Intervention de Frédéric Lefèvre

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 9 novembre 2011 : 2ème réunion
Droits protection et information des consommateurs — Audition de M. Frédéric Lefebvre secrétaire d'état chargé du commerce de l'artisanat des petites et moyennes entreprises du tourisme des services des professions libérales et de la consommation

Frédéric Lefèvre, des services, des professions libérales et de la consommation :

secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. - Compte tenu des contraintes législatives qui sont les nôtres, l'examen de ce texte important sera très probablement repoussé au 10 janvier. Ce délai supplémentaire nous permettra d'approfondir encore la réflexion. J'espère que je retrouverai dans cette enceinte le climat constructif qui a prévalu à l'Assemblée nationale. Je serai ouvert à tous les amendements, dans la mesure où la logique du texte sera respectée.

Dans la période actuelle, il convient en effet de protéger les consommateurs grâce à plus de transparence, bien sûr, mais aussi, et surtout, en leur permettant d'être mieux armés à l'encontre des dépenses contraintes.

Contrairement à d'autres pays européens, le pouvoir d'achat des Français a continué à augmenter, année après année. Ce n'est pas moi qui le dit, mais toutes les études le démontrent, qu'elles soient nationale ou européennes. Pourtant, quand nous allons sur le terrain, et j'y vais trois fois par semaine, nous voyons bien que ce n'est pas le sentiment de nos compatriotes. Pourquoi ? Parce que la part de leurs dépenses contraintes ne cesse d'augmenter et, qu'en dépit de l'augmentation de leur pouvoir d'achat, leur reste à vivre diminue. Les 92 500 plaintes reçues par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en témoignent : concernant essentiellement le logement, la téléphonie et l'énergie, elles portent le plus souvent sur les dépenses par prélèvement qui sont indolores lorsqu'elles interviennent mais qui amputent le pouvoir d'achat des ménages en fin de mois.

Ce texte a donc pour ambition de permettre aux consommateurs de maîtriser l'évolution de ces dépenses. Pour l'élaborer, nous avons eu de larges débats avec les associations de défense des consommateurs et avec les acteurs économiques. Nous voulions trouver le point d'équilibre pour protéger les consommateurs mais aussi l'emploi et le pouvoir d'achat. Tout cela a bien été compris par l'Assemblée nationale et elle n'a pas cherché à étendre à l'infini le champ de ce texte, ce qui l'aurait bloqué, ni plus, ni moins. Je souhaite donc travailler au Sénat dans le même esprit constructif qui a permis d'enrichir considérablement le projet de loi : 380 amendements ont été examinés en commission, dont un quart émanant de l'opposition. Au total, près des deux-tiers ont été adoptés ou satisfaits. En séance publique, sur les 375 amendements examinés, près de 225 ont été adoptés ou satisfaits, dont 24 du groupe socialiste, 19 du Nouveau centre et 8 du groupe communiste. Le projet est bien évidemment perfectible, mais les associations de consommateurs, pourtant très exigeantes à l'égard du gouvernement et du Parlement, ont reconnu de multiples avancées.

Il y a une tradition du consensus au sein de votre commission : ainsi, Mme Bariza Khiari a rapporté la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques. Lorsqu'il en va de l'intérêt général, les sénateurs s'élèvent toujours au-dessus des considérations politiciennes. J'espère qu'en dépit des échéances électorales, cette tradition perdurera et que personne ne sera tenté de prendre en otage telle ou telle disposition. Je souhaite que nous parvenions à un accord, car les consommateurs n'ont pas à subir d'éventuelles joutes politiciennes qui n'auraient pas de sens. La nouvelle configuration du Sénat ne nous a pas empêchés de choisir de mener un débat approfondi, sans procédure accélérée. Ce texte s'inscrit dans le prolongement du travail accompli par mes collègues, de la loi Chatel sur le pouvoir d'achat de février 2008 à la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité de décembre 2010, sans oublier à la loi de modernisation de l'économie d'août 2008.

Nous ne devons pas seulement travailler à rééquilibrer les relations en faveur du consommateur, nous devons également restaurer la relation de confiance entre les consommateurs et les professionnels. C'est le meilleur moyen de soutenir la consommation, principal moteur de notre croissance. En ces temps de crise, nous ne pouvons pas nous permettre de voir baisser la consommation des ménages.

Le texte prend en compte les évolutions des comportements de consommation de nos compatriotes. Il nous faut en effet nous adapter aux mutations rapides de la société française. Dans une économie mondialisée, il convient de tenir compte des nouvelles attentes des consommateurs. J'étais hier à Villiers-le-Bel et je serai prochainement à Montpellier et à Toulouse : je sais quelles sont les attentes de nos compatriotes en matière de télécommunications, notamment d'Internet et de téléphonie mobile. Ces outils sont devenus indispensables, ne serait-ce que pour rechercher un emploi.

J'ai fait voter le tarif social en matière de mobile lorsque j'étais député et, en tant que ministre, c'est moi qui l'ai mis en oeuvre. Aujourd'hui, le tarif social dans la téléphonie mobile est une réalité et je puis témoigner qu'il a suscité un réel engouement. Nous avons aussi engagé les discussions sur le tarif social pour Internet. La discussion sur la proposition de loi de M. Jacques Mézard a été riche et intéressante. Lorsque Pacitel a été mis en place, pour interdire le démarchage téléphonique, 300 000 Français se sont inscrits en 48 heures, ce qui prouve une véritable attente ; les entreprises se sont engagées à respecter le dispositif et nous devrons sanctionner celles qui passent outre. Toutes ces mesures concrètes ont pour origine les réclamations des consommateurs.

Il y a 50 ans, les dépenses contraintes des ménages représentaient 13 % de leurs dépenses globales. Aujourd'hui, c'est plus d'un tiers et, pour les plus modestes, cela va jusqu'à 80 %, sans même parler des ménages surendettés. Les dépenses de télécommunication se sont envolées alors qu'elles étaient quasi-inexistantes il y a encore 20 ans. Et cela nourrit le sentiment d'une stagnation, voire d'une baisse du pouvoir d'achat. Mon projet aidera les Français, surtout les plus modestes, à retrouver la maîtrise de leurs dépenses contraintes. Quand on fait de la politique, qu'y a-t-il de plus noble que de s'attaquer aux problèmes de la vie quotidienne de nos concitoyens ?

Je n'insiste pas sur les télécommunications, sinon pour rappeler que l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité un amendement améliorant la transparence tarifaire des services de communications électroniques accessibles au moyen de cartes prépayées et de forfaits bloqués.

Il nous faut également être vigilant sur les dépenses liées au logement, qui représentent près de 80 % des dépenses contraintes des ménages. Nous devons protéger les Français contre toute forme d'abus et garantir leurs droits dans ce domaine. Le projet de loi rendra possible l'ajustement du loyer au profit du locataire si la surface louée est fausse ou manquante. C'est une mesure juste et de bon sens. La procédure de contestation de la surface est calquée sur celle de la loi Carrez.

L'Assemblée nationale a décidé à l'unanimité d'en finir avec les demandes abusives de documents, comme la photo d'identité ou l'attestation de l'employeur : les agents de la DGCCRF seront ainsi habilités à contrôler et à sanctionner les manquements à cette disposition. De même, grâce à l'amendement de la députée socialiste Mme Marie-Lou Marcel, le bailleur ne pourra plus exiger que la personne se portant caution soit apparentée au locataire. L'article relatif au logement a été particulièrement enrichi et je suis sûr que nous aurons l'occasion de le parfaire.

Le commerce électronique connaît une croissance spectaculaire : notre pays compte désormais 27 millions de cyberacheteurs et le secteur a réalisé un chiffre d'affaires de 31 milliards en 2010, soit une augmentation de plus de 16 % en un an. Il est nécessaire de mener une action cohérente pour accompagner le formidable développement du e-commerce, garantir la confiance dans ce secteur et protéger les consommateurs en luttant contre les pratiques trompeuses ou déloyales pour le commerce traditionnel. La DGCCRF a en effet reçu près de 11 000 réclamations à ce sujet en 2010, soit 12 % des réclamations.

Afin de mieux protéger les cyberacheteurs, les pénalités versées au consommateur en cas de non-respect du délai légal de remboursement lors d'une rétractation seront doublées. L'amendement de la députée socialiste Mme Frédérique Massat réduisant de 30 à 14 jours le délai de remboursement des sommes versées en cas de rétractation du consommateur anticipe la transposition de la directive droits des consommateurs, formellement adoptée par le Parlement européen et le Conseil le 25 octobre.

J'ai également souhaité que ce projet de loi accorde une place à la richesse de nos savoir-faire et de nos productions artisanales, qui sont une force pour notre économie et l'âme de notre pays. Ces dernières participent au rayonnement international de la France, mais également à la promotion de la qualité au quotidien. Relever le défi de la qualité, c'est favoriser la prise de conscience par les consommateurs de l'importance du mieux consommer. L'extension de « l'indication géographique protégée » (IGP) aux produits artisanaux a suscité un long débat à l'Assemblée nationale. Il s'agit en effet de promouvoir une consommation de qualité en protégeant l'origine géographique des produits industriels et artisanaux. J'ai reçu certains professionnels qui étaient inquiets. En aucun cas il n'est question d'exclure tel ou tel acteur. Au contraire, il importe que tous se rassemblent pour être plus forts et pour lutter contre des produits qui n'ont ni la qualité, ni le respect du savoir-faire de nos provinces mais fragilisent des pans entiers de notre économie.

Toutes ces dispositions auraient peu d'efficacité sans un dispositif de contrôle et de sanction refondé. C'est pourquoi la modernisation et le renforcement en profondeur des moyens donnés à la DGCCRF sont indispensables. On me reproche la baisse des moyens attribués à cette direction. Je réponds : changement d'organisation de cette administration et meilleurs résultats pour le consommateur, car c'est cela qui compte !

Le projet étend la compétence de la DGCCRF dans différents secteurs de la consommation. On me dit que cette ambition est contradictoire avec la réduction du nombre des fonctionnaires dans cette direction. Non, car certaines procédures qui sont extrêmement chronophages pour les fonctionnaires, mais peu efficaces et insatisfaisantes pour les consommateurs, seront modifiées. Avec des procédures plus courtes, plus efficaces, on soulage d'autant les fonctionnaires et on leur permet de diversifier leurs missions. Le champ des sanctions administratives est élargi et les agents de la DGCCRF disposeront de pouvoirs d'injonction dont le non-respect sera désormais sanctionné.

Enfin, les députés ont adopté un amendement étendant les pouvoirs de la DGCCRF pour la recherche, la constatation et la poursuite des infractions ou manquements en matière de crédit à la consommation. Là encore, ce sont les plus vulnérables que nous avons souhaité défendre.

Nous n'avons pu aborder à l'Assemblée nationale un sujet qui met tient à coeur, celui des couvertures multiples d'assurance. Nous y travaillons mais il n'est pas facile d'y répondre. Trop souvent, notamment dans les secteurs des loisirs, mais aussi sportifs et scolaires, les Français souscrivent sans le savoir plusieurs fois la même assurance. Il faudrait que nous trouvions une solution pragmatique pour améliorer l'information des consommateurs tout en conservant le niveau de protection souhaitée. Des économies substantielles sont possibles et nous devons protéger les consommateurs de dérives inacceptables. Je serai très attentif aux propositions que vous pourrez me faire en la matière.

En revanche, le projet ne doit pas être l'occasion de remettre en cause des textes déjà votés. Je fais confiance à l'esprit de responsabilité de chacun. La discussion de ce texte a duré quinze jours à l'Assemblée nationale et le gouvernement n'a pas demandé la procédure accélérée. Il ne faut pas que certains voient là l'occasion de bloquer le processus législatif alors que nos concitoyens attendent des réponses concrètes à leurs problèmes.

Ainsi, le débat sur les actions de groupe est récurrent. En 2008, quand j'étais député, j'ai déposé un amendement pour les mettre en place. Le Nouveau centre avait alors déposé un amendement identique et le parti socialiste un amendement quasi-identique. A l'époque, Mme Christine Lagarde s'était dit très réservée sur la question. Depuis, il s'est passé beaucoup de choses, notamment la crise. J'ai aussi beaucoup réfléchi et je n'ai pas attendu d'entrer au gouvernement pour me montrer plus réservé : je vous renvoie d'ailleurs au livre que j'ai écrit où j'explique quel est l'état de ma réflexion sur cette question. Aux États-Unis, mais pas seulement là-bas, les class-actions ont coûté cher à l'économie sans apporter nécessairement de bonnes réponses aux consommateurs, puisqu'avant qu'une affaire soit jugée, il s'écoule trois, quatre ans, parfois plus. Pendant ce temps, les consommateurs continuent à subir les préjudices, et lorsqu'une peine financière est enfin prononcée, elle sert le plus souvent à défrayer la chaîne judiciaire. C'est pourquoi ma préférence va à un système beaucoup plus efficace pour les consommateurs et beaucoup moins dangereux pour l'emploi, système qui s'appuie tout à la fois sur la médiation et sur les pouvoirs de sanction administrative de la DGCCRF. A un long dossier judiciaire, je préfère une solution en quelques mois.

Loin du dogmatisme de certains, je préfère avancer de façon pragmatique. D'ailleurs, UFC que Choisir a salué mon action en ce domaine. Lorsque les entreprises de téléphonie ont changé les règles du jeu, plutôt que de les attaquer, j'ai préféré envoyer un premier courrier dans lequel j'ai rappelé les principes. Comme les entreprises n'en tenaient pas compte, je suis revenu à la charge, sans succès. J'ai alors publié un communiqué dans lequel j'ai énoncé ce que chacun devait faire pour rester dans la légalité. En trois semaines, les entreprises ont corrigé leurs comportements. Si j'avais écouté ceux qui me conseillaient la voie judiciaire, nous y serions encore.

Sur les clauses abusives, un dispositif d'automaticité a été instauré : ainsi, lorsqu'une clause sera jugée abusive et supprimée d'un contrat par les tribunaux, elle le sera également dans tous les contrats identiques conclus par des consommateurs avec le professionnel concerné. Cette avancée était demandée par toutes les associations de défense des consommateurs. Nous avons donc un dispositif bien plus efficace que les class actions que je défendais.

J'ai mis beaucoup d'énergie dans ce texte car nous devons au consommateur d'être mieux protégé et lui donner le pouvoir de prendre le dessus sur les dépenses contraintes.

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