Intervention de Yves Aubin de la Messuzière

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 février 2011 : 1ère réunion
Situation en tunisie — Audition de M. Yves Aubin de la messuzière ancien ambassadeur

Yves Aubin de la Messuzière :

Cette vague d'immigration clandestine est largement liée à l'actuelle désorganisation du contrôle des côtes. C'est un véritable système mafieux d'immigration clandestine qui s'est organisé, depuis quelques années, via la Libye, avec son cortège de drames humains. Je pense qu'au-delà de l'effet d'aubaine et d'opportunité lié à l'actualité, ce flux devrait se ralentir. Il peut aussi concerner partiellement des prisonniers récemment libérés ou encore des nervis du régime.

Les chaînes de télévision panarabes comme Al Jazeera ont montré des images bien plus violentes que les télévisions françaises des exactions commises en Tunisie comme d'ailleurs en Égypte.

Je considère que l'expression française -et européenne- à propos des récents événements en Tunisie et en Égypte n'a pas été à la hauteur de ce qu'on pouvait attendre. Le président américain a su, au contraire, employer les mots justes, parlant du « courage » et de la « dignité » du peuple tunisien. Le terme de « dignité » a une résonance très forte dans la langue arabe. La France s'est, quant à elle, contentée de « prendre acte » de la transition, termes qui pouvaient laisser supposer que ce n'était pas la situation qu'elle aurait souhaitée. Certaines maladresses passées sont encore citées dans la presse tunisienne, comme les propos du Président de la République en 2008 sur la progression de l'espace des libertés en Tunisie... Sur le plan diplomatique, la Tunisie n'a pas été traitée avec les égards nécessaires. J'en veux pour exemple l'annonce de la nomination récente de l'ambassadeur de France, avant même son agrément. C'est une maladresse, même si notre nouvel ambassadeur est talentueux, et connaît bien le Maghreb : il faut d'abord savoir écouter et ne pas avoir de certitudes. En conséquence, un certain ressentiment est en train de naître du côté tunisien, nourri par ces erreurs de communication. Mais il n'est pas irrémédiable et la confiance devrait revenir pour peu que l'on fasse les gestes qui montrent notre volonté d'accompagner la transition.

La France a annoncé le déblocage de 350 000 euros d'aide d'urgence, montant dérisoire comparé aux dizaines de millions d'euros de l'UE et de l'Italie, alors que l'Agence française de développement a engagé en Tunisie au cours de cette décennie plus d'une centaine de millions d'euros, pour accompagner ce pays vers une économie émergeante. Nous avons ainsi contribué au développement du pays et aussi au renforcement de la classe moyenne et de la société civile. Là encore nous n'avons pas su communiquer avec conviction. Nous n'avons pas de discours d'ensemble pour accompagner ces évolutions dans le monde arabe. Alors même que la France a une relation privilégiée avec les États du Maghreb, je crains que l'image de notre pays ne sorte affaiblie des récents événements. Depuis le changement, il n'y a pas eu de mission ministérielle en Tunisie, alors que les Etats-Unis ont envoyé leur secrétaire d'État adjoint du département d'état. Les Américains, pour qui la Tunisie n'a jamais figuré au premier rang de leurs priorités stratégiques, et qui n'ont pas non plus joué de rôle majeur dans la transition, contrairement à ce qui s'est passé en Égypte, ont désormais une image extrêmement valorisée.

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