Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 février 2010 : 1ère réunion
Audition du dr abdullah abdullah ancien ministre des affaires étrangères d'afghanistan et candidat à l'élection présidentielle de 2009

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

Après avoir rappelé la carrière politique de M. Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères de la république islamique d'Afghanistan de 2001 à 2006, et regretté les fraudes massives de l'élection présidentielle de 2009, M. Josselin de Rohan, président, a souhaité connaître ses appréciations sur la situation politique et institutionnelle en Afghanistan et sur les possibilités de son évolution vers une démocratie qui tienne compte de ses particularités.

Il a également souhaité connaître le programme du parti que M. Abdullah Abdullah est en train de constituer et la façon dont il entend rassembler pour dépasser les clivages ethniques et tribaux.

Il a aussi voulu connaître les analyses du Dr Abdullah Abdullah sur la situation sécuritaire à un moment où les troupes afghanes et les troupes de la coalition internationale sont en train de mener une opération de grande envergure dans la province du Hemland. Quel jugement peut-on porter sur la stratégie suivie ? Quelles sont les perspectives ouvertes par l'afghanisation des forces de sécurité ? Il s'est enfin interrogé sur les relations de l'Afghanistan avec ses voisins et notamment avec le Pakistan.

Le Dr Abdullah Abdullah a tout d'abord rappelé les changements très positifs intervenus au cours des huit dernières années dans son pays en termes de retour des réfugiés, d'éducation, de santé et de reconstruction, en particulier du réseau routier. Toutefois, après 25 ans de guerre, le pays est encore en phase de « récupération » et la situation reste difficile. Dans ce contexte, en dépit du fait que l'exercice de certaines libertés n'est toujours pas possible, des changements positifs ont eu lieu. Les diverses élections ont vu la participation du peuple afghan, malgré les menaces et la tenue de grandes réunions permettant de discuter des problèmes du pays. Néanmoins, la situation sécuritaire s'est dégradée depuis cinq ans, la gouvernance laisse à désirer et le gouvernement ne respecte pas les décisions du parlement, les problèmes de narcotrafiquants, de corruption et de mafias perdurent. Cette situation a naturellement une incidence sur les gouvernements et l'opinion publique des pays occidentaux qui s'interrogent sur la pertinence et l'efficacité de leur aide.

Pourtant, il existait, à l'origine, un consensus quasi général sur le processus à suivre en Afghanistan après la chute des taliban qui dépassait les clivages ethniques et tribaux. Cette situation a changé et l'éclatement du consensus est dû à la conjugaison de trois facteurs.

La première erreur a été de ne pas utiliser des moyens locaux de sécurité et, au contraire, de démanteler tout ce qui existait au niveau local. Le Dr Abdullah Abdullah a rappelé que les effectifs de la coalition occidentale en 2001 ne dépassaient pas 10 000 hommes. Le second facteur de déstabilisation s'explique par le double jeu du président Pervez Musharraf qui a aidé les taliban qui s'étaient réfugiés dans les zones tribales. Enfin, l'effort des nations de la coalition s'est reporté en partie sur la guerre en Irak.

Les taliban ont profité de la conjugaison de ces erreurs ainsi que de la mauvaise gestion du gouvernement, du développement de la corruption et du non-respect de la règle de droit.

S'agissant des élections présidentielles de 2009, la réélection du président Hamid Karzaï semblait, au départ, faire l'objet d'un certain consensus bien qu'elle ne suscitât que peu d'enthousiasme. La candidature du Dr Abdullah Abdullah a permis de présenter une alternative crédible au seul choix auquel étaient soumis les électeurs : M. Hamid Karzaï ou les taliban. Cette candidature a suscité beaucoup d'espoirs qui se sont manifestés par une très grande participation aux meetings politiques organisés.

De nombreux problèmes sont apparus à l'approche des élections, en particulier du fait du rôle joué par la commission électorale indépendante qui n'a d'indépendant que le nom, par l'utilisation de la corruption et par la fraude.

Le Dr Abdullah Abdullah a indiqué qu'il entreprenait la mise en place d'un mouvement politique nouveau dont le programme est le même que celui qu'il avait présenté lors des élections présidentielles. Il prône la décentralisation, la croissance équitable, le changement de la loi électorale, l'autosuffisance de l'Afghanistan. La ligne directrice de ces propositions politiques est de mettre le peuple afghan au centre des projets.

S'agissant des élections législatives du 18 septembre 2010, leur préparation se déroule bien sur le plan technique, mais elles supposent une véritable indépendance de la commission électorale qui est loin d'être acquise. En l'état actuel des choses, cette commission est entièrement dans les mains du gouvernement. Elle s'occupe aujourd'hui de tout ce qui concerne les élections jusque dans les moindres détails. De plus, la commission qui traite les plaintes en matière électorale et qui est composée de deux commissaires afghans et de deux étrangers est actuellement menacée par la décision, prise par décret du Président Karzaï, d'en écarter les étrangers alors même que leur présence avait permis son indépendance en dépit des pressions.

Le Dr Abdullah Abdullah a indiqué qu'il s'opposerait fortement à cette décision et a souhaité que la communauté internationale fasse pression pour qu'on revienne sur celle-ci, faute de quoi le peuple afghan sera une fois de plus écarté et les élections législatives connaîtront un déroulement pire que celui de l'élection présidentielle.

Le système démocratique est essentiel mais celui qui sera installé en Afghanistan sera spécifique. Le commandant Massoud avait un jour indiqué qu'il pourrait quitter la vie politique lorsque le principe « un homme ou une femme = une voix » serait entré dans les faits.

Le fait que les partis politiques n'existent pas dans le système afghan est une importante lacune du processus. Le Dr Abdullah Abdullah a indiqué que le moment est venu de combler ce vide d'une démocratie sans partis et sans participation de la société civile. Durant la campagne électorale, il a tenté de dépasser les clivages ethniques et de parler à tous les Afghans de leurs problèmes. Son objectif est de créer un noyau dur qui reflèterait la diversité du pays. Toutefois, il sera très difficile de dépasser les clivages ethniques tant qu'il n'y aura pas eu de changements concrets et visibles des conditions de vie de la population qui, faute de progrès, se replie sur ses identités et ses solidarités particulières.

S'agissant de l'opération militaire en cours dans le Hemland, le Dr Abdullah Abdullah a indiqué qu'elle se déroulerait au coeur même du pouvoir taliban, dans une région proche de la frontière avec le Pakistan. La tâche est donc difficile et le nombre des forces engagées n'est peut-être pas suffisant pour inverser la situation, même si elle peut en arrêter l'évolution. Tout en reconnaissant que certaines pertes civiles étaient inévitables, il a regretté les récents dommages collatéraux dont l'effet était très négatif sur la population. Le succès de l'opération se jugera surtout sur le suivi qui sera fait, à moyen et long terme, dans la province et à Kandahar. Il dépendra également de la prise de conscience par le gouvernement pakistanais de la menace que représentent pour lui les taliban quels qu'ils soient.

S'agissant de l'afghanisation, le Dr Abdullah Abdullah a indiqué qu'elle se déroule lentement. D'un point de vue technique elle ne dépend que de l'accélération de la formation donnée aux forces de sécurité. Mais il faut également tenir compte du facteur politique.

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