Intervention de Sophie Pommier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 février 2011 : 1ère réunion
Situation en égypte — Audition de Mme Sophie Pommier consultante chargée de cours à l'iep de paris

Sophie Pommier, consultante, chargée de cours à l'IEP de Paris :

Les Etats-Unis ont certainement joué un rôle important dans le déroulement de ces événements, compte tenu des liens étroits qui existent entre le régime, l'armée égyptienne et les Etats-Unis. Le président Barack Obama et la diplomatie américaine ont vite compris qu'il fallait lâcher le président Hosni Moubarak, pour favoriser une transition, tout en étant assurant la stabilité de l'Egypte, leur principal allié dans la région. Ils sont certainement attachés à la survie du régime, avec les aménagements nécessaires et n'ont certainement pas envie d'un scénario trop favorable aux Frères musulmans.

A cet égard, je voudrais revenir brièvement sur le paysage politique égyptien actuel et sur la place et le rôle des Frères musulmans.

En dehors du parti du président, c'est-à-dire du Parti National Démocratique, il n'existe pas véritablement de partis véritablement représentatifs, structurés et organisés. Les petits partis de l'opposition officielle, comme le parti libéral Neo-Wafd ou le Parti Tagmmu' (national-progressiste unioniste), formé d'anciens marxistes, n'ont pas su renouveler leurs cadres dirigeants et disposent d'une faible assise populaire.

Si des élections libres étaient organisées aujourd'hui, les Frères musulmans, dont il est très difficile d'évaluer le poids réel dans l'opinion, seraient avantagés car c'est la seule force organisée, même si jusqu'à présent ils ne pouvaient pas se constituer en parti politique. Ce ne serait sans doute pas un raz de marée mais si on veut résumer la situation on pourrait dire que des élections libres ne seraient pas justes.

Les analystes estiment généralement (mais sur quelles bases ?) que les Frères musulmans recueillent entre 20 et 40 % de soutien dans l'opinion publique. Ils comptent beaucoup de représentants des professions libérales, comme des avocats ou des médecins. Ils se caractérisent par leur pragmatisme. Ils savent qu'ils suscitent des craintes au sein de l'armée comme à l'étranger. Comme ils l'ont annoncé, ils sont donc disposés à restreindre dans un premier temps leurs ambitions, en ne présentant pas de candidat à l'élection présidentielle ou en présentant des candidats dans un nombre limité de circonscriptions aux élections législatives. S'ils visent d'accéder un jour au pouvoir, ils inscrivent leur action dans le long terme. Par ailleurs, la confrérie des Frères musulmans ne représente pas une force homogène, différents courants existent en son sein même si c'est la ligne dure qui a pris les commandes aux dernières élections internes. Par ailleurs, les Frères musulmans ont été débordés ces dernières années par le mouvement salafiste, prônant un islamisme plus radical, mais qui a été paradoxalement encouragé par le régime, parce que ce mouvement s'intéressait davantage à la sphère privée qu'à l'accession au pouvoir. Aujourd'hui, le courant salafiste a gagné en influence, notamment au sein de la grande université al-Azhar. Exclure les Frères musulmans de la vie politique présenterait donc le risque d'encourager leur radicalisation et les mouvements plus extrémistes.

On avait souvent tendance en Occident à considérer le régime égyptien comme un rempart laïc contre l'islamisme mais la réalité était beaucoup plus complexe. Il faut se souvenir que c'est Anouar-el Sadate qui a fait inscrire dans la Constitution égyptienne que la Charia est la principale source d'inspiration de la loi et que le pouvoir a encouragé la réislamisation, voire joué la surenchère à la morale islamique, par exemple en orchestrant la répression des homosexuels (affaire dite du Queen Mary en 2001)ou encore , plus récemment, en autorisant en 2006 des chaînes de télévision d'inspiration salafiste.

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