Ma communication d'aujourd'hui est complémentaire de la résolution sur l'avenir de la politique européenne de cohésion après 2013 que notre commission a adoptée le 25 mai dernier, puisqu'elle concerne la mise en oeuvre par la France de cette politique, à travers les fonds structurels européens.
Pour commencer, je vais d'abord vous rappeler la manière dont est organisé le dispositif national de gestion des fonds structurels, qui est assez complexe.
Le cadre général est fixé par les règles communautaires. Pour la période 2007-2013, toutes les régions européennes sont éligibles à la politique de cohésion, mais avec une intensité variable en fonction de leur niveau de développement. Les conditions d'éligibilité sont fixées en fonction de trois grands objectifs :
- l'objectif 1 « convergence », qui concerne les régions européennes dont le PIB par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne du PIB communautaire, ainsi que les États membres dont le revenu national brut par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire. Il concentre 81,5 % des fonds alloués à la politique de cohésion ;
- l'objectif 2 « compétitivité régionale et emploi », qui concerne les régions dont le PIB par habitant est supérieur à 75 % de la moyenne communautaire. Il reçoit 16 % des fonds alloués à la politique de cohésion ;
- l'objectif 3 « coopération territoriale européenne », qui concerne toutes les régions sans distinction de niveau de développement, et qui vise à financer des projets de coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale. Il reçoit 2,5 % des fonds alloués à la politique de cohésion.
Pour contribuer à la réalisation de ces objectifs, la politique de cohésion fait appel à trois fonds :
- le Fonds européen de développement régional (FEDER), qui participe à chacun des trois objectifs ;
- le Fonds social européen (FSE), qui participe aux deux premiers objectifs, avec pour but de faciliter l'adaptation des travailleurs et des entreprises aux mutations économiques et sociales ;
- le Fonds de cohésion, qui se concentre sur les infrastructures de transport et environnementales, sur l'efficacité énergétique et sur les énergies renouvelables. Réservé aux États membres dont le revenu national brut est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire, il ne concerne pas la France.
Au total, 347 milliards d'euros sont affectés à la politique de cohésion sur la période 2007-2013.
Sur cette période, la France bénéficie d'un peu plus de 14 milliards d'euros de crédits issus des fonds structurels européens, soit un taux de retour de 4,13 % sur un total de 347 milliards. Pour cette période de programmation, il n'y a plus de zonage, et ce sont toutes les régions françaises qui sont éligibles aux trois grands objectifs de la politique de cohésion.
La mise en oeuvre nationale des fonds structurels européens recourt à des documents de programmation articulés les uns avec les autres. Tout d'abord, à partir des orientations communautaires, chaque État membre élabore un cadre de référence stratégique national (CRSN), qui fixe les principaux enjeux et axes d'intervention des fonds structurels pour les années à venir. Le CRSN est transmis à la Commission européenne, qui le valide, puis il sert de référence pour la rédaction des programmes opérationnels (PO). En France, 35 programmes opérationnels au total sont mis en oeuvre. Comme le CRSN, les PO sont transmis à la Commission européenne pour examen et validation.
Les règlements communautaires prévoient que la mise en oeuvre de chaque programme opérationnel est pilotée par une autorité de gestion désignée par l'État membre. La France a fait le choix d'une assez large déconcentration. Pour les objectifs 1 et 2, l'autorité de gestion est le Préfet de région, relayé par son Secrétaire général aux affaires régionales (SGAR), qui est lui-même secondé par les différents services instructeurs compétents selon les thématiques. Toutefois, pour le FSE, l'autorité de gestion est centrale : il s'agit du ministère chargé de l'emploi. Par ailleurs, à titre expérimental, la région Alsace est autorité de gestion pour les crédits FEDER de son PO régional.
La chaîne de contrôle de l'utilisation des fonds structurels comporte une autorité de certification. En France, elle est exercée par les directeurs des finances publiques, qui sont garants de l'exactitude et de la conformité des dépenses. Elle comporte également une autorité d'audit, exercée par la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC). La CICC est un organisme central, qui procède de manière aléatoire à des contrôles a posteriori.
Dans le cadre de ma mission d'information, j'ai procédé à un certain nombre d'auditions. J'ai rencontré des représentants de l'Association des régions de France et de la Maison européenne des pouvoirs locaux français, des représentants de la région Alsace, le président de la CICC, un inspecteur général de l'administration auteur d'un rapport sur la gestion des fonds structurels, ainsi que le délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale. Je me suis aussi rendu à Bruxelles, où j'ai rencontré le spécialiste de la politique régionale à notre Représentation permanente, ainsi que le directeur général de la politique régionale à la Commission européenne.
L'enseignement que j'en ai retiré est que l'efficacité de la mise en oeuvre nationale de la politique européenne de cohésion se trouve amoindrie par des difficultés récurrentes. Premièrement, il y a un défaut général de gouvernance. On constate d'abord un manque de coordination entre les différents ministères gestionnaires. En théorie, la DATAR est chargée d'une mission générale de suivi et d'appui, pour faciliter la mise en oeuvre des fonds européens. En pratique, elle se concentre plutôt sur le suivi du FEDER en métropole, la direction générale de l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ayant la responsabilité du FSE, tandis que le ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a la responsabilité des programmes opérationnels dans les départements d'outre-mer.
On constate, également, une expertise insuffisante des services instructeurs dans les régions. Les SGAR et les directeurs régionaux du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP) ne pilotent pas toujours efficacement les services déconcentrés sur lesquels ils s'appuient pour l'animation ou l'instruction des dossiers. Ceux-ci ont aussi subi, ces dernières années, les effets de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Deuxièmement, l'accès aux fonds européens est parfois difficile pour les porteurs de projets. L'information sur l'existence même des fonds, ainsi que sur les procédures à suivre, est trop souvent réservée aux initiés. Quant aux dossiers de demande, ils sont excessivement complexes. Les élus ont du mal à s'y retrouver, et les entreprises plus encore.
Troisièmement, les coûts de gestion des fonds structurels européens apparaissent relativement élevés. Un rapport commun à l'inspection générale des finances, l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale des affaires sociales l'évalue en moyenne à 6,4 % des fonds concernés. Ce coût de gestion non négligeable s'explique notamment par un nombre souvent important de cofinanceurs pour un même projet, dont les règles ne sont pas coordonnées.
Quatrièmement, les fonds structurels européens se trouvent exposés au risque de la règle du « dégagement d'office », d'après laquelle les crédits engagés au titre de l'année N qui n'ont pas été consommés à la fin de l'année N+2 sont restitués au budget communautaire. Ce risque est accru en début de période de programmation, quand les projets retenus tardent à se mettre en place.
Vous savez que nous nous trouvons actuellement dans la phase de préparation de la prochaine période de programmation des fonds structurels, pour les années 2014 à 2020. La Commission européenne vient de rendre publiques, le 29 juin dernier, ses propositions chiffrées pour l'ensemble du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne. Dans un contexte de hausse globale du budget communautaire de 4 %, le budget de la politique de cohésion passerait de 347 à 376 milliards d'euros. Ce montant inclurait 40 milliards d'euros consacrés à un fonds pour les infrastructures, qui serait géré de manière centralisé, sans l'intervention des régions. Ce fonds spécialisé permettra notamment de financer les opérations programmées par le schéma national des infrastructures de transports (SNIT), qui a été examiné il y a deux semaines par notre commission.
Par ailleurs, la Commission confirme la création d'une nouvelle catégorie de régions intermédiaires dont le PIB sera compris entre 75 % et 90 % de la moyenne communautaire. Dix régions françaises entreraient dans cette nouvelle catégorie. Néanmoins, cette proposition de la Commission doit encore convaincre une majorité des États membres. Certains pays, comme l'Espagne ou l'Allemagne, préféreraient que l'on consacre plutôt les crédits prévus pour les régions intermédiaires à renforcer les mécanismes de transition dont bénéficient leurs régions tout juste sorties de l'objectif « convergence ».
La Commission européenne a proposé de concentrer les fonds structurels sur un nombre plus réduit de thèmes. L'idée est intéressante, mais il faut que chaque région puisse choisir, lors de l'élaboration de son programme opérationnel, les thèmes qui correspondent à sa spécificité. En revanche, je n'approuve pas la proposition de la Commission européenne de conditionner le versement des fonds structurels au respect par chaque État membre de critères de performance macroéconomiques.
Il faut réfléchir, dès à présent, sur les moyens d'améliorer notre dispositif national de mise en oeuvre des fonds structurels européens et je souhaite formuler un certain nombre de recommandations pour la prochaine période de programmation. Tout d'abord, il convient de renforcer le pilotage des fonds structurels. Pour cela, la DATAR doit être confirmée dans son rôle interministériel de stratège et d'expert pour l'ensemble des fonds, ce qui suppose que ses moyens humains soient portés à un niveau suffisant. Afin de soutenir les services instructeurs, une cellule de spécialistes des marchés publics pourrait être mise à la disposition des préfets de régions et des SGAR. En ce qui concerne l'expérience alsacienne, elle semble difficile à généraliser à des régions moins cohérentes et de dimensions plus vastes.
Ensuite, il faut intensifier les efforts de communication afin d'aller à la rencontre des porteurs de projets potentiels, surtout en début de période de programmation. Pour cela, les chambres consulaires pourraient être mobilisées à destination du monde de l'entreprise, et les sous-préfets d'arrondissement devraient être incités à faire remonter les projets vers le niveau régional, dans le cadre d'un « pacte territorial ».
Le nombre des intervenants par projet mérite d'être rationalisé, en fonction du montant concerné. En effet, le mécanisme des financements croisés aboutit à ce que chaque financeur attend l'accord des autres avant d'apporter sa contribution, avec pour effet final d'allonger les délais.
Par ailleurs, pour renforcer la logique partenariale, la composition du comité de suivi du cadre de référence stratégique national devrait être élargie aux associations représentant les collectivités territoriales de niveau infrarégional.
Un deuxième axe d'amélioration est la simplification des règles de gestion. Tout le monde est d'accord sur cet objectif général. Mais il faudra s'assurer que les propositions que la Commission européenne fera à l'automne en la matière correspondent bien à des simplifications effectives.
Une mesure évidente consisterait à instaurer un dossier unique de demande de cofinancement, identique dans toutes les régions et quel que soit le fonds concerné. Des opérations inter-fonds, financées à la fois par du FEDER et par du FSE devraient pouvoir être montées.
Il faut aussi envisager d'alléger les exigences en matière de contrôle. Ainsi, pour les projets d'un montant inférieur à un certain seuil, qui pourrait être d'un million d'euros, les frais généraux pourraient être calculés sur une base forfaitaire et non plus remboursés sur pièces justificatives. Afin que chacun puisse bénéficier de son expertise, la CICC devrait établir chaque année un rapport d'activité anonymisé.
Plusieurs des personnes que j'ai auditionnées m'ont signalée la nécessité de simplifier les règles applicables aux « projets générateurs de recettes », c'est-à-dire aux partenariats public-privé. Actuellement, pour ce type de projets, il est prévu une estimation préalable des recettes attendues, un suivi des montants effectivement générés, puis un reversement final en cas d'éventuel surfinancement. Cette règle entraîne une complexité et une insécurité juridique qui sont dissuasives.
Un troisième axe d'amélioration concerne la maîtrise du risque de dégagement d'office. D'une part, la règle pourrait être assouplie, en allongeant d'une année le délai imposé aux autorités de gestion pour justifier la consommation des fonds qui leur ont été alloués. On passerait alors de N+2 à N+3. Mais uniquement pour les deux premières années de la période de programmation. D'autre part, il conviendrait d'anticiper les travaux d'élaboration du prochain cadre de référence stratégique national et des prochains programmes opérationnels, de manière à ne pas prendre de retard dès la première année de programmation.
En guise de conclusion, je voudrais redire tout l'intérêt que présentent les fonds structurels pour donner une visibilité à l'Europe auprès de nos concitoyens. La politique de cohésion permet à la construction européenne d'avoir un ancrage solide dans nos régions. Mais elle demeure perfectible, et je crois que notre commission devra demeurer attentive aux propositions de réforme qui vont être discutées à Bruxelles dans les mois qui viennent.