Le secteur numérique est en pleine évolution, comme en témoigne la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, dite « loi Pintat » ; l'annonce par le Président de la République en février 2010 d'objectifs ambitieux en termes de très haut débit, soit 70 % de la population métropolitaine raccordable d'ici 2020 et 100 % d'ici 2025 ; la présentation en juin 2010 du plan national très haut débit (PNTHD) ; l'attribution en cours des fréquences pour la 4G, prochaine génération de téléphonie mobile... La déception est pourtant de mise aujourd'hui, la conférence de presse du chef de l'État sur les investissements d'avenir où il n'a, le 27 juin dernier, quasiment pas abordé la question du numérique. Aussi, afin de sensibiliser les pouvoirs publics à la nécessité d'intervenir, j'ai choisi d'intituler ce rapport : Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes.
La première partie illustre à quel point les technologies numériques sont un atout indispensable pour l'aménagement du territoire. Économiquement, les territoires ne bénéficiant pas d'une bonne couverture numérique seront soumis à un inexorable déclin ; inversement, ceux qui sont bien desservis attireront l'activité. S'agissant des services publics, les technologies de l'information et de la communication (TIC) sont, en permettant le développement de l'« e-administration », un moyen de compenser leur moindre présence physique dans les espaces ruraux. Des projets intéressants sont mis en place en matière d'« e-éducation », tels que le plan « écoles numériques rurales ». L'« e-santé » est une réponse à développer face à la réduction de l'offre de soin en milieu rural. Enfin, en matière de qualité de vie, internet offre de nombreux services aux habitants des campagnes tels que la recherche d'emploi ou de biens immobiliers, l'accès à une offre culturelle et de loisirs, le commerce à distance...
Dans un deuxième temps, le rapport souligne que la situation en matière de réseaux numériques est loin d'être satisfaisante.
S'agissant du haut débit, 98,3 % des foyers bénéficient d'un accès par ADSL. Ce chiffre peut paraître satisfaisant mais il masque le fait que 450 000 foyers ne sont pas éligibles et surtout, il concerne les foyers bénéficiant d'une connexion à partir de 512 kb/s. Or, comme l'a rappelé le ministre en charge de l'économie numérique, M. Eric Besson, lors de son audition devant la commission le 21 juin, il faut aujourd'hui un minimum de 2 Mb/s. Si on prend en compte ce seuil, c'est seulement 77 % des foyers qui disposent d'une telle connexion. Quant à l'offre triple play, qui nécessite environ 8 Mb/s, environ la moitié de la population ne peut pas y accéder dans de bonnes conditions. Le satellite permet de porter à 100 % l'offre « haut débit » sur tout le territoire, mais les services offerts et le prix sont moins avantageux que ceux du réseau cuivre. Il doit donc demeurer une technologie d'appoint.
Pour ce qui est de la téléphonie mobile, le rapport récent de notre collègue Bruno Sido sur le sujet faisait état d'un taux de couverture de 99,82 % de la population par au moins un opérateur en technologie 2G, taux que la 3G égalera fin 2013. Cela signifie en creux que 100 000 personnes, représentant 2,3 % du territoire, demeurent en « zones blanches », 13 départements concentrant 50 % de ces dernières. De plus, le programme d'extension de couverture dans ces zones n'est à ce jour pas achevé, et l'instrument de mesure utilisé insatisfaisant dans la mesure où il considère comme couverte une commune dont seul le centre-bourg est desservi. En outre, il existe un différentiel entre la couverture théorique communiquée par les opérateurs et la couverture réelle relevée par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), du fait de l'insuffisante densité du réseau. Enfin, le critère de mesure utilisé pour réaliser ces mesures est archaïque car il ne prend en compte que les zones habitées, à l'extérieur des bâtiments et en situation fixe.
Pour ce qui est du très haut débit, le déploiement est encore embryonnaire puisque seuls 1 135 000 foyers sont raccordables et 520 000 effectivement abonnés.
Le modèle de déploiement adopté pour le très haut débit suscite en effet des inquiétudes :
- pour le très haut débit mobile. Si l'objectif prioritaire d'aménagement du territoire a été rappelé par le Parlement et par la commission du dividende numérique, il conviendra de demeurer vigilant quant à son respect dans la procédure d'appel d'offre pour les licences 4G et dans le calendrier de déploiement des opérateurs. Le ministre a en effet entretenu le doute en soulignant que les fréquences constituaient le patrimoine immatériel de l'État et ne devraient pas être bradées ;
- pour le très haut débit fixe. Différents autres modèles de déploiement de la fibre optique étaient envisageables, comme le recours à un opérateur mutualisé, à un opérateur unique sur fonds publics comme en Australie, à des partenariats public-privé comme en Finlande ou à des concessions au niveau régional. Ce dernier modèle alternatif, qui est celui des autoroutes, aurait eu l'avantage de confier la charge du déploiement à des sociétés de bâtiments et travaux publics (BTP) habituées à des taux de retour sur investissement faibles sur de longues périodes, là où les opérateurs de télécoms recherchent une rentabilité forte sur un court délai. Le programme choisi par l'État vise à favoriser l'investissement privé et distingue trois zones :
- la zone 1 : zone dense, zone rentable où les investisseurs privés iront sans difficulté (présence de plusieurs opérateurs) ;
- la zone 2 : zone moyennement dense où l'investissement privé est possible sous forme de co-investissement ;
- la zone 3 ; zone non dense où seul un investissement public est possible.
Le PNTHD, dans sa première version, prévoyait d'affecter un milliard d'euros aux opérateurs en zone 2 et 750 millions aux collectivités en zone 3, enveloppe portée par la suite à 900 millions pour ces dernières. En revanche, à la suite des annonces des ministres, le 27 avril 2011, les projets intégrés des collectivités, portant à la fois sur des zones denses et non denses, ne seront aucunement subventionnés, là où ils devaient tout de même l'être sur la partie non dense dans la première version. Ce choix est critiquable dans la mesure où il cantonne de facto l'intervention des collectivités aux seules zones non rentables, interdisant ainsi toute péréquation. Les opérateurs n'iront quant à eux qu'en zone rentable et pourront, en outre, bloquer les projets des collectivités en annonçant des déploiements que rien ne les oblige ensuite à tenir. Des doutes ont ainsi été émis quant à l'engagement de France Telecom de couvrir 60 % des foyers d'ici 2020 pour 2 milliards d'euros : outre que cela représente une faible partie du territoire, divers organismes ont estimé à 7 milliards d'euros le coût d'un tel déploiement. Enfin, les 900 millions d'euros prévus pour les collectivités sont finalement assez limités au regard des besoins, chiffrés globalement à une vingtaine de milliards d'euros.
Dans une troisième et dernière partie, le rapport formule des préconisations.
Les premières sont d'ordre général :
- redonner à l'État un rôle actif dans l'aménagement numérique du territoire. Certes, la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie a reconnu aux collectivités le droit de principe d'établir et d'exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de télécommunications, certes les moyens des pouvoirs publics sont aujourd'hui limités, mais cela ne justifie pas pour autant que l'État abandonne toute gouvernance. A cet égard, on ne peut que regretter la non reconduction dans l'actuel gouvernement du secrétariat d'État à l'économie numérique et d'un ministère exclusivement en charge de l'aménagement du territoire. Il conviendrait par ailleurs que les préfets soient davantage investis sur ces problématiques à l'échelle locale ;
- élargir le champ de compétence des schémas d'aménagement numérique du territoire (SDANT). Il faudrait ainsi les rendre obligatoires, les étendre pour qu'ils concernent tous les aspects de la problématique numérique - très haut débit, mais aussi haut débit et téléphonie mobile -, les rendre opposables aux documents d'urbanisme et en faire la base d'engagements avec les opérateurs ;
- réaffirmer le droit des collectivités territoriales à intervenir sur la totalité de leur territoire ;
- privilégier la mise en place d'obligations imposées aux opérateurs en termes de couverture des territoires plutôt que la création régulière de prélèvements fiscaux supplémentaires (taxe de 0,9 % pour le financement de l'audiovisuel public, imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux...).
La deuxième catégorie de préconisations est constituée de mesures spécifiques.
En matière de téléphonie mobile, il est ainsi proposé de :
- créer un groupe de travail composé de représentants de l'État, des collectivités et des consommateurs pour redéfinir les critères servant à définir les taux de couverture ;
- achever la réalisation du programme de résorption des zones blanches et de rendre celui-ci obligatoire dans les départements où il n'est pas en place ;
- dans le cadre des SDANT, mettre en place une négociation pour améliorer la couverture des territoires ;
- veiller à ce que l'aménagement du territoire demeure l'objectif prioritaire de la 4G dans le cadre de l'attribution des licences et ensuite de son déploiement ;
- favoriser la mutualisation entre opérateurs pour l'achèvement des réseaux existants comme pour la construction du futur réseau 4G.
Pour ce qui est du haut débit, il est suggéré :
- de mettre en place un véritable haut débit pour tous sur la base de 2Mbit/s dès 2012 et de 8Mbit/s en 2015. L'inclusion du haut débit dans le service universel n'est pas pour autant proposée, car le coût en est évalué par l'Arcep à 800 millions d'euros par an, une somme qu'il paraîtrait plus opportun d'utiliser pour le financement du très haut débit ;
- sur la base des SDANT, de négocier avec les opérateurs une amélioration de la couverture en haut débit sur chaque territoire ;
- de rendre la montée en débit éligible au fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT) sur des secteurs clairement définis, lorsqu'elle constitue une solution permettant d'offrir du haut débit à des territoires qui ne seront pas, à brève échéance, desservis par le très haut débit ;
- de privilégier la couverture haut débit par l'ADSL et de ne recourir aux autres technologies, notamment satellitaires, qu'à titre palliatif.
S'agissant enfin du très haut débit, les propositions consistent à :
- prendre au plus vite les dispositions règlementaires d'application prévues par la « loi Pintat » ;
- élaborer une nouvelle circulaire interministérielle sur la base de celle du 31 juillet 2009 relative à l'aménagement numérique des territoires intégrant les nouvelles dispositions prévues par la loi précitée ;
- permettre aux collectivités de couvrir la totalité de leur territoire afin de favoriser la péréquation territoriale ;
- ramener, conformément au droit européen, de 5 ans à 3 ans le délai dans lequel les opérateurs doivent commencer leur déploiement et exiger des opérateurs des informations plus précises en termes de budget et de calendrier de déploiement ;
- transformer les déclarations des opérateurs en engagements contractuels sur la base des SDANT ;
- donner à l'ARCEP le pouvoir de prendre des sanctions en cas de non respect de ces engagements ;
- fixer dans les SDANT une date butoir pour le basculement du réseau cuivre vers le réseau fibre ;
- prévoir dans le code des postes et communications électroniques (CPCE) un statut spécifique propre aux réseaux d'initiative publique (RIP) ;
- réactiver le comité national du très haut débit instauré en 2007 après une éventuelle révision de son mandat et de sa composition ;
- abonder dès 2012 le FANT, afin de réduire le montant des versements annuels et d'afficher un signal fort, de préférence par une dotation de l'État ;
- financer les projets des collectivités territoriales par le FANT en fonction de leur coût et des capacités financières de chaque collectivité ;
- revoir les modalités d'utilisation du milliard d'euros du guichet A du Fonds national pour la société numérique (FSN), constitué de prêts aux opérateurs, pour le réorienter en partie vers du coinvestissement ;
- confier à l'Arcep compétence pour réguler la tarification des services très haut débit aux entreprises, ainsi que pour analyser celle de l'accès à la boucle locale cuivre de France Telecom ;
- assurer en priorité le déploiement du très haut débit en zone rurale, où les besoins et l'appétence sont les plus forts, en commençant par les zones d'activité et les services publics ;
- harmoniser les référentiels techniques pour les réseaux très haut débit ;
- favoriser l'ouverture par les opérateurs propriétaires des réseaux aériens à la pose de fibre optique ;
- dresser dès 2013 un premier bilan et envisager si nécessaire la mise en place d'un autre type de déploiement.