Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 mars 2011 : 1ère réunion
Politique étrangère et politique de sécurité et de défense commune de l'union européenne — Communication

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

Le 7 mars dernier, j'ai effectué un déplacement à Bruxelles, afin de faire le point sur les principaux dossiers de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'Union européenne.

Au cours de ce déplacement, je me suis entretenu avec M. Pierre Vimont, secrétaire général exécutif du service européen pour l'action extérieure, M. Philippe Etienne, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, M. Jean-Louis Falconi, ambassadeur, représentant permanent de la France au Comité politique et de sécurité, ainsi que l'amiral Xavier Patard, chef de la représentation militaire auprès de l'Union européenne et de l'OTAN.

J'ai pensé utile de vous présenter un bref compte rendu de ce déplacement et de vous dire les enseignements que je retire de ces entretiens.

Trois thèmes ont été principalement évoqués :

- la mise en place du service européen pour l'action extérieure et, plus généralement, le nouvel équilibre institutionnel de la politique étrangère de l'Union européenne depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne ;

- les grands dossiers de politique étrangère, et en particulier la politique de l'Union européenne à l'égard des pays de la rive Sud de la Méditerranée, dans le contexte des évènements récents au Maghreb et au Moyen Orient ;

- enfin, l'état de la politique de sécurité et de défense commune.

Je vous présenterai donc mes réflexions sur ces trois points.

Le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, a entraîné d'importants changements pour la politique étrangère de l'Union européenne.

Ce traité a notamment prévu la création du poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui remplace le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et le Commissaire européen chargé des relations extérieures.

Ce Haut représentant reprend également -ce que l'on a souvent tendance à oublier- les attributions de la présidence tournante du Conseil, comme la présidence du Conseil des ministres des affaires étrangères.

Mme Catherine Ashton cumule ainsi les fonctions qui étaient auparavant assurées par trois personnes différentes. Pour simplifier, elle doit assurer la cohérence et la coordination de l'action extérieure de l'Union européenne, ce qui est en soi une tache immensément lourde.

Mais pour compliquer encore l'exercice, le Président de la Commission européenne a choisit -en appliquant l'adage « diviser pour mieux régner »- de répartir les domaines qui ont un lien étroit avec la politique étrangère entre les portefeuilles de différents commissaires.

Ainsi, outre le Président de la Commission lui-même, on trouve parmi les commissaires qui participent aux relations extérieures : le commissaire chargé du commerce, le commissaire chargé de l'aide au développement, le commissaire chargé de l'élargissement et de la politique de voisinage, ou encore le commissaire chargé de l'aide humanitaire et de la réponse aux crises.

Seconde innovation fondamentale, pour assister la Haute représentante, mais aussi les autres institutions -en particulier le président stable du Conseil européen et la Commission européenne- le traité de Lisbonne a prévu la création d'un Service européen pour l'action extérieure.

La création de ce service a d'abord donné lieu à une lutte institutionnelle entre, d'un côté, les Etats membres, attachés à conserver le caractère intergouvernemental de la politique étrangère et de la politique de sécurité et de défense commune, et, de l'autre, le Parlement européen et la Commission européenne, désireux de renforcer leurs prérogatives dans ces domaines.

En définitive, le texte qui a été adopté l'année dernière est largement conforme au souhait des Etats membres et à la résolution que nous avions adoptée au Sénat, même si certaines concessions ont été accordées à la Commission et au Parlement européen.

Depuis le 1er janvier dernier, la mise en place du service européen pour l'action extérieure s'avère laborieuse.

Les difficultés sont de trois ordres : administratives, budgétaires et institutionnelles.

En matière administrative, la principale difficulté tient au fait que le service européen pour l'action extérieure n'est pas une création ex nihilo mais un organisme institué à partir de structures existantes.

Les fonctionnaires qui le composent sont en effet issus du secrétariat général du Conseil, de la Commission européenne et des diplomaties nationales. Il est donc difficile de créer une osmose entre ces personnels qui proviennent d'organismes aux méthodes et aux cultures très différentes. Ainsi, les fonctionnaires issus de la Commission européenne ont souvent une approche davantage fondée sur l'aide humanitaire ou le commerce, tandis que ceux du Conseil et des Etats ont une culture diplomatique plus régalienne. A cet égard, le regroupement de ces personnels dans un nouveau bâtiment situé dans le quartier européen, à mi-chemin entre celui de la Commission européenne et celui du Conseil, devrait faciliter les choses.

Créer un esprit commun prendra donc du temps et cela est assez naturel. En termes administratifs, il me paraît important que notre diplomatie joue pleinement le jeu du service européen pour l'action extérieure et sélectionne, pour y participer, des diplomates français de qualité.

La deuxième difficulté est de nature budgétaire car la Commission européenne et le Conseil tendent à limiter au maximum les transferts de moyens, tandis que le Parlement européen cherche à exercer, par le biais du contrôle du budget, un droit de regard sur le fonctionnement du service. Il importe, là comme ailleurs, que le Parlement européen joue tout le rôle que lui reconnaissent les traités -et ce rôle est extrêmement important- mais seulement ce rôle.

Enfin, la dernière difficulté est de nature institutionnelle, car il sera difficile pour le service européen pour l'action extérieure, qui est un organe sui generis, de trouver sa place parmi les institutions européennes et les Etats membres, dans le contexte institutionnel mouvant du traité de Lisbonne.

La Commission européenne a mal vécu la création de ce service, qu'elle perçoit comme une diminutio capitis. Il faudra être particulièrement vigilant pour que la Commission européenne ne cherche pas à reconstituer une expertise en matière de relations extérieures pour ne pas dépendre de ce service.

Mail il existe également un certain malaise du côté des Etats membres.

En effet, les représentants des vingt-sept se rendent bien compte qu'en matière de politique étrangère, certains pays jouent un rôle plus important que les autres. Ces « groupes pionniers » ont même été « institutionnalisés », avec par exemple le groupe de 3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) sur le nucléaire iranien. Or, cet état de fait, pourtant inévitable, est difficile à accepter pour les autres.

Le service européen pour l'action extérieure se retrouve donc pris entre des attentes et des logiques contradictoires.

Malgré tout, je crois qu'il faut se montrer optimiste.

La désignation de notre compatriote, M. Pierre Vimont, au poste de secrétaire général constitue un premier signe encourageant, compte tenu de ses qualités d'homme et de diplomate que nous avons pu apprécier lors de ses différentes fonctions. Avec M. David O'Sullivan, directeur général administratif et les deux secrétaires généraux adjoints, Mme Helga Schmid et M. Maciej Popowski, ils constituent l'équipe dirigeante du service européen pour l'action extérieure. Ces fortes personnalités, dont la compétence est reconnue, devront également trouver un équilibre entre elles et pour tirer le service dans le bon sens.

De plus, il existe une forte attente parmi nos partenaires, comme les Etats-Unis ou la Russie, à l'égard de ce service et de l'Union européenne en général. On ne peut plus dire que l'Europe n'a pas de numéro de téléphone et, avec l'équipe qui se met en place, nous pouvons espérer qu'il y ait aussi un interlocuteur pour répondre.

Enfin, dans les pays tiers, la transformation des délégations de la Commission européenne en délégations de l'Union européenne, dont les représentants sont rattachés au service d'action extérieure, se passe plutôt bien.

La question est plus délicate en ce qui concerne le statut de l'Union européenne dans les organisations internationales.

L'Union européenne a ainsi connu un grave échec aux Nations unies puisqu'elle s'est vue refuser par un vote la possibilité de s'exprimer en tant que telle devant l'assemblée générale. Cet échec tient principalement à la crainte des autres Etats de créer un précédent pour d'autres organisations régionales, telles que la Ligue arabe ou l'Union africaine, qui pourraient revendiquer les mêmes droits.

Un nouveau projet de résolution vient d'être adopté par le COREPER. Il devrait être présenté au vote rapidement si nous voulons qu'il soit d'application pour la prochaine Assemblée générale de l'ONU. Cet exercice n'est pas sans danger, un nouvel échec de l'Europe serait désastreux.

Pour conclure sur le service européen pour l'action extérieure, l'impression qui ressort de nos entretiens est celle d'un certain optimisme tout en se montrant réaliste. L'objectif de ce service n'est évidemment pas de remplacer les diplomaties nationales mais de favoriser le consensus entre les Etats membres et l'émergence d'une culture diplomatique commune. Comme me l'a indiqué M. Pierre Vimont, il ne s'agit pas de faire en sorte que l'Union européenne parle d'une seule voix, mais d'avoir le même message, même si celui-ci est formulé de manière différente.

Cela étant, les exemples récents, comme la crise humanitaire à Haïti ou, bien évidemment, les événements au Maghreb et dans les pays arabes, montrent que beaucoup de chemin reste à parcourir, et, en tout premier lieu, entre pays européens, pour que l'Union soit considérée comme un véritable interlocuteur en matière de politique étrangère.

J'en viens maintenant à la situation au Sud de la Méditerranée, en particulier en Libye, qui a été l'un des principaux sujets de mes entretiens à Bruxelles. La situation s'est brusquement accélérée depuis, sous l'impulsion de notre diplomatie et de la diplomatie britannique, et une intervention est en cours. Force est de constater qu'elle ne doit presque rien à l'Europe en tant qu'institution.

Aujourd'hui comme hier, il n'existe pas de consensus entre les différents Etats membres, puisque de nombreux pays, et en premier lieu l'Allemagne, se sont opposés à l'idée d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye, qui avait été proposée par la France et le Royaume-Uni. L'Allemagne confirme qu'elle est devenue un pays pacifiste même si la Chancelière allemande s'est associée à la réunion de Paris du 19 mars dernier.

Les débats sur la direction de l'opération par l'OTAN témoignent à la fois de l'alignement atlantiste d'un certain nombre de pays qui ont renoncé largement à un effort national de défense, mais aussi à l'absence dramatique de toute structure autonome de commandement et de planification des opérations au niveau européen. Quand la volonté et les outils manquent, il est effectivement difficile d'être un acteur des relations internationales.

En revanche, l'Union européenne a condamné la répression en Libye. Elle a pris des sanctions contre le régime et a décidé de mobiliser les moyens humanitaires.

Plus généralement, tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il convient de revoir la politique de l'Union européenne à l'égard des pays de la rive Sud de la Méditerranée, à la lumière des récents événements dans ces pays. Mais parler de la relance de la politique de voisinage au sud et de la mobilisation des moyens d'aide, au moment même où des massacres se déroulent, manifeste un certain décalage.

L'Union pour la Méditerranée présentait le mérite de vouloir donner une nouvelle impulsion au processus de Barcelone, mais elle n'est pas parvenue à surmonter les difficultés politiques soulevées par le conflit israélo-palestinien. Alain Juppé nous disait, le 22 mars au Sénat, qu'il considérait néanmoins que cette idée avait été visionnaire mais qu'elle avait échoué sur le conflit israélo-palestinien.

Afin de relancer l'Union pour la Méditerranée, on pourrait envisager de conserver et de renforcer les projets communs -sur des thèmes concrets comme l'eau ou les échanges d'étudiants- tout en laissant de côté le volet institutionnel -et notamment les grands Sommets- qui ne pourront pas avancer sans une relance du processus de paix. J'avais déjà souligné, lors du débat de politique étrangère du 18 janvier, les carences de l'Europe sur cette question pourtant d'une brûlante actualité.

Lors du Conseil européen du 11 mars, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont décidé de lancer une nouvelle stratégie à l'égard des pays de la rive Sud de la Méditerranée. Ce partenariat repose sur un renforcement des relations économiques, une coopération accrue sur les questions migratoires, la consolidation de la démocratie, ainsi qu'un soutien à la société civile. Il est évident que nous approuvons ces décisions et que nous espérons leur mise en oeuvre rapide, mais leur domaine souligne à l'évidence que l'Europe puissance, l'Europe politique est absente.

Enfin, au-delà de l'engagement actuel, en matière de défense, le sentiment que je retire de mon déplacement est qu'il n'existe pas aujourd'hui, parmi les vingt-sept Etats membres, de réelle volonté d'avancer sur ces questions.

La création d'un véritable centre de planification et de conduite des opérations de l'Union européenne se heurte toujours au veto du Royaume-Uni, qui y voit une duplication de l'OTAN. Il est pourtant évident que ce centre est indispensable et les opérations en Libye permettent très concrètement de le souligner.

Ainsi, les structures militaires auprès de l'Union européenne -comme le comité militaire ou l'état-major- dont le principal rôle est pourtant de conseiller les instances politiques et de donner des avis militaires sur les différentes options possibles, n'ont pas pu exercer leur rôle avant le Conseil européen extraordinaire consacré à la situation en Libye, ce qui a certainement contribué à l'absence de prise de décision de l'Union européenne, même si l'essentiel du blocage est de nature politique.

Dans le même temps, les structures militaires de l'OTAN avaient, depuis déjà plusieurs jours, étudié les différentes options possibles et présenté les différents scénarios aux responsables politiques.

La coopération entre l'Union européenne et l'OTAN est durablement bloquée en raison du conflit chypriote et de l'intransigeance de la Turquie, qui refuse toujours d'appliquer les dispositions du protocole d'Ankara et d'ouvrir ses ports aux navires en provenance de Chypre, malgré les inconvénients de ce blocage pour les théâtres d'opérations, comme en Afghanistan.

La mise en place d'une « coopération structurée permanente », pourtant prévue par le traité de Lisbonne, et qui permettrait aux Etats qui le souhaitent et le peuvent d'aller plus vite et plus loin en matière de défense, n'a pas encore connu même un début de mise en oeuvre.

La plupart des Etats membres, et en particulier l'Allemagne, sont réticents à l'idée de lancer de nouvelles opérations de l'Union européenne, en large partie pour des raisons budgétaires.

Dans un contexte de réduction sensible des budgets de la défense chez la quasi-totalité de nos partenaires, il paraît très difficile d'envisager de nouvelles coopérations industrielles en matière d'armement.

L'Agence européenne de défense, dont Chypre bloque l'accès à la Turquie par représailles, a vu son budget « gelé » pour 2012, à la demande des Britanniques, son budget ne représentant pourtant que 30 millions d'euros.

Certes, on aurait pu envisager de consacrer une partie de l'enveloppe des crédits destinés à la recherche, au niveau européen (qui représentent 50 milliards d'euros sur 7 ans), à la recherche en matière de défense, mais tant la Commission européenne que la plupart des pays membres s'y opposent vigoureusement.

Enfin, Mme Catherine Ashton ne semble pas manifester un grand intérêt pour les questions de défense.

Ainsi, lors de sa première intervention devant le Parlement européen, elle avait déclaré qu'elle ne voyait pas l'utilité d'avoir un quartier général européen et, jusqu'à une date récente, elle n'avait jamais assisté aux réunions informelles des ministres de la défense.

Malgré ces éléments négatifs, on peut toutefois mentionner quelques facteurs qui incitent à plus d'optimisme.

Ainsi, le récent traité franco-britannique, s'il a été assez mal vécu par nos partenaires allemands, mécontents de ne pas y avoir été associés, pourrait créer une nouvelle dynamique. Il ne faut pas oublier que c'est grâce à une initiative franco-britannique, à Saint-Malo en 1998, que la politique de défense a pu réellement être lancée. Le rapprochement entre nos deux pays pourrait avoir des effets bénéfiques sur le PSDC, mais, pour nos partenaires britanniques, ce n'est évidemment pas l'objectif premier.

Autre point positif, les ministres des affaires étrangères et de la défense des pays du « Triangle de Weimar » -la France, l'Allemagne et la Pologne- ont écrit, le 6 décembre dernier, une lettre à Mme Catherine Ashton afin de lui proposer de nouvelles initiatives pour donner une impulsion à la défense européenne.

Les quatre sujets qui sont mentionnés dans ce courrier portent sur la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN, le renforcement des capacités permanentes de planification et de conduite des opérations, les groupements tactiques et les capacités industrielles.

L'Allemagne et la Suède ont également fait des propositions pour identifier les coopérations et les mutualisations potentielles des capacités de défense.

Enfin, le fait que la Pologne a considéré la défense européenne comme l'une des priorités de sa présidence de l'Union européenne, au deuxième semestre de cette année, constitue un signe plutôt encourageant.

Voilà quelques enseignements que je retire de ce déplacement mais je suis naturellement disposé à répondre à vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion