Depuis déjà trois ans, les différents gouvernements de droite utilisent les mots « dialogue social » en toutes circonstances, comme le frontispice de leur action en matière de législation du travail.
Cette formule a déjà servi à bien des manoeuvres, comme, par exemple, la suppression de la hiérarchie des normes en droit du travail, qui induit une fragmentation des accords et place l'employeur en position favorable dans la négociation d'accords d'entreprises disparates.
Comme les autres, ce projet de loi met en avant le dialogue social. Mais il suffit de lire le texte du projet de loi pour voir qu'en fait tous les obstacles sont judicieusement posés pour que le dialogue n'aboutisse pas. Le délai, tout d'abord, ridiculement court, que vous prétendez imposer, non pas pour engager des négociations, mais pour aboutir à un accord-cadre de prévention des conflits. Vous savez fort bien pourtant qu'il a fallu dix-huit mois à la RATP et à la SNCF pour aboutir à un tel accord.
Dans le cas de l'accord-cadre comme du plan de transport et de l'accord de prévisibilité, les conditions que vous mettez sont telles que vos véritables intentions sont évidentes : qu'un décret en Conseil d'État fixe les règles de la négociation, que le représentant de l'État fixe le plan de transport adapté, que l'employeur seul définisse le plan de prévisibilité.
Le dialogue social n'est pour vous qu'une formule creuse destinée à masquer aux yeux du public l'autoritarisme de votre démarche.
Depuis plusieurs semaines, nul en France ne peut plus ignorer que le Sénat examine un texte sur le service minimum. Vous avez mis en place un intense battage médiatique. D'un certain point de vue, nous ne nous en plaignons pas : le Sénat est sous les feux de la rampe. Mais demandons-nous plutôt pour faire quoi ? J'espère d'ailleurs que nos débats d'aujourd'hui seront repris !
L'opinion publique croit sincèrement que nous sommes en train de mettre en place un service minimum. Mais comment le pourrions-nous, et qu'entend-on par service minimum ?
En réalité, vous proposez seulement un service restreint, contractuel dans l'entreprise et avec les collectivités territoriales, et surtout un service hypothétique.
La référence à des plans de transport à plusieurs niveaux en est l'illustration. Si, dans une entreprise, le conflit est tellement dur qu'il y a 90 % de grévistes, il n'y aura plus de service du tout. Mais cela, vous vous gardez bien de l'exposer à la presse. Nous sommes devant un non-sens digne du meilleur humour anglais.
Pour les collectivités territoriales et les entreprises, l'usine à gaz que vous mettez en place va constituer un nouveau nid de contraintes et être la source de contentieux. En fonction de quels critères les autorités organisatrices vont-elles fixer les priorités de desserte ? Comment définira-t-on l'atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir ? Imagine-t-on le remboursement des titres de transport à des centaines de milliers de personnes ? Comment mettre en place ce dispositif ? À quel coût ?
Il manque une étude d'impact sur les coûts induits pour les collectivités territoriales et les entreprises par votre texte.
En fait - mais il faut attendre la fin du projet de loi pour que les choses soient enfin dites clairement -, votre texte n'est qu'une attaque frontale contre le droit de grève dans les services publics.
Pression sur les salariés qui ont l'intention de se mettre en grève, consultation pour diviser les salariés, menace d'extension du dispositif aux autres services publics, et vous avez soutenu l'adoption d'un amendement controversé de Mme Procaccia tout à l'heure : c'est dire l'état d'esprit de votre majorité ! Tout est fait pour multiplier les entraves à l'exercice du droit de grève, et ce au nom des usagers qui ne savent même pas ce qui se fait en leur nom.
Il est regrettable que le Gouvernement n'accorde pas autant d'attention aux usagers quand il s'agit de démanteler les services publics indispensables comme la distribution d'énergie, la poste, l'hôpital, etc.
En réalité, ce projet de loi n'est qu'un élément de plus de la mise en place d'une société dont les bases sont l'inégalité et l'autoritarisme. Il est ultralibéral dans ses ressorts économiques, et antisocial.
L'intérêt de l'usager est l'alibi d'une attaque frontale contre le droit de grève, d'abord dans les transports, après une vraie campagne médiatique, ensuite plus subrepticement dans tout ce qui touche les services publics, comme nous l'avons vu précédemment.
L'amendement n° 14 rectifié de Mme Procaccia, sur lequel vous avez émis un avis favorable, monsieur le ministre, est certainement l'attaque frontale la plus dure menée contre le droit de grève depuis bien longtemps. C'est une véritable déclaration de guerre aux organisations syndicales et aux salariés.
Il est par ailleurs paradoxal et significatif que le secrétaire d'État chargé des transports n'ait pas été auditionné et se soit si peu passionné pour ce texte.