Intervention de Hubert Védrine

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 février 2008 : 1ère réunion
La france et la mondialisation — Audition de M. Hubert Védrine ancien ministre des affaires étrangères

Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères :

En réponse, M. Hubert Védrine a apporté les éléments suivants :

- il convient d'être, non pas pessimiste, mais interrogatif sur la volonté des Européens à faire de l'Union européenne une vraie puissance, ce qui ne se fera pas par plus d'intégration, celle-ci étant appelée à se stabiliser avec le traité de Lisbonne ;

- s'agissant de l'évolution de l'OTAN et de la vision du monde, l'émergence d'un courant « occidentaliste » aux Etats-Unis, en Europe et en France est indéniable ; ce courant est fondé sur la volonté de constituer un bloc des démocraties pouvant pallier les carences de l'ONU ou la contourner, élargir le système de sécurité, via l'OTAN ou autre, à des alliés fiables comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Japon, voire Israël, sous prétexte de conjurer la menace constituée par un « choc des civilisations », notamment Islam-Occident. Or la constitution d'un tel « bloc occidental » s'inscrirait dans la logique du « clash » que l'on prétend conjurer. Une autre politique doit être préférée ;

- la vraie compensation que pourrait obtenir la France à son éventuelle réintégration dans les organes intégrés de l'OTAN consisterait dans l'établissement d'un partenariat euro-atlantique, équilibré au sein de l'alliance entre Etats-Unis et pilier européen, au sein duquel non seulement les dépenses, mais également le pouvoir, seraient partagés ; si ce changement n'était pas obtenu, le coût diplomatique du retour serait disproportionné pour la France ;

- sur la Russie, l'Occident a entretenu des illusions sur sa capacité à évoluer rapidement vers la démocratie après la chute de l'URSS, et le système politique mis en place par Vladimir Poutine est appelé à durer. La Russie se démocratisera et se développera à son rythme et aura ses méthodes propres. La popularité du président Poutine est réelle dans son pays, car elle exprime la volonté de retrouver une vraie place pour la Russie sur la scène internationale. Cette volonté est notamment appuyée sur les atouts énergétiques possédés par Moscou. Face à l'émergence de ce nationalisme, notamment énergétique -qui n'a rien à voir avec la guerre froide- l'Europe fait preuve de divisions profondes entre ses membres les plus anciens, et les nouveaux entrants comme la Pologne ou les Pays baltes. La priorité porte donc sur l'élaboration d'une approche européenne homogène de la question russe, notamment dans le domaine énergétique. La prochaine présidence française de l'Union européenne devrait concourir à un tel objectif. L'Europe doit montrer une capacité de fermeté et de résistance envers la Russie, comme envers la Chine, pour faire respecter ses intérêts, en particulier au travers de l'Organisation mondiale du commerce et autrement. Il y a urgence à faire montre d'une politique européenne à la fois ferme et unie, faute de quoi la dynamique russe restera la plus forte ;

- il n'est pas certain que le projet de bouclier anti-missiles soit poursuivi après le départ de l'actuel président américain du pouvoir. Ce projet, que l'on peut analyser comme un sous-produit croisé de l'obsession iranienne, souffre d'une absence de justifications théoriques, politiques et militaires. Il attise les craintes russes -ou il leur donne des prétextes- et a été lancé sans les nécessaires explications attendues au sein de l'OTAN et de l'Union européenne. M. Hubert Védrine a réitéré son appui aux analyses et recommandations du rapport Baker-Hamilton sur l'attitude qu'il conviendrait d'adopter envers l'Iran ;

- le continent africain est déjà englobé dans la mondialisation économique et politique, qui lui ouvre des perspectives plus larges que ses relations antérieurement limitées aux anciennes métropoles coloniales et à l'Union européenne pour l'essentiel. La France doit continuer à avoir une politique envers l'Afrique, à condition de lui donner une nouvelle légitimité par l'application, dans les faits, d'un réel partenariat, qui passerait par une large et durable discussion avec les responsables et les élites africains. Cette initiative permettrait une clarification des priorités africaines de la France envers l'Europe, et intéresserait aussi les pays européens qui ont une expérience et une politique africaine, comme le Royaume-Uni, l'Italie, le Portugal, l'Allemagne, la Suède ;

- le monde peut être à la fois multipolaire et instable. On ne sait pas, en Asie, comment évoluera le rapport de forces entre l'Inde, le Japon, les Etats-Unis et, par ailleurs, la Chine. L'Europe, quant à elle, est marquée par l'incertitude de sa vision géopolitique. Le continent européen est, en effet, caractérisé par son aspiration, depuis la deuxième guerre mondiale, à un monde post-tragique qui se traduit par un refus de la puissance. Or il faut que l'Europe soit un pôle dans ce monde multipolaire. Les responsables européens doivent s'interroger sur les modalités à retenir pour éclairer leurs opinions publiques sur les réalités actuelles, sans pour autant les inquiéter. C'est par cette prise de conscience que pourra émerger une politique étrangère européenne coordonnée, capable de se faire respecter, tant par la Chine qui viole ses engagements OMC en matière de propriété intellectuelle, que par une Russie qui recourt à la menace énergétique. C'est une attitude ferme et durable qui pourra instaurer des rapports de force favorables aux pays européens ;

- pour se constituer comme un pôle respecté dans le monde, l'Europe doit donc émerger comme un partenaire crédible, notamment face aux Etats-Unis. Citant le livre de M. Edouard Balladur sur « Une union entre l'Europe et les Etats-Unis », il a marqué son accord, mais il a rappelé que les Etats-Unis avaient toujours voulu un partage du fardeau financier, mais sans partage des responsabilités et du pouvoir, et que les Européens hésitaient, de leur côté, à prendre de nouvelles responsabilités.

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