Intervention de Michèle Alliot-Marie

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 février 2011 : 1ère réunion
Audition de Mme Michèle Alliot-marie ministre des affaires étrangères et européennes

Michèle Alliot-Marie, ministre d'État :

J'ai toujours grand plaisir à réfléchir avec vous à la situation internationale. L'exercice est essentiel en ces temps où l'actualité est chargée.

La situation de Florence Cassez crée une certaine tension dans nos relations avec le Mexique. Nous avons de l'amitié et du respect pour ce grand pays ; nous savons l'extrême sensibilité de ce grand peuple aux affaires d'enlèvements ; nous respectons le grand principe démocratique de l'indépendance de la justice, au Mexique comme ailleurs. Notre seul souci est que justice soit rendue au bénéfice de nos compatriotes dans des conditions respectueuses des droits de l'accusé. Or le montage médiatique réalisé après l'interpellation de Florence Cassez a fait de la Française une coupable aux yeux de l'opinion mexicaine, ce qui est contraire au principe de la présomption d'innocence ; les témoignages qui la disculpaient n'ont pas été pris en compte tandis que les contradictions entre les témoignages à charge n'ont pas été relevées. Nous comptions beaucoup sur la procédure de l'amparo, assez semblable à notre pourvoi en cassation, pour que soit reconnue la nullité de ces procédures, nullité qu'admettent d'ailleurs certaines institutions mexicaines, dont l'influente Église catholique ; mais vous savez qu'elle s'est conclue par un rejet du recours.

J'ai immédiatement écrit à mon homologue mexicain, lui demandant de veiller à que la Française soit détenue dans des conditions qui garantissent sa dignité et son intégrité physique. C'est le cas actuellement, mais rien ne nous assure qu'elle ne sera pas transférée dans un autre lieu où elle pourrait connaître le sort qui l'avait conduite à une tentative de suicide. Nous restons mobilisés pour trouver une issue conforme à la justice et au droit. Le Mexique a adhéré à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées ; le Président Calderon s'était engagé officiellement par écrit. Or nous sommes confrontés à un refus, contrairement à la règle de droit.

Pour autant, le soutien à notre compatriote n'affaiblit en rien notre engagement auprès du Mexique et des peuples d'Amérique latine -j'en veux pour preuve la proposition de résolution visant à instaurer une journée de l'Amérique latine et des Caraïbes, adoptée hier au Sénat. Nous sommes fiers de participer à l'essor du Mexique où nos compatriotes et nos entreprises sont de plus en plus nombreux. Au reste, l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud n'ont pas bénéficié de toute l'attention que nous aurions dû leur porter ; nous avons en partage une culture, notamment institutionnelle et juridique. Moi qui viens d'une région d'émigration vers l'Amérique latine, j'ai souvent plaidé pour une France plus active et plus présente dans ces pays. La France souhaite l'affirmation des nations d'Amérique latine sur la scène internationale. Est-il concevable qu'un continent entier ne soit pas représenté au sein du Conseil de sécurité de l'ONU ? Le Président de la République souhaite que le Brésil en devienne un membre permanent. L'Amérique latine doit faire entendre sa voix au sein du système international, en matière de lutte contre la volatilité des prix des matières premières. La France entend y contribuer, notamment dans le cadre du G20. J'ai reçu récemment le président de la Colombie et je m'envole dans quelques jours pour le Brésil.

L'actualité internationale est marquée par les mouvements de contestation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Du Maroc jusqu'aux États du Golfe, nous assistons à un « printemps des peuples ». S'il faut rester prudent dans l'analyse car les situations sont différentes, chacune de ces révoltes exprime d'abord un sentiment d'humiliation, une volonté de recouvrer sa dignité. D'après l'étude que j'ai commanditée sur « le ressenti de l'homme arabe », ce sentiment prend sa source dans l'absence de perspectives économiques. Les gouvernements ont échoué à créer suffisamment de richesse et à la répartir équitablement. S'ajoute à cela, les brimades quotidiennes par les forces de l'ordre et l'impression qu'il y a « deux poids, deux mesures » dans le traitement d'un conflit israélo-palestinien, qui semble sans issue. Les peuples ressentent une véritable humiliation sur la scène internationale.

Deuxième message qu'envoient ces mouvements : les peuples veulent prendre en main leur propre destin, sans complexes et sans ingérences extérieures : aucune attaque contre le colonialisme et le néo-colonialisme n'a été notée en Tunisie, non plus qu'en Égypte, mais une sensibilité aux interventions un peu trop publiques de certaines puissances étrangères, ressenties comme une ingérence.

La France est particulièrement attentive à l'évolution de ces mouvements dans les deux pays qui en ont pris la tête. En Égypte, la révolution a consisté en un mouvement populaire, très marqué par la présence de la petite classe moyenne et des jeunes - elle n'est pas le fait de groupements politiques. Les principales revendications sont d'ordre économique et social. Le processus de transition se poursuit après le départ du Président Moubarak. Situation inédite en de telles circonstances : la Constitution et le Parlement ont été suspendus au bénéfice d'un Conseil militaire qui tire sa légitimité de la rue tandis que le gouvernement gère les affaires courantes avant la tenue d'élections réellement libres dans six mois. Si un retour à la normale est perceptible dans la vie quotidienne, le ralentissement de l'économie est extrêmement sensible, malgré les revenus réguliers tirés de l'exploitation du Canal de Suez, en raison des moindres recettes du tourisme.

La Tunisie, ce pays qui a déclenché le mouvement avec la révolution de jasmin, est en passe de régler ses problèmes politiques. Néanmoins, la situation économique y reste extrêmement difficile en raison de l'arrêt total de l'activité des entreprises durant des semaines et de la baisse considérable des recettes touristiques. Nous avons, à la demande du gouvernement tunisien, et notamment du ministre chargé des réformes économiques et sociales et du ministre des affaires étrangères, levé les restrictions touristiques partout où cela était possible sans mettre en danger la sécurité de nos concitoyens, c'est-à-dire sur la côte. Je suis en contact tous les deux jours avec les autorités tunisiennes.

Nous voulons approfondir notre soutien à ce pays pour l'aider à faire face à cette crise économique conjoncturelle et aller plus loin. De fait, les problèmes sont venus de la politique d'aménagement du territoire : la révolte est née dans le centre-ouest du pays, moins développé. La Tunisie est le pays du Maghreb qui compte le plus de diplômés, en pourcentage de la population active, mais ceux-ci ne trouvent pas d'emploi. Mais, pour attirer les entreprises dans ces zones, il faut bâtir des infrastructures, des autoroutes, des liaisons ferroviaires. La Tunisie souhaite être accompagnée, particulièrement par la France -ce sont le premier ministre et les ministres qui l'affirment - au nom des liens particuliers qui nous unissent, sans exclure les autres pays, notamment ceux d'Europe du Sud. Ses priorités sont l'aménagement du territoire, la relance des entreprises et les jeunes diplômés pour lesquels elle a prévu un plan consistant en une allocation d'environ 75 euros, une activité et une formation professionnelle. Pour répondre à la demande de la Tunisie, le Premier ministre a présenté, lors du Conseil des ministres, un programme d'action en trois volets : accompagnement de la démocratie et de l'État de droit et lutte contre la corruption ; modernisation économique et développement de l'emploi ; multiplication des contacts avec la société civile via les ONG. Il est hors de question d'annoncer ce plan sans en avoir discuté avec les autorités tunisiennes. D'où le prochain déplacement de deux ministres à Tunis, dont M. Wauquiez, et l'attention portée à l'articulation de notre plan avec le niveau européen. L'Europe doit être impliquée dans la boucle ; c'est ce que j'ai demandé et facilement obtenu lors du dernier conseil des ministres à Bruxelles. Une conférence internationale sur le soutien aux réformes politiques et économiques en Tunisie aura lieu à Carthage fin mars ou début avril ; la France y jouera un rôle important. L'Italie a annoncé qu'elle y participerait, de même que des pays du Golfe. Au plan européen, j'ai également demandé que la Tunisie bénéficie du pays de statut avancé qu'elle réclame depuis longtemps.

Enfin, nous déplorons les violences survenues lors des manifestations en Libye hier. Chacun doit pouvoir exprimer ses aspirations librement ; la capacité d'écoute est primordiale. Nous suivrons la situation avec attention.

Pour conclure, ces événements nous imposent de changer de grilles de lecture à l'égard de ces pays. Ils nous obligent à l'attention, à l'écoute et, lorsqu'on nous le demande, à l'action. Il n'est pas question de pratiquer l'ingérence et de dire à ces peuples : « voilà ce que vous devez vouloir, demander et faire ». Nous devons respecter leurs aspirations tout en répondant rapidement à leurs demandes. Voilà comment nous assumerons toute notre responsabilité, celle qu'implique notre amitié et celle qu'implique notre histoire !

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