Intervention de Hubert Védrine

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 février 2008 : 1ère réunion
La france et la mondialisation — Audition de M. Hubert Védrine ancien ministre des affaires étrangères

Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères :

a précisé que la première partie de son rapport portait sur l'attitude de la France face à la mondialisation économique. Il y préconisait de passer d'une méfiance stérile à un dynamisme offensif, grâce à une combinaison de politiques d'adaptations, de réformes, de protections et de régulations. La seconde partie du rapport évaluait, quant à elle, l'opportunité de maintenir ou, au contraire, d'infléchir, les grandes orientations de la politique étrangère de notre pays.

a rappelé que les axes fondamentaux de la politique étrangère française avaient été définis par le général de Gaulle au cours de son second mandat. Constatant l'impossibilité de constituer un « Directoire » où il souhaitait voir la France associée aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne, il avait décidé, en 1966, de suspendre notre participation aux organes intégrés de l'Alliance atlantique. De là date, vis-à-vis des Etats-Unis, une posture que l'on peut résumer par la formule « amis, alliés, pas alignés ». Elle a constitué, depuis lors, pour la politique étrangère française, un fil conducteur dont aucun Président de la République ne s'est jusqu'ici véritablement écarté. La France a eu sa propre politique.

a identifié deux courants de pensée désireux, malgré cela, de remettre en cause ces constantes de la politique étrangère française. Le premier courant qui a été important et que l'on peut qualifier d'européiste, considère que les politiques étrangères nationales sont un vestige du passé et sont appelées à disparaître au profit d'une politique étrangère européenne commune. Toutefois, presque aucun dirigeant européen ne défend encore aujourd'hui cette thèse maximaliste, qui ne s'est pas vérifiée dans la réalité de la construction européenne. L'autre courant, beaucoup plus fort, allie l'atlantisme classique, attaché à la solidarité entre l'Europe et les Etats-Unis, leader de l'alliance, et un « occidentalisme » plus récent, inspiré par les néo-conservateurs américains, qui met l'accent sur une communauté de valeurs distinguant nettement l'Occident du reste du monde et qui prône un interventionnisme qui a été la caractéristique du premier mandat du président Bush.

a ensuite abordé la question du « retour » de la France dans l'OTAN, étant précisé que notre pays n'a jamais quitté l'Alliance, qu'il y a notablement renforcé son implication ces dernières années, mais qu'il ne participe toujours pas à l'intégralité des organes de direction et des structures militaires.

Il a estimé qu'une normalisation de la position française apporterait peu de bénéfices au plan militaire, et qu'elle pourrait, en revanche, comporter un coût politique élevé, car elle serait très certainement perçue dans le monde comme un alignement de la France sur les Etats-Unis. Cette impression ne pourrait être gommée que si était engagée réellement, dans le même temps, une réforme en profondeur de l'OTAN.

a souligné que le Président de la République avait clairement lié une éventuelle évolution de la position française à la rénovation de l'Alliance, avec notamment l'affirmation, en son sein, d'un pilier européen plus affirmé. Cette démarche est assez proche de celle qu'avait tentée le président Chirac en 1995-1996. Il faut cependant constater que les Etats-Unis n'ont jamais réellement levé leurs réticences vis-à-vis d'une plus grande autonomie de l'Europe en matière de défense. De plus, nos partenaires européens demeurent hésitants face à une évolution qui impliquerait un effort financier beaucoup plus élevé en matière de défense, ainsi qu'une prise de responsabilité et de risques beaucoup plus importante.

a rappelé les circonstances de l'accord de Saint-Malo, en 1998, qui a permis tous les développements ultérieurs de la politique européenne de sécurité et de défense. Jusqu'alors, la Grande-Bretagne considérait que la défense relevait exclusivement de l'Alliance atlantique, alors que la France ambitionnait de construire une défense européenne indépendante de l'OTAN. Le compromis de Saint-Malo permettrait le développement d'une défense européenne, l'alliance restant le cadre de la défense collective.

a estimé qu'il n'y avait, à ses yeux, rien de contestable, a priori, à ce que la France se déclare disponible pour reprendre une place pleine et entière dans les organes d'une Alliance atlantique rénovée, dès lors que ce positionnement constituerait un levier pour faire surgir un véritable pilier européen au sein de l'Alliance. Il s'est toutefois interrogé sur les chances de réussite de cette démarche, compte tenu de l'approche américaine traditionnelle et de la position de nombreux pays européens qui se satisfont pleinement du statu quo. Il a estimé qu'en tout état de cause cette démarche ne paraissait pas pouvoir aboutir rapidement.

a également suggéré que la question du statut de la France dans l'OTAN soit considérée en relation avec l'évolution en cours de la nature et des missions de l'OTAN. Il a mentionné, à cet égard, l'élargissement géographique de l'Alliance et son intervention hors de la zone euro-atlantique, les Etats-Unis souhaitant la transformer en bras armé de la sécurité occidentale à l'échelle mondiale. Il a déploré l'absence de débat public et parlementaire sur cette transformation progressive de l'OTAN dans les pays alliés concernés.

Sur un plan plus général, M. Hubert Védrine a estimé que, fait nouveau depuis cinq siècles, les occidentaux perdent le monopole de l'histoire et de la puissance ainsi que de leur primauté absolue en termes économiques et stratégiques, et qu'ils doivent se préparer à gérer cette mutation difficile.

a ensuite évoqué les perspectives des élections américaines et de changement d'administration à Washington. L'un des défis majeurs lancés à la diplomatie américaine sera celui des relations avec les puissances émergentes, dans un monde devenu multipolaire, même si les Etats-Unis restent prédominants, monde qui n'en sera pas pour autant plus stable ou plus amical. Ainsi, faudra-t-il considérer la Chine ou la Russie comme de simples marchés, des partenaires possibles ou des concurrents, voire comme la source de nouveaux risques ou de nouvelles menaces ? Cela nécessitera un choix clair. L'une des interrogations porte également sur le choix des Etats-Unis de se lancer ou non dans la révolution écologique. L'attitude américaine envers les alliés est un autre point important pour nous.

a ensuite souligné l'intérêt pour les Européens de définir ensemble ce qu'ils attendent de la future administration américaine afin de proposer, au printemps 2009, une approche homogène sur des dossiers précis. La présidence française de l'Union européenne, au second semestre 2008, pourrait être mise à profit pour cette préparation.

Abordant le projet de l'Union de la Méditerranée, M. Hubert Védrine a rappelé la pertinence de l'analyse initiale du besoin qui repose sur la lassitude des pays du sud de la Méditerranée face à ce qu'ils considèrent comme une forme de paternalisme imposant des politiques élaborées par le nord. Une preuve en est qu'il n'y ait eu pratiquement aucun représentant des pays du sud pour le 10e anniversaire du processus de Barcelone. Il a toutefois fait remarquer que la présentation de cette ambition, les termes employés et la méthode retenue étaient apparus, notamment à l'Allemagne et à la Commission, comme la volonté de créer une nouvelle structure autonome potentiellement concurrente de l'Union européenne, d'où le vif désaccord actuel.

Il est malgré tout vraisemblablement possible d'atteindre cet objectif en le recentrant sur de grands projets concrets et en renonçant à une dimension institutionnelle trop ambitieuse, faute de quoi on prenait le risque d'un échec lors de la réunion de juillet 2008.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion