Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Jean-Louis Falconi, Représentant de la France auprès du Comité politique et de sécurité de l'Union européenne (COPS), sur la politique de sécurité et de défense commune.
Nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Louis Falconi, Ambassadeur, représentant de la France au Comité politique et de sécurité (COPS) de l'Union européenne.
Je vous remercie d'avoir bien voulu évoquer devant notre commission l'actualité de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
Cette PSDC traverse incontestablement aujourd'hui une période de doute, du moins pour ceux qui aspiraient à un certain niveau d'ambition en matière de capacités d'action autonome et de rapprochement des politiques de défense. La volonté politique est très inégalement partagée entre les différents Etats-membres qui consacrent en outre des moyens limités à la défense. L'impact de la crise économique et financière accentue les inquiétudes sur le devenir des capacités de défense en Europe.
Nous souhaiterions en premier lieu faire le point sur les aspects institutionnels. Le traité de Lisbonne instaure un nouveau cadre, avec l'institution du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la création du service européen pour l'action extérieure, qui doit intégrer certaines structures en charge de la politique de sécurité et de défense, l'extension des coopérations renforcées au domaine de la défense, la possibilité de coopérations structurées permanentes, la clause de solidarité et la clause d'assistance.
Quelles sont, d'ores et déjà, les incidences de ces nouvelles dispositions sur la conduite et le développement de la PSDC ? Quelles sont les perspectives ouvertes par ces nouveaux outils ?
Deuxièmement, je souhaiterais que nous évoquions les opérations, qui ont été ces dernières années la traduction la plus concrète et la plus utile de l'Europe de la défense. L'opération Atalanta de lutte contre la piraterie est un succès. L'Union européenne a également lancé une opération de formation au profit de la Somalie. Pourriez-vous dire quelques mots sur les opérations actuellement conduites par l'Union européenne et sur les perspectives d'évolution ?
Notre troisième domaine d'intérêt porte sur le développement des capacités européennes. Sous la présidence française, un certain nombre d'initiatives capacitaires ont été annoncées, notamment en matière de transport aérien ou de renseignement spatial. L'Agence européenne de défense a établi un plan de développement des capacités. Nous avons cependant le sentiment que les coopérations concrètes, qui seraient indispensables en cette période difficile budgétairement, ont peu progressé, que ce soit en termes de mutualisation des moyens ou de programmes d'équipement européens. Le rôle de l'AED paraît marginal et elle est de surcroît fragilisée par l'hostilité latente des Britanniques. Son action en matière de recherche est très limitée. On évoquait la possibilité d'ouvrir au domaine de la défense, les fonds importants que la Commission consacre à la recherche civile. Où en est-on ?
Enfin, nous pourrions également évoquer la question du suivi parlementaire de la PSDC. La disparition prochaine de l'Assemblée de l'UEO se situe dans la logique de l'évolution institutionnelle, mais il paraît indispensable que les Parlements nationaux demeurent en prise sur la conduite de la PSDC. Nous avons fait des propositions allant en ce sens, sans vouloir recréer une Assemblée interparlementaire. Nous souhaiterions connaître votre sentiment sur ce point.
Merci Monsieur le Président. Je vais tenter d'apporter mon témoignage sur les évolutions en cours à Bruxelles à propos des différents sujets que vous avez évoqués. Je me permets de préciser que parallèlement à ma fonction auprès de l'Union européenne, je suis également le représentant de la France auprès de l'Union de l'Europe occidentale (UEO). Je serai d'ailleurs le dernier titulaire du poste, puisque cette organisation disparaîtra à l'été 2011, la France ayant d'ailleurs déjà fait parvenir son instrument de dénonciation du Traité de Bruxelles.
En ce qui concerne le contexte institutionnel, il est aujourd'hui difficile de porter une appréciation définitive, dans la mesure où beaucoup de paramètres évoluent en même temps.
Le traité de Lisbonne offre des outils plus puissants pour la PSDC. Il prévoit la possibilité de coopérations structurées permanentes. Il consacre le rôle de l'Agence européenne de défense. L'existence d'un Conseil des ministres de la défense n'est pas prévue dans le traité, mais on s'achemine dans cette direction. Enfin, la nouvelle fonction de Haut représentant constitue une évolution majeure, de même que la création du Service européen pour l'action extérieure, structure sui generis qui ne relève totalement ni du Conseil, ni de la Commission, mais doit réunir des agents du Conseil et de la Commission ainsi que des diplomates des Etats membres. Ce nouveau cadre institutionnel ouvre donc des potentialités pour la PSDC.
La crise économique et financière incite à développer la mutualisation des moyens, dans une logique européenne, mais elle restreint les contributions que chaque Etat membre peut apporter à la défense européenne.
Enfin, le rôle des autres acteurs internationaux évolue. L'OSCE a vocation à devenir un espace de sécurité renforcé. L'OTAN redéfinit son concept stratégique.
Pour être franc avec vous, nous sommes donc dans une période d'incertitudes qui ne permet pas de porter de jugement certain sur le développement de la PSDC.
Alors que la situation internationale et les crises n'attendent pas, les instruments que j'ai cités ne sont pas encore en place. Nous sommes engagés avec le Parlement européen dans des négociations difficiles sur le Service européen pour l'action extérieure, dont il faut bien avoir conscience qu'il représente aussi une révolution sans équivalent pour les institutions européennes. J'ai pris connaissance de la résolution du Sénat à ce sujet et je crois que vos objectifs sont ceux que poursuit le gouvernement français. Nous sommes très vigilants sur les modalités d'intégration à ce service des structures de gestion de crises européennes, sur la place des diplomates nationaux, sur le fait que ce service ne doit pas être l'instrument de la Commission. La France a beaucoup milité pour la création d'une direction de la gestion de crise et de la planification. C'est un outil essentiel pour favoriser une vision stratégique de la gestion des crises, intégrant les dimensions civile et militaire. Mais cette direction, déterminante dans le développement de la PSDC, ne peut pas encore être concrètement mise en place, car elle est suspendue à son intégration au Service européen pour l'action extérieure.
En matière de politique étrangère et de sécurité, le Haut représentant s'est substitué à la présidence tournante. Dans notre esprit et selon le traité, le Haut représentant incarne une capacité de proposition autonome, à côté de celle des Etats membres, au service d'une Europe politique dans le domaine des affaires étrangères et de la défense, à l'image du rôle de la Commission dans les matières communautaires. Le Haut représentant n'est pas encore cette force d'initiative que nous souhaitons et la réaction européenne à la crise haïtienne en fut un exemple. La mise en place du SEAE doit le doter de la plénitude des moyens prévus par le traité de Lisbonne pour l'exercice de cette fonction d'impulsion.
Pour résumer, les potentialités offertes par le traité de Lisbonne ne sont pas encore exploitées.
Pour autant, il faut noter des évolutions positives et encourageantes.
Au cours de ces dernières semaines, Mme Catherine Ashton s'est fortement impliquée auprès des pays africains sur le dossier de la lutte contre la piraterie. Elle s'est rendue Au Kenya, en Tanzanie et aux Seychelles pour accélérer la mise en place d'un cadre judiciaire permettant le jugement de pirates.
Mme Ashton a également pleinement joué son rôle sur la crise de Gaza. Elle a présenté au conseil des ministres des affaires étrangères de lundi dernier une palette d'options incluant l'établissement d'une liste négative de biens à destination de Gaza, la réactivation de la mission de surveillance de l'Union européenne au point-frontière de Rafah (EUBAM), voire même une mission navale.
Autre point positif, la volonté politique des Etats-membres existe. De manière générale, la France est toujours active, sa volonté et son engagement dans la PSDC sont sans faille et elle est présente dans pratiquement toutes les missions. Mais on constate une volonté d'action de la part de bien d'autres Etats membres. La Belgique, la Hongrie et la Pologne, qui exerceront les prochaines présidences tournantes, on fait savoir qu'elles prendraient des initiatives pour renforcer la PSDC. Dans le cadre du triangle de Weimar, les ministres des affaires étrangères et de la défense allemands, français et polonais, réfléchissent également à des propositions. Enfin, j'ai été frappé de constater que cinq Etats, la Finlande, l'Estonie, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie, ont évoqué la possibilité d'utiliser les instruments de la PSDC à propos de la crise du Kirghizistan.
La défense européenne reste également active au travers des opérations, qui en sont la manifestation la plus concrète. Nous avons actuellement 10 missions civiles et 3 missions militaires en cours.
Vous avez mentionné, Monsieur le Président, l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie. L'Union européenne est aujourd'hui la seule organisation internationale capable de couvrir tous les volets de cette action : le soutien politique et économique, les opérations navales, qui ont été efficaces puisqu'il n'y a pratiquement plus d'actes de piraterie menés avec succès, les suites judiciaires. Vous avez également mentionné l'opération EUTM par laquelle 130 instructeurs européens vont former 2 000 soldats somaliens en Ouganda. Cela témoigne que de nouvelles opérations européennes sont régulièrement engagées.
L'opération Atalanta est dirigée par un amiral britannique depuis le quartier général de Northwood. M. William Hague a confirmé que le Royaume-Uni continuerait à diriger cette opération ; il a donné son accord pour que cette opération militaire de la PSDC soit prolongée pour deux ans. Enfin, le commandement local en reviendra à la France à compter du mois d'août.
Il faut aussi souligner l'importance de notre mission de police au Kosovo. L'opération Eulex évolue, avec une dimension de plus en plus politique.
Enfin, j'ai déjà évoqué la possibilité de relancer l'opération EUBAM à Rafah, suspendue après la fermeture de la frontière qui avait suivi la prise du pouvoir du Hamas à Gaza.
Vous m'avez également invité, Monsieur le Président, à évoquer les capacités. Il est vrai que l'Agence européenne de défense dispose d'un budget très faible - 30 millions d'euros - dont l'augmentation est refusée par le Royaume-Uni et l'Allemagne.
Nous sommes toujours dans l'incertitude sur la position que prendra le gouvernement britannique à l'égard de l'AED. On peut penser que la position de Londres sera clarifiée après l'adoption de la Strategic Defense Review qui va être menée dans les prochains mois et je suis optimiste. Mais jusqu'à présent, l'attitude du Royaume-Uni a été essentiellement inspirée par des considérations politiques et on peut regretter que les Britanniques n'aient pas plus contribué à alimenter l'Agence en projets utiles à leur défense et à celle des Européens.
L'AED se trouvera face à une autre échéance importante cet automne : l'échéance du mandat de l'actuel directeur, allemand, qui avait lui-même succédé à un Britannique.
L'AED mène des projets utiles, comme un projet franco-allemand d'hélicoptère lourd ou des recherches sur la protection NRBC. La possibilité d'utiliser le 8ème programme-cadre de recherche et développement (PCRD°) au profit de la recherche de défense est évoquée, mais il y a un certain nombre d'hypothèques à lever, notamment le cadrage financier de ce programme. L'AED travaille également conjointement avec le commandement de l'OTAN pour la transformation (ACT) dans les domaines de la lutte contre les engins explosifs improvisés et du soutien médical.
J'en viens à la question du contrôle parlementaire de la PSDC que vous avez évoquée. Comme vous, je pense qu'il faut éviter qu'un vide ne se crée. L'actuel président de l'Assemblée parlementaire de l'UEO, M. Robert Walter, a salué les propositions du Sénat. Les parlements les plus motivés pourraient prendre l'initiative en vue de mettre en place une nouvelle formule à compter de 2011. Il faudra toutefois définir la place qu'y occupera le Parlement européen. Celui-ci dispose déjà d'une structure stable, multinationale par nature, proche des centres de décision européens et assortie de moyens importants. Il estime ne pas pouvoir se satisfaire d'une représentation équivalente à celle d'un simple Etat membre dans une nouvelle structure interparlementaire. Les Parlements nationaux, qui sont compétents sur les sujets de défense, doivent donc rapidement se mobiliser pour faire des propositions sans lesquelles le Parlement européen souhaitera rapidement occuper le vide qui se créé.
Vos propos n'incitent guère à l'optimisme. Alors que le Président de la République avait subordonné le retour plein et entier de la France au sein des structures de commandement de l'OTAN à des avancées substantielles de la défense européenne, on constate aujourd'hui l'absence de tout véritable progrès de la PSDC.
Après cette remarque, je souhaiterais vous poser trois questions.
Qu'en est-il de la mise en place d'un véritable Conseil des ministres de la défense européens ?
Quelles sont les perspectives concernant la création d'un quartier général européen permanent ?
Enfin, où en sommes-nous en ce qui concerne les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ? J'ai relevé les propos tenus par le Secrétaire général de l'OTAN, lors de sa rencontre le 25 mai dernier avec la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, selon lesquels l'Union européenne devrait permettre la participation de pays tiers à la PSDC, y compris la participation au processus de décision, en faisant référence à la Turquie. Je n'ai toutefois pas eu connaissance de la réponse de l'Union européenne à cette proposition.
Tout en voulant porter un regard objectif et lucide sur le contexte général actuel de transition qui n'est guère propice à des avancées conceptuelles immédiates sur la PSDC, je me suis néanmoins efforcé de souligner dans mon intervention les signaux positifs que constituent à mes yeux des éléments tels que le récent déplacement en Afrique de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ses propositions concernant le rôle de l'Union européenne au Proche Orient ou encore le prolongement de deux ans de l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie maritime. Je ne voudrais donc pas vous laisser le sentiment que la PSDC n'avance pas. Surtout, je peux vous assurer que la France est toujours animée de la même ambition de progresser en matière d'Europe de la défense. Et qu'elle est appuyée par d'autres Etats membres, y compris parmi les nouveaux pays membres, qui se montrent aujourd'hui désireux d'avancer sur ces questions et de contribuer à des opérations.
J'en viens maintenant à vos trois questions.
La création d'un Conseil des ministres de la défense, qui est soutenue par la France, est en bonne voie. Il faut rappeler que, jusqu'à présent, il n'existait pas de formation du Conseil des ministres spécifiquement consacrée aux questions de défense et que les ministres de la défense des Etats membres ne pouvaient se réunir qu'en présence des ministres des affaires étrangères dans le contexte du conseil «relations extérieures». Cette solution n'est à l'évidence pas satisfaisante et ne traduit pas le degré de maturité atteint par la PSDC depuis 10 ans. Même si le traité de Lisbonne ne prévoit pas la création de ce Conseil, il a donc été proposé de créer une formation particulière du Conseil des affaires étrangères consacrée à la Défense, qui serait présidée par le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au sein de laquelle siègeraient les ministres de la défense des vingt-sept Etats membres et qui traiterait des questions relevant de leurs attributions.
Deux questions ont alors été soulevées :
- Les ministres de la défense auront-ils la capacité de prendre seuls des décisions ?
- Le Conseil « Défense » pourra-t-il se réunir un autre jour que le Conseil «Affaires étrangères» ?
Pour la France, la réponse est clairement positive sur ces deux points. Compte tenu du nombre de sujets que les ministres des affaires étrangères ont déjà à traiter, les ministres de la défense doivent pouvoir se réunir séparément des ministres des Affaires étrangères et ils doivent avoir un pouvoir de décision propre sur les questions qui relèvent de leurs attributions. Je crois que la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité partage cette idée.
Il reste toutefois deux difficultés. D'une part, plusieurs Etats membres craignent un risque de divergence entre les décisions du Conseil «Affaires étrangères» et celles du Conseil «Défense».
Sur ce point, la présidence unique de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité devrait permettre d'assurer une cohérence entre les deux formations.
D'autre part, il faut tenir compte de la position particulière de certains pays au regard de la défense. Je pense notamment à l'Irlande, dont la neutralité avait été au centre de la campagne lors de la ratification du traité de Lisbonne et qui a obtenu de fortes garanties sur ce point.
Pour autant, je suis assez optimiste sur la création d'un Conseil «Défense», qui sera le signe d'une certaine maturité de la PSDC.
Concernant la mise en place d'un centre permanent de planification et de conduite des opérations, ce sujet fait toujours l'objet d'un blocage de la part du Royaume-Uni, qui ne devrait pas être levé avec le nouveau gouvernement britannique. Mme Catherine Ashton a tenu à cet égard des propos assez malheureux dans sa première intervention devant le Parlement européen, qu'elle a ensuite corrigés.
Pour autant, les choses évoluent. Ainsi, à l'occasion des «retours d'expérience» des différentes opérations menées par l'Union européenne, que la France s'efforce d'ailleurs d'encourager, de plus en plus de responsables militaires de tous Etats membres reconnaissent les avantages que représenterait un quartier général d'opérations unique à Bruxelles, qui éviterait d'avoir à recréer une structure pour chaque opération.
Par ailleurs, on constate une certaine convergence sur cette idée au sein du triangle de Weimar, entre les ministres de la défense français, allemand et polonais. La création d'un quartier général figure d'ailleurs dans l'accord de coalition du gouvernement allemand.
Enfin, en ce qui concerne les rapports entre l'OTAN et l'Union européenne, les différentes déclarations auxquelles vous avez fait allusion relèvent davantage, à mon sens, de postures politiques, afin de donner des assurances à tel ou tel, que d'une réelle démarche de propositions.
Plus fondamentalement, je crois qu'il serait illusoire d'espérer un accord cadre de principe sur les relations entre l'Union européenne et l'OTAN tant que la question chypriote n'aura pas été réglée.
On peut certes noter des progrès, comme les travaux menés conjointement par l'Agence européenne de défense et le commandement de l'OTAN sur la transformation, en matière de lutte contre les engins explosifs improvisés, notamment au regard de l'expérience en Afghanistan, ou de soutien médical. Les contacts « staff to staff » se développent, c'est-à-dire la possibilité pour les officiers ou les responsables, à l'image du Secrétaire général de l'OTAN et de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, de nouer des rapports directs entre eux, sans passer par les représentants des Etats membres, afin de ne pas risquer de «politiser» ces relations. C'est une proposition de la présidence française de l'Union européenne qui est ainsi mise en oeuvre.
Toutefois, il faut bien reconnaître que sans un accord cadre, les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ne peuvent être que limitées.
Or, sur les théâtres d'opérations sur lesquels les deux organisations sont engagées, que ce soit en Afghanistan ou au Kosovo, l'absence d'accord-cadre entre les deux organisations nuit à l'efficacité de l'action de nos soldats.
Je partage également l'impression de notre collègue, alors que je suis de ceux qui appellent de leurs voeux des avancées sur la défense européenne.
Je voudrais revenir sur les rapports entre l'Union européenne et l'OTAN. Pourriez-vous nous citer des exemples concrets sur les incidences négatives de l'absence de coopération formelle entre l'Union européenne et l'OTAN sur les théâtres d'opérations où sont engagées les deux organisations, notamment l'Afghanistan et le Kosovo ? Et, quelles seraient, d'après vous, les solutions envisageables pour sortir de cette situation ? On a l'impression que l'OTAN et l'Union européenne se renvoient la responsabilité de la situation.
Ma deuxième interrogation porte sur le développement des capacités. Face aux difficultés budgétaires actuelles et à la faible dotation de l'Agence européenne de défense, peut-on espérer un décloisonnement entre la recherche civile et la recherche militaire, notamment par l'utilisation de fonds européens consacrés à la recherche dans le cadre du Programme cadre sur la recherche et le développement (PCRD) pour des programmes de recherche en matière militaire ?
Il existe de multiples exemples d'inconvénients résultant de l'absence d'accord entre l'Union européenne et l'OTAN.
Je mentionnerai notamment les difficultés en matière d'échange d'informations, faute d'accords de sécurité, ou encore le fait que les policiers et les gendarmes de la mission de formation de l'Union européenne de la police afghane soient parfois empêchés d'exercer leur mission car ils dépendent, pour leur protection, des moyens militaires de l'OTAN.
Heureusement, il est parfois possible de surmonter ces difficultés grâce aux relations directes entre responsables sur le terrain. Au Kosovo, le général de Kermabon, qui commande la mission Eulex, est un ancien commandant de la KFOR.
Je ne crois pas que l'amélioration des relations entre l'Union européenne et l'OTAN dépende d'une initiative de l'une ou de l'autre des deux organisations. Elle est tributaire du règlement de la question chypriote, qui relève de la République de Chypre et de la partie turque de l'île, de la Turquie et de la Grèce, voire de la communauté internationale dans son ensemble.
La situation actuelle où les deux organisations sont instrumentalisées par l'une ou l'autre des parties à ce conflit apparaît, en effet, stérile.
L'Union européenne a d'ailleurs un rôle à jouer dans ce domaine. Toutefois, les initiatives prises par certaines présidences de l'Union européenne sur cette question, à l'image de la présidence finlandaise, qui avait souhaité engager la négociation d'une proposition de règlement présentée par la Commission et permettant un accès direct entre les navires et aéronefs partant de la partie Nord de l'île vers des destinations dans les Etats membres de l'Union européenne, n'ont pas été couronnées de succès.
S'agissant de l'idée d'utiliser les fonds européens consacrés à la recherche civile, gérés par la Commission européenne, pour la recherche militaire, cette hypothèse est conforme aux traités et elle a été publiquement avancée par le ministre français de la défense, M. Hervé Morin.
Cette démarche apparaît souhaitable mais elle suppose de lever deux hypothèques, l'une liée au contexte budgétaire actuel, qui fait peser une incertitude sur le montant des financements consacrés à la recherche civile au sein du budget communautaire et qui conduit la Commission à redouter un effet d'éviction de certains programmes, et, d'autre part, au fait que cela suppose l'accord des autres Etats membres, dont certains ne partagent pas les mêmes intérêts pour les programmes de recherche en matière militaire.
La présidence française de l'Union européenne avait beaucoup poussé en faveur de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Or, on constate des réticences de nombreux Etats membres sur ce dossier, et notamment du Royaume-Uni. Il est évident que nous ne pourrons pas progresser à vingt-sept sur ce sujet et que nous ne pourrons le faire qu'avec les Etats membres les plus motivés. Y a-t-il des évolutions au sein de l'Union européenne sur ce point, notamment au regard des enjeux technologiques et industriels du projet de défense antimissile ?
Sur la base industrielle et technologique de défense européenne, je ne peux que confirmer votre constat.
En ce qui concerne la défense antimissile, cette question relève davantage de l'OTAN que de l'Union européenne. Vos connaissez la position française, attachée à ca que la mise en place éventuelle de ce système ne se fasse pas au détriment de la dissuasion, et nos interrogations concernant les aspects financiers.
Quels sont les différentes positions et les lignes de clivage entre les vingt-sept Etats membres sur les questions de défense ? Existe-t-il des alliances entre les pays qui souhaitent de véritables avancées en matière de PSDC ?
La France est toujours animée d'une forte ambition en matière de défense européenne. Notre pays participe à toutes les opérations de l'Union européenne et joue un rôle actif en matière de propositions. Je rappelle que c'est la France qui a été à l'initiative du lancement de la première opération navale de l'Union européenne «Atalanta» de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes ou encore du récent lancement de l'opération de formation des soldats du gouvernement transitoire somalien.
J'aimerais que tous les autres Etats membres partagent le même degré d'ambition, et d'autres pays, comme l'Espagne, l'Italie, la Belgique ou la Grèce, se montrent souvent allants sur ces questions, mais il faut bien reconnaître que nous sommes parfois assez isolés.
En particulier, l'Allemagne est un allié mais reste en retrait, notamment en raison de ses obligations constitutionnelles à l'égard de son Parlement national, et il faut reconnaître que l'attitude du Royaume-Uni est, au départ, toujours assez réservée.
On peut toutefois relever l'évolution de certains pays, notamment parmi les nouveaux Etats membres, comme la Pologne, qui se montrent désireux de progresser sur les questions de défense ou la Hongrie, deux pays qui vont exercer la présidence tournante de l'UE, même si celle-ci n'a plus aujourd'hui le même sens dans le domaine de la politique étrangère de l'UE.
Ainsi, la Pologne a fourni un contingent de 500 hommes pour l'opération de l'Union européenne au Tchad, ce qui démontre que l'Afrique n'est plus seulement l'apanage des anciennes puissances coloniales.
L'attitude des pays d'Europe centrale et orientale demeure toutefois fortement marquée par un intérêt particulier pour les frontières orientales.
C'est la raison pour laquelle plusieurs de ces pays plaident pour une intervention de l'Union européenne en Moldavie concernant la question de la Transnistrie, voire plus récemment pour une implication de l'Union européenne en Asie centrale à l'occasion de la crise actuelle au Kirghizistan.
De notre point de vue, de telles initiatives ne peuvent toutefois aboutir que si elles répondent véritablement à un intérêt stratégique et politique de l'Union européenne, si elles se déploient dans le contexte d'un règlement politique international et si elle préserve l'autonomie de la chaîne de commandement européenne. Ainsi, une mission d'observation ou de surveillance de l'Union européenne en Transnistrie ne serait envisageable qu'en accompagnement d'un processus de règlement politique de ce conflit qui impliquerait tous les acteurs dont la Russie.