Intervention de Jean-Louis Falconi

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 juin 2010 : 2ème réunion
Politique de sécurité et de défense commune — Audition de M. Jean-Louis Falconi représentant de la france auprès du comité politique et de sécurité de l'union européenne

Jean-Louis Falconi, Ambassadeur, représentant permanent de la France au Comité politique et de sécurité de l'Union européenne :

Merci Monsieur le Président. Je vais tenter d'apporter mon témoignage sur les évolutions en cours à Bruxelles à propos des différents sujets que vous avez évoqués. Je me permets de préciser que parallèlement à ma fonction auprès de l'Union européenne, je suis également le représentant de la France auprès de l'Union de l'Europe occidentale (UEO). Je serai d'ailleurs le dernier titulaire du poste, puisque cette organisation disparaîtra à l'été 2011, la France ayant d'ailleurs déjà fait parvenir son instrument de dénonciation du Traité de Bruxelles.

En ce qui concerne le contexte institutionnel, il est aujourd'hui difficile de porter une appréciation définitive, dans la mesure où beaucoup de paramètres évoluent en même temps.

Le traité de Lisbonne offre des outils plus puissants pour la PSDC. Il prévoit la possibilité de coopérations structurées permanentes. Il consacre le rôle de l'Agence européenne de défense. L'existence d'un Conseil des ministres de la défense n'est pas prévue dans le traité, mais on s'achemine dans cette direction. Enfin, la nouvelle fonction de Haut représentant constitue une évolution majeure, de même que la création du Service européen pour l'action extérieure, structure sui generis qui ne relève totalement ni du Conseil, ni de la Commission, mais doit réunir des agents du Conseil et de la Commission ainsi que des diplomates des Etats membres. Ce nouveau cadre institutionnel ouvre donc des potentialités pour la PSDC.

La crise économique et financière incite à développer la mutualisation des moyens, dans une logique européenne, mais elle restreint les contributions que chaque Etat membre peut apporter à la défense européenne.

Enfin, le rôle des autres acteurs internationaux évolue. L'OSCE a vocation à devenir un espace de sécurité renforcé. L'OTAN redéfinit son concept stratégique.

Pour être franc avec vous, nous sommes donc dans une période d'incertitudes qui ne permet pas de porter de jugement certain sur le développement de la PSDC.

Alors que la situation internationale et les crises n'attendent pas, les instruments que j'ai cités ne sont pas encore en place. Nous sommes engagés avec le Parlement européen dans des négociations difficiles sur le Service européen pour l'action extérieure, dont il faut bien avoir conscience qu'il représente aussi une révolution sans équivalent pour les institutions européennes. J'ai pris connaissance de la résolution du Sénat à ce sujet et je crois que vos objectifs sont ceux que poursuit le gouvernement français. Nous sommes très vigilants sur les modalités d'intégration à ce service des structures de gestion de crises européennes, sur la place des diplomates nationaux, sur le fait que ce service ne doit pas être l'instrument de la Commission. La France a beaucoup milité pour la création d'une direction de la gestion de crise et de la planification. C'est un outil essentiel pour favoriser une vision stratégique de la gestion des crises, intégrant les dimensions civile et militaire. Mais cette direction, déterminante dans le développement de la PSDC, ne peut pas encore être concrètement mise en place, car elle est suspendue à son intégration au Service européen pour l'action extérieure.

En matière de politique étrangère et de sécurité, le Haut représentant s'est substitué à la présidence tournante. Dans notre esprit et selon le traité, le Haut représentant incarne une capacité de proposition autonome, à côté de celle des Etats membres, au service d'une Europe politique dans le domaine des affaires étrangères et de la défense, à l'image du rôle de la Commission dans les matières communautaires. Le Haut représentant n'est pas encore cette force d'initiative que nous souhaitons et la réaction européenne à la crise haïtienne en fut un exemple. La mise en place du SEAE doit le doter de la plénitude des moyens prévus par le traité de Lisbonne pour l'exercice de cette fonction d'impulsion.

Pour résumer, les potentialités offertes par le traité de Lisbonne ne sont pas encore exploitées.

Pour autant, il faut noter des évolutions positives et encourageantes.

Au cours de ces dernières semaines, Mme Catherine Ashton s'est fortement impliquée auprès des pays africains sur le dossier de la lutte contre la piraterie. Elle s'est rendue Au Kenya, en Tanzanie et aux Seychelles pour accélérer la mise en place d'un cadre judiciaire permettant le jugement de pirates.

Mme Ashton a également pleinement joué son rôle sur la crise de Gaza. Elle a présenté au conseil des ministres des affaires étrangères de lundi dernier une palette d'options incluant l'établissement d'une liste négative de biens à destination de Gaza, la réactivation de la mission de surveillance de l'Union européenne au point-frontière de Rafah (EUBAM), voire même une mission navale.

Autre point positif, la volonté politique des Etats-membres existe. De manière générale, la France est toujours active, sa volonté et son engagement dans la PSDC sont sans faille et elle est présente dans pratiquement toutes les missions. Mais on constate une volonté d'action de la part de bien d'autres Etats membres. La Belgique, la Hongrie et la Pologne, qui exerceront les prochaines présidences tournantes, on fait savoir qu'elles prendraient des initiatives pour renforcer la PSDC. Dans le cadre du triangle de Weimar, les ministres des affaires étrangères et de la défense allemands, français et polonais, réfléchissent également à des propositions. Enfin, j'ai été frappé de constater que cinq Etats, la Finlande, l'Estonie, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie, ont évoqué la possibilité d'utiliser les instruments de la PSDC à propos de la crise du Kirghizistan.

La défense européenne reste également active au travers des opérations, qui en sont la manifestation la plus concrète. Nous avons actuellement 10 missions civiles et 3 missions militaires en cours.

Vous avez mentionné, Monsieur le Président, l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie. L'Union européenne est aujourd'hui la seule organisation internationale capable de couvrir tous les volets de cette action : le soutien politique et économique, les opérations navales, qui ont été efficaces puisqu'il n'y a pratiquement plus d'actes de piraterie menés avec succès, les suites judiciaires. Vous avez également mentionné l'opération EUTM par laquelle 130 instructeurs européens vont former 2 000 soldats somaliens en Ouganda. Cela témoigne que de nouvelles opérations européennes sont régulièrement engagées.

L'opération Atalanta est dirigée par un amiral britannique depuis le quartier général de Northwood. M. William Hague a confirmé que le Royaume-Uni continuerait à diriger cette opération ; il a donné son accord pour que cette opération militaire de la PSDC soit prolongée pour deux ans. Enfin, le commandement local en reviendra à la France à compter du mois d'août.

Il faut aussi souligner l'importance de notre mission de police au Kosovo. L'opération Eulex évolue, avec une dimension de plus en plus politique.

Enfin, j'ai déjà évoqué la possibilité de relancer l'opération EUBAM à Rafah, suspendue après la fermeture de la frontière qui avait suivi la prise du pouvoir du Hamas à Gaza.

Vous m'avez également invité, Monsieur le Président, à évoquer les capacités. Il est vrai que l'Agence européenne de défense dispose d'un budget très faible - 30 millions d'euros - dont l'augmentation est refusée par le Royaume-Uni et l'Allemagne.

Nous sommes toujours dans l'incertitude sur la position que prendra le gouvernement britannique à l'égard de l'AED. On peut penser que la position de Londres sera clarifiée après l'adoption de la Strategic Defense Review qui va être menée dans les prochains mois et je suis optimiste. Mais jusqu'à présent, l'attitude du Royaume-Uni a été essentiellement inspirée par des considérations politiques et on peut regretter que les Britanniques n'aient pas plus contribué à alimenter l'Agence en projets utiles à leur défense et à celle des Européens.

L'AED se trouvera face à une autre échéance importante cet automne : l'échéance du mandat de l'actuel directeur, allemand, qui avait lui-même succédé à un Britannique.

L'AED mène des projets utiles, comme un projet franco-allemand d'hélicoptère lourd ou des recherches sur la protection NRBC. La possibilité d'utiliser le 8ème programme-cadre de recherche et développement (PCRD°) au profit de la recherche de défense est évoquée, mais il y a un certain nombre d'hypothèques à lever, notamment le cadrage financier de ce programme. L'AED travaille également conjointement avec le commandement de l'OTAN pour la transformation (ACT) dans les domaines de la lutte contre les engins explosifs improvisés et du soutien médical.

J'en viens à la question du contrôle parlementaire de la PSDC que vous avez évoquée. Comme vous, je pense qu'il faut éviter qu'un vide ne se crée. L'actuel président de l'Assemblée parlementaire de l'UEO, M. Robert Walter, a salué les propositions du Sénat. Les parlements les plus motivés pourraient prendre l'initiative en vue de mettre en place une nouvelle formule à compter de 2011. Il faudra toutefois définir la place qu'y occupera le Parlement européen. Celui-ci dispose déjà d'une structure stable, multinationale par nature, proche des centres de décision européens et assortie de moyens importants. Il estime ne pas pouvoir se satisfaire d'une représentation équivalente à celle d'un simple Etat membre dans une nouvelle structure interparlementaire. Les Parlements nationaux, qui sont compétents sur les sujets de défense, doivent donc rapidement se mobiliser pour faire des propositions sans lesquelles le Parlement européen souhaitera rapidement occuper le vide qui se créé.

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