Je tiens tout d'abord à excuser mon collègue Joël Bourdin, qui est en déplacement en tant que vice-président de l'assemblée parlementaire de la francophonie. Je présenterai donc seul, et pour la première fois, notre analyse des crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » (APAFAR), des trois articles rattachés et du compte spécial « Développement agricole et rural », appelé « CAS-DAR ».
Première remarque générale sur les crédits de la mission, il nous est proposé de la doter en 2012 de 3,56 milliards d'euros en AE et de 3,59 milliards en CP. Je souligne à cet égard que ces montants sont loin de couvrir l'ensemble des dotations budgétaires consacrées à l'agriculture : ils ne représentent qu'un peu plus de 20 % de l'ensemble des concours publics annuels à ce secteur, tandis que l'Union européenne en fournit plus de la moitié. La répartition des crédits manifeste la vocation de ministère d'intervention du ministère de l'agriculture. 53 % des crédits de la mission APAFAR sont en effet dédiés à des dépenses de titre 6, concentrées sur le programme 154, un quart est consacré aux dépenses de personnel et 21 % aux dépenses de fonctionnement.
Deuxième remarque sur l'évolution des crédits en 2012 : la mission APAFAR enregistre une diminution de ses crédits en 2012 par rapport à 2011: les AE et les CP baissent respectivement de 0,5 % et de 2 % avant le vote de l'Assemblée nationale. Ces évolutions doivent être nuancées puisque l'Assemblée nationale a majoré de 188 millions d'euros les crédits de la mission, dans le but de financer une mesure d'allègement du coût du travail, fondée sur des exonérations de cotisations sociales des employeurs agricoles. Cette mesure, sur laquelle je reviendrai lors de mon analyse des articles rattachés, aurait un coût de 210 millions mais un coup de rabot de 22 millions a été porté sur la mission dans le but de contribuer à l'effort d'économies d'un milliard d'euros sur l'ensemble des dépenses du présent PLF annoncé le 24 août 2011 par le Premier ministre. Ces deux mouvements en sens inverse majorent donc globalement les crédits de 188 millions qui atteignent ainsi 3,75 milliards en AE et 3,78 milliards en CP, soit une hausse de 4,66 % des premiers et de 3 % des seconds par rapport à 2011.
Une courte observation sur les dépenses fiscales : le rapport Guillaume sur les dépenses fiscales et sociales affiche des résultats satisfaisants pour la mission APAFAR.
Ce rapport a, en effet, jugé efficace la grande majorité des mesures qui lui sont rattachées : sur trente-sept mesures évaluées, soit près de 2,2 milliards d'euros, vingt-huit sont jugées assez ou très efficaces et couvrent la quasi totalité des 2,2 milliards de dépenses. Les neuf niches fiscales inefficaces ne coûteraient en effet que 2 millions d'euros, soit moins de 0,1 % des dépenses fiscales rattachées à la mission.
J'en viens à mes observations sur chacun des programmes de la mission.
Le programme 154 « Economie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires » tout d'abord. Doté de plus de la moitié des crédits de la mission, il est le support privilégié de la politique d'intervention du ministère.
La gestion des aléas climatiques, économiques et sanitaires n'est dotée que de 2 % des crédits du programme, ce qui constitue une atteinte au principe de sincérité budgétaire. Une telle sous-budgétisation nous rappelle que le chantier de la couverture des risques agricoles par les mécanismes de marché doit être relancé, ce qui appelle une réflexion sur la problématique de la réassurance publique pouvant faciliter la diffusion des assurances privées. Je note que l'obligation imposée au Gouvernement par la loi de réfléchir aux conditions de ce mécanisme avant février 2011 n'a pas été respectée. Quoiqu'il en soit, la réassurance publique devra être appréhendée prudemment au regard de son coût budgétaire.
Par ailleurs, la réforme des principaux opérateurs du programme doit conduire à réaliser des économies significatives en 2012. Je pense par exemple au regroupement des Haras nationaux et de l'Ecole nationale d'équitation au sein de l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE) ; je pense aussi à la création de l'Agence de services et de paiement (ASP), ainsi qu'à la fusion des principaux offices agricoles au sein de FranceAgriMer. Je remarque que l'enquête demandée par notre commission à la Cour des comptes sur cette fusion des offices et sur l'ASP a permis de faire le point sur les enjeux, la cohérence et les limites de ces restructurations. En matière strictement budgétaire, ces réformes semblent commencer à produire des effets : l'évolution du montant des subventions qui sont allouées à ces opérateurs dans le présent PLF est, à cet égard, assez éloquente. Un tel constat reste à confirmer en exécution et ne doit surtout pas se traduire par une détérioration des prestations offertes par ces établissements.
Je passe maintenant au programme 149 « Forêt ». Je retiens que le principal opérateur du programme, l'ONF, voit sa subvention augmenter légèrement depuis trois ans mais sa situation financière reste difficile. Je relève également les nombreuses suppressions de postes intervenues à l'Office. Comptant 9 500 salariés aujourd'hui, il a perdu plus du tiers de ses effectifs en vingt-cinq ans. Il en découle un climat social dégradé, accentué par les vingt-six suicides recensés depuis cinq ans.
Au sujet du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation », j'attire l'attention sur la réduction continue des crédits du programme : elle laisse planer une incertitude sur sa capacité à répondre aux exigences fortes en matière de sécurité sanitaire, surtout en cas de déclenchement d'une crise d'ampleur inhabituelle. Selon le syndicat national des inspecteurs de santé publique vétérinaire (SNISPV), certaines missions de contrôle ne seraient plus assurées ou de manière très incomplète. Je juge nécessaire de rappeler que le Gouvernement doit veiller à conserver des moyens de contrôle sanitaire adaptés et qu'il ne doit pas trop recourir aux contrôles délégués et aux autocontrôles par les professionnels eux-mêmes.
Enfin, le quatrième programme de la mission, le programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture », qui est en fait le programme support de la mission. Il se caractérise par la démarche de suppressions d'emplois scrupuleusement suivie par le ministère. Je préconise à son sujet une ventilation des dépenses de personnel entre les différents programmes de la mission pour la présentation du projet de loi de finances pour 2013, dans la mesure où la concentration des crédits de titre 2 de la mission au sein d'un unique programme support n'est plus justifiée.
Avant de conclure avec l'examen des articles rattachés, quelques mots sur le CAS-DAR. Le recours à des comités scientifiques au cours des procédures d'appels à projets représente une avancée notable, de même que la multiplication des contrôles et des évaluations des projets de développement agricole et rural. Cependant, la justification des crédits reste insuffisante pour s'assurer que ceux-ci ne sont pas distribués en vertu d'une logique d'abonnement des organisations par lesquelles ils transitent.
Au sujet des trois articles rattachés à la mission :
- il s'agit d'une part, de l'article 48 qui a pour objet de rééquilibrer le financement du régime forestier des forêts par les collectivités territoriales, en instaurant une contribution supplémentaire annuelle de deux euros par hectare, dont le produit serait de 5,6 millions d'euros en 2012. Il s'agit d'une recommandation récurrente de notre commission et, en particulier, de notre collègue Joël Bourdin. Dans un rapport consacré à l'ONF, il demandait ainsi de réexaminer le partage du coût du régime forestier, dans la mesure où le calcul des frais de garderie manque d'équité. La démarche engagée par cet article 48 va dans le bon sens mais elle reste timide ;
- d'autre part, l'article 48 bis est issu d'amendements de nos collègues députés matérialisant un engagement du Premier ministre pris lors du soixante-cinquième congrès de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), le 31 mars 2011. Il s'agirait d'exonérer de cotisations sociales les employeurs relevant du régime de protection sociale agricole, dans la limite de vingt salariés en CDI par entreprise. L'exonération serait totale jusqu'à 1,1 SMIC puis dégressive jusqu'à 1,4 SMIC. Je m'interroge sur l'efficacité du dispositif proposé, qui doit conduire à réduire d'un euro le coût horaire des salariés agricoles. Pour éviter les phénomènes de « trappes à bas salaires » que les exonérations de charges favorisent, il reste nécessaire d'avancer sur la voie de la convergence fiscale et sociale en Europe. De même, je déplore l'absence de ciblage fin de la mesure, bien qu'un tel ciblage se heurterait à un problème de conformité au droit communautaire. Enfin, je reste circonspect sur le coût budgétaire de 210 millions d'euros par an avancé par le Gouvernement. Il risque d'atteindre rapidement des niveaux plus importants. Toutefois, et en dépit de ces nombreuses réserves, nous ne pouvons ignorer les attentes fortes émanant de la profession agricole et la mesure ne saurait donc être rejetée.
- enfin, l'article 48 ter pose moins de problème. Il fixe à 1,5 % pour 2012 le taux d'augmentation de la taxe pour frais de chambres d'agriculture, de manière à permettre à ce réseau consulaire de faire face à l'organisation de ses élections début 2013 et au transfert des associations départementales pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (ADASEA).
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de rejeter les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », d'une part, l'adoption, sans modification, des crédits du « CAS-DAR », d'autre part, et, enfin, l'adoption sans modification des 3 articles rattachés, le 48, le 48 bis et le 48 ter.