics, doté d'une galerie chronologique, conçue pour susciter les questionnements, et organisant des expositions temporaires ; un forum pour la recherche en histoire ; une tête de réseau des musées d'histoire en France ; un portail Internet de l'histoire de France.
Mes auditions m'ont également conduite à préciser, dans mon rapport, la notion de multiperspectivité qui, à mon sens, doit constituer le mot d'ordre méthodologique de l'exploration de l'histoire dans le cadre de la galerie chronologique et des expositions temporaires. Il s'agit, en effet, dans le traitement d'une question controversée, d'offrir au public une présentation et une confrontation des points de vue et des différentes écoles historiques.
J'ai également insisté sur la nécessité de développer et de renforcer les liens entre les musées d'histoire et les milieux scolaires et universitaires, dans une logique de complémentarité, en permettant aux élèves et aux étudiants d'entrer en interaction avec les traces matérielles du passé.
J'ai ensuite abordé la question des modalités de mise en oeuvre du projet, en me concentrant sur l'analyse des enjeux statutaires et de localisation de la future Maison de l'Histoire de France.
En matière statutaire, j'ai étudié les différents modèles d'établissements publics à finalité muséale qui associent, en leur sein, de multiples structures disposant, à des degrés divers, de l'autonomie de programmation scientifique et culturelle. Neuf établissements forment pour l'heure le socle de la future institution : le musée de la préhistoire des Eyzies-de-Tayac, le musée archéologique de Saint-Germain-en-Laye, le musée de Cluny, pour le Moyen Âge, celui d'Ecouen, pour la Renaissance, puis le château de Pau, celui de Fontainebleau, le musée des plans-reliefs, la Malmaison, le musée de Compiègne. Il s'agit de couvrir les principales périodes de notre histoire : je proposerai à cette fin quelques ajouts.
En ce qui concerne la localisation, j'ai pris soin de démontrer dans quelle mesure la création d'une institution destinée à valoriser auprès du grand public les résultats de la recherche en histoire, sur le site des Archives nationales, est parfaitement complémentaire avec la création d'un site des Archives à Pierrefitte-sur-Seine qui permettra de libérer de nombreux espaces. Les Archives nationales auront besoin d'un peu plus de 23 000 m² afin de mener à bien leurs missions de conservation d'archives et leurs propres activités pédagogiques et muséographiques sur leur site parisien. Or, le quadrilatère offre potentiellement plus de 35 000 m² d'espaces. La Maison de l'Histoire de France nécessitera quelque 12 000 m² pour fonctionner dans des conditions optimales - le musée de Berlin, à titre de comparaison, en compte 8 000. Rien n'interdit donc de faire cohabiter les deux institutions sur le même site, et la Maison de l'Histoire de France sera le catalyseur du lancement de ces travaux de restauration et d'aménagement que les Archives nationales réclamaient de longue date, et de rendre au public les locaux prestigieux de l'hôtel de Rohan.
Mes vingt propositions visent à insuffler au projet une nouvelle dynamique, de façon à renforcer sa légitimité auprès du grand public comme de la communauté scientifique que des Archives nationales.
Parce que la Maison de l'Histoire de France doit être le couronnement des politiques publiques en faveur de l'enseignement de l'histoire et de la recherche en sciences humaines et sociales, je propose d'organiser des États généraux de l'enseignement et de la recherche en histoire ; de créer les conditions d'un nouveau souffle pour les Archives nationales sur les plans statutaire et immobilier ; de déterminer les conditions opérationnelles propres à faire de la Maison de l'Histoire de France un lieu de questionnements placé au coeur de la réflexion scientifique en histoire ; de créer un label afin de mieux identifier le réseau de ses partenaires ; de conférer à l'institution, début 2012, le statut d'établissement public à caractère administratif et de prévoir dans un second temps le sort administratif des musées formant le socle de son réseau ; de mettre l'accent sur l'accessibilité, tant au sens physique qu'intellectuel, de l'établissement à tous les publics ; de mettre en place une « galerie des temps et des territoires » inspirée du projet de refondation du musée de France des Archives nationales, évolutive, technologiquement innovante, interactive, faite pour assurer le débat en tenant compte de la pluralité des écoles et ménageant des enclaves thématiques pour chaque séquence temporelle, sur le modèle du musée de Berlin ; d'entreprendre les travaux d'aménagement de l'hôtel de Rohan ; de s'assurer la participation de comités scientifiques ad hoc ; d'aménager un cadre de récréation attractif, grâce à un restaurant et un espace commercial innovants -sachant combien les produits dérivés comptent dans l'équilibre financier d'une telle institution ; d'aménager un parcours intitulé « La fabrique de l'histoire » tel qu'imaginé un temps par les Archives nationales pour leur musée d'histoire ; de prévoir un programme ambitieux de colloques, conférences et séminaires ; de renforcer les moyens de la bibliothèque des Archives nationales ; de développer le mécénat en faveur de la recherche en histoire, au travers notamment de l'octroi de subventions aux travaux de chercheurs français et étrangers qui pourraient être exposés de façon temporaire dans les locaux de la Maison de l'Histoire de France.
Afin que le comité d'orientation scientifique, que le ministre vient de mettre en place, soit en mesure de garantir la crédibilité et la légitimité de l'institution, je propose de garantir son indépendance en le formant de membres renouvelables, spécialistes en sciences humaines et d'y assurer la présence de professionnels de l'exposition au grand public -muséographes, scénographes.
Pour aider la Maison de l'Histoire de France à s'imposer comme tête de pont de notre réseau de musées d'histoire et de société, je propose de garantir l'autonomie de programmation scientifique et culturelle des musées nationaux réunis en son sein ; de développer, via le label « Maison d'histoire », les partenariats, en associant prioritairement les institutions permettant de compléter les périodes historiques couvertes par le réseau de la Maison de l'Histoire de France - je pense au musée de la Révolution française de Vizille, à l'historial de Péronne pour la Grande Guerre, au mémorial de Caen pour la Seconde Guerre mondiale, au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM) de Marseille ; de développer un portail numérique ; de nouer un partenariat ambitieux avec l'Institut français afin de promouvoir à l'étranger les résultats de la recherche en histoire en France et le patrimoine historique français.
Je vous proposerai enfin, au terme de cette aventure passionnante, que la commission constitue un groupe de travail chargé de suivre le bon déroulement du projet et d'émettre des recommandations.
Un mot, encore, sur le calendrier du projet. C'est à la suite du rapport Lemoine de 2007 sur l'histoire civile et militaire de la France, commandé par les ministres de la culture et de la défense qu'est née l'idée de départ, qui s'est ensuite transformée en un projet d'institution relative à la seule histoire civile, placée sous la tutelle du ministère de la culture. Le rapport de Jean-Pierre Rioux, en 2009, devait aider à déterminer le site d'implantation, suivi, en 2010, par le rapport de Jean-François Hébert - devenu président de l'association de préfiguration créé cette même année, traitait des éléments de décision. En janvier 2011, le ministre mettait en place le comité scientifique, et le Président de la République annonçait, pour 2012, une première exposition, au grand Palais, du musée des plans relief. A l'été 2011, les jardins devraient être ouverts au public, et l'établissement public créé au 1er janvier 2012, tandis que l'institution devrait ouvrir ses portes en 2015.