Intervention de Bernard Angels

Délégation pour la planification — Réunion du 14 janvier 2009 : 1ère réunion
Consommation et croissance — Examen du rapport d'information

Photo de Bernard AngelsBernard Angels, rapporteur :

La délégation a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Bernard Angels, rapporteur, sur la relation macroéconomique entre la consommation des ménages et les importations.

a présenté les divers éléments d'analyse économique, dont certains proviennent d'une étude originale de l'Office français des conjonctures économiques (OFCE) commandée bien avant les derniers développements de la crise et dont les enseignements permettent aujourd'hui de contribuer à la réflexion sur l'opportunité et les limites d'une relance économique par la consommation.

a commencé par exposer les éléments qui ont soutenu cette réflexion.

Depuis le début des années 2000, les mesures soutenant le pouvoir d'achat sont régulièrement soupçonnées de favoriser surtout les partenaires commerciaux de la France, au vu du creusement continu du déficit extérieur de notre pays.

Or, M. Bernard Angels, rapporteur, a souligné qu'on ne pouvait fonder ou critiquer une politique des revenus sur de simples soupçons. C'est dans ce contexte que la Délégation avait demandé à l'OFCE de mesurer le contenu en importations de la consommation des ménages. En clair, la question était de déterminer, sur 100 euros de consommation, combien d'euros payaient des importations.

L'OFCE a calculé un taux de pénétration moyen par groupe de biens, en rapportant le montant des importations à la demande interne : consommation des ménages et des administrations, investissement et consommations intermédiaires. Puis chaque taux de pénétration, correspondant à chaque groupe de biens, a été pondéré par la quotité qu'il représente dans la consommation des ménages. Ce procédé aboutit à un contenu en importation relativement faible, avec 14,5 euros d'importations.

a voulu souligner que, compte tenu des hypothèses retenues pour ce calcul, la signification macroéconomique de ce chiffre n'était pas absolue et qu'il ne pouvait être directement comparé au taux de pénétration général des importations, qui avoisine 30 % pour la France. Cependant, ce résultat demeure sensiblement inférieur aux évaluations existantes pour le contenu en importations de l'investissement, la seconde grande composante de la demande intérieure après la consommation des ménages.

Par ailleurs, l'étude montre que l'activité domestique directement induite par les importations est substantielle, puisque les marges commerciales et les activités de transport représentent 9 % du montant des importations.

En second lieu, la délégation a demandé à l'OFCE de chercher à savoir si le contenu moyen en importations de la consommation des ménages différait selon le niveau des revenus. M. Bernard Angels, rapporteur, a indiqué qu'il s'agissait ici de l'aspect le plus novateur de l'étude. Cette dernière a procédé par groupe de biens, chacun présentant un contenu moyen en importations spécifique, et représentant une fraction différente de la consommation des ménages, selon la strate de revenu à laquelle il se rattache. Par exemple, le groupe des biens alimentaires, faiblement importateur, représente 20 % de la consommation pour les 20 % des ménages ayant les plus bas revenus, et seulement 14 % pour les 10 % des ménages ayant les revenus les plus élevés. La consommation d'énergie, très importatrice, représente 11 % de la dépense pour les 30 % des ménages les plus modestes, contre 7 % pour les 10 % les plus aisés. En revanche, la part de la consommation dévolue au secteur, très importateur, des industries automobile, navale et des biens d'équipement, augmente avec le revenu : elle représente seulement 3 % de la dépense des 10 % des ménages les plus modestes, contre 9 % en moyenne pour la moitié de la population la plus aisée.

a alors indiqué qu'il ressortait de l'étude que les hauts revenus importaient une part plus importante de leur consommation. Au total, le contenu moyen en importation de la dépense des ménages s'échelonne de 12,7 % pour les 10 % des ménages ayant les plus bas revenus, à 15,1 % en moyenne pour la moitié des ménages ayant les plus hauts revenus.

Mais, si ce résultat constitue une information importante pour apprécier le poids de la contrainte extérieure sur les décisions de politique économique, il n'est pas suffisant. En effet, les conséquences sur la consommation et sur le niveau des importations d'un supplément - ou d'une amputation - de revenu peuvent être différentes de ce que suggère le contenu moyen.

Un raisonnement à la marge s'imposait donc. Il a été ainsi observé que la dépense marginale des ménages est sensiblement plus orientée que la dépense moyenne vers les biens d'équipement du foyer, les équipements électriques et électroniques ainsi que vers l'automobile, la construction navale et les biens d'équipement mécaniques. La situation est symétriquement inverse pour les produits agricoles et alimentaires, qui représentent 18 % de la dépense de consommation moyenne et seulement 11 % de la dépense de consommation marginale. En agrégeant les données disponibles, on obtient un taux marginal de pénétration des importations de 16,4 %, supérieur au taux moyen de 14,5 %.

a alors estimé que l'ensemble des enseignements qui précédaient pouvaient être mobilisés pour contribuer à définir les contours d'une politique de relance économique efficace. Puis il en est arrivé aux éléments de contexte.

En premier lieu, M. Bernard Angels, rapporteur, a commenté la dégradation des échanges extérieurs de la France depuis une dizaine d'années. A compter de 1998, le solde extérieur a pesé presque continuellement sur la croissance française, en raison d'une augmentation des exportations moins rapide que celle des importations. Certes, cet écart entre importations et exportations ne signifie pas forcément que les importations soient en elles-mêmes trop dynamiques puisqu'il résulte d'un décalage entre celles-ci et les exportations. En outre, il ne concerne pas que la consommation, les investissements étant également en cause, et sans doute plus que la consommation, car le taux de pénétration des produits étrangers dans l'investissement privé est supérieur. Mais, comme la consommation des ménages représente 55 % du PIB, sa contribution aux importations est potentiellement la plus importante.

Puis M. Bernard Angels, rapporteur, a mentionné une étude de la Direction générale du Trésor, sur la période 1999-2005, selon laquelle, si la croissance a bien été favorablement influencée par la consommation, la contribution à la croissance de la consommation a été amputée de 0,6 points de PIB en moyenne annuelle à cause de la consommation importée, soit presque le tiers de la croissance annuelle moyenne.

En second lieu, M. Bernard Angels, rapporteur, a commenté la généralisation de la crise économique et la multiplication des politiques de relance mises en oeuvre pour combattre la récession. En raison de l'impuissance des politiques monétaires à contenir l'ampleur de la crise économique actuelle, le relais simultané et massif des politiques budgétaires nationales apparaît désormais indispensable. Le diagnostic est désormais partagé sur un double impératif : d'une part, créer un véritable contrechoc d'activité pour briser les enchaînements dépressifs actuels dus aux chocs de demande que subissent toutes les économies du monde et, d'autre part, éviter aux économies désireuses d'entreprendre une relance budgétaire d'assumer seules, et au risque de les en décourager, le coût d'une impulsion économique qui, tout en leur étant profitable, le serait aussi pour leurs partenaires.

En revanche, une controverse demeure sur les modalités d'un contrechoc d'activité - via l'investissement ou la consommation ? -, et se pose la question de la coordination des politiques économique en Europe. Une relance unilatérale en direction des ménages impliquerait, en effet, une progression des importations de produits finis plus dynamique, en proportion, que celle de la consommation totale.

a indiqué que cette perspective était la conséquence naturelle d'une propension marginale à consommer des biens importés plus forte que la propension moyenne. Toutes choses restant égales, l'impact expansif d'une relance par la demande sur la production nationale s'en trouverait donc affaibli d'autant et les perspectives de concertations internationales en vue d'une telle relance sont donc cruciales.

a souligné que dès avant la crise, la zone euro était marquée par un déficit structurel de la demande avec une croissance bridée par les politiques de compétitivité. Aujourd'hui, la dégradation économique fait augurer d'une amplification considérable du « chômage keynésien », avec un taux d'utilisation des capacités de production en forte baisse. Dans cette configuration, les initiatives se sont multipliées en faveur d'une relance massive et concertée. Mais, à l'échelle de l'Europe, la diversité des situations, des préoccupations et des objectifs au sein des vingt-sept Etats membres ne favorise pas la concertation. Ainsi, les termes du plan de 200 milliards d'euros adopté par le Conseil européen en décembre 2008 sont-ils très généraux.

a estimé que ce constat pesait en faveur d'une coordination limitée à un cercle plus réduit, en particulier dans la zone euro, qui pourrait être le lieu privilégié d'un « policy mix » associant politique monétaire unique, et politiques économiques et budgétaires coordonnées. Sur ce plan, il a d'abord souligné que la zone euro constituait une zone économique relativement homogène et faiblement ouverte, les exportations et donc la croissance des pays de la zone euro étant, ainsi, très dépendantes de la demande intra-zone.

Mais il a aussi indiqué, pour le déplorer, qu'aucune instance ne garantissait aujourd'hui l'élaboration d'un quelconque policy mix commun. Ainsi, les politiques économiques des pays européens doivent rompre avec leur incoordination et leurs antagonismes. Un argument souvent opposé à leur coordination réside dans la capacité des Etats à réagir de façon différenciée à des chocs asymétriques. Cet argument cède aujourd'hui devant l'existence d'un choc ressenti par l'ensemble des membres de la zone euro, avec la menace d'une dépression profonde et durable, si bien qu'organiser et concerter les politiques économiques au niveau de la zone euro constitue un objectif dont la pertinence se renforce encore avec la crise.

Puis, M. Bernard Angels, rapporteur, s'est interrogé sur ce que pourraient être, dans l'immédiat, les modalités d'une déclinaison nationale de la relance qui soit efficace. Le plan de relance français, présenté le 4 décembre dernier, représente environ 1,3 % du PIB, ce qui est conforme au plan européen. Sur 26 milliards d'euros, 10,5 milliards seraient consacrés à l'investissement public et 11,4 milliards viendraient soulager la trésorerie des entreprises. Hormis les primes versées aux plus démunis, dont la finalité n'est pas présentée comme économique, le plan ne favorise pas directement la consommation.

a d'abord relevé que la primauté accordée à l'investissement bénéficiait de soubassements théoriques bien connus avec le multiplicateur keynésien et la contribution de long terme à l'augmentation de la croissance potentielle qui lui est généralement attribuée.

Mais des controverses existent sur l'efficacité d'une action par l'investissement public, des études récentes aboutissant au calcul d'un multiplicateur faible, avoisinant l'unité à l'horizon d'un an. Ainsi, une dépense publique représentant 1 point de PIB - et creusant d'à peu près autant le déficit public- ne pourrait guère majorer la croissance que d'environ 1 point de PIB.

Selon M. Bernard Angels, rapporteur, le coût budgétaire des gains de croissance ainsi obtenus resterait acceptable s'il permettait de mettre un terme rapide aux anticipations déflationnistes des acteurs économiques et à la spirale de la récession. Mais la primauté absolue donnée à l'investissement sur une relance de la consommation, dans le contexte d'un choc de demande exigeant un traitement vigoureux et immédiat, pose problème.

En effet, l'investissement public est peu compatible avec la nécessité de contrecarrer d'urgence les enchaînements et les anticipations qui approfondissent la crise actuelle, car il faut élaborer et concrétiser les projets d'investissement avant que ne soient redistribués aux ménages les revenus issus de la dépense publique...

En outre, d'autres arguments doivent être pesés : le contenu moyen en importation de l'investissement excède celui de la consommation ; les sombres anticipations des entreprises qu'il faut éclaircir par de nouvelles perspectives de demande afin de préserver l'investissement privé menacé d'effondrement ainsi que le niveau des revenus distribués et l'emploi. En outre, la relance française s'effectuerait au même moment que celles de ses principaux partenaires économiques, situation infiniment moins menaçante pour l'équilibre extérieur de la France que ne le serait une relance unilatérale. Enfin, si les partenaires européens mettent aussi l'accent sur l'investissement, ils ne négligent pas la consommation. Que l'on songe à la baisse de la TVA au Royaume-Uni (11,5 milliards d'euros) ou au « second » plan allemand de 50 milliards dont près de la moitié pourrait être dévolue aux politiques de l'emploi et aux ménages. Par ailleurs, le plan de sauvetage américain devrait consacrer 40 % de ses 800 milliards de dollars à des réductions d'impôt consenties aux particuliers.

a enfin estimé que, dans la perspective d'une relance française par la demande des ménages, les préoccupations sociales ne sauraient être ignorées, sachant que les crises frappent essentiellement les ménages les plus pauvres, souvent contraints de restreindre leurs achats alimentaires et leurs dépenses de santé.

Rappelant que les ménages à faibles revenus avaient la propension à consommer la plus forte et la propension à consommer des biens importés la plus faible, M. Bernard Angels, rapporteur, en a conclu que le nécessaire traitement social de la crise convergeait avec la recherche d'une plus grande efficacité économique pour privilégier une injection de pouvoir d'achat en direction des plus démunis. Il a estimé qu'une politique ciblée pourrait tendre à maintenir le pouvoir d'achat de ménages fragilisés par la crise en renforçant les droits à indemnités des demandeurs d'emploi.

A l'heure où la demande des principaux partenaires commerciaux de la France était susceptible de connaître un ressaut significatif, M. Bernard Angels, rapporteur, a estimé que notre politique économique pouvait désormais être plus libre de ses mouvements. Il a jugé qu'il convenait de ne pas ignorer la contrainte extérieure mais aussi de ne pas la surestimer, surtout dès lors que les stratégies nationales devenaient plus coopératives.

Un débat s'est alors ouvert.

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