Cette proposition de loi, qui présente un intérêt réel, va dans le sens d'une série de lois adoptées successivement depuis 1985 : les lois du 30 décembre ont limité, pour la première fois, le cumul des mandats électoraux et des fonctions électives en posant les principes « un mandat national et un mandat local par élu » et « un homme, deux mandats » ; la loi du 25 février 1992, pour la première fois, a limité le cumul des indemnités ; enfin, la loi du 5 avril 2000 a renforcé les règles limitant le cumul des mandats, a interdit le cumul de fonctions exécutives locales et a lutté contre les candidats « locomotives », c'est-à-dire ceux qui participent à l'élection pour faire passer une liste et démissionnent aussitôt élus. Des divergences étaient apparues entre députés et sénateurs concernant le régime d'incompatibilité des parlementaires avant que la position du Sénat ne l'emporte, s'agissant d'une loi organique le concernant. Ainsi, les communes de moins de 3 500 habitants et les fonctions exécutives locales ont-elles été prises en compte pour les élus locaux, mais non pour les parlementaires.
Les arguments présentés par les auteurs de la proposition de loi sont connus et nombreux. Le groupe d'études sur la vie et les institutions parlementaires a organisé récemment à Sciences-po un colloque sur la limitation du cumul des mandats auquel ont participé deux anciens premiers ministres. Le problème est réel : on dénombre cinq présidents de conseils régionaux au Sénat et six à l'Assemblée nationale, 30 présidents de conseils généraux au Sénat et 19 à l'Assemblée nationale, 50 présidents d'EPCI au Sénat et 19 à l'Assemblée nationale, 114 maires au Sénat et 259 à l'Assemblée nationale. Si l'on tient compte des mandats de conseillers régionaux, généraux et municipaux, pas moins de 739 parlementaires sont concernés par le cumul des mandats sur 920, soit sept parlementaires sur neuf !
Une première critique est adressée au cumul des mandats : il favoriserait l'absentéisme des parlementaires. Pour autant, le cumul évite les rivalités entre élus locaux et parlementaires au niveau local, phénomène connu aux États-Unis où il n'est pas rare que le gouverneur cherche à s'emparer du mandat du sénateur. En outre, il écarte le risque d'une professionnalisation des parlementaires. (Mme Borvo Cohen-Seat en doute) Deuxième critique, l'opinion publique serait contre. Néanmoins, à chaque fois qu'un cumulard se présente aux élections, il est élu ! Troisième critique : la France serait une exception. Pourtant le cumul des mandats est, dans les faits, rarement interdit. Il l'est en Grèce, où l'indemnité des parlementaires a été multipliée par cinq à la suite de cette mesure, et en Pologne, où les sénateurs déposent régulièrement des propositions de loi pour être autorisés à exercer un mandat local. En outre, la situation française n'est pas comparable à celle des Länder allemands ou des municipalités anglaises où les membres des exécutifs locaux ont un statut comparable à celui des fonctionnaires. Il n'y a donc pas une exception française, mais des traditions et des cultures différentes.
Si le texte est intéressant, il est ambigu, d'une part, parce qu'il fait référence aux fonctions exécutives locales sans les définir précisément - quid d'un adjoint au maire sans délégation, d'un membre du bureau de conseil général sans délégation, d'un vice-président de conseil régional sans délégation ? -, d'autre part, parce qu'il dispose, à l'article second, que « la présente loi s'applique, à compter de sa promulgation, à chaque parlementaire nouvellement élu. » Qu'en est-il des personnes réélues ? Ensuite, notons que ce texte, également déposé à l'Assemblée nationale, a été rejeté par sa commission des lois. De fait, il ne règle pas le problème des cumuls car il traite de la seule question des parlementaires, en ignorant celle des élus locaux, dont le futur conseiller territorial. De plus, faut-il interdire le cumul d'un mandat de parlementaire avec toutes les fonctions exécutives locales, y compris dans les petites communes et les villages ? De l'avis des professeurs Carcassonne, Colliard et Mauss, certaines communautés de communes vivent seulement parce qu'elles sont animées par un parlementaire...