La commission entend une communication de M. Josselin de Rohan, président, à la suite de son déplacement à Bruxelles le 7 mars 2011 sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'Union européenne.
Le 7 mars dernier, j'ai effectué un déplacement à Bruxelles, afin de faire le point sur les principaux dossiers de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'Union européenne.
Au cours de ce déplacement, je me suis entretenu avec M. Pierre Vimont, secrétaire général exécutif du service européen pour l'action extérieure, M. Philippe Etienne, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, M. Jean-Louis Falconi, ambassadeur, représentant permanent de la France au Comité politique et de sécurité, ainsi que l'amiral Xavier Patard, chef de la représentation militaire auprès de l'Union européenne et de l'OTAN.
J'ai pensé utile de vous présenter un bref compte rendu de ce déplacement et de vous dire les enseignements que je retire de ces entretiens.
Trois thèmes ont été principalement évoqués :
- la mise en place du service européen pour l'action extérieure et, plus généralement, le nouvel équilibre institutionnel de la politique étrangère de l'Union européenne depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne ;
- les grands dossiers de politique étrangère, et en particulier la politique de l'Union européenne à l'égard des pays de la rive Sud de la Méditerranée, dans le contexte des évènements récents au Maghreb et au Moyen Orient ;
- enfin, l'état de la politique de sécurité et de défense commune.
Je vous présenterai donc mes réflexions sur ces trois points.
Le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, a entraîné d'importants changements pour la politique étrangère de l'Union européenne.
Ce traité a notamment prévu la création du poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui remplace le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et le Commissaire européen chargé des relations extérieures.
Ce Haut représentant reprend également -ce que l'on a souvent tendance à oublier- les attributions de la présidence tournante du Conseil, comme la présidence du Conseil des ministres des affaires étrangères.
Mme Catherine Ashton cumule ainsi les fonctions qui étaient auparavant assurées par trois personnes différentes. Pour simplifier, elle doit assurer la cohérence et la coordination de l'action extérieure de l'Union européenne, ce qui est en soi une tache immensément lourde.
Mais pour compliquer encore l'exercice, le Président de la Commission européenne a choisit -en appliquant l'adage « diviser pour mieux régner »- de répartir les domaines qui ont un lien étroit avec la politique étrangère entre les portefeuilles de différents commissaires.
Ainsi, outre le Président de la Commission lui-même, on trouve parmi les commissaires qui participent aux relations extérieures : le commissaire chargé du commerce, le commissaire chargé de l'aide au développement, le commissaire chargé de l'élargissement et de la politique de voisinage, ou encore le commissaire chargé de l'aide humanitaire et de la réponse aux crises.
Seconde innovation fondamentale, pour assister la Haute représentante, mais aussi les autres institutions -en particulier le président stable du Conseil européen et la Commission européenne- le traité de Lisbonne a prévu la création d'un Service européen pour l'action extérieure.
La création de ce service a d'abord donné lieu à une lutte institutionnelle entre, d'un côté, les Etats membres, attachés à conserver le caractère intergouvernemental de la politique étrangère et de la politique de sécurité et de défense commune, et, de l'autre, le Parlement européen et la Commission européenne, désireux de renforcer leurs prérogatives dans ces domaines.
En définitive, le texte qui a été adopté l'année dernière est largement conforme au souhait des Etats membres et à la résolution que nous avions adoptée au Sénat, même si certaines concessions ont été accordées à la Commission et au Parlement européen.
Depuis le 1er janvier dernier, la mise en place du service européen pour l'action extérieure s'avère laborieuse.
Les difficultés sont de trois ordres : administratives, budgétaires et institutionnelles.
En matière administrative, la principale difficulté tient au fait que le service européen pour l'action extérieure n'est pas une création ex nihilo mais un organisme institué à partir de structures existantes.
Les fonctionnaires qui le composent sont en effet issus du secrétariat général du Conseil, de la Commission européenne et des diplomaties nationales. Il est donc difficile de créer une osmose entre ces personnels qui proviennent d'organismes aux méthodes et aux cultures très différentes. Ainsi, les fonctionnaires issus de la Commission européenne ont souvent une approche davantage fondée sur l'aide humanitaire ou le commerce, tandis que ceux du Conseil et des Etats ont une culture diplomatique plus régalienne. A cet égard, le regroupement de ces personnels dans un nouveau bâtiment situé dans le quartier européen, à mi-chemin entre celui de la Commission européenne et celui du Conseil, devrait faciliter les choses.
Créer un esprit commun prendra donc du temps et cela est assez naturel. En termes administratifs, il me paraît important que notre diplomatie joue pleinement le jeu du service européen pour l'action extérieure et sélectionne, pour y participer, des diplomates français de qualité.
La deuxième difficulté est de nature budgétaire car la Commission européenne et le Conseil tendent à limiter au maximum les transferts de moyens, tandis que le Parlement européen cherche à exercer, par le biais du contrôle du budget, un droit de regard sur le fonctionnement du service. Il importe, là comme ailleurs, que le Parlement européen joue tout le rôle que lui reconnaissent les traités -et ce rôle est extrêmement important- mais seulement ce rôle.
Enfin, la dernière difficulté est de nature institutionnelle, car il sera difficile pour le service européen pour l'action extérieure, qui est un organe sui generis, de trouver sa place parmi les institutions européennes et les Etats membres, dans le contexte institutionnel mouvant du traité de Lisbonne.
La Commission européenne a mal vécu la création de ce service, qu'elle perçoit comme une diminutio capitis. Il faudra être particulièrement vigilant pour que la Commission européenne ne cherche pas à reconstituer une expertise en matière de relations extérieures pour ne pas dépendre de ce service.
Mail il existe également un certain malaise du côté des Etats membres.
En effet, les représentants des vingt-sept se rendent bien compte qu'en matière de politique étrangère, certains pays jouent un rôle plus important que les autres. Ces « groupes pionniers » ont même été « institutionnalisés », avec par exemple le groupe de 3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) sur le nucléaire iranien. Or, cet état de fait, pourtant inévitable, est difficile à accepter pour les autres.
Le service européen pour l'action extérieure se retrouve donc pris entre des attentes et des logiques contradictoires.
Malgré tout, je crois qu'il faut se montrer optimiste.
La désignation de notre compatriote, M. Pierre Vimont, au poste de secrétaire général constitue un premier signe encourageant, compte tenu de ses qualités d'homme et de diplomate que nous avons pu apprécier lors de ses différentes fonctions. Avec M. David O'Sullivan, directeur général administratif et les deux secrétaires généraux adjoints, Mme Helga Schmid et M. Maciej Popowski, ils constituent l'équipe dirigeante du service européen pour l'action extérieure. Ces fortes personnalités, dont la compétence est reconnue, devront également trouver un équilibre entre elles et pour tirer le service dans le bon sens.
De plus, il existe une forte attente parmi nos partenaires, comme les Etats-Unis ou la Russie, à l'égard de ce service et de l'Union européenne en général. On ne peut plus dire que l'Europe n'a pas de numéro de téléphone et, avec l'équipe qui se met en place, nous pouvons espérer qu'il y ait aussi un interlocuteur pour répondre.
Enfin, dans les pays tiers, la transformation des délégations de la Commission européenne en délégations de l'Union européenne, dont les représentants sont rattachés au service d'action extérieure, se passe plutôt bien.
La question est plus délicate en ce qui concerne le statut de l'Union européenne dans les organisations internationales.
L'Union européenne a ainsi connu un grave échec aux Nations unies puisqu'elle s'est vue refuser par un vote la possibilité de s'exprimer en tant que telle devant l'assemblée générale. Cet échec tient principalement à la crainte des autres Etats de créer un précédent pour d'autres organisations régionales, telles que la Ligue arabe ou l'Union africaine, qui pourraient revendiquer les mêmes droits.
Un nouveau projet de résolution vient d'être adopté par le COREPER. Il devrait être présenté au vote rapidement si nous voulons qu'il soit d'application pour la prochaine Assemblée générale de l'ONU. Cet exercice n'est pas sans danger, un nouvel échec de l'Europe serait désastreux.
Pour conclure sur le service européen pour l'action extérieure, l'impression qui ressort de nos entretiens est celle d'un certain optimisme tout en se montrant réaliste. L'objectif de ce service n'est évidemment pas de remplacer les diplomaties nationales mais de favoriser le consensus entre les Etats membres et l'émergence d'une culture diplomatique commune. Comme me l'a indiqué M. Pierre Vimont, il ne s'agit pas de faire en sorte que l'Union européenne parle d'une seule voix, mais d'avoir le même message, même si celui-ci est formulé de manière différente.
Cela étant, les exemples récents, comme la crise humanitaire à Haïti ou, bien évidemment, les événements au Maghreb et dans les pays arabes, montrent que beaucoup de chemin reste à parcourir, et, en tout premier lieu, entre pays européens, pour que l'Union soit considérée comme un véritable interlocuteur en matière de politique étrangère.
J'en viens maintenant à la situation au Sud de la Méditerranée, en particulier en Libye, qui a été l'un des principaux sujets de mes entretiens à Bruxelles. La situation s'est brusquement accélérée depuis, sous l'impulsion de notre diplomatie et de la diplomatie britannique, et une intervention est en cours. Force est de constater qu'elle ne doit presque rien à l'Europe en tant qu'institution.
Aujourd'hui comme hier, il n'existe pas de consensus entre les différents Etats membres, puisque de nombreux pays, et en premier lieu l'Allemagne, se sont opposés à l'idée d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye, qui avait été proposée par la France et le Royaume-Uni. L'Allemagne confirme qu'elle est devenue un pays pacifiste même si la Chancelière allemande s'est associée à la réunion de Paris du 19 mars dernier.
Les débats sur la direction de l'opération par l'OTAN témoignent à la fois de l'alignement atlantiste d'un certain nombre de pays qui ont renoncé largement à un effort national de défense, mais aussi à l'absence dramatique de toute structure autonome de commandement et de planification des opérations au niveau européen. Quand la volonté et les outils manquent, il est effectivement difficile d'être un acteur des relations internationales.
En revanche, l'Union européenne a condamné la répression en Libye. Elle a pris des sanctions contre le régime et a décidé de mobiliser les moyens humanitaires.
Plus généralement, tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il convient de revoir la politique de l'Union européenne à l'égard des pays de la rive Sud de la Méditerranée, à la lumière des récents événements dans ces pays. Mais parler de la relance de la politique de voisinage au sud et de la mobilisation des moyens d'aide, au moment même où des massacres se déroulent, manifeste un certain décalage.
L'Union pour la Méditerranée présentait le mérite de vouloir donner une nouvelle impulsion au processus de Barcelone, mais elle n'est pas parvenue à surmonter les difficultés politiques soulevées par le conflit israélo-palestinien. Alain Juppé nous disait, le 22 mars au Sénat, qu'il considérait néanmoins que cette idée avait été visionnaire mais qu'elle avait échoué sur le conflit israélo-palestinien.
Afin de relancer l'Union pour la Méditerranée, on pourrait envisager de conserver et de renforcer les projets communs -sur des thèmes concrets comme l'eau ou les échanges d'étudiants- tout en laissant de côté le volet institutionnel -et notamment les grands Sommets- qui ne pourront pas avancer sans une relance du processus de paix. J'avais déjà souligné, lors du débat de politique étrangère du 18 janvier, les carences de l'Europe sur cette question pourtant d'une brûlante actualité.
Lors du Conseil européen du 11 mars, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont décidé de lancer une nouvelle stratégie à l'égard des pays de la rive Sud de la Méditerranée. Ce partenariat repose sur un renforcement des relations économiques, une coopération accrue sur les questions migratoires, la consolidation de la démocratie, ainsi qu'un soutien à la société civile. Il est évident que nous approuvons ces décisions et que nous espérons leur mise en oeuvre rapide, mais leur domaine souligne à l'évidence que l'Europe puissance, l'Europe politique est absente.
Enfin, au-delà de l'engagement actuel, en matière de défense, le sentiment que je retire de mon déplacement est qu'il n'existe pas aujourd'hui, parmi les vingt-sept Etats membres, de réelle volonté d'avancer sur ces questions.
La création d'un véritable centre de planification et de conduite des opérations de l'Union européenne se heurte toujours au veto du Royaume-Uni, qui y voit une duplication de l'OTAN. Il est pourtant évident que ce centre est indispensable et les opérations en Libye permettent très concrètement de le souligner.
Ainsi, les structures militaires auprès de l'Union européenne -comme le comité militaire ou l'état-major- dont le principal rôle est pourtant de conseiller les instances politiques et de donner des avis militaires sur les différentes options possibles, n'ont pas pu exercer leur rôle avant le Conseil européen extraordinaire consacré à la situation en Libye, ce qui a certainement contribué à l'absence de prise de décision de l'Union européenne, même si l'essentiel du blocage est de nature politique.
Dans le même temps, les structures militaires de l'OTAN avaient, depuis déjà plusieurs jours, étudié les différentes options possibles et présenté les différents scénarios aux responsables politiques.
La coopération entre l'Union européenne et l'OTAN est durablement bloquée en raison du conflit chypriote et de l'intransigeance de la Turquie, qui refuse toujours d'appliquer les dispositions du protocole d'Ankara et d'ouvrir ses ports aux navires en provenance de Chypre, malgré les inconvénients de ce blocage pour les théâtres d'opérations, comme en Afghanistan.
La mise en place d'une « coopération structurée permanente », pourtant prévue par le traité de Lisbonne, et qui permettrait aux Etats qui le souhaitent et le peuvent d'aller plus vite et plus loin en matière de défense, n'a pas encore connu même un début de mise en oeuvre.
La plupart des Etats membres, et en particulier l'Allemagne, sont réticents à l'idée de lancer de nouvelles opérations de l'Union européenne, en large partie pour des raisons budgétaires.
Dans un contexte de réduction sensible des budgets de la défense chez la quasi-totalité de nos partenaires, il paraît très difficile d'envisager de nouvelles coopérations industrielles en matière d'armement.
L'Agence européenne de défense, dont Chypre bloque l'accès à la Turquie par représailles, a vu son budget « gelé » pour 2012, à la demande des Britanniques, son budget ne représentant pourtant que 30 millions d'euros.
Certes, on aurait pu envisager de consacrer une partie de l'enveloppe des crédits destinés à la recherche, au niveau européen (qui représentent 50 milliards d'euros sur 7 ans), à la recherche en matière de défense, mais tant la Commission européenne que la plupart des pays membres s'y opposent vigoureusement.
Enfin, Mme Catherine Ashton ne semble pas manifester un grand intérêt pour les questions de défense.
Ainsi, lors de sa première intervention devant le Parlement européen, elle avait déclaré qu'elle ne voyait pas l'utilité d'avoir un quartier général européen et, jusqu'à une date récente, elle n'avait jamais assisté aux réunions informelles des ministres de la défense.
Malgré ces éléments négatifs, on peut toutefois mentionner quelques facteurs qui incitent à plus d'optimisme.
Ainsi, le récent traité franco-britannique, s'il a été assez mal vécu par nos partenaires allemands, mécontents de ne pas y avoir été associés, pourrait créer une nouvelle dynamique. Il ne faut pas oublier que c'est grâce à une initiative franco-britannique, à Saint-Malo en 1998, que la politique de défense a pu réellement être lancée. Le rapprochement entre nos deux pays pourrait avoir des effets bénéfiques sur le PSDC, mais, pour nos partenaires britanniques, ce n'est évidemment pas l'objectif premier.
Autre point positif, les ministres des affaires étrangères et de la défense des pays du « Triangle de Weimar » -la France, l'Allemagne et la Pologne- ont écrit, le 6 décembre dernier, une lettre à Mme Catherine Ashton afin de lui proposer de nouvelles initiatives pour donner une impulsion à la défense européenne.
Les quatre sujets qui sont mentionnés dans ce courrier portent sur la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN, le renforcement des capacités permanentes de planification et de conduite des opérations, les groupements tactiques et les capacités industrielles.
L'Allemagne et la Suède ont également fait des propositions pour identifier les coopérations et les mutualisations potentielles des capacités de défense.
Enfin, le fait que la Pologne a considéré la défense européenne comme l'une des priorités de sa présidence de l'Union européenne, au deuxième semestre de cette année, constitue un signe plutôt encourageant.
Voilà quelques enseignements que je retire de ce déplacement mais je suis naturellement disposé à répondre à vos questions.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt votre communication, dont je partage la plupart des analyses, à l'exception de deux aspects qui me paraissent devoir être nuancés.
Le premier point porte sur votre analyse concernant l'intervention en Libye et, plus particulièrement, votre jugement, que je trouve assez sévère, sur l'attitude de l'Allemagne.
Je pense, en effet, que les Allemands n'ont pas du tout apprécié la méthode employée par le Président de la République et qu'ils ont eu le sentiment d'avoir été mis devant le fait accompli lorsque Nicolas Sarkozy a reçu les membres du Conseil national de transition libyen, sans aucune concertation avec nos partenaires allemands.
Ainsi, notre attitude a certainement joué un rôle dans la position allemande.
Mon deuxième point de désaccord porte sur l'Union pour la Méditerranée. Je crois, en effet, que l'échec de l'Union pour la Méditerranée ne s'explique pas uniquement par le conflit israélo-palestinien, mais qu'il a des causes plus profondes qui tiennent au fait que, pour lancer ce projet, le Président de la République s'était appuyé sur un certain nombre de chefs d'Etat et de Gouvernement, comme Hosni Moubarak, qui ont depuis été contraints de quitter le pouvoir.
On peut certes concevoir que l'attitude française ait pu heurter nos partenaires allemands, mais je crois que les raisons de leur refus de toute intervention en Libye a des causes plus profondes.
En effet, des élections locales importantes pour la chancelière allemande devaient se tenir dans le Bade-Wurtemberg et l'aile libérale, dont le président est vice-chancelier et ministre des affaires étrangères, M. Guido Westerwelle, ainsi que l'opinion publique allemande étaient très hostiles à l'idée d'une intervention en Libye.
Les Allemands ont même retiré leurs navires qui devaient participer au blocus maritime au large de la Libye.
Il me semble que ce refus témoigne d'une attitude allemande de fond de refus de toute intervention militaire, y compris, dans une certaine mesure, en Afghanistan, l'Allemagne devenant ainsi ce que l'on pourrait définir comme un « pays pacifiste doté d'une forte industrie d'armement ».
S'agissant de l'Union pour la Méditerranée, les reports des différents sommets s'expliquent largement par l'attitude des pays arabes qui ont annoncé qu'ils ne participeraient pas à ces réunions à haut niveau tant qu'Israël poursuivrait sa politique de colonisation.
Je pense toutefois personnellement que ce projet lancé avec les gouvernements en place dans les pays du Maghreb et du Proche Orient n'a pas donné les résultats escomptés et qu'il faudra donc refonder ce projet sur de nouvelles bases et des valeurs communes.
Parmi les nouveaux instruments du traité de Lisbonne figure la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Or, le moins que l'on puisse dire c'est que Mme Catherine Ashton ne s'est pas illustrée dans cette fonction et qu'elle paraît encore, plusieurs mois après sa nomination, très effacée. Elle ne s'est pas imposée vis-à-vis des ministres des affaires étrangères dont elle est pourtant censée présider le Conseil. A mes yeux, ce n'est pas une bonne chose pour l'Europe et sa place dans le monde.
Je trouve votre jugement un peu sévère à propos de Mme Catherine Ashton, car, comme je l'ai souligné dans mon propos liminaire, sa tâche est très lourde puisqu'elle cumule les fonctions qui étaient auparavant exercées par trois personnes différentes. De plus, les mécanismes sont très complexes et, jusqu'à une date récente, elle ne disposait pas du service européen pour l'action extérieure. Par ailleurs, il est vrai qu'elle n'avait pas une grande expérience en matière de politique étrangère et qu'elle ne manifestait au départ qu'un intérêt limité pour les questions de défense. Toutefois, elle a néanmoins obtenu de bons résultats sur certains dossiers. Je considère donc qu'avant de porter un jugement définitif, il faut lui laisser un peu de temps et lui donner sa chance.
Je m'interroge sur les raisons qui ont conduit l'Allemagne à refuser de s'engager dans la coalition internationale lors de l'intervention en Libye et à s'abstenir lors du vote de la résolution au Conseil de sécurité des Nations unies. N'est ce pas là l'une des conséquences de la réunification allemande et de l'aspiration profonde des Allemands à la paix ?
Lors de la guerre froide, lorsqu'elle était directement menacée par une intervention soviétique, l'attitude de l'Allemagne, ne constatant plus de menaces à ses portes, était très différente et ce pays était très impliqué dans l'OTAN.
La réunification a joué un rôle important de même que la fin de la guerre froide, puisque la réunification a eu un coût très important et que l'Allemagne souhaite maintenant recueillir les dividendes de la paix.
Ainsi, l'Allemagne a considérablement réduit ses dépenses militaires ces dernières années qui ont servi de variable d'ajustement au budget. Ce pays est aujourd'hui l'un des pays européen qui n'investit pas suffisamment dans sa défense, par rapport à son produit intérieur brut.
Les Allemands semblent considérer que leur défense est assurée par et dans le cadre de l'OTAN.
Dans ces conditions, est ce que l'on peut espérer des progrès vers une Europe de la défense ?
Ce sont surtout les Britanniques qui s'opposaient à l'émergence réelle et effective de l'Europe de la défense.
Ainsi, le renforcement des capacités de planification et de conduite des opérations, souhaité par la France, l'Allemagne et la Pologne, se heurte toujours à des réticences du Royaume-Uni, qui ne souhaite pas une duplication de l'OTAN.
Or, en l'absence d'une capacité européenne autonome de planification et de conduite des opérations, seule l'OTAN est capable de coordonner les différentes forces, comme l'illustre l'intervention en Libye.
Si l'Union européenne avait disposé d'un quartier général européen permanent, l'Europe aurait pu assurer elle-même le commandement de l'opération en Libye.
Avec les traités de Londres, la France a conclu des accords très importants en matière de défense avec le Royaume-Uni. Mais, les deux pays n'ont pas la même vision concernant l'élargissement éventuel de cette coopération à d'autres pays européens. Pour l'instant, le Royaume-Uni ne souhaite pas faire de cette coopération bilatérale les prémices d'un renforcement de l'Europe de la défense dans son ensemble. Il faut, en l'état des choses, poursuivre le mouvement en marchant.
L'opération en Libye apporte la démonstration des insuffisances de l'Europe de la défense. Cela porte un mauvais coup à la PSDC. Je remarque par ailleurs qu'il a été décidé de recourir à l'OTAN alors que la France s'y était dans un premier temps fortement opposée, comme nous l'avait déclaré Alain Juppé.
En l'absence de quartier général européen permanent, le recours aux moyens de l'OTAN était inévitable. Toutefois, la France et le Royaume-Uni ont obtenu la création d'un comité de pilotage politique distinct de l'OTAN, compte tenu des réticences de nombreux pays arabes ou africains à une opération placée sous l'égide de l'OTAN.
Dans ce contexte, il est encourageant que la Pologne, qui figurait autrefois parmi les pays les plus atlantistes, soit désormais très allante sur le renforcement de l'Europe de la défense et ait fait de ce sujet l'une des priorités de sa présidence à venir de l'Union européenne au deuxième semestre de cette année.
Cette évolution, très positive, de la position polonaise, s'explique par le changement de gouvernement mais aussi par l'attitude américaine à propos de l'installation en Pologne d'éléments du système américain de défense anti-missiles, qui avait fait l'objet d'un accord sous George Bush mais qui a été remis en cause après l'élection de Barak Obama puis abandonné dans le cadre du « reset » des relations entre les Etats-Unis et la Russie. La Pologne a assez mal pris ce revirement américain et se montre depuis beaucoup plus ouverte à l'idée d'un renforcement de l'Europe de la défense, comme l'illustrent la lettre commune des ministres des affaires étrangères et de la défense des pays du triangle de Weimar ou le fait qu'elle ait fait de la défense européenne l'une des priorités de sa présidence. A l'avenir, il semble qu'à vingt-sept, nous ne pourrons pas avancer sur les questions de défense faute de volonté collective et que seul le recours à des coopérations renforcées, dans le cadre du traité ou en dehors, permettra de réaliser des progrès en matière d'Europe de la défense. C'est ce que nous ambitionnons de faire avec le Royaume-Uni.
La commission examine le rapport pour avis de M. Marcel-Pierre Cléach sur le projet de loi n° 344, relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles et la proposition de loi n° 303, relative à l'aménagement des compétences juridictionnelles en matière militaire et à la simplification de plusieurs dispositions du code de justice militaire.
Ce projet de loi, qui reprend les recommandations de la commission Guinchard, vise à simplifier l'organisation judiciaire ; s'il relève au premier chef de la commission des lois, trois de ses 27 articles concernent directement notre commission : l'article 23, qui supprime le tribunal aux armées de Paris, l'article 24, qui assouplit les peines applicables aux militaires et l'article 26 qui concerne l'entrée en vigueur et les dispositions transitoires. Notre commission ayant reçu une délégation au fond pour les articles de sa compétence, sa rédaction sera reprise intégralement dans le texte final établi par la commission des lois.
Déposé en mars 2010, ce projet de loi a été victime de l'encombrement de l'ordre du jour. À la demande du ministère de la défense, j'avais donc déposé une proposition de loi en février dernier, reprenant et complétant les dispositions relatives à la justice militaire. Le Gouvernement ayant finalement inscrit le projet de loi « Guinchard » à l'ordre du jour du 14 avril prochain, j'ai estimé préférable, en accord avec le président de notre commission, de vous présenter un rapport sur la base du texte du gouvernement. Ma proposition de loi a toutefois inspiré plusieurs amendements, que vous proposerai d'adopter.
J'ai auditionné les représentants du ministère de la défense et du ministère de la justice, le major général des armées, le procureur général près de la cour d'appel de Paris et le Procureur de la République de Paris, mais aussi des avocats, des officiers de la gendarmerie nationale, qui assure la mission de prévôté auprès des armées, ainsi que Robert Badinter, auteur de la réforme de 1982. Je me suis rendu au Tribunal aux armées de Paris, afin de rencontrer le président, le procureur, le juge d'instruction et le personnel.
J'étais initialement assez réservé sur l'idée de supprimer le tribunal aux armées de Paris, craignant une moindre prise en compte de la spécificité militaire devant les juridictions ordinaires. Toutefois, ma position a évolué au fur et à mesure des auditions et je suis désormais rassuré sur ce point.
L'histoire de la justice militaire est marquée par une tendance régulière au rapprochement avec la justice de droit commun. La justice militaire a longtemps été une justice d'exception, caractérisée par l'existence de tribunaux et de règles de procédures fortement dérogatoires, définies par le code de justice militaire. Ce régime était justifié, d'une part, par la volonté de garantir la discipline des armées, d'autre part, par le souci de protéger la spécificité du métier des armes. Pour autant, la rigueur, voire la partialité, de la justice militaire, illustrées notamment avec l'affaire Dreyfus ou sous la première guerre mondiale, ainsi que l'évolution de la société et l'importance croissante de la conscription, mirent en évidence l'inadaptation de cette organisation. Déjà Napoléon considérait qu'« on est citoyen français avant d'être soldat » et Clemenceau estimait que « la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique ». (Sourires)
Parmi les nombreuses réformes de la justice militaire, la plus importante est la loi du 21 juillet 1982, présentée par le Garde des Sceaux de l'époque, notre collègue Robert Badinter, qui a supprimé, en temps de paix, les tribunaux permanents des forces armées et a chargé des chambres spécialisées des juridictions de droit commun d'instruire et de juger les infractions commises par les militaires sur le territoire national. Tournant historique, cette réforme a mis un terme, au nom de l'unité de la justice, à un système dérogatoire.
Elle a été prolongée en 1999 puis en 2006 par plusieurs textes qui ont progressivement aligné le régime applicable aux militaires sur le droit commun. Citons la possibilité, depuis 2002, pour les victimes d'une infraction commise par un militaire de se constituer partie civile, la reconnaissance de l'appel ou encore l'alignement de la procédure de désignation du juge d'instruction du tribunal aux armées sur le droit commun.
En temps de paix et sur le territoire national, les infractions de droit commun commises hors service par des militaires sont jugées devant les juridictions ordinaires. En revanche, les infractions commises dans l'exercice du service relèvent des juridictions de droit commun comprenant une chambre spécialisée en matière militaire, dont les magistrats ont été spécifiquement désignés. Il existe 33 juridictions de droit commun spécialisées, soit un tribunal correctionnel et une cour d'assises dans le ressort de chaque cour d'appel.
Le Tribunal aux armées de Paris est, pour sa part, compétent pour la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions de toute nature commises par les militaires hors du territoire national et en temps de paix, par exemple en Afghanistan.
En temps de paix, les règles de procédure sont celles de droit commun, sous réserve de quelques particularités procédurales, dont la plus notable tient à l'avis consultatif préalable du ministre de la défense avant toute poursuite pénale à l'encontre d'un militaire. Cet avis explique et précise au cas par cas le contexte opérationnel des faits. Il ne lie pas le procureur de la République, qui décide seul de la mise en oeuvre de l'action publique.
Enfin, le code de justice militaire prévoit le rétablissement immédiat des juridictions militaires en temps de guerre, d'état d'urgence ou d'état de siège.
Il existe trois catégories de juridictions militaires Sur le territoire national, les tribunaux territoriaux des forces armées et le Haut tribunal des forces armées, compétent pour juger les maréchaux, amiraux et officiers généraux ; en dehors du territoire, les tribunaux militaires aux armées. La procédure devant ces juridictions est fortement dérogatoire : la mise en oeuvre de l'action publique relève du seul ministre de la défense, et la constitution de partie civile est impossible. Comme le disait Robert Badinter, à l'époque Garde des Sceaux, « dans le temps de l'exception, l'impératif de survie de la collectivité nationale l'emporte sur tout autre considération ».
Cette tendance à la banalisation de la justice militaire s'observe dans la plupart des démocraties occidentales. L'Allemagne et la Belgique ont supprimé les juridictions militaires en temps de paix. Au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie, la justice militaire est plus ou moins intégrée à la justice de droit commun et fonctionne selon les mêmes principes. Seule la Suisse a une justice militaire totalement indépendante de la justice de droit commun.
Le projet de loi supprime le Tribunal aux armées de Paris et donne compétence au pôle spécialisé en matière militaire du TGI de Paris pour les infractions commises par les militaires à l'étranger en temps de paix. C'est l'aboutissement de la réforme engagée en 1982 et l'achèvement du processus de rapprochement de la justice militaire de la justice de droit commun. Les règles procédurales particulières applicables aux militaires ne sont pas modifiées, non plus que le régime applicable en temps de guerre.
Le Tribunal aux armées de Paris n'a de militaire que le nom, puisqu'il est composé exclusivement de magistrats civils issus du corps judiciaire et qu'il applique les règles du code de procédure pénale. Juridiction hybride, il est rattaché au ministère de la défense et ses parquetiers sont nommés par le ministre de la défense sans avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature. Détachés auprès du ministère de la défense, ces magistrats reçoivent un grade d'assimilation : le procureur a celui de colonel.
Ces règles dérogatoires alimentent les suspicions de dépendance et de partialité, et entretiennent le mythe d'une juridiction servant à assurer l'impunité de la hiérarchie militaire. Par ailleurs, elles ne tiennent pas compte de l'évolution du statut de la magistrature et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Enfin, le volume d'activité du Tribunal aux armées de Paris est faible : en moyenne, il reçoit 1 600 à 1 700 procédures et prononce entre 180 et 190 jugements par an. La formation spécialisée du TGI de Marseille traite davantage de dossiers relatifs à des militaires ! En outre, les infractions spécifiquement militaires, comme les désertions, ne représentent que 10 % du volume. Les affaires les plus graves, comme l'affaire Mahé ou l'embuscade d'Ouzbine, ne représentent que 2,5 % des affaires. La suppression de cette juridiction serait donc source de rationalisation.
Le ministère de la justice et les magistrats de la Cour d'appel et du TGI de Paris sont favorables à cette réforme. Ils font valoir que les affaires relatives aux militaires à l'étranger seraient traitées par des magistrats expérimentés, affectés au pôle spécialisé, qui traitent déjà d'affaires complexes et sensibles concernant des militaires.
Le ministère de la défense et l'état-major des armées y sont également très favorables. Les militaires tiennent avant tout à ce que la spécificité militaire soit prise en compte, ce qui suppose que l'on conserve des règles procédurales particulières : avis préalable du ministre de la défense avant l'engagement de poursuites, impossibilité pour la victime d'une infraction de faire citer directement un militaire devant une juridiction de jugement. En outre, le rattachement du Tribunal aux armées de Paris au ministère de la défense a paradoxalement entraîné des relations assez tendues avec les militaires : le tribunal aurait tendance à vouloir affirmer son indépendance, de manière parfois conflictuelle... Les rapports entre les militaires et les tribunaux de droit commun sont plus apaisés.
Enfin, cette réforme est également très bien accueillie par les avocats, les syndicats de magistrats et les représentants des associations de défense des droits de l'homme.
Je vous proposerai des amendements, notamment pour prévoir l'avis du ministre de la défense lorsqu'un militaire est susceptible d'être poursuivi à la suite d'une plainte contre X, d'une plainte avec constitution de partie civile ou à l'occasion d'un réquisitoire supplétif. Il faut également clarifier les règles de compétence concernant les infractions commises à bord des navires et des aéronefs militaires, et simplifier et harmoniser les dispositions du code de justice militaire relatives à la désertion.
Il serait utile que le ministère de la justice réfléchisse au regroupement des juridictions de droit commun spécialisées en deux ou trois pôles, ce qui renforcerait la centralisation des affaires militaires et la spécialisation des magistrats. En 2010, sur les 33 formations spécialisées, seules trois ont eu plus de cent affaires à traiter ; dix-sept ont traité moins de dix affaires. Compte tenu des inconvénients en termes de proximité du justiciable et de délais de jugement, un tel regroupement semble toutefois prématuré à ce stade.
Compte tenu de la professionnalisation des armées, mais aussi de la féminisation de la magistrature, il me paraît indispensable de renforcer la formation des magistrats aux questions militaires.
Il faudrait également se pencher sur l'avenir du corps des greffiers militaires, aujourd'hui en voie d'extinction. Souvent anciens militaires, ils apportent une expertise précieuse aux juges, notamment au sein des juridictions de droit commun spécialisées.
Enfin, la suppression du Tribunal aux armées de Paris et le transfert de ses attributions à la formation spécialisée du TGI de Paris devrait s'accompagner d'un transfert de personnels et de moyens de la part du ministère de la défense au ministère de la justice. Je n'ai pas encore eu la réponse du ministre de la défense sur ce point...
Si les frais de fonctionnement sont relativement limités, les frais de justice, eux, peuvent être élevés.
Je remercie le rapporteur, qui s'est beaucoup investi, qui a beaucoup auditionné, et recueilli des avis concordants.
Ce débat me ramène loin en arrière, il y a trente ans... « Le propre des notables vieillissants est de confondre leurs discours et leurs souvenirs » disait Churchill ; j'essaierai de vous épargner ! (Sourires)
Le débat à l'Assemblée nationale sur la réforme de 1982 fut d'une rare violence. Je revois M. Messmer m'accusant de commettre rien de moins qu'un crime contre la Nation ! Cela me semblait excessif... À l'époque de la conscription, en temps de paix, ceux que nous jugions étaient des civils habillés en militaires, n'attendant que le moment où ils quitteraient l'uniforme ! Je souhaitais en finir avec une institution qui n'a de sens qu'en temps de guerre.
L'autre raison, qui ne fut pas comprise à l'époque, tenait à la levée, le 3 octobre 1981, des réserves interdisant au justiciable français de saisir la Cour européenne des droits de l'homme. Avec l'abolition de la peine de mort, c'est la mesure la plus importante que j'ai à mon actif. La justice française a progressivement abandonné les règles et procédures contraires à la convention européenne des droits de l'homme. Ceci commandait cela. Si nous maintenions la justice militaire, juridiction d'exception, tous les militaires poursuivis auraient saisi la Cour européenne !
Restait le problème des militaires français stationnés en Allemagne. L'accord conclu entre les puissances occupantes en 1946 prévoyait une juridiction militaire dans chaque zone ; pour supprimer les tribunaux militaires jugeant en Allemagne les militaires français, il aurait fallu modifier le traité. En pleine crise des SS-20, le Président Mitterrand s'y refusa, et le tribunal militaire de Landau eut un répit...
Il est normal de recourir à une juridiction de droit commun spécialisée. Le statut des membres du parquet, désignés par le ministre de la défense, était contraire à la fois à la Constitution et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Je félicite le rapporteur. Cette réforme est positive. Elle met fin à une grande institution, qui ne correspondait plus à la France moderne et à l'état de droit républicain.
Merci pour ce rappel historique. Il est vrai que l'évolution a pris du temps...
Comme le disait Edgar Faure, on a toujours tort en France d'avoir raison trop tôt ! (Sourires)
Je m'interroge sur l'impossibilité pour la victime d'une infraction commise par un militaire de faire citer directement ce militaire devant la juridiction de jugement. Quelle est la justification de cette dérogation ?
A la différence de la plainte devant le parquet ou le juge d'instruction, la citation directe, qui ne joue qu'en matière de contraventions et de délits, permet de faire convoquer directement l'auteur présumé d'une infraction, par le biais d'une citation à comparaître, devant un tribunal, sans phase d'enquête préalable et sans qu'une instruction ait été ouverte.
On voit bien les dérives que cette procédure pourrait entraîner si elle était applicable aux militaires.
En outre, cela ferait échec à l'avis préalable du ministre de la défense.
En revanche, la victime ou la partie lésée peut porter plainte contre personne dénommée ou contre personne non dénommée et se constituer partie civile, selon les règles de droit commun.
Il ne s'agit pas d'interdire à la victime l'accès à la juridiction militaire, mais sans le filtre de l'instruction, certains antimilitaristes viscéraux multiplieraient les citations directes dans le seul but de démoraliser ou désorganiser des unités ! C'est ce que les militaires redoutent. N'oublions pas que le code pénal est riche, et l'invention des avocats considérable ! (Sourires)
Les désertions ont-elles augmenté depuis la professionnalisation ? Quid de leur incidence en Opex ?
La désertion a considérablement progressé depuis la fin de la conscription : le nombre d'actes de désertion a augmenté de 500% en dix ans ; il y en avait 2400 en 2006, contre moins de 500 en 1997. Cela tient à ce que nombre de militaires s'engagent, sur contrat de cinq ans, pour des raisons avant tout alimentaires. Ils ont tendance à considérer l'armée comme n'importe quel employeur ; ne pas rentrer au casernement ne leur paraît pas plus grave que de ne pas se présenter sur son lieu de travail ! Cette progression tient également à ce qu'au-delà d'un nombre donné de jours, tout retard est qualifié de désertion.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 23
L'article 23 modifie de nombreuses dispositions du code de procédure pénale et du code de justice militaire. Mon amendement n°1 apporte des modifications de forme.
L'amendement n° 1 est adopté à l'unanimité.
L'amendement n°6 du gouvernement précise qu'en cas d'attentats terroristes commis par ou à l'encontre des forces armées en dehors du territoire, c'est le pôle anti-terroriste de Paris qui sera compétent. Cela me paraît logique, étant donné que le terrorisme est un domaine spécifique qui demande une forte spécialisation et des moyens importants. J'émets donc un avis favorable, tout en m'interrogeant sur la rédaction : « les actes de terrorisme commis par des forces armées françaises »...
Nous interrogerons le gouvernement en séance publique sur cette formulation.
L'amendement n° 6 est adopté.
L'article 23 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles additionnels
Lorsque des infractions sont commises à bord des navires de la marine nationale ou des aéronefs militaires dans les eaux territoriales, la juridiction compétente sera celle du lieu d'affectation ou de débarquement - en pratique, les formations spécialisées du TGI de Marseille et du TGI de Brest. Toutefois, le Tribunal aux armées de Paris s'estime compétent pour les infractions commises à l'étranger, ce que contestent les formations spécialisées du lieu d'affectation. Ces conflits donnent lieu à des difficultés procédurales et à des arbitrages du ministère de la justice.
Mon amendement n° 2 précise que la juridiction compétente sera celle du lieu d'affectation. Cette clarification est très bien accueillie tant par la marine nationale que par le ministère de la justice et les magistrats.
L'amendement n° 2 est adopté à l'unanimité et devient un article additionnel.
Depuis la loi du 21 juillet 1982, la mise en mouvement de l'action publique relève du procureur de la République. La loi prévoit toutefois un avis du ministre de la défense ou de l'autorité militaire habilitée, sauf en cas de dénonciation ou de flagrance. Cette dérogation avait alors été justifiée par la nécessité de tenir compte de la spécificité militaire. Or les juges ne sollicitent pas toujours l'avis du ministre de la défense lorsqu'il apparaît qu'un militaire est susceptible d'être poursuivi à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile ou d'une plainte contre X. Dans un arrêt du 16 juillet 1997, la chambre criminelle de la cour de cassation a en effet estimé que l'article 698-1 du code de procédure pénale ne s'appliquait pas au juge d'instruction. Il en va de même en cas de découverte de faits nouveaux au cours de la procédure.
Mon amendement n° 3 prévoit donc l'obligation de demander un avis du ministre de la défense en cas de poursuites contre un militaire, y compris à la suite d'une plainte contre X, d'une plainte avec constitution de partie civile ou d'un réquisitoire supplétif. Cet avis préalable, qui ne lie pas le procureur de la République, constitue un aspect essentiel de la prise en compte de la spécificité militaire. Il permet d'éclairer des situations opérationnelles parfois très complexes, en particulier en opérations extérieures. Le Sénat avait tenté en 1999 d'inscrire cette obligation dans la loi, mais l'Assemblée nationale s'y était opposée.
L'autorité militaire risque, pour des raisons corporatistes, de différer très longtemps son avis...
L'article 698-1 du code de procédure pénale prévoit que l'avis doit être rendu dans un délai d'un mois, qui peut être réduit en cas d'urgence.
Cet avis devrait ainsi être l'occasion pour le ministère de la défense d'expliquer les circonstances de l'embuscade d'Ouzbine, en Afghanistan, affaire dans laquelle il y a constitution de parties civiles.
Que se passe-t-il si le ministère ne rend pas son avis ? La procédure en est-elle bloquée ?
La procédure se poursuit. L'absence de l'avis dans le dossier est un motif de nullité sauf s'il n'a pas été rendu dans le délai d'un mois.
L'avis n'est que consultatif ; le ministère a tout intérêt à le rendre !
L'amendement n° 3 est adopté à l'unanimité et devient un article additionnel.
Article 24
Actuellement, la condamnation à une peine d'emprisonnement avec ou sans sursis entraîne la perte du grade et donc la radiation des cadres de l'armée. L'automaticité de cette sanction apparaît discutable au regard de la convention européenne des droits de l'homme et de la règle non bis in idem. Elle est également contraire au principe de nécessité des peines, énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
L'article 24 supprime donc le caractère automatique de cette sanction. Le juge pourra toujours prononcer une peine d'interdiction des droits civiques ou une interdiction d'exercer un emploi public s'il estime la condamnation pénale incompatible avec la fonction militaire, et l'autorité militaire pourra toujours engager une procédure disciplinaire. D'autre part, il supprime la possibilité pour le juge de substituer une peine d'emprisonnement à une peine d'amende, disposition désuète qui semble n'avoir jamais été appliquée.
L'article 24 est adopté sans modification.
Article additionnel
La désertion, je l'ai dit, a augmenté de 500 % en dix ans ; le phénomène touche essentiellement les militaires du rang, mais commence également à concerner les sous-officiers. Or, le cadre législatif actuel est inadapté.
Le code de justice militaire, qui date de 1965, distingue la désertion à l'intérieur du territoire et à l'étranger, et le régime des peines est différent en temps de paix et en temps de guerre. La peine maximale d'emprisonnement est de trois ans dans le cas d'une désertion à l'intérieur, de cinq ans si elle intervient à l'étranger ou est concertée, mais peut aller jusqu'à dix ans en temps de guerre.
Dans la pratique, les actes de désertion se concluent très majoritairement par un classement sans suite, éventuellement assorti d'un rappel à la loi, sans inscription au casier judiciaire. Les sanctions sont essentiellement des peines d'amendes ou des travaux d'intérêt général. Les peines d'emprisonnement ferme sont rares et, dans 90 % des cas, sont prononcées par défaut. Moins d'1 % des affaires conduisent le déserteur en prison et la peine est toujours inférieure à une année.
Il est par ailleurs difficile de distinguer désertion à l'intérieur et désertion à l'étranger. Quid d'un marin qui s'absente sans autorisation lors d'une escale, d'un militaire qui se réfugie à l'étranger, d'un militaire en opération extérieure qui demeure sans autorisation sur le territoire à l'issue d'une permission ?
Mon amendement n°4 clarifie les choses. La définition de la désertion sera fonction de la formation de rattachement, selon qu'elle est située ou non sur le territoire. Par ailleurs, le délai de grâce accordé au militaire sera réduit afin de tenir compte de l'évolution des moyens de communication et de transport. Le régime des peines n'est pas modifié pour ne pas banaliser l'acte de désertion, qui ne peut être assimilé à une simple absence injustifiée sur le lieu de travail.
L'amendement n° 4 est adopté à l'unanimité et devient un article additionnel.
Article 26
Il faut du temps pour opérer une opération de clarification, disait M. Badinter tout à l'heure... Pour la rendre possible, il a fallu une évolution des coeurs, des esprits et des conventions internationales. En outre, le Tribunal aux armées de Paris est installé dans la caserne de Reuilly-Diderot. Par parenthèse, je suis attaché à ce lieu pour y avoir passé un mois, avant mon départ en Algérie, à nettoyer le même camion ! (Sourires) Ce vaste territoire, quasiment vide, sera consacré à la construction de logements sociaux en vertu d'un accord entre la Défense et la ville de Paris. D'où mon amendement n°5 qui avance la date de suppression du Tribunal aux armées de Paris au 1er janvier 2012.
L'amendement n° 5 est adopté à l'unanimité.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des articles 23, 24 et 26 du projet de loi, tels que modifiés par les amendements qu'elle a adoptés et en tenant compte de l'insertion de trois articles additionnels.
En conséquence, la commission constate que la proposition de loi est satisfaite.
La commission procède à la nomination de rapporteurs.
Jean Besson est désigné rapporteur du projet de loi n° 3178 (AN - XIIIe législature) autorisant l'approbation de l'arrangement concernant les services postaux de paiement.
Nathalie Goulet est désignée rapporteur du projet de loi n° 3193 (AN - XIIIe législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Emirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense ainsi qu'un échange de lettres.
Notre commission a retenu le principe d'un déplacement en Afghanistan lors de la semaine du 20 juin afin d'évaluer, sur le terrain, le processus de transition. « A l'horizon 2014, les forces afghanes endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l'ensemble de l'Afghanistan », a indiqué l'OTAN réuni à Lisbonne en précisant toutefois que la transition, soumise au respect de conditions et non d'un calendrier, n'équivaudra pas au retrait des troupes de la FIAS. Nous avons budgété le déplacement de trois membres de notre commission ; compte tenu des missions et déplacements précédents, il revient au groupe socialiste et au groupe CRC de désigner un de leur membre pour m'accompagner.
Ensuite, les bouleversements géopolitiques sur la rive Sud de la Méditerranée ainsi que la catastrophe multiforme que connaît le Japon nous ont surpris par leur brutalité et leur ampleur. Pouvait-on les prévoir ? Aurait-on pu mieux s'y préparer ? Au-delà des critiques assez injustes adressées à la politique extérieure de la France et à notre réseau diplomatique -l'ancien ambassadeur à Tunis nous a dit avec vigueur ce qu'il en pensait !-, la révision à mi-parcours du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale nous donne l'occasion de faire le point sur la fonction « connaissance et anticipation ». Depuis que le Livre blanc l'a érigée en fonction stratégique à part entière, qu'a-t-on fait pour muscler nos capacités d'anticipation stratégique ? Pour m'en tenir à un seul exemple, la réorganisation du domaine du renseignement s'est conclue par la création de la DCRI et de l'Académie du renseignement, sujet sur lequel nous entendrons bientôt le coordonnateur du renseignement. Je propose de confier à M. del Picchia ce travail délicat de réflexion qui donnera lieu à un rapport d'étape avant la suspension de l'été et à une communication lors des universités d'été de la défense en septembre. (Approbation.)
Enfin, le moment est décisif pour les négociations sur l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne. Ce pays, candidat depuis 2004, a adopté pas moins de 260 lois pour intégrer l'acquis communautaire si bien que 28 chapitres de négociations sur 35 sont clos. Le traditionnel rapport sur l'élargissement de la commission laissait présager une conclusion rapide des négociations avant que la Commission ne rende un rapport sévère, début mars, sur la réforme judiciaire, la lutte contre la corruption et la collaboration avec le tribunal international sur l'ex-Yougoslavie. Les autorités croates mettent tout en oeuvre pour satisfaire la Commission ; la présidence hongroise, très favorable à l'adhésion, espère boucler les négociations avant fin juin, ce qui ne sera peut-être pas possible. La France est favorable à l'entrée dans l'Union de ce pays-clé des Balkans, dont le PIB par habitant est deux fois plus élevé que celui de la Roumanie, à condition d'un respect strict des différents critères d'adhésion. Notre commission, qui sera saisie du projet de loi de ratification du traité d'adhésion, a décidé de charger M. Jacques Blanc, qui pourrait être accompagné d'un collègue du groupe socialiste, d'une mission à Zagreb. Celle-ci donnerait lieu à la présentation d'un rapport d'information avant fin juin et à une communication devant la commission des affaires européennes.