Intervention de Pierre Bernard-Reymond

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 octobre 2010 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire des conséquences des délais de traitement du contentieux de l'asile par la cour nationale du droit d'asile — Communication

Photo de Pierre Bernard-ReymondPierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial :

En 2002, il fallait à la Cour en moyenne 6 mois et 21 jours pour traiter un dossier. Sept ans plus tard, ce délai est en moyenne de 12 mois et 17 jours. C'est donc près d'un doublement du délai de jugement que la Cour a connu. Aucune modification de procédure ne justifie pourtant cet allongement.

Pourquoi donc alors ces délais ont-ils ainsi « dérapé » ?

L'évolution du nombre de dossiers transmis à la CNDA ne suffit pas, à lui seul, à expliquer l'allongement des délais. Certes, la hausse de plus de 16 % des demandes transmises à la CNDA, entre 2008 et 2009, n'est pas étrangère au retard pris par la juridiction l'année dernière. Toutefois, entre 2006 et 2008, les délais de jugement ont régulièrement augmenté, alors même que le nombre de recours enregistrés par la Cour avait diminué de près d'un tiers...

La raison de l'allongement des délais est donc plus vraisemblablement à chercher dans l'activité même de la CNDA. Ainsi, par exemple, le nombre de décisions rendues par la Cour a augmenté de près de 60 % entre 2004 et 2005, du fait notamment d'une politique de recrutement massif de rapporteurs contractuels. A l'inverse, entre 2008 et 2009, le nombre de dossiers traités par la Cour est passé de 25 029 à 20 240, soit une diminution de 19,1 %. Naturellement, cette baisse du nombre de dossiers traités pèse lourdement sur les délais de jugement.

L'un des enseignements de notre contrôle a été de découvrir que les modalités de mise en oeuvre de l'aide juridictionnelle devant la CNDA sont responsables d'une grande partie de l'allongement des délais. Avant la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, les demandeurs d'asile devaient prouver qu'ils étaient rentrés régulièrement sur le territoire français pour bénéficier de l'aide juridictionnelle. Souvent, ça n'était pas le cas ; il y avait donc peu de demandes d'aide juridictionnelle devant la CNDA. Suite à la loi de 2006, qui transposait une directive européenne, cette condition a été supprimée. Par conséquent, les demandes d'aide se sont généralisées, ainsi que la présence d'avocats, ce qui rallonge logiquement les débats.

En outre, un effet pervers caractérise l'application de ce dispositif. En effet, les requérants peuvent demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle à n'importe quel moment. En pratique, ils le font souvent devant la Cour, le jour de leur convocation pour l'examen de leur dossier. Dans ce cas, la juridiction est obligée de renvoyer l'affaire et d'attendre la décision du Bureau d'aide juridictionnelle. Cela rallonge d'autant la procédure, et il apparaît que 20 % des renvois prononcés par la CNDA résultent de ces demandes tardives.

La Cour est également amenée, pour d'autres raisons, à prononcer des renvois qui sont à chaque fois des facteurs d'allongement des procédures. C'est le cas notamment des renvois pour indisponibilité de l'avocat. Nous avons constaté que le tarif des aides juridictionnelles ne fait pas du contentieux de l'asile une activité très rémunératrice pour les avocats (182 euros par dossier). Par conséquent, peu d'avocats plaident devant la CNDA et ceux qui acceptent de le faire sont extrêmement sollicités. Il arrive donc relativement fréquemment qu'ils ne soient pas disponibles et, dans ce cas, ils rencontrent des difficultés pour se faire substituer par d'autres avocats. Par conséquent, de nombreux renvois d'affaires sont prononcés pour ce motif.

Enfin, les renvois pour raisons de santé sont également fréquents, du fait d'une fragilité certaine de la population des requérants.

Ces délais de jugement devant la CNDA ont des conséquences budgétaires majeures sur la mission « Immigration, asile et intégration ».

Tout d'abord, le stock des demandes d'asile en cours de traitement pèse sur le financement de la politique d'hébergement des demandeurs d'asile. Ceux-ci bénéficient en effet, dans l'attente du jugement de la CNDA, soit d'un hébergement dans des Centres d'accueil des demandeurs d'asile (les CADA), soit, dans certains cas ou s'il n'y a pas de places disponibles, dans des dispositifs d'hébergement d'urgence également financés par le ministère de l'immigration.

Or, le coût mensuel d'hébergement en CADA des demandeurs en attente d'une décision de la CNDA s'élève à 8,6 millions d'euros. Par ailleurs, le coût de l'hébergement d'urgence pour les mêmes bénéficiaires se monte à 3,1 millions d'euros, soit au total 11,7 millions d'euros par mois.

Par ailleurs, ceux qui ne peuvent pas bénéficier du dispositif d'hébergement perçoivent une Allocation temporaire d'attente (ATA) fixée à 325 euros par mois et par demandeur d'asile adulte. Au total, le coût mensuel de l'ATA atteint 4,55 millions d'euros.

S'ajoutent à ces lignes budgétaires facilement identifiables des coûts annexes, que l'on ne peut chiffrer. Ainsi, les demandeurs d'asile bénéficient de l'aide médicale d'Etat (AME) pour la prise en charge de leurs frais de santé. Les enfants de demandeurs d'asile sont par ailleurs, et fort heureusement, accueillis dans les établissements scolaires, ce qui a également un coût.

Au total, sans compter ces dépenses sociales et d'éducation, le coût mensuel de la prise en charge des demandeurs d'asile en attente d'une décision de la CNDA s'élève à environ 16,25 millions d'euros. Il ressort donc de nos travaux qu'une réduction de six mois des délais de traitement des dossiers - réduction que la Cour estime possible - permettrait une économie de 97,5 millions d'euros sur la mission « Immigration, asile et intégration ».

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