La commission procède ensuite à l'examen du rapport d'information de Mme Catherine Dumas sur la Maison de l'Histoire de France.
Ce rapport est le fruit d'une mission qui m'a été confiée à la suite de la décision du bureau de notre commission de suivre le projet de création de la Maison de l'Histoire de France. Je vous proposerai, dans mes conclusions, que nous continuions, à l'avenir, à assurer ce suivi.
J'ai procédé à plus d'une trentaine d'auditions, des historiens aux muséographes et scénographes, en passant par les responsables politiques, y compris de l'outre-mer. J'ai également visité plusieurs musées historiques en France, comme l'historial de Péronne et le château des ducs de Bretagne à Nantes, mais aussi en Allemagne, avec le musée historique allemand de Berlin. De ce long travail de consultation et d'investigation, je tire une première conclusion : les controverses suscitées par ce projet sont essentiellement le résultat d'une communication parfois mal coordonnée et d'une concertation sans doute insuffisante en amont de la communauté scientifique. Il me semble donc bienvenu que notre commission s'emploie à clarifier les éléments du débat.
À la crainte d'une instrumentalisation de l'histoire présentée sous la forme d'un roman national, se sont ajoutées les critiques sur le choix d'une localisation dans le quadrilatère Rohan-Soubise des Archives nationales.
Or, j'ai pu constater que la très grande majorité des personnalités que j'ai entendues, notamment des historiens a priori hostiles au projet présidentiel, n'était nullement opposée au principe d'une institution de médiation culturelle destinée à valoriser nos collections à caractère historique, comme nous savons le faire pour les beaux-arts, à conférer une plus grande visibilité à notre réseau de musées d'histoire et de société et à mieux faire connaître les travaux de la recherche en histoire. Le sens même du projet a été jugé pertinent, les critiques se focalisant sur la méthode.
Les Archives nationales avaient conduit une réflexion approfondie sur la relance de leur musée de l'histoire de France, un temps mis en sommeil, ayant abouti à des propositions ambitieuses et d'une très grande finesse, tant sur le plan scientifique, sous le contrôle d'un comité présidé par Pierre Nora lui-même, que sur le plan de la programmation immobilière. J'ai dit la part que les Archives nationales pouvaient prendre dans le projet.
Dans un premier temps, j'ai dressé dans mon rapport un état des lieux de notre réseau de musées d'histoire, particulièrement riche et dense, mais encore méconnu. Nos musées d'histoire et de société répartis sur l'ensemble du territoire, dont le nombre est évalué entre 800 et un millier, sont régis par des statuts très disparates. Je vous renvoie à l'excellent travail de Laurent Gervereau et de Marie-Hélène Joly sur le sujet. La plupart appartiennent aux collectivités territoriales et principalement aux municipalités ; d'autres ont été créés par le biais d'initiatives privées et sont bien souvent gérés, avec succès, dans un cadre associatif.
Alors que nos musées des beaux-arts disposent d'établissements, comme le Louvre et le Centre Georges-Pompidou, leur conférant une visibilité et un prestige internationaux de premier ordre, il est paradoxal que notre pays ne dispose pas d'une institution de médiation culturelle en mesure de valoriser nos collections à caractère historique et de replacer notre pays au coeur des parcours itinérants des grandes expositions internationales à dimension historique.
D'où l'idée de valoriser la richesse de notre patrimoine historique en donnant une tête de pont à notre réseau de musées d'histoire, appelée à renforcer les liens entre les musées d'histoire locaux et la communauté scientifique. Ce projet devra impérativement s'inscrire dans un ensemble de politiques publiques destinées à revaloriser l'enseignement de l'histoire, aujourd'hui exposé à une crise sans précédent : sacrifice de la chronologie, dégradation des conditions de formation des enseignants, insuffisance des supports pédagogiques, diminution du nombre d'heures d'enseignement mais aussi du nombre d'enseignants en histoire, foisonnement des lois mémorielles, autant de symptômes préoccupants d'une crise profonde de l'enseignement de l'histoire. La Maison de l'Histoire de France doit, dès lors, s'imposer comme le couronnement d'un édifice d'initiatives publiques en vue de revaloriser l'enseignement de l'histoire.
M. Jean-François Hebert dans son rapport de préfiguration, envisageait quatre missions principales pour l'institution : un musée accessible à tous les publics, doté d'une galerie chronologique, conçue pour susciter les questionnements, et organisant des expositions temporaires ; un forum pour la recherche en histoire ; une tête de réseau des musées d'histoire en France ; un portail Internet de l'histoire de France.
Mes auditions m'ont également conduite à préciser, dans mon rapport, la notion de multiperspectivité qui, à mon sens, doit constituer le mot d'ordre méthodologique de l'exploration de l'histoire dans le cadre de la galerie chronologique et des expositions temporaires. Il s'agit, en effet, dans le traitement d'une question controversée, d'offrir au public une présentation et une confrontation des points de vue et des différentes écoles historiques.
J'ai également insisté sur la nécessité de développer et de renforcer les liens entre les musées d'histoire et les milieux scolaires et universitaires, dans une logique de complémentarité, en permettant aux élèves et aux étudiants d'entrer en interaction avec les traces matérielles du passé.
J'ai ensuite abordé la question des modalités de mise en oeuvre du projet, en me concentrant sur l'analyse des enjeux statutaires et de localisation de la future Maison de l'Histoire de France.
En matière statutaire, j'ai étudié les différents modèles d'établissements publics à finalité muséale qui associent, en leur sein, de multiples structures disposant, à des degrés divers, de l'autonomie de programmation scientifique et culturelle. Neuf établissements forment pour l'heure le socle de la future institution : le musée de la préhistoire des Eyzies-de-Tayac, le musée archéologique de Saint-Germain-en-Laye, le musée de Cluny, pour le Moyen Âge, celui d'Ecouen, pour la Renaissance, puis le château de Pau, celui de Fontainebleau, le musée des plans-reliefs, la Malmaison, le musée de Compiègne. Il s'agit de couvrir les principales périodes de notre histoire : je proposerai à cette fin quelques ajouts.
En ce qui concerne la localisation, j'ai pris soin de démontrer dans quelle mesure la création d'une institution destinée à valoriser auprès du grand public les résultats de la recherche en histoire, sur le site des Archives nationales, est parfaitement complémentaire avec la création d'un site des Archives à Pierrefitte-sur-Seine qui permettra de libérer de nombreux espaces. Les Archives nationales auront besoin d'un peu plus de 23 000 m² afin de mener à bien leurs missions de conservation d'archives et leurs propres activités pédagogiques et muséographiques sur leur site parisien. Or, le quadrilatère offre potentiellement plus de 35 000 m² d'espaces. La Maison de l'Histoire de France nécessitera quelque 12 000 m² pour fonctionner dans des conditions optimales - le musée de Berlin, à titre de comparaison, en compte 8 000. Rien n'interdit donc de faire cohabiter les deux institutions sur le même site, et la Maison de l'Histoire de France sera le catalyseur du lancement de ces travaux de restauration et d'aménagement que les Archives nationales réclamaient de longue date, et de rendre au public les locaux prestigieux de l'hôtel de Rohan.
Mes vingt propositions visent à insuffler au projet une nouvelle dynamique, de façon à renforcer sa légitimité auprès du grand public comme de la communauté scientifique que des Archives nationales.
Parce que la Maison de l'Histoire de France doit être le couronnement des politiques publiques en faveur de l'enseignement de l'histoire et de la recherche en sciences humaines et sociales, je propose d'organiser des États généraux de l'enseignement et de la recherche en histoire ; de créer les conditions d'un nouveau souffle pour les Archives nationales sur les plans statutaire et immobilier ; de déterminer les conditions opérationnelles propres à faire de la Maison de l'Histoire de France un lieu de questionnements placé au coeur de la réflexion scientifique en histoire ; de créer un label afin de mieux identifier le réseau de ses partenaires ; de conférer à l'institution, début 2012, le statut d'établissement public à caractère administratif et de prévoir dans un second temps le sort administratif des musées formant le socle de son réseau ; de mettre l'accent sur l'accessibilité, tant au sens physique qu'intellectuel, de l'établissement à tous les publics ; de mettre en place une « galerie des temps et des territoires » inspirée du projet de refondation du musée de France des Archives nationales, évolutive, technologiquement innovante, interactive, faite pour assurer le débat en tenant compte de la pluralité des écoles et ménageant des enclaves thématiques pour chaque séquence temporelle, sur le modèle du musée de Berlin ; d'entreprendre les travaux d'aménagement de l'hôtel de Rohan ; de s'assurer la participation de comités scientifiques ad hoc ; d'aménager un cadre de récréation attractif, grâce à un restaurant et un espace commercial innovants -sachant combien les produits dérivés comptent dans l'équilibre financier d'une telle institution ; d'aménager un parcours intitulé « La fabrique de l'histoire » tel qu'imaginé un temps par les Archives nationales pour leur musée d'histoire ; de prévoir un programme ambitieux de colloques, conférences et séminaires ; de renforcer les moyens de la bibliothèque des Archives nationales ; de développer le mécénat en faveur de la recherche en histoire, au travers notamment de l'octroi de subventions aux travaux de chercheurs français et étrangers qui pourraient être exposés de façon temporaire dans les locaux de la Maison de l'Histoire de France.
Afin que le comité d'orientation scientifique, que le ministre vient de mettre en place, soit en mesure de garantir la crédibilité et la légitimité de l'institution, je propose de garantir son indépendance en le formant de membres renouvelables, spécialistes en sciences humaines et d'y assurer la présence de professionnels de l'exposition au grand public -muséographes, scénographes.
Pour aider la Maison de l'Histoire de France à s'imposer comme tête de pont de notre réseau de musées d'histoire et de société, je propose de garantir l'autonomie de programmation scientifique et culturelle des musées nationaux réunis en son sein ; de développer, via le label « Maison d'histoire », les partenariats, en associant prioritairement les institutions permettant de compléter les périodes historiques couvertes par le réseau de la Maison de l'Histoire de France - je pense au musée de la Révolution française de Vizille, à l'historial de Péronne pour la Grande Guerre, au mémorial de Caen pour la Seconde Guerre mondiale, au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM) de Marseille ; de développer un portail numérique ; de nouer un partenariat ambitieux avec l'Institut français afin de promouvoir à l'étranger les résultats de la recherche en histoire en France et le patrimoine historique français.
Je vous proposerai enfin, au terme de cette aventure passionnante, que la commission constitue un groupe de travail chargé de suivre le bon déroulement du projet et d'émettre des recommandations.
Un mot, encore, sur le calendrier du projet. C'est à la suite du rapport Lemoine de 2007 sur l'histoire civile et militaire de la France, commandé par les ministres de la culture et de la défense qu'est née l'idée de départ, qui s'est ensuite transformée en un projet d'institution relative à la seule histoire civile, placée sous la tutelle du ministère de la culture. Le rapport de Jean-Pierre Rioux, en 2009, devait aider à déterminer le site d'implantation, suivi, en 2010, par le rapport de Jean-François Hébert - devenu président de l'association de préfiguration créé cette même année, traitait des éléments de décision. En janvier 2011, le ministre mettait en place le comité scientifique, et le Président de la République annonçait, pour 2012, une première exposition, au grand Palais, du musée des plans relief. A l'été 2011, les jardins devraient être ouverts au public, et l'établissement public créé au 1er janvier 2012, tandis que l'institution devrait ouvrir ses portes en 2015.
Parmi les constats que vous avez dressés, je retiens que vous déplorez que l'on voie se dégrader les formations en histoire et se réduire les horaires d'enseignement, que soit minimisée la place de la chronologie dans les programmes. Je suis contente de vous l'entendre dire.
Une bonne part des archives restera sur place, nous confirmez-vous, je m'en réjouis. Comme de la place accordée à la mise en réseau, à la recherche, à l'utile confrontation des points de vue. Pour avoir longuement visité les Archives, avec des enseignants, je sais l'importance de cette institution.
Vous annoncez des États généraux, tant mieux. Mais n'y a-t-il pas quelque paradoxe à débattre une fois les décisions prises : où est, à ce compte, la démocratie ?
Si les établissements retenus pour former le réseau sont honorables, j'y vois pourtant quelque contradiction avec le concept de Maison de l'Histoire de France. Car les contours de cette histoire ont bien changé. L'histoire de France, partie à l'histoire de l'humanité, c'est aussi celle de son peuple, celle de la société française. À ce titre, il eût été tout aussi légitime de retenir, parmi les institutions rattachées au réseau, l'écomusée de Marquèze, qui témoigne de la vie rurale ou le musée du textile et de la vie sociale de Fourmies, témoignage des débuts de l'ère industrielle.
En l'état de nos finances, est-il bien raisonnable de s'engager dans une entreprise si onéreuse ? Une entreprise bien centralisatrice, aussi, à l'heure où décentralisation, interactivité, école équitable doivent nous être des mots d'ordre ? Lors d'une visite à l'Inra, on nous a présenté des tableaux numériques interactifs mis à disposition des écoles. Il me semble que de telles initiatives répondent mieux à votre souci que la création d'un musée parisien.
Je crains, de surcroît, une colonisation de l'espace nécessaire aux Archives. Car il faut savoir que nombre des locaux du quadrilatère, au contact de la nappe phréatique de surface, sont insalubres. Les remettre aux normes coûtera très cher... et je crains que la Maison de l'Histoire de France n'en vienne à s'installer dans la grande galerie, dont les Archives ont grand besoin : les deux tiers de ses boîtes sont d'un format plus réduit que les documents qu'elles protègent : il faut changer de format afin de les déplier, ce qui exige de la place. Rien n'est dit, enfin, du sort des ateliers de reliure, éminemment précieux.
La Maison de l'Histoire de France ne doit rien ignorer de l'évolution des sociétés. La condition de la femme, l'alimentation, la ruralité y auront toute leur place. Telle est d'ailleurs la vocation des enclaves thématiques de la galerie chronologique. Dans les musées des beaux-arts, le visiteur est libre d'aller à ses goûts, mais dès que l'on touche à l'histoire, il semble que nous redevenions tous des élèves, et qu'il nous soit interdit d'exercer notre liberté. La Maison de l'Histoire de France doit la rendre à chaque visiteur, en le portant à s'interroger sur les faits historiques. D'où la nécessité d'une tête de réseau, indispensable également pour accueillir les grandes expositions internationales.
Le socle retenu n'est pas parfait, j'en suis d'accord. Mais n'oublions pas que le musée n'aura pas de collection propre, d'où la nécessité d'un réseau qui résume les grandes périodes historiques. Sans doute sera-t-il bon de le compléter pour le rendre plus représentatif. Mais même si, comme vous le dites, les lignes ont bougé, l'histoire à retracer n'en reste pas moins celle de notre pays, de même que le musée de Berlin retrace l'histoire de l'Allemagne selon une muséographie qui montre comment le territoire a évolué. Ce sera tout l'intérêt de la galerie chronologique, faite pour récapituler le divers.
Le coût du projet sera de 70 millions d'euros hors taxes, sot près de 94 millions d'euros TTC. Ce sera l'occasion de réhabiliter certains lieux vétustes qu'abrite le quadrilatère et de restituer au public des bâtiments d'une incontestable valeur historique, comme l'hôtel de Rohan, aujourd'hui inoccupé : les Archives ne l'utilisent pas, je l'ai vu de mes yeux, c'est une situation qu'un élu ne saurait cautionner. Il faudra donc réfléchir à une répartition astucieuse, étant entendu que les Archives doivent rester au centre du projet. Les négociations engagées avec le cabinet du ministre ont déjà acté que tout ce qui est antérieur à 1790 restera sur place, de même que le minutier des notaires parisiens. Quant aux ateliers de reliure, je les ai visités - vous savez mon intérêt pour les métiers d'art. Les locaux qui les abritent sont mal appropriés, alors que ces ateliers mériteraient d'être mis en valeur.
Des États généraux sont nécessaires, précisément parce que tout de façon complémentaire à la création de la Maison de l'Histoire de France, il faut renforcer les moyens de l'enseignement de l'histoire. D'où ce rapport, qui m'a permis de le vérifier. Le projet a besoin du dialogue pour parvenir à la rigueur d'un projet scientifique. Au cours de ma mission, entre octobre et avril, j'ai vu les choses se construire peu à peu, ce qui a nettement contribué à détendre les relations et à nourrir la discussion.
Je suis toujours surpris de voir revenir l'éternelle question de l'enseignement de l'histoire, dont on disait déjà, lorsque j'ai commencé ma carrière, dans les années 1970, qu'il se détériorait (M. Ivan Renar le confirme).
Avec quarante ans de métier, je puis dire que l'histoire est une science mais aussi un art. L'histoire n'est pas un roman, mais elle est aussi un roman. On lit toujours Michelet quand on a oublié Guizot. Gardons-nous, par conséquent, de nous placer sous la tyrannie des écoles historiques. Il est vrai que l'histoire est celle des sociétés, mais elle est aussi celle des rois, des généraux, des savants qui l'ont mue : gardons-nous de la dépouiller de sa chair. Sans parler de galerie chronologique mouvante ou de multiperspectivité, je dirai plus simplement qu'il nous faut un musée qui vive. Il ne s'agit pas d'ériger le vase de Soisson ou Saint Louis sous son chêne en icônes, mais d'en faire les occasions de relayer les interrogations. J'ai visité le nouveau musée du Risorgimento, à Turin, né du 150e anniversaire de l'unité italienne. Expérience passionnante, qui témoigne que l'Histoire est aussi faite de grands hommes.
L'histoire est le produit de l'activité humaine. Son objet peut être le produit de l'activité scientifique mais aussi de la soif de quiconque entreprend de s'interroger sur le passé. La démarche d'une Maison de l'Histoire de France se doit d'être scientifique, sans occulter les grandes fautes qui ont marqué le passé. Lorsque j'évoque une galerie chronologique mouvante, je n'entends pas que la chronologie puisse être mouvante, mais la galerie elle-même, destinée à renouveler ses thèmes. Il s'agit d'éviter l'écueil des tentatives trop unilatéralement interprétatives de Louis Philippe et de Napoléon III. A l'inverse, on ne saurait se passer du squelette de la chronologie : l'enlever à l'Histoire, c'est comme priver la langue de la grammaire. Il s'agit donc d'inviter le visiteur, au travers de la chronologie, à se poser des questions, sans délivrer un message tout fait, en faisant évoluer ce que l'on montre au travers de la chronologie : femmes, ouvriers, ruralité...
Sur l'enseignement de l'histoire, je n'ai fait que reprendre les observations qui m'ont été faites au cours des auditions, notamment celles des professeurs d'histoire : réduction des horaires, évitement de la chronologie, dommageable à leurs yeux comme à ceux des historiens. Car la chronologie participe aussi de l'apprentissage de la citoyenneté. Chacun a besoin de se situer dans le passé pour se projeter dans le futur. Et pour les jeunes générations, mieux connaître l'histoire de son pays aide à mieux se projeter dans un monde globalisé.
Le débat s'est un peu apaisé, et ce n'est pas une mauvaise chose. Reste que je garde en mémoire l'audition des personnels des Archives nationales, qui objectaient que 12 000 mètres carrés ne sont pas rien, en dépit du beau projet de Massimiliano Fuksas à Pierrefitte. Plus d'un hectare, songez-y : l'hôtel de Rohan n'y suffira pas. Il faut en finir avec cette pomme de discorde, qui empoisonnerait le débat dont la Maison de l'histoire de France doit être le lieu constant.
Il faut également assurer la compatibilité entre les décisions du comité scientifique et des États généraux et celles des programmateurs. Il serait malheureux qu'il y ait des contradictions et des malentendus. Il devra donc être validé par le comité scientifique qui sans cela, ne servirait à rien. Or, les calendriers ne sont pas calés : c'est un point à soigner, pour éviter les tensions.
Se pose également la question de l'échéancier. La date de 2015 n'est pas assez certaine pour donner toute sa légitimité à un projet sur lequel la réflexion a débuté il y a quatre ou cinq ans déjà... Quant au coût de l'entreprise, permettez-moi d'émettre toute réserve sur son évaluation : tant que la programmation ne sera pas calée et clarifiés les coûts de fonctionnement, on ne saurait l'établir. Si le ministre n'était pas en état de mettre les moyens en personnel nécessaires, le projet serait voué à l'échec. Sur tous ces points, il faut anticiper, pour éviter les sujets de conflit.
En dépit de votre optimisme, il va falloir remonter la pente, car l'affaire a mal commencé. Car si « la forme, c'est le fond qui remonte en surface », avouez que l'effet d'annonce, l'absence de concertation préalable avec les historiens ne sont pas d'heureux augures.
Sur l'enseignement de l'histoire, je rejoins M. Pignard. La crise n'est pas tant de l'enseignement de l'histoire, même si la réduction des moyens est patente, que de la prise en compte de l'histoire : un peuple sans mémoire n'a pas d'avenir. Sentence qui m'est l'occasion de rappeler que l'histoire de France est aussi celle des peuples et des hommes qui ont fait la richesse de notre pays, celle de l'humanité, aussi, qui doit être traitée avec humanisme, au rebours de ce que fut notre histoire coloniale.
De la même manière, il faut un traitement apaisé et contradictoire de l'histoire contemporaine. Un chantier énorme, donc, car l'histoire nous enseigne ce qu'il ne faut pas faire. Un point important dans un pays comme la France !
Quel budget pour cette Maison de l'histoire au moment où l'État se prive des moyens d'actions ? Voilà la grande faille de la présentation de Mme Dumas. Un inspecteur général vaut mieux que tous les comités d'experts. ( Mme Maryvonne Blondin acquiesce.) Cocteau disait : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. » Comment la France manifestera-t-elle son amour à son histoire qui, sans arrogance aucune, appartient au monde. Nous avons encore à apporter au monde ; voyez la demande de France en Amérique latine et en Asie ! Le chemin sera long.
Le ministre de la culture budgétera la somme dans le prochain projet de loi de finances sous la forme de deux enveloppes : une pour les archives nationales, une pour le musée. Cela dit, je prends note de vos réserves.
Le projet de la Maison de l'Histoire de France a d'autres vertus : il accélérera la restauration d'autres musées. Pour exemple, les 4 500 m2 du musée des Plans-reliefs, perché au quatrième étage des Invalides, restent déserts en attendant la relance du chantier. Quel gâchis en plein Paris !
Monsieur Renar, la France a effectivement beaucoup à donner au monde. Ce musée sera le moyen d'envoyer des messages, y compris sur des épisodes peu glorieux de notre histoire ; voyez l'extraordinaire travail réalisé à Nantes sur la période coloniale et l'esclavage. Cette affaire, je le reconnais volontiers, a mal commencé -raison pour laquelle notre commission s'est saisie du sujet. Plus l'on précisera le contenu de ce projet, plus le débat s'apaisera. D'ailleurs, en donnant la parole à de nombreux acteurs, nous avons joué un utile rôle de médiation, de nombreuses personnes auditionnées m'ont dit leur satisfaction de pouvoir s'exprimer. Quant à l'installation de la Maison de l'Histoire de France dans le quadrilatère des Archives nationales, elle ne pose pas de difficulté pratique - le quadrilatère compte potentiellement quelque 35 000 m2, compte tenu des travaux et aménagements, notamment de salles souterraines - et se justifie pleinement : les archives sont l'un des piliers de l'histoire.
Merci à Mme Dumas de son important travail ; il est de notre rôle de prendre la parole sur la Maison de l'Histoire de France.
Après avoir entendu vos débats, permettez-moi quelques observations. Dans certains pays, raconter l'histoire nationale à travers un musée est une tradition. En France, le roi Louis-Philippe avait installé un musée à toutes les gloires de la France à Versailles ; Napoléon III avait eu des projets. Au Palais du Luxembourg, il suffit de lever la tête pour lire le roman national de Napoléon III dans les peintures de la Salle des Conférences. Il n'est nullement question de transposer cette tradition au XXIe siècle. Ce serait pour le moins curieux ! La IIIe République, elle, a privilégié l'enseignement de l'histoire à l'école ; un roman national aussi, mais version républicaine. L'organisation d'états généraux porterait, non sur le projet de musée, mais sur l'enseignement de l'histoire : comment améliorer son enseignement, notamment en utilisant les technologies modernes ? Quelle place lui est donnée dans nos musées ? De fait, l'histoire s'étale aussi dans les musées des beaux-arts ou encore au Quai Branly qui retrace les rencontres de notre pays avec des civilisations tout à fait différentes. L'objectif n'est pas de sacraliser une histoire officielle transmise à tous les Français avec l'obligation de l'apprendre et d'y croire. L'histoire doit être écrite par les historiens, dans leur diversité. Il est bon que les écoles historiques dialoguent et débattent. L'École des Annales, pour laquelle j'ai le plus grand respect, a quelque peu oblitéré la chronologie. Je crois à une chronologie mouvante dont ressortiraient quelques grandes dates. Au reste, nous pourrions également débattre des commémorations ; elles sont parfois piège. On l'a vu récemment avec l'affaire Céline. Le rapport a le mérite de souligner l'existence de ces deux approches historiques.
Ensuite, la matérialisation du projet. Des incertitudes pèsent sur son coût. S'il doit se réaliser, nous devrons nous en donner les moyens sans le limiter à l'installation de la Maison, quel que soit l'endroit retenu. Ce projet devra engager tout un réseau. Je regrette que les « maisons socles », si l'on peut dire, s'arrêtent à la fin du règne de Napoléon III. Certes, plus l'on approche du contemporain, plus les engagements et passions affleurent. Néanmoins, peut-on ignorer la IIIe, la IVe et la Ve République ? Il faudra considérer les sites à labelliser.
Que le Parlement, dans sa diversité politique, continue à s'associer à la mise en oeuvre de cette Maison de l'Histoire de France évitera les suspicions quant à une éventuelle utilisation unilatérale de l'histoire.
Organiser une veille permanente ? Une bonne initiative. D'autant que notre commission a eu l'intelligence de se pencher sur ce dossier d'envergure. Au fil des auditions, je suis parvenue à asseoir la légitimité de l'intervention du Sénat ; mes interlocuteurs ont compris que notre intérêt était réel. Ce travail contribuera à la légitimité scientifique et au succès durable du projet.
Monsieur le président, vous distinguez l'enseignement de l'histoire à l'école de son apprentissage au musée où chacun pioche librement ce qui l'intéresse. J'ai souhaité que des personnalités étrangères participent au conseil d'orientation scientifique de la Maison de l'histoire afin d'éviter une vision franco-française. Je suis persuadée que l'on peut aborder sous l'angle scientifique toutes les questions, y compris les plus délicates. Le succès de l'exposition temporaire consacrée à Hitler à Berlin, que j'ai visitée, en est une belle illustration. Le pari peut être gagné, à condition de s'en donner les moyens.
Je souhaite que votre rapport comporte le compte rendu des auditions effectuées. (Approbation.)
Quelques mots à propos du musée des plans-reliefs. Dans les années 1980, François Mitterrand avait décidé son déménagement à Lille. Le musée de Lille expose aujourd'hui une vingtaine de ces magnifiques maquettes ; le reste, à l'initiative de François Léotard, alors ministre de la culture, a été rapatrié à Paris. Plutôt que de les laisser dans le grenier des Invalides, pourquoi ne pas exposer ces pièces à proximité des forts et des villes fortifiées qu'elles représentent ? Ce serait plus pédagogique, intéressant pour le développement du tourisme local et moins cher pour l'État... (Mme Catherine Dumas, rapporteur, approuve.)
Le débat sur le déménagement du musée des Plans-reliefs fut épique au Conseil régional du Nord-Pas de Calais. Pourquoi entreposer les plans du port de Brest à Lille ? A la ville d'origine d'accueillir les pièces. Celui de Cambrai fut raflé par le maréchal Blücher au Louvre en 1815 qui le transféra à l'arsenal de Berlin ; les Russes refusèrent de le restituer en 1946 si bien qu'il mourut misérablement de ses blessures à Berlin-Est un an plus tard. Nous l'avons reconstitué ; il est aujourd'hui l'une des plus belles pièces de notre musée, témoin de l'histoire architecturale de notre ville. Puisse les plans-reliefs connaître le succès qu'ils méritent !
Il me souvient que Pierre Mauroy avait menacé de sonner le tocsin si on lui retirait les plans-reliefs avant qu'un compromis soit trouvé : à la région de conserver ses plans...
Pour l'histoire contemporaine, peut-être faudrait-il penser au centre de la mémoire d'Oradour-sur-Glane ?
La commission approuve-t-elle la publication du rapport ? A mon sens, ce travail apporterait un éclairage utile au débat sur la Maison de l'Histoire de France.
Ne voulant pas passer pour d'affreux censeurs, nous autorisons volontiers la publication du rapport, ce qui ne signifie pas que nous donnons caution aux propositions 4 et 6 du rapport qui scelle l'avenir architectural de la Maison de l'Histoire de France. (Les sénateurs des groupes CRC et socialiste acquiescent.)
Que le rapport ne soit pas « abandonné à la critique rongeuse des souris » !
La commission autorise la publication du rapport.
Après l'histoire, les sources de l'histoire. Des manuscrits de Robespierre, dont le dernier texte écrit avant son arrestation ainsi qu'une déclaration des Jacobins sur la guerre contre l'Autriche, seront vendus prochainement aux enchères par Sotheby's. Si ma ville n'a guère de sympathie pour le personnage -il y a fait mourir pas moins de 120 personnes en 1793, ces pièces n'en éclairent pas moins l'histoire de France. Je vous propose d'écrire au ministre de la culture pour demander leur maintien en France ainsi que celui d'un tapuscrit du Petit prince, accompagné de sept dessins originaux, d'Antoine de Saint-Exupéry, le plus lu des écrivains français. (Approbation)
La commission propose Mme Claudine Lepage à la nomination du Sénat pour siéger comme membre du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.