Si je suis conduit à proposer le rejet du texte en séance publique, j'estime que cette proposition de loi arrive à point nommé pour donner au Sénat l'occasion de débattre de questions importantes qui sont à l'ordre du jour dans les instances internationales. Nombres d'initiatives ont en effet été prises dans le sens d'une taxation du secteur financier.
M. Collin, dans cette proposition de loi, entend rendre effective en droit français la taxe Tobin sur les transactions financières, et ce, afin de ne pas favoriser la spéculation. L'article 235 ter ZD du code général des impôts prévoit déjà une taxation des transactions sur devises, introduite par l'Assemblée nationale dans la loi de finances pour 2002. Mais deux conditions ont été posées qui la rendent inapplicable et essentiellement symbolique. Le taux plafond a été établi à 0,1%, un décret en Conseil d'Etat devant fixer, dans cette limite, le taux définitif. Le décret n'a jamais été publié, car l'entrée en vigueur était subordonnée à l'adoption d'une taxe similaire dans les autres pays de l'Union européenne. La proposition de loi lève ces deux conditions, en fixant des taux et en supprimant l'exigence de réciprocité. Elle s'éloigne de la vocation initiale de la taxe que le prix Nobel d'économie James Tobin formulait, en 1972, ainsi : « un peu de sable dans la mécanique bien huilée de la finance internationale ».
Aujourd'hui, le but est de limiter la spéculation financière : la taxe sur les transactions financières est-elle un instrument efficace pour y parvenir ? Elle renchérit les flux de court terme, mais toutes les opérations à court terme ne sont pas spéculatives. Nombre d'entre elles sont adossées à des opérations économiques réelles ! La secrétaire d'Etat au budget en 2001, Florence Parly, soulignait la légitimité de la couverture en devises pour les ventes à terme, couverture qui ressemble beaucoup aux ventes spéculatives. Certains économistes estiment même que la taxe Tobin pourrait accroître l'instabilité des marchés, en réduisant leur liquidité.
La proposition de loi de M. Collin rencontre deux écueils. La taxe doit être globale, sans quoi elle serait dommageable pour l'attractivité de la place de Paris. La définition de l'assiette, du reste, est difficile car l'imagination de l'ingénierie financière est sans limite.
La France soutient néanmoins le principe d'une taxe sur les transactions financières et le Parlement européen a voté une résolution le 10 mars 2010 en ce sens : mais la taxe, pour être opérationnelle, doit être créée au niveau international. Mme Lagarde nous a indiqué que la France participait au « Groupe pilote sur les financements innovants » qui comprend cinquante-neuf Etats, organisations internationales et ONG et qui étudie une telle taxe. Le projet français n'a pas pour objet de lutter contre la spéculation. Mme Lagarde et M. Kouchner, dans une tribune publiée par Le Monde, ont expliqué qu'il s'agissait de financer le développement sans perturber les marchés financiers. Le taux est dix fois moins élevé que celui prévu dans la proposition de loi.
Non que la France renonce à lutter contre la spéculation financière ! Elle plaide en faveur d'un renforcement des fonds propres des institutions financières, dans le sens voulu par le comité de Bâle, qui entend, avec « Bâle III », fixer un nouveau cadre prudentiel. Elle étudie la possibilité d'une taxe sur les banques, sur le modèle pollueur-payeur. Le produit d'une telle taxe pourrait alimenter un fonds de résolution, mobilisé pour démanteler en bon ordre les établissements en faillite afin d'éviter des conséquences systémiques, ou bien être affecté au budget général. Le FMI estime que la taxe doit être mondiale, l'Union européenne, européenne, et l'Allemagne, nationale. M. Barnier a présenté un projet pour l'Europe : des fonds de résolution nationaux, alimentés par une taxe nationale mais de même assiette et même taux dans tous les États membres. L'Allemagne, à partir de septembre, appliquera une taxe qui sera affectée à l'Agence fédérale de stabilisation des marchés financiers et le G 20 de Toronto, le 26 juin, doit étudier un nouveau rapport du FMI sur ce thème.
Notre pays a déjà mis en place une contribution pour frais de contrôle, en loi de finances pour 2010, afin de financer la supervision du secteur ; et une taxe exceptionnelle sur les bonus versés aux traders en 2009 - qui n'est naturellement pas un outil durable de stabilisation. La France soutient, d'une part, un projet de taxe dont le produit serait affecté au budget général, d'autre part, la mise en place d'outils de résolution. Le projet du Gouvernement est encore en préparation. La commission des finances a proposé une taxe sur les banques en substitution de la taxe sur les salaires, afin de prévenir les risques systémiques. Mieux vaut prévenir que guérir ! Les banques consentent un gros effort de recapitalisation. Nous devons veiller à ne pas alourdir leurs charges ni à perturber le financement de l'économie. Nous attendons le rapport du Gouvernement sur ce point pour le 30 juin. Je partage la préoccupation de M. Collin mais la proposition de loi ne saurait être votée par le Sénat, car elle n'atteint pas l'objectif qu'elle se fixe. Il ne faut pas pénaliser la place de Paris.
Le 23 juin, le débat en séance publique sera l'occasion de faire le point avec le Gouvernement sur ce sujet. Par ailleurs, la proposition de loi prévoit de porter le taux de la taxe sur les transactions sur devises à 0,1% pour les transactions avec les pays de la liste grise de l'OCDE et 0,5% avec les pays de la liste noire. Ce mécanisme n'apparaît toutefois pas nécessaire. L'article 22 de la loi de finances rectificative de décembre 2010 nous a en effet dotés d'un dispositif exhaustif de lutte contre les paradis fiscaux. Enfin, à la dernière Conférence des déficits, il a été décidé que les questions fiscales relèveront exclusivement des lois de finances. Avant même l'adoption de la loi constitutionnelle en ce sens, appliquons la règle en faveur de laquelle nous avons toujours milité.
Je suis donc défavorable à la proposition de loi mais je suggère à la commission de ni la rejeter ni la modifier. Nous discuterons ainsi en séance publique du texte rédigé par notre collègue. Je vous proposerai alors de rejeter chaque article l'un après l'autre.