Intervention de Christian de Boissieu

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 2 juin 2009 : 1ère réunion
Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense — Audition de M. Christian de Boissieu président délégué du conseil d'analyse économique et membre du conseil économique de la défense

Christian de Boissieu, président délégué du conseil d'analyse économique et membre du conseil économique de la défense :

a indiqué en préambule qu'il venait de co-rédiger, avec M. Philippe Esper, président du conseil économique de la défense et d'autres auteurs, un ouvrage collectif intitulé « Eurodéfense : pour une relance de l'Europe de la défense », qui suggère que la France, avec d'autres pays européens qui le souhaitent et le peuvent, prenne des initiatives fortes en matière de construction d'une Europe de la défense, dans l'esprit du modèle de la monnaie unique, cette comparaison ayant toutefois ses limites.

Il a précisé qu'il considérait que la réintégration pleine et entière de la France au sein des structures militaires de l'Alliance atlantique n'était pas contradictoire avec la relance de l'Europe de la défense, les deux démarches étant à ses yeux complémentaires.

a, dans un premier temps, estimé que, face aux nouveaux défis auxquels l'Union européenne était confrontée, une évolution « au fil de l'eau » entraînerait inexorablement une perte progressive d'influence de l'Europe sur les questions de sécurité et de défense dans un monde multipolaire.

Il a cité l'exemple de l'énergie, en indiquant que le véritable problème de l'Europe n'était pas celui de son indépendance énergétique vis-à-vis de l'extérieur, celle-ci étant impossible puisqu'elle importe près de 70 % de son énergie, mais celui de la sécurité de ses approvisionnements, ce qui soulève la question des relations de l'Union européenne et de l'OTAN avec la Russie et les Etats « tampons » comme l'Ukraine et de la sécurisation des voies d'approvisionnement maritimes du gaz naturel liquéfié et du pétrole, à l'image de l'opération Atalante de lutte contre la piraterie maritime au large des côtes somaliennes.

Il a également souligné l'importance de définir une véritable politique européenne de l'énergie et de l'environnement, sur la base du paquet « énergie climat » adopté sous présidence française de l'Union européenne en décembre 2008, tout en estimant que la position ambiguë actuelle de l'Allemagne sur le nucléaire ne pourrait se clarifier au mieux, et sans aucune certitude, qu'à l'issue des élections législatives de l'automne prochain. De même, la nouvelle administration américaine a donné des signes encourageants de changement de sa politique dans ce domaine. Toutefois, ces progrès importants ne donnent pas les réponses en matière de sécurité d'approvisionnement.

Concernant la défense, il a indiqué que l'un des nouveaux défis auxquels l'Europe était confrontée tenait à la montée en puissance des dépenses militaires dans les grands pays émergents. Il a rappelé que le budget de la défense au regard du PIB représentait 2 % en Chine, 2,6 % en Inde, 3,6 % en Russie, contre 4 % aux Etats-Unis d'Amérique et 8,4 % pour Israël, alors que les pays de l'Union européenne ne consacrent en moyenne que 1,7 % de leur PIB à la défense, avec de forts écarts entre les pays, avec d'un côté la France et le Royaume-Uni, qui consacrent environ 2 % de leur PIB aux dépenses militaires, et d'autres comme l'Allemagne, où le budget de la défense est de l'ordre de 1 % du PIB.

Il a estimé que la crise économique actuelle risquait de renforcer l'écart entre, d'une part, les Etats-Unis et les puissances émergentes, et, d'autre part, l'Europe, dont les Etats pourraient être tentés de réduire leurs dépenses militaires.

Il a cité, à cet égard, le cas des dépenses de recherches et de technologies en matière militaire, où l'on constate un rapport de 1 à 6, voire de 1 à 10, entre l'Europe et les Etats-Unis.

Il s'est félicité, à cet égard, que la France ait choisi de mettre son budget de la défense « sous enveloppe », en consacrant la totalité des économies réalisées sur les dépenses de fonctionnement aux dépenses d'investissement.

a, dans un deuxième temps, estimé que la crise économique actuelle devrait être l'occasion de relancer l'Europe de la défense.

Il a indiqué que la crise économique, qui était loin d'être achevée, conduisait à court terme les Etats à laisser filer leurs déficits budgétaires et leurs dettes publiques, le cas le plus emblématique étant celui des Etats-Unis, avec un déficit du budget fédéral passant de 3 % en 2008 à 14 % du PIB en 2009, soit une hausse de 11 % du PIB en une seule année, avec un plan de relance de l'ordre de 800 milliards de dollars représentant environ 5 % du PIB américain.

Il a indiqué que, en comparaison, les plans de relance des pays européens étaient en retrait, de l'ordre de 2 % du PIB, ce qui s'explique principalement par le fait que la dette publique ne représentait avant la crise que 40 % du PIB aux Etats-Unis, pour le budget fédéral, alors qu'elle était de l'ordre de 60 % du PIB dans l'Union européenne, et même de 66 % en France.

Il a également rappelé que les Etats-Unis étaient davantage touchés par la crise, que les banques américaines étaient dans une situation plus délicate que les banques françaises et que ce pays disposait de l'avantage de pouvoir financer son déficit dans sa propre monnaie grâce au « privilège exorbitant du dollar ».

Il a estimé que la question qui se pose actuellement est de savoir quelle sera la stratégie de sortie de crise qui sera mise en oeuvre dans deux ou trois ans lorsque les effets de la crise actuelle se seront atténués, notamment en matière de réduction des déficits et des dettes publics, ce qui soulève la question de la réversibilité des dépenses publiques.

A cet égard, il a souligné l'intérêt de la mutualisation des dépenses militaires et des rapprochements des industries de défense des pays européens à un moment où les économies européennes devront rechercher une forte décélération des dépenses engagées pendant la crise. La stratégie de sortie de crise pourra également mieux exploiter les partages capacitaires notamment pour les opérations extérieures.

Estimant que la crise actuelle allait précipiter un certain nombre de restructurations des industries de défense, il s'est montré toutefois prudent sur l'émergence d'une véritable industrie européenne de défense, à l'exception de EADS, en mentionnant les difficultés rencontrées en matière navale.

Il a considéré que si le couple franco-allemand fonctionnait bien au niveau macro-économique, comme l'illustrait le projet conjoint présenté lors du sommet du G20, il subsistait d'importantes divergences aux niveaux microéconomique et industriel, à l'image de la sortie brutale de Siemens du groupe Areva ou des difficultés rencontrées en matière de transport ferroviaire.

Il a estimé que, malgré la création d'institutions comme l'Agence européenne de défense ou l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR), qui jouent un rôle plus formel qu'opérationnel et dont les moyens sont limités, la création d'une véritable industrie européenne de la défense restait encore loin d'être achevée.

s'est aussi déclaré partisan d'un « Small Business Act » européen applicable au secteur de la défense, afin de renforcer le tissu de PME qui jouent souvent un rôle important de sous-traitant des industries de défense.

Il a également indiqué que, face aux marges de manoeuvres budgétaires contraintes, une réflexion avait été menée au sein du conseil économique de défense sur l'externalisation de certaines dépenses et les partenariats publics/privés, au regard notamment de l'expérience britannique, mais que cette formule n'offrait pas un « remède-miracle » et qu'elle soulevait une série de difficultés.

a estimé, en conclusion, que la crise économique actuelle devrait servir d'aiguillon pour relancer l'Europe de la défense.

Il a présenté le projet d'« Eurodéfense », qui repose sur le concept des « coopérations structurées permanentes » en matière de défense, introduit par le traité de Lisbonne, tout en précisant que les rédacteurs de ce projet avaient volontairement laissé de côté la question des critères, notamment capacitaires, pour en devenir membre, afin de ne pas sous-estimer l'importance des critères d'ordre politique.

Partant de l'idée que la construction d'une Europe de la défense à vingt-sept Etats membres serait illusoire, M. Christian de Boissieu a défendu le projet d'une initiative de la France, ouverte à tous les pays européens qui le souhaitent et le peuvent, sans exclusive, visant à faire progresser la politique européenne de sécurité et de défense.

Il a indiqué que le concept d'une Europe de la défense « à géométrie variable » avait déjà été évoqué au moment de la présidence française de l'Union européenne, mais que, à l'époque, les autorités françaises craignaient que cette initiative suscite des divisions entre les Etats membres et qu'elles n'avaient donc pas retenu cette suggestion.

Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.

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