Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission entend tout d'abord une communication de M. Yann Gaillard, rapporteur spécial, sur les conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse de Paris et Lyon.
Ce rapport arrive assez tard car nous avons rendu visite aux conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse (CNSMD) en 2010 et nous en avons déjà parlé lors de la discussion budgétaire. Le nombre de nos observations est assez réduit : il s'agit de deux belles institutions qui remplissent bien leur rôle et nous n'avons noté aucun dysfonctionnement grave qui nécessiterait la publication d'un rapport d'information.
Ces deux conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse constituent le sommet de la pyramide de l'enseignement musical et chorégraphique en France. A Paris, il y a 1 200 étudiants pour un budget annuel de 30 millions d'euros. A Lyon, 600 étudiants et un budget de 14 millions. La dépense par étudiant avoisine 23 000 euros par an dans les deux établissements. On entre dans les conservatoires après avoir passé un concours difficile car ces établissements ont vocation à former des professionnels d'élite qui sont amenés à évoluer dans les meilleures formations de France et du monde.
Nos déplacements nous ont permis de prendre la mesure du très haut niveau des formations dispensées par les CNSMD, qui les classe parmi les meilleurs établissements au niveau international. Ceci est dû aux grandes qualités du corps enseignant et des personnels administratifs et techniques. Je garde un souvenir très vif de notre visite au conservatoire de Lyon où nous avons organisé une sorte de table ronde avec les membres du corps enseignant. Nous nous sommes trouvés devant des gens passionnés, notamment une ancienne chanteuse lyrique, qui se consacrait à son métier d'enseignante avec un dévouement et une passion communicatifs. De telles rencontres sont rares et précieuses.
Pourquoi deux établissements ? Ils sont bien différents. Le conservatoire de Paris fut créé en 1793, il est le dépositaire d'une tradition séculaire et jouit de son positionnement géographique central. Celui de Lyon date de 1980 : il est l'héritier de la politique de décentralisation culturelle et du plan de Marcel Landowski. Il a joué la carte de l'innovation pédagogique et de son positionnement transfrontalier.
Si ces différences peuvent être vues comme autant d'atouts, plusieurs interlocuteurs auditionnés par mes soins ont souligné que les conservatoires s'étaient longtemps ignorés, voire concurrencés. Si des échanges commencent à se nouer, je considère que la tutelle pourrait susciter une réflexion plus approfondie sur les coordinations à opérer, sur les spécialisations à définir pour certaines disciplines à public très restreint, ou sur les économies d'échelle à trouver entre deux établissements dont les prestations et les besoins sont, somme toute, très similaires. Cette réflexion me paraît d'autant plus importante que la raréfaction des moyens publics dévolus aux opérateurs ne me semble pas durablement compatible avec la stratégie de « croissance » longtemps poursuivie par le CNSMD de Lyon pour asseoir sa légitimité face à son homologue parisien.
La question de l'articulation entre les CNSMD se double de celle de leur place au sommet de la hiérarchie de l'enseignement artistique. Sur cet aspect, il convient d'associer très étroitement ces établissements aux travaux en cours sur l'émergence de pôles d'enseignement culturel, notamment sur la question de leur éventuelle spécialisation sur les grades de master et de doctorat. Cette hypothèse, qui se défend du point de vue de la rationalisation de la carte des enseignements, ne laisse manifestement pas indifférents plusieurs responsables pédagogiques que j'ai rencontrés, qui redoutent une baisse du niveau des impétrants.
La situation financière des établissements est tendue mais tenable, et il convient de saluer l'effort accompli pour réussir la transition vers le nouveau cursus licence - master - doctorat (LMD) à moyens et effectifs constants. On note que Paris dégage une capacité d'autofinancement supérieure à celle de Lyon : 2 millions en 2009 contre 322 000 euros pour Lyon, qui lui permet de couvrir lui-même la majeure partie de ses investissements.
Comme les autres opérateurs de l'État, les conservatoires subissent aujourd'hui une mise sous tension de leur budget, après une croissance des dépenses de 7 % entre 2006 et 2010. Elle doit être vécue comme une incitation, pour ces établissements, à développer leurs ressources propres, dans les limites que leur assigne leur vocation pédagogique. Ainsi, s'il y a probablement peu à attendre du développement de recettes de billetterie ou d'une éventuelle production éditoriale, qui ne ressortissent pas au coeur de métier des conservatoires, je suggère que leur soit laissée une plus grande liberté tarifaire et que soit encouragée la recherche de mécénats. Il apparaît que les frais de scolarité y sont sensiblement moins élevés que chez leurs homologues étrangers, ce qui devrait inciter à mener une réflexion sur leur modulation, par exemple en fonction des ressources des familles. Par ailleurs, la mobilisation des ressources propres pourrait faire l'objet d'objectifs et d'indicateurs de performance spécifiques.
S'agissant des charges, je recommande que la tutelle soit extrêmement vigilante aux conséquences, pour les CNSMD, de l'adoption d'une nouvelle grille de rémunération des personnels contractuels du ministère. Les responsables de ces deux institutions nous ont fait savoir qu'ils craignaient qu'une extension de cette grille aux agents contractuels des opérateurs n'alourdisse leurs charges, dans des proportions incompatibles avec les efforts de maîtrise budgétaire qui leur sont demandés.
La gestion des personnels pourrait être améliorée, notamment à Paris, dont le management est obéré par la coexistence d'agents dépendants du conservatoire et de 106 agents directement rémunérés sur le titre 2 du ministère, soit une masse salariale de 5 millions d'euros. Nous avions déjà rencontré cette situation dans le cas du Centre des monuments nationaux : il n'est pas bon d'avoir au sein d'un même établissement des agents qui dépendent de plusieurs employeurs. Une délégation des actes de gestion de ces personnels assortie d'un transfert de la masse salariale correspondante devraient donc être mis à l'étude, afin de lever les obstacles actuels.
S'agissant des moyens matériels mis à la disposition des établissements, les conservatoires se sentent, globalement, à l'étroit dans leurs locaux. Ce constat est d'autant plus regrettable à Paris que le bâtiment qui accueille l'établissement comprend de nombreuses malfaçons et occupe une emprise totale considérable, mais dont le potentiel d'utilisation se trouve singulièrement réduit par la taille des espaces de circulation progressivement transformés en stockages de fortune, notamment pour les instruments de musique. Lyon connaît les mêmes problèmes de place, doublés d'une obsolescence inquiétante de son parc instrumental récemment relevée par l'Inspection générale des affaires culturelles. Sous réserve que la gestion et l'entretien de ce parc soient significativement améliorés, une subvention exceptionnelle apparaît nécessaire afin de remettre les matériels à niveau, à gager par la réduction d'autres crédits de la mission « Culture ».
J'appelle enfin votre attention sur l'évaluation de la performance au sein des CNSMD et sur leur inscription dans la documentation budgétaire. Les réponses au questionnaire qui m'ont été adressées montrent que le suivi de la performance, grâce à un rapport annuel d'activité rapportant régulièrement les résultats aux objectifs et aux indicateurs, n'est correctement assuré qu'au conservatoire de Paris. Lyon semble en effet éprouver des difficultés à produire une pareille documentation et doit donc s'en donner les moyens à brève échéance.
De plus, la vocation première de ces établissements étant la formation d'artistes de haut niveau, l'indicateur pertinent de leur activité réside dans l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. Si cette insertion fait l'objet d'un suivi, celui-ci demeure relativement rudimentaire et les conservatoires doivent s'employer à le perfectionner, le cas échéant avec l'aide des services du ministère. L'indicateur relatif au coût par étudiant comparé aux autres établissements de même niveau dans le monde doit être amélioré, car nous ne disposons encore que de données très lacunaires. Plus formellement, je constate que le rattachement des CNSMD au programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » répond à une logique plus thématique que fonctionnelle, l'ensemble des responsables rencontrés reconnaissant volontiers avoir davantage de contacts avec le directeur général de la création artistique, responsable du programme 131 « Création », qu'avec le secrétariat général du ministère.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler et que, sous réserve de votre accord, je me propose de notifier au ministre de la culture et aux directeurs des deux conservatoires.