Intervention de Robert Badinter

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 février 2011 : 1ère réunion
Audition de Mme Michèle Alliot-marie ministre des affaires étrangères et européennes

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Madame la ministre, franchement, je n'ai pas souvenance qu'une affaire judiciaire ait été aussi mal traitée par le gouvernement français que l'affaire Cassez. C'est un désastre ! Je connais le Mexique, vous aussi. C'est un grand peuple avec lequel nous entretenons des relations culturelles fortes, mais aussi juridiques - je peux en témoigner. La caractéristique des Mexicains est une fierté très vive, peut-être en raison de leur proximité avec un grand pays voisin. Si je suis convaincu que la procédure est entachée de vices graves et qu'il aurait été dans l'intérêt des Mexicains que Florence Cassez soit rejugée en présence d'observateurs étrangers et de la presse internationale, je dois noter que Florence Cassez relève de la seule justice mexicaine. L'infraction a été commise sur le territoire de ce pays ; les enlèvements y sont un véritable fléau ; toute la politique judiciaire mexicaine est axée sur la lutte contre ceux-ci. La justice mexicaine s'est prononcée à trois reprises : Florence Cassez a été condamnée à 93 ans de prison, puis à 60 ans.

A mes yeux, cette condamnation est inhumaine en ce qu'aucune possibilité de recours n'est prévue et que l'on dénie aux condamnés la possibilité de changer. Mais là n'est pas l'essentiel. Dans ces conditions, le devoir des autorités françaises, la seule possibilité dont elles disposent, est d'obtenir le transfèrement pour, ensuite, aménager la peine. Or, aux termes de l'article 5 de la Convention, le transfèrement peut être demandé, accordé et obtenu ; mais il n'est en rien une obligation. Il est facultatif. Vous avez donc besoin du concours bienveillant des autorités mexicaines ; vous leur demandez un geste d'humanité. Et à quoi avons-nous assisté ? Le Président de la République, alors que le procès était en cours, a discuté de l'affaire avec son homologue. Que je sache, le principe de l'indépendance de la justice vaut aussi au Mexique ! Une fois le verdict tombé le 10 février, vous, une femme d'expérience, vous avez qualifié la décision d'inique. Qu'auriez-vous fait, qu'aurais-je fait, en tant que garde des sceaux, en découvrant dans la presse mexicaine que l'on qualifiait d'inique une décision de la Cour de cassation française ? Nous aurions protesté ! Cette réaction n'est pas de nature à faciliter le transfèrement. Ensuite, quelle mouche a piqué le Président de la République ? Nous devons entretenir les meilleures relations avec le Mexique, un pays-clé de la région. Et, dans ce moment d'euphorie qu'est l'organisation de l'Année du Mexique en France, il affirme vouloir « dédier » la manifestation à Florence Cassez. Les bras m'en sont tombés ! La générosité de votre tempérament vous pousse à la considérer innocente ; votre conviction est sans doute fondée. Toutefois, pour les Mexicains, elle est le co-auteur d'un enlèvement et condamnée, pour ces faits, à trois reprises. Imaginez-nous un instant à leur place ; nous serions hors de nous !

Que faire maintenant ? Bien que j'aie quitté la profession d'avocat depuis 30 ans, je n'ai pas pu m'empêcher d'examiner la situation. Elle est difficile. Au niveau international, le Mexique ayant ratifié le protocole additionnel au Pacte sur les droits civiques, Florence Cassez peut déposer une requête individuelle devant le comité des droits de l'homme de l'ONU. Soit, une décision du comité aurait une autorité seulement morale, mais le levier n'est pas à négliger. Au niveau régional, Florence Cassez a une autre possibilité d'action : saisir la Cour interaméricaine des droits de l'homme, dont le fonctionnement est assez proche de notre Cour européenne des droits de l'homme. Le Mexique, contrairement aux États-Unis, reconnaît la compétence de cette instance juridictionnelle. Je connais le président de cette Cour ; il est très épris de culture juridique française, ce qui compte. Pour la France en tant qu'État, il existe également une voie de droit : la Cour internationale de justice. Néanmoins, il y a fort à craindre que la justice mexicaine, en raison de la tournure des événements, refuse de soumettre l'affaire à sa compétence.

Tout n'est pas complètement perdu. Comment comptez-vous vous rattraper ? Les Mexicains sont ulcérés que l'on ose dédier l'Année du Mexique à Florence Cassez. Le conflit frontal avec un de nos meilleurs alliés potentiels dessert les intérêts de Florence Cassez. C'est un ratage complet.

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