a poursuivi en observant que la conférence avait fait apparaître des oppositions sur des points importants, tels que la nature du rendez-vous d'étape prévu en 2008-2009. Estimant que la commissaire, bien que l'ayant qualifié de « bilan de santé », entendait en réalité lui donner une portée bien plus grande, il a relaté les projets de la Commission européenne en la matière : accroître la modulation obligatoire des paiements directs pour financer le développement rural, plafonner les aides, ou encore remplacer les 21 organisations communes de marché (OCM) actuelles par un dispositif unique. Sur ce dernier point, il a fait part de son scepticisme, tout en rapportant que les fonctionnaires européens avaient annoncé la présentation de premiers projets dans des délais rapprochés. Il a par ailleurs indiqué que Mme Mariann Fischer Boel s'était interrogée sur le maintien des exceptions au découplage, ainsi que sur la poursuite du gel des terres.
Mentionnant le plaidoyer du représentant des organisations agricoles, M. Rudolf Schwarzböck, pour une période de « paix législative » sans réformes, et sa stigmatisation d'une instabilité des règles de la PAC de plus en plus difficilement supportée par les exploitants, il a mis en exergue le débat existant sur le contenu de l'exercice de simplification envisagé pour la période 2007-2009, dont le principe avait toutefois été unanimement approuvé.
Notant que le débat avait principalement porté sur l'« après 2013 », il a indiqué que la commissaire européenne n'avait donné que de larges orientations à ce sujet en vue de susciter un « débat stratégique » de sorte qu'il soit possible, bien avant 2013, de connaître les grandes lignes de la future PAC. Considérant comme une donnée acquise qu'après 2013, il n'y aurait plus, ou presque, de restitutions à l'exportation, celle-ci, a-t-il ajouté, a estimé que la régulation reposerait normalement sur le marché et non plus sur des mécanismes d'intervention ou des quotas de production, que les aides devraient être totalement découplées de la production et que la politique de développement rural aurait une place de plus en plus importante, avec des objectifs précis et des moyens accrus.
Il a relaté les prises de position plus radicales du représentant de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), M. Stefan Tangermann, qui a rappelé les tendances lourdes des négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) : suppression des restitutions à l'exportation, diminution des droits à l'importation et réduction du soutien des prix. Insistant sur le fait que les règles de l'OMC n'impliquaient pas la suppression des politiques agricoles, en permettant en effet de récompenser des services rendus par l'agriculture qui ne sont pas pris en compte par le marché, M. Jean Bizet a souligné que les soutiens couplés à la production étaient en revanche appelés à décroître ou à disparaître. Tout en estimant que le couplage restait encore significatif dans le cas de la PAC, de même que le soutien des prix, rendant un découplage total des aides incontournable à l'avenir, M. Tangermann, a-t-il poursuivi, les a critiquées, estimant qu'elles étaient certes compatibles avec les règles de l'OMC, mais inéquitables car profitant aux propriétaires, inadaptées aux objectifs d'une PAC rénovée et fondées sur des références historiques créant une rente de situation non justifiée. Il a fait mention des interrogations soulevées par le représentant de l'OCDE quant à leur finalité -rendre l'agriculture européenne plus compétitive ? rendre les sociétés rurales viables ? entretenir les paysages ? assurer la sécurité de l'approvisionnement ou la sécurité alimentaire ?- et de son scepticisme quant à leur capacité à atteindre ces objectifs, M. Tangermann ayant proposé de passer du découplage au ciblage, estimant que des paiements ciblés et limités dans la durée seraient le meilleur moyen de réaliser les objectifs assignés à la PAC.
Rejetant l'idée d'une agriculture déconnectée de l'activité de production, qu'il a estimée contraire à la philosophie même du secteur primaire et problématique pour les industries locales de transformation, M. Jean Bizet a ensuite relaté l'exposé de M. Raphaël Alomar, conseiller du Président de la République, M. Jacques Chirac, pour les questions agricoles. Revenant sur les objectifs de la PAC, M. Alomar a ainsi souligné que l'agriculture n'était pas seulement une activité économique, mais qu'elle devait également assurer l'occupation des territoires et la préservation de l'environnement, la qualité et la traçabilité des produits, ou encore le bien-être animal. Par ailleurs, il a estimé nécessaire d'assurer l'indépendance alimentaire de l'Union européenne en confirmant les principes fondateurs de la PAC : unicité du marché, solidarité financière et préférence communautaire. La PAC, a-t-il jugé, n'est pas trop coûteuse pour le contribuable : ne correspondant plus qu'à un tiers du budget communautaire, les dépenses agricoles cumulées de l'Union et des Etats membres ne représentent que 0,5 % du PIB européen. La PAC n'est pas davantage coûteuse pour le consommateur, a-t-il poursuivi, les dépenses alimentaires ne représentant en France que 14 % du budget des ménages, les produits agricoles proprement dits n'entrant que pour un sixième dans ces dépenses. M. Alomar a cependant souligné que la PAC ne devait pas rester figée, mais simplifiée et davantage orientée vers la création de valeur ajoutée. L'agriculture européenne, a-t-il poursuivi, a des avantages comparatifs à faire valoir, tels que des agriculteurs bien formés et des conditions naturelles favorables, et doit chercher à être davantage présente sur les marchés émergents.
a indiqué que ce dernier point avait été corroboré par M. Alexander Müller, qui intervenait au nom de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), et dont l'exposé avait porté sur la démographie mondiale et l'évolution économique des grandes zones. Il en ressortait qu'à moyen terme, la malnutrition -qui touche encore aujourd'hui un sixième de la population mondiale- n'affecterait pratiquement plus que l'Afrique sub-saharienne, l'Europe ayant à ses portes une assez vaste zone -l'Afrique du Nord et le Proche-Orient- restant en expansion démographique et constituant un marché solvable, en raison notamment du prix durablement élevé du pétrole. L'ensemble de l'Asie, a annoncé M. Müller, poursuivra son rattrapage économique et maintiendra, pour certaines de ses zones, sa croissance démographique. La population mondiale, a-t-il continué, augmentera probablement de deux milliards d'ici à 2050, uniquement dans les zones urbaines, avant d'entamer sa décroissance. Il a conclu à l'existence d'une demande solvable en expansion pour les produits agricoles, dont l'Union européenne, qui connaîtra une régression démographique, devra tirer profit.
a ensuite évoqué les convergences qu'avaient fait apparaître les débats :
- l'installation des jeunes agriculteurs, à propos de laquelle un parlementaire finlandais avait précisé que le nombre d'exploitations avait diminué de moitié depuis l'adhésion de son pays ;
- le développement des bioénergies. Si de nombreux intervenants y ont vu un débouché prometteur, un parlementaire néerlandais a toutefois estimé que les cultures énergétiques ne convenaient pas aux exploitations familiales que l'Union européenne cherche à promouvoir ;
- l'encouragement à la recherche-développement ;
- la perte de légitimité de la PAC depuis que le soutien passe essentiellement par des aides directes et la nécessité de la rendre plus compréhensible par le citoyen ;
- la nécessité d'avoir une stratégie de long terme, à la fois prévisible et stable ;
- l'absence de remise en cause des garanties de financement courant jusqu'en 2013, qui n'avait été contestée qu'indirectement par un parlementaire britannique, certains intervenants ayant au contraire déploré que l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie se fasse à budget constant.
S'intéressant ensuite aux divergences, M. Jean Bizet a indiqué que l'idée d'une PAC entièrement fondée sur des aides découplées avait suscité certaines critiques : les aides directes étant concentrées sur une minorité des exploitations, elles sont mal acceptées socialement et sont basées sur des références historiques qui ne pourront être durablement conservées. Il a également rapporté le manque de capacités d'adaptation de la PAC souligné par des parlementaires britanniques et néerlandais, qui ont estimé que certains objectifs seraient mieux atteints en s'en remettant aux forces du marché. Au contraire, a-t-il noté, l'idée de supprimer tout instrument de gestion des crises a été repoussée par certains intervenants.
Indiquant avoir souligné l'intérêt d'envisager des formules alternatives comme l'assurance récolte, qui permet d'obtenir une garantie de revenus, il a fait état des critiques de plusieurs parlementaires des pays récemment adhérents s'agissant de l'inégalité dans les soutiens accordés aux agriculteurs selon qu'ils ressortissent d'anciens ou de nouveaux Etats membres. Il a également mentionné les débats concernant la place respective des deux piliers de la PAC, les plus libéraux des parlementaires souhaitant que l'essentiel des crédits agricoles soient affectés au développement rural, ce qu'ont estimé inacceptable les partisans d'une Europe conservant une forte ambition agricole.
Evoquant les négociations commerciales en cours au sein de l'OMC, dont il a fait observer qu'elles étaient au centre du débat en tant qu'elles constituaient l'argument le plus fort de ceux qui souhaitent une nouvelle transformation de la PAC, il a indiqué que la commissaire européenne à l'agriculture ne s'était dite prête qu'à accepter un accord « équilibré ». Il a fait état des éléments d'incertitude affectant ces négociations, tels que l'élection aux Etats-Unis d'une majorité parlementaire démocrate, attachée à un certain protectionnisme, ou encore le renouvellement fin juillet 2007 par le Congrès au président du pouvoir de conclure des traités, dit procédure du fast track. Considérant pour sa part qu'il n'était pas opportun de négocier avec un président dont on ne connaît pas les pouvoirs à terme, et jugeant que ce dernier ne ferait rien, en tout état de cause, pour faire progresser des négociations risquant de fragiliser son propre parti, dont l'électorat agricole est particulièrement important, il a estimé qu'aucune avancée nouvelle n'était envisageable de ce fait avant le milieu de l'année 2007, voire 2009.
Rapportant avoir mis l'accent sur les distorsions de concurrence qui naissent de l'insuffisance ou de l'absence de normes internationales en matière sanitaire et environnementale, il a jugé inacceptable que l'Europe s'impose des normes strictes de traçabilité, de qualité sanitaire ou de bien-être animal, tandis qu'entrent sur son marché des productions qui ne répondent pas aux mêmes exigences et sont soumises à des droits de plus en plus faibles. Relayant l'idée d'une organisation des Nations unies pour l'environnement défendue par le Président de la République, il a préconisé sa constitution sous une forme souple et non contraignante, en vue d'inciter les pays en voie de développement à y adhérer.
Puis il a fait état des perspectives d'accord évoquées par les députés Yves Simon et Jean Gaubert, le premier s'étant interrogé sur la possibilité de définir des normes sociales minimales, le second ayant souligné qu'une nouvelle baisse des soutiens et des protections tarifaires se traduirait inévitablement par une diminution du revenu agricole, qui ne pourrait être compensée que par une forte diminution du nombre des agriculteurs, venant contredire l'objectif d'occupation et d'entretien du territoire. Remarquant que la commissaire européenne à l'agriculture n'avait pas vraiment répondu à ces questions, il a indiqué que le représentant de l'OCDE avait été plus clair en faisant valoir qu'on ne pouvait espérer de grands progrès sur les normes sociales et environnementales.
Enfin, M. Jean Bizet a tiré trois enseignements de la conférence :
- l'extrême importance des négociations de l'OMC, la nature de l'accord qui sera obtenu déterminant notre marge de manoeuvre. Souhaitant que, dans un tel contexte, la question du « bilan de santé » de 2008 soit abordée avec prudence, il a estimé que cette échéance ne devait pas être utilisée pour de nouvelles réformes si, comme il est probable, le cycle de Doha ne devait se conclure qu'en 2009. Prônant une démarche cohérente, il a mis en garde contre la défense de politiques agricole et commerciale contradictoires. Partisan d'une simplification et d'une rationalisation du dispositif mis en place en 2003, il a toutefois appelé à ne pas précipiter les échéances ;
- la nécessité de ne pas aborder dans une posture défensive le grand débat sur l'« après 2013 », dont le régime sera décidé bien en amont, mais au contraire de proposer une alternative crédible ;
- la possibilité de plaider légitimement une politique agricole ambitieuse, qui possède davantage de partisans qu'on ne pourrait le penser et peut s'appuyer sur des arguments solides comme l'augmentation de la demande mondiale de produits agricoles ou l'apparition de nouveaux débouchés tels que la bioénergie ou la bio-industrie.
Pour conclure, il a dit avoir perçu une inflexion notable depuis la réforme de la PAC de 2003 dans l'appréhension de la politique agricole européenne par les pays en voie de développement et les pays les moins avancés, qui représentent deux tiers des membres de l'OMC, les critiques à l'encontre des Etats-Unis prenant le dessus sur celles adressées à l'Union européenne. Estimant que cette dernière se trouvait à présent dans une position offensive, il a appelé à la conquête de parts de marché sur des régions du monde émergentes qui, telles la Chine ou l'Inde, devront se tourner vers le marché mondial pour nourrir leur population.
Après avoir remercié M. Jean Bizet, M. Jean-Marc Pastor, vice-président, a mis en exergue les points les plus importants de son intervention : l'absence de modification de l'enveloppe financière dédiée à l'agriculture jusqu'en 2013, la mise en accusation croissante des DPU marchands au motif qu'ils sont favorables aux propriétaires, la nécessité de passer du découplage au ciblage pour s'adapter aux exigences de l'OMC, l'idée que les aides directes sont peut-être trop concentrées sur certaines exploitations et, enfin, la nécessité d'attendre les prochaines élections américaines pour voir évoluer la politique agricole.