Intervention de Serge Larcher

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 9 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission outre-mer - examen du rapport pour avis

Photo de Serge LarcherSerge Larcher, rapporteur pour avis :

J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui mon rapport sur les crédits de la mission « Outre-mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2012.

Je souhaite au préalable, vous remercier, Monsieur le Président, mes chers collègues, de m'avoir désigné rapporteur pour avis sur cette mission budgétaire qui m'est, vous vous en doutez, particulièrement chère.

Le budget 2012 s'inscrit, pour les outre-mer, dans un contexte particulier au moins à deux titres : d'une part, le contexte national, marqué par la rigueur budgétaire, qui n'épargne pas, nous le verrons, nos outre-mer ; d'autre part, le contexte local marqué par la grave crise sociale qui secoue le département de Mayotte. Au cri des populations antillaises en 2009 répond, en écho, deux ans après, le cri de la population mahoraise. La réapparition du thème de la « vie chère » semble confirmer que, deux ans après, malgré les États généraux de l'outre-mer et malgré les annonces du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM) de novembre 2009, bien peu a été fait.

Je souhaite aujourd'hui procéder en deux temps. J'analyserai tout d'abord les crédits inscrits pour 2012 pour la mission « outre-mer » : ils me conduisent à penser que ce budget est un budget sans ambition. Je m'intéresserai ensuite plus particulièrement à la situation du logement dans nos outre-mer, problématique centrale dans ces territoires et pour laquelle l'État ne développe aujourd'hui aucune politique d'envergure.

S'agissant des crédits de la mission « outre-mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2012, on note qu'ils augmentent de 1,1 % en autorisations d'engagement (AE) et de 2,9 % en crédits de paiement (CP).

Nos collègues députés vont, selon toute vraisemblance, adopter aujourd'hui un amendement du Gouvernement réduisant les crédits de la mission de 48 millions d'euros en AE et de 56 millions d'euros en CP : en conséquence, les crédits de la mission devraient globalement diminuer de 1,1 % en AE et augmenter de 0,1 % en CP. Dans la suite de mon propos, je ferai cependant référence aux données figurant dans le projet de loi de finances initial.

L'augmentation prévue pouvait sembler satisfaisante dans le contexte de rigueur budgétaire. Pour autant, plusieurs éléments indiquent que les moyens ne sont pas à la hauteur des défis auxquels sont confrontés nos outre-mer :

- tout d'abord, l'augmentation des crédits ne compense pas le niveau de l'inflation. Le projet de loi de finances a été élaboré à partir d'une prévision d'inflation à 1,7 %. Autrement dit, l'augmentation affichée des crédits de la mission en AE correspond à une diminution effective des moyens ;

- deuxième élément : cette légère augmentation des crédits intervient après la baisse opérée en 2011. Les crédits avaient alors diminué de 0,5 % en AE et de 2,3 % en CP. En 2012, les crédits ne seront donc que légèrement supérieurs à leur niveau de 2010 ;

- troisième élément : l'augmentation des crédits s'explique en grande partie par l'augmentation des crédits destinés, d'une part, aux exonérations de charges sociales spécifiques à l'outre-mer, augmentation qui n'est pas le résultat d'un choix politique, et, d'autre part, au plan « SMA 6 000 » lancé en 2009 ;

- enfin, et surtout, les mesures annoncées lors du CIOM de 2009, censées apporter une réponse à la grave crise sociale qui a secoué nos outre-mer, n'ont presque aucun impact budgétaire. Mise à part la stabilité des crédits de la ligne budgétaire unique (LBU) qui n'engendre d'ailleurs aucun coût supplémentaire, les autres mesures ont un impact budgétaire dérisoire, se montant globalement à quelques millions d'euros... Je m'inquiète d'ailleurs de l'écart existant avec les attentes créées par les États généraux...

L'évolution des crédits affectés aux deux programmes de la mission me conduit à formuler plusieurs remarques.

Le programme 138 « Emploi outre-mer » voit ses crédits augmenter de 1,3 % en AE et de 4,7 % en CP. Trois remarques à propos de ce programme :

- la majeure partie des crédits de ce programme (près de 80 %) est constituée du remboursement aux organismes de sécurité sociale du coût des exonérations de charges sociales spécifiques à l'outre-mer. Cette année encore, les moyens ne sont pas à la hauteur des besoins des organismes : comme l'indique le ministère de l'outre-mer, les crédits inscrits au budget 2012 ne permettent pas de compenser la totalité du coût global de ces exonérations. Il n'est pas de bonne politique de sous-budgétiser chaque année pour reporter à plus tard la régularisation de la situation : lors de la loi de finances rectificative pour 2010, une enveloppe budgétaire de plus de 62 millions d'euros a ainsi été débloquée... ;

- sur ce programme sont inscrits les crédits destinés à un dispositif créé par la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) : l'aide au fret. Je note que le décret d'application rendant cette aide effective a été publié - enfin ! - en décembre 2010, soit près de 18 mois après le vote de la LODEOM... ;

- les crédits destinés au service militaire adapté (SMA), dispositif qui a fait ses preuves dans nos outre-mer, sont marqués par une évolution contrastée cette année : ils reculent de 25 millions d'euros en AE mais progressent de 30 millions d'euros en CP. Les modalités de la montée en puissance du dispositif, parallèlement à la mise en place d'une « formation différenciée », restent problématiques : les résultats du SMA sont en effet en baisse, avec un taux d'insertion des volontaires qui est passé de 77 % en 2009 à 75 % en 2010.

S'agissant du programme « Conditions de vie outre-mer », ses crédits sont stables : ils augmentent de 0,8 % en AE et diminuent de 0,8 % en CP.

Figurent dans ce programme les crédits destinés à plusieurs politiques relevant du champ de compétence de notre commission, notamment les crédits destinés au Logement, la « ligne budgétaire unique » (LBU), dont les crédits sont stables en AE et progressent de 10 % en CP. Je reviendrai sur la problématique du logement dans nos outre-mer dans la seconde partie de mon propos.

Enfin, il m'est impossible d'évoquer les crédits de la mission outre-mer, sans évoquer les dépenses fiscales rattachées à cette mission. D'après les documents budgétaires, plus d'une vingtaine de dépenses fiscales sont rattachées à la mission, pour un coût total de 2,9 milliards d'euros, soit un niveau très supérieur aux crédits budgétaires, mais en nette diminution par rapport à 2011.

Cette année, le projet de loi de finances comprend deux articles concernant les dépenses fiscales relatives aux outre-mer : l'article 4 supprime le dispositif d'abattement d'un tiers sur le résultat des exploitations situées dans les DOM ; l'article 45 porte sur le « rabot » de 10 points sur les « niches fiscales ». Les niches fiscales spécifiques à l'outre-mer sont concernées, à l'exception de celle spécifique au logement social.

Je souhaite au préalable souligner que les dépenses fiscales relatives à l'outre-mer ont déjà été sensiblement réduites au cours des dernières années :

- la LODEOM a ainsi prévu la suppression progressive de la dépense fiscale liée au logement libre et intermédiaire, pour une économie annuelle qui devrait atteindre 251 millions d'euros en 2018 ; la réforme des exonérations de charges sociales a permis une économie annuelle de près de 60 millions d'euros ; la réforme de la « TVA-NPR » a conduit à une économie annuelle de près de 120 millions d'euros ;

- dans le cadre de la loi de finances pour 2011, les outre-mer ont été concernés par le « rabot » des niches fiscales, ce qui a permis une économie pour l'État de 100 millions d'euros, et par la suppression de l'aide fiscale pour le photovoltaïque, qui a permis une économie de 250 millions d'euros.

Autrement dit, Monsieur le Président, mes chers collègues, les outre-mer, malgré leur situation économique et sociale particulièrement dégradée, n'ont pas été tenus à l'écart de l'effort de rigueur, bien au contraire. J'espère que les nouvelles restrictions prévues par le projet de loi de finances - et celles annoncées lundi dernier par le Premier ministre - ne nuiront pas à leur développement économique.

Enfin, sur ce sujet, il m'est impossible de ne pas évoquer le rapport publié par l'Inspection générale des finances (IGF) en juin dernier. Ce rapport est intéressant à plus d'un titre. Il souligne ainsi que la défiscalisation ne favorise pas la concurrence dans les outre-mer et qu'elle engendre des surcoûts pour l'État par rapport aux subventions. La conclusion de l'IGF est particulièrement dérangeante : « le mécanisme de défiscalisation (...) s'apparente à une préférence de la puissance publique pour l'affichage d'un taux de prélèvements obligatoires contenu (...) et d'une maîtrise de la dépense publique, mais occasionne en pratique un surcoût pour les finances publiques, par rapport à des outils tels que des prêts bonifiés ou des avances remboursables (...) [ou] des subventions ».

Je ne partage pas l'ensemble des analyses de l'IGF. La défiscalisation est à l'origine de la création de nombreux emplois dans les outre-mer. Pour autant, je pense que le débat sur le choix entre défiscalisation et subvention est loin d'être anodin.

Je souhaite dans un second temps m'arrêter sur la situation du logement dans les outre-mer. A mes yeux, ce dernier doit en effet constituer une véritable priorité pour l'État dans les outre-mer. Quelques éléments montrent que la situation est dramatique :

- les outre-mer connaissent une grave pénurie de logements sociaux : en 2009, près de 166 000 personnes étaient en attente d'un logement social dans les quatre DOM, soit près de 10 % de la population totale, contre moins de 3 % en métropole. Je souhaite d'ailleurs attirer votre attention sur un des éléments qui freine la construction de logements sociaux : le prix du foncier. Ce dernier a très fortement augmenté dans nos outre-mer au cours des dernières années : au cours de la période 2006-2009, les prix ont augmenté de 31 % dans les DOM et, en 2009, seule l'Île-de-France affichait un coût du terrain au mètre carré supérieur aux DOM ;

- autre volet de la crise du logement : l'insalubrité. Près d'un quart du parc est insalubre dans les DOM ! Avec une particularité par rapport à la métropole : l'existence d'un habitat informel massif. La loi adoptée l'année dernière à l'initiative de notre collègue député Serge Letchimy a contribué à mettre en lumière cette réalité et a prévu l'adaptation des dispositifs de lutte contre l'habitat insalubre.

Face à cette situation, je ne peux que me réjouir que la construction de logements sociaux progresse cette année, sans pour autant être à la hauteur des besoins.

Je souhaite vous en rappeler les mécanismes de financement :

- les crédits budgétaires, à savoir la ligne budgétaire unique (LBU), qui sont stables en 2012. Ils financent la construction de logements sociaux mais aussi, par exemple, la politique de résorption de l'habitat insalubre (RHI) ;

- le logement social est de plus en plus financé par la défiscalisation, notamment par le biais du dispositif spécifique de défiscalisation mis en place dans le cadre de la LODEOM. Après des premiers résultats décevants, le dispositif de la défiscalisation du logement social est en croissance exponentielle, à tel point que l'IGF estime que le logement social est en passe de devenir une des principales dépenses fiscales pour l'outre-mer.

On note donc aujourd'hui une légère relance de la production de logement social en 2010, 6 500 logements sociaux ont ainsi été financés, soit 2 000 de plus que la moyenne des trois années précédentes. Le Gouvernement estime que la défiscalisation explique ces bons résultats. Je ne partage cependant pas son euphorie et ceci pour plusieurs raisons :

- tout d'abord, les résultats de 2010 restent très en deçà des besoins. Le chiffre de 6 500 logements correspond aux besoins annuels des seuls départements de Guyane et de La Réunion !

- ensuite, je reste pour ma part très réservé quant au choix politique de faire financer la construction du logement social par la défiscalisation. La LBU doit demeurer, comme l'a affirmé la LODEOM, le socle du financement du logement social outre-mer. Or, à mes yeux, le maintien du niveau des crédits de la LBU, ne constitue en rien une victoire : il s'agit plutôt du renoncement de l'État à consacrer davantage de crédits budgétaires à la construction de logement sociaux ;

- enfin, ce choix de la défiscalisation m'interroge d'autant plus que l'IGF a montré qu'il ne s'agit en aucun cas d'une solution économe des deniers publics par rapport aux subventions.

Au-delà de ces aspects budgétaires, je souhaite souligner qu'en matière de logement, beaucoup de choses ont été promises par le Gouvernement pour bien peu de résultats. En voici quelques exemples :

- dans le cadre de la LODEOM, le Parlement a prévu la création d'un groupement d'intérêt public (GIP) chargé de rassembler les éléments permettant de reconstituer les titres de propriété outre-mer. Il s'agit d'une disposition particulièrement importante à mes yeux, les problèmes d'indivision constituant un frein réel à la construction de logements sociaux outre-mer. Or, à ce jour, plus de 2 ans après le vote de la loi, le décret d'application n'a toujours pas été publié ;

- le CIOM a promis la relance de la production de logement social. Or les deux mesures phares, quelles sont-elles ? L'assouplissement des règles de participation des collectivités territoriales à la construction de logement social et la possibilité pour l'État de céder à titre gracieux ses terrains. Il s'agit, certes, de deux mesures importantes, mais elles ne suffiront clairement pas à relancer fortement la construction de logement social ;

- par ailleurs, quel a été le résultat de ces deux mesures ? Un décret a été publié à propos de la surcharge foncière, mais applicable uniquement jusqu'au 1er janvier 2012. Par ailleurs, sur le terrain, le dispositif n'a été utilisé qu'en Martinique. En Guadeloupe, il aurait été, pour les services de l'État, « difficile d'obtenir une évaluation objectif de la situation financière des communes ». Cette explication est stupéfiante quand on sait qu'en juillet dernier la Cour des comptes a publié un rapport thématique sur cette question, jugeant la situation des communes ultramarines très préoccupante.

- s'agissant des cessions de terrains de l'État, aucune cession n'a été réalisée depuis le vote d'un article spécifique dans la loi de finances pour 2011... car le décret d'application n'a toujours pas été publié.

Il ne s'agit que de quelques exemples, mais ils illustrent bien que les résultats sont en complet décalage avec les promesses qui ont été faites et que, globalement, une politique ambitieuse en matière de logement fait défaut dans nos outre-mer.

Pour toutes les raisons que j'ai évoquées au cours de mon propos, j'estime donc que ce budget n'est pas à la hauteur des défis auxquels sont confrontés nos outre-mer.

En conséquence, vous comprendrez, Monsieur le président, chers collègues, que je propose à la commission d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission outre-mer pour 2012.

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