Intervention de Roger Genet

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 28 juin 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Roger Genet directeur général du cemagref et président de l'alliance nationale de recherche pour l'environnement

Roger Genet, directeur général du CEMAGREF et président de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement :

Je ne suis pas un expert sur tous les sujets abordés et devrai donc différer ma réponse sur certaines questions spécifiques.

S'agissant des schémas de cohérence territoriale, nous y avons contribué, comme d'autres laboratoires de recherche, afin de répondre aux besoins des collectivités. À ce propos, nos experts sont conduits à se mobiliser à la fois pour développer l'étendue des connaissances et pour répondre sur des sujets concrets : notre modèle économique atteint là ses limites.

Par exemple, nous avons réalisé pour la Datar des études sur la fragmentation du territoire, qui ont montré que les infrastructures de transport divisent l'ouest de la France en tout petits territoires naturels : ces résultats nourrissent les travaux d'élaboration des trames vertes et bleues, qui visent à reconstruire les continuités écologiques. Nos chercheurs ont également mené des travaux de fond sur l'esturgeon en Gironde ou sur le rôle joué par le bois mort pour la préservation de la biodiversité.

Il faut toutefois conjuguer l'étude des milieux écologiques avec celle des conséquences économiques et sociales : c'est pour cela que les équipes réunissent des chercheurs relevant de disciplines variées. Cela complique malheureusement les processus d'évaluation, les comités qui réalisent celle-ci étant souvent spécialisés dans un seul domaine de recherche.

Nous avons rédigé un livre, que nous tenons à votre disposition, sur les enjeux de la forêt, qu'il s'agisse de son évolution, des émissions de gaz à effet de serre ou de l'impact de la déforestation en Amazonie. La recherche a son mot à dire : Nous instrumentons des satellites du CNES et l'imagerie satellitaire a permis de mieux mesurer la déforestation comme la concentration de carbone en Guyane. Cet effort de cartographie a permis à la France de respecter ses engagements pris au titre du protocole de Kyoto.

Comment nourrir neuf milliards d'êtres humains ? La recherche repose forcément sur une coopération internationale, mais les solutions ne peuvent être uniques. La difficulté provient non du nombre total d'habitants, mais de la densité exagérée observée dans certaines régions.

Le Président de la République nous a demandé quel pouvait être l'apport de la recherche concernant des priorités de la présidence française du G20 telles que la volatilité et la transparence des prix des matières premières. J'ai proposé de créer une coordination mondiale des centres de référence basés sur l'information satellitaire afin d'améliorer la prévision des récoltes et de répondre aux événements hydrologiques. Cette proposition a été reprise à l'annexe 3 de la déclaration commune des ministres de l'agriculture du G20.

La notion de bon état écologique des rivières a été inscrite dans la loi avant d'avoir été définie sur le plan scientifique. Pour l'évaluer, il faut disposer de l'état initial, ce qui exige de choisir une date de référence et de disposer des outils et des mesures adéquates. Il est également indispensable d'adopter des mesures de protection adaptées en prévoyant leur impact et leur coût économique. Ainsi, l'éco-toxicologie étudie l'écosystème dans sa globalité tandis que les toxicologues mesurent l'impact des produits sur la santé, mais le lien entre ces deux disciplines est difficile à mettre en place, lien qui est pourtant nécessaire pour établir l'impact sur la santé de la diffusion d'un produit dans la nature : c'est ce qui justifie la mise en place de coopérations interdisciplinaires.

La France dispose d'une quantité globale d'eau satisfaisante, mais très variable dans sa répartition. De nombreux travaux de recherche sont entrepris dans notre pays sur la gestion de l'eau en quantité comme en qualité, s'agissant notamment de la résistance des plantes au stress hydrique : je signale à cet égard que la forêt méditerranéenne est en danger de disparition au cours des décennies à venir. Plusieurs pistes, hybridation ou manipulations génétiques, se présentent aux chercheurs qui doivent pouvoir les explorer : le principe de précaution doit être un principe d'action, tout en contrôlant la sécurité d'utilisation. Nous effectuons des recherches sur le goutte-à-goutte, mais il n'y a pas de technique révolutionnaire : un système de goutte-à-goutte enterré apporte un gain de 20 % seulement.

Aucune solution n'est dépourvue d'inconvénients. Ainsi, la construction de retenues hydroélectriques, présentées comme une énergie propre, a pour effet une production de méthane comparable, en termes de gaz à effet de serre, aux émissions d'une centrale au charbon.

Il faut, dans tous les cas, diminuer l'impact environnemental des techniques employées. Nous travaillons ainsi avec le CEA sur l'utilisation du bois-énergie : mais cette ressource est difficile à mobiliser, aussi bien en raison du désintérêt ou des réticences des propriétaires qu'à cause de la difficulté à évacuer le bois. La réglementation doit être plus favorable à l'exploitation du bois. Les coupes opérées par l'Office national des forêts déclenchent des réactions diverses et parfois opposées : certains citoyens regrettent que des bois couchés demeurent sur la parcelle, tandis que d'autres s'opposent, au nom de la biodiversité, à l'extraction de la totalité du bois mort.

Il est donc nécessaire d'associer des chercheurs en sciences humaines et sociales dès le début des opérations afin de mieux formuler les questions et d'expliquer les enjeux dans toute leur complexité aux populations. La médaille d'innovation du CNRS a ainsi été attribuée à trois chercheurs, dont deux technologues mais aussi une économiste spécialisée dans l'aide au développement.

En matière d'organisation de la recherche, beaucoup de changements ont eu lieu depuis 2003, avec la création, par exemple, des réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA), des pôles de compétitivité ou encore des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES). Il existe donc aujourd'hui une grande cohérence, même s'il demeure nécessaire de renforcer l'axe recherche-enseignement supérieur.

Chaque organisme de recherche a sa raison d'être, avec ses spécificités. Ainsi, trois organismes sont actifs dans le domaine de l'eau, mais avec des compétences et des missions différentes. Le CEMAGREF dispose par exemple d'hydrologues mais pas de géologues. Il n'est donc pas souhaitable de fusionner l'ensemble des organismes.

Je pense cependant que, s'agissant des grands enjeux environnementaux, il est indispensable de regrouper les forces et d'assurer une forte visibilité : c'est bien l'objectif des Alliances. Le Gouvernement a proposé une stratégie nationale de recherche et d'innovation (SNRI). Pour chacun des enjeux figurant dans cette stratégie (santé, énergie, technologies de l'information et de la communication, environnement), une alliance regroupant l'ensemble des acteurs du monde de la recherche a été mise en place. L'Alliance nationale de recherche pour l'environnement est ainsi pilotée par le CEMAGREF qui joue un rôle pivot car il est impliqué dans l'ensemble des domaines.

L'ambition de l'Alliance est de coordonner et de permettre un dialogue entre les organismes. Toutes les décisions ne sont pas pour autant faciles à prendre. Je me réjouis cependant que, pour la première fois, l'Alliance ait transmis une lettre commune à l'ensemble de ses membres à l'Agence nationale de la recherche (ANR) définissant trois priorités de recherche. L'Alliance, qui s'est substituée à trois structures de coordination, dispose en tout cas d'une vraie visibilité, ce qui lui permet de jouer le rôle d'interface avec les ministères, les instances européennes ou la représentation nationale.

En conclusion, je souhaite rappeler que si certains chercheurs ont participé aux groupes mis en place lors du « Grenelle de l'environnement », la recherche en tant que telle en a été complètement absente. Elle aurait pourtant pu contribuer aux débats.

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