Intervention de Christian Descheemaker

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 mai 2011 : 1ère réunion
Gestion et pilotage des parcs nationaux — Audition pour suite à donner au référé de la cour des comptes

Christian Descheemaker, président de la septième chambre de la Cour des comptes :

La Cour des comptes a mené une série de contrôles sur l'ensemble des parcs nationaux, anciens ou récents, y compris l'Agence des aires marines protégées, sur l'établissement public « Parcs nationaux de France », ainsi que sur la Fédération nationale des parcs naturels régionaux pour compléter son information.

Ces contrôles ont donné lieu à des communications administratives propres à chaque organisme : la série des lettres du Premier Président vous a été transmise en réponse à votre demande, conformément à l'article L. 135-5 du Code des juridictions financières. Deux référés ont été successivement adressés au ministre chargé de l'écologie, M. Borloo puis Mme Kosciusko-Morizet : l'un le 11 janvier 2010 sur Parcs nationaux de France, auquel le ministre a répondu le 19 mars ; l'autre le 29 novembre 2010 sur la gestion et le pilotage des parcs nationaux, document de synthèse auquel la ministre a finalement répondu le 26 avril 2011. Cette réponse vous a été transmise hier par un courrier du Premier président.

Certes, les enjeux budgétaires des parcs nationaux paraissent modestes. Mais ils sont les instruments de politiques publiques qui ont pris une importance accrue ; ils ont reçu des moyens nouveaux non négligeables dont il faut s'assurer qu'ils sont bien utilisés ; enfin, la Cour savait, par ses contrôles antérieurs, que la gestion administrative et comptable des parcs était médiocre et il lui fallait vérifier comment elle avait évolué.

Je rappelle que les contrôles de la Cour ont été achevés il y a près d'un an. Que dit la Cour dans son référé de synthèse de novembre 2010 ? Premièrement, que les moyens attribués aux parcs ont très sensiblement augmenté. Deuxièmement, que la mission des parcs n'en n'a pas pour autant été profondément étendue. Troisièmement, que leur gestion continue d'appeler des critiques. Enfin, que leur pilotage par le ministère reste encore bien insuffisant.

Les crédits ont été fortement augmentés : entre 2007 et 2010, les autorisations d'engagement ont été majorées de 53 %, passant de 49 millions d'euros à 75 millions d'euros. Cette augmentation tient compte de la création de « Parcs nationaux de France » en 2006 et de deux nouveaux parcs, le parc amazonien de Guyane et le parc de la Réunion. Si l'on s'attache aux sept parcs qui existaient déjà, l'augmentation de la subvention de l'Etat pour charge de service public reste sensible.

Parallèlement, les effectifs augmentent pour atteindre, en réalisé 2010, 820 équivalent-temps plein (ETP) auxquels s'ajoutent 89 ETP à l'Agence des aires marines protégées. Quelques exemples : le Parc des Cévennes comptait 75 agents en 2005, contre 98 en 2009. De même, le Parc de la Guadeloupe comptait 43 agents en 2005, et 62 en 2009. Enfin, le Parc des Ecrins se caractérise par l'augmentation la plus modeste, avec 103 agents en 2005 contre 113 en 2009.

Un tel renforcement des moyens n'est pas critiquable en soi, dans la mesure où il reflète l'ambition politique d'améliorer la conservation du patrimoine naturel et la préservation de la biodiversité. Encore faut-il, surtout dans un contexte de rareté de la ressource budgétaire, que des résultats significatifs soient obtenus. Tel n'est pas le constat que fait la Cour.

En effet, si le nombre des parcs nationaux a augmenté, la zone centrale des parcs existants - désormais dénommée « coeur » du parc tandis que la zone périphérique devient « l'aire d'adhésion » - n'a été étendue que dans deux cas sur sept et très modestement. Dans le parc des Cévennes, créé en 1970, la zone centrale de 91 000 hectares a connu une très petite extension, obtenue non sans mal et non sans contentieux, sur une partie de la commune de Hures-la-Parade. Dans le parc de la Guadeloupe, créé en 1989, le coeur est passé de 17 000 à 17 803 hectares pour sa partie terrestre, cette zone incluant désormais, aussi, une partie maritime. Enfin, dans un contexte différent, le coeur du parc des Pyrénées - qui ne correspond qu'à une modeste partie du massif dont il porte le nom - n'a pas été étendu depuis sa création en 1967. Il se présente pourtant comme un ruban de 100 kilomètres de longueur posé le long de la frontière espagnole et extrêmement étroit par endroits (800 mètres).

En revanche, selon les derniers renseignements disponibles, le coeur du parc de Port-Cros, créé en 1963, serait en voie d'intégrer l'île de Porquerolles dont le parc assure la gestion. Si la procédure va jusqu'au bout, après une longue période de débats difficiles, ce sera incontestablement un point positif.

Autre aspect de la critique : les contrats d'objectifs des parcs, qui ne datent que de 2007, se caractérisent par le très faible nombre d'indicateurs de résultat et par l'absence d'objectifs en matière de protection des espaces. Un exemple emblématique : le bouquetin des Pyrénées. Emblématique parce que la protection de son cousin, le bouquetin des Alpes, est à l'origine de la réserve du Grand Paradis, grâce au roi d'Italie, et concerne notamment le parc voisin de la Vanoise. Rien de tel dans les Pyrénées : quand le parc a été créé, il y avait encore des bouquetins dans ce massif de montagnes ; aujourd'hui, si mes renseignements sont exacts, l'espèce a disparu aussi bien côté espagnol que côté français.

J'en viens maintenant à mon troisième point sur la gestion des parcs. La Cour avait déjà fait part au ministère, en 2005, des nombreuses critiques qu'appelait la gestion des différents parcs nationaux. Les critiques persistent sur de nombreux aspects de la gestion administrative et comptable : connaissance, comptabilisation et amortissement des actifs ; gestion budgétaire ; passation et exécution des marchés publics, et, plus généralement, règles de l'achat public, avec des reports de délais entraînant des avenants de régularisation ; rémunération et conditions de logement du personnel par exemple.

Sans détailler les critiques, je fournirai quelques données tirées du jugement des comptes des différents parcs, comptes confiés progressivement au même agent comptable, celui de « Parcs nationaux de France ». Des débets - c'est-à-dire les sommes irrégulièrement payées par le comptable public et mises à sa charge par la Cour après une procédure contentieuse - ont été prononcés à l'encontre de ce comptable en ce qui concerne PNF, le parc du Mercantour, celui de Port-Cros, celui de Guyane et celui de la Guadeloupe. Le total est à ce jour, pour ce seul comptable, de 1,08 million d'euros, ce qui est inhabituellement élevé et démontre l'existence de nombreuses irrégularités dans la gestion. Si l'on étend la liste aux autres comptables qui ont été concernés par les contrôles, on atteint 1,2 million d'euros.

Une observation de nature différente est enfin à faire sur la gestion des parcs : si l'augmentation de leurs effectifs a un coût direct, elle a aussi un coût indirect qui peut être élevé dans la mesure où elle les conduit à agrandir leur siège ou à déménager. Les projets immobiliers en cours à ce titre s'échelonnent entre 850 000 et 4,8 millions d'euros, ce qui est beaucoup.

Enfin, j'aborderai la question du pilotage insuffisant des parcs par la tutelle. La Cour formule d'abord des critiques sur la gestion budgétaire des parcs. Des dépenses ont fréquemment été mandatées et payées en début d'exercice alors qu'un parc ne disposait pas d'un budget exécutoire, ce qui est une violation des règles élémentaires de gestion, respectivement par l'ordonnateur et par le comptable. La conséquence des lacunes de cette gestion est que des subventions ont souvent été versées trop tôt aux établissements publics, avant qu'ils en aient réellement besoin, comme leur fonds de roulement l'aurait montré.

S'agissant de la gestion des personnels, et pour m'en tenir au cas le plus important, une critique porte sur une catégorie importante du personnel des parcs, les agents techniques et techniciens de l'environnement. Le décret de 1987 qui leur est applicable a été modifié en 2001 dans des termes tels que, fait exprès ou maladresse de plume, l'indemnité de logement devient un droit pour les agents non logés par l'administration. Cette modification, appliquée dans des conditions variables selon les parcs, éloigne cette catégorie d'agents du droit général de la fonction publique. Elle ne concerne d'ailleurs pas que les parcs nationaux, mais aussi d'autres établissements publics sous la tutelle du même ministère.

De façon plus générale, la Cour avait invité dès 2005 le ministère à mutualiser les moyens de fonctionnement des parcs nationaux. Cette recommandation se justifiait par le surcoût que représente la multiplication des structures de gestion. L'orientation retenue n'a pas été une fusion, bien au contraire : sur initiative parlementaire, un établissement public nouveau dénommé « Parcs nationaux de France » a été créé par la loi du 14 avril 2006. A cet organisme supplémentaire, qui ne saurait exercer à la place du ministère la tutelle des parcs, il a été demandé d'assurer la mutualisation toujours invoquée et souhaitée, mais pas toujours facile à définir.

Le contrôle de la Cour sur PNF a été mené en 2010. Il dresse un bilan mitigé de ses premières années de fonctionnement : un peu de mutualisation, très peu d'économies d'échelle. PNF remplit certes plusieurs tâches supplémentaires mais le compte n'y est pas : le nouvel établissement public emploie une trentaine de personnes à Montpellier et l'on débat actuellement pour savoir à quelle échéance, au début 2011 ou à la mi-2011, PNF aura permis d'économiser trois agents équivalent-temps plein dans le réseau des parcs nationaux.

Lorsque la Cour a transmis ses observations en janvier 2010, elle a affirmé que PNF n'avait pas administré la preuve de sa pertinence en tant que structure de mutualisation et de coordination. C'était dit clairement. En sachant qu'il existe un projet de création d'un autre établissement public qui s'inspirerait des mêmes principes que PNF, la Cour recommande de simplifier l'organisation existante, avec un souci à la fois d'efficacité et d'économie, soit en développant des synergies entre les établissements, soit en réduisant le nombre de structures de gestion, à l'image par exemple de l'Agence des aires marines protégées conçue pour gérer des zones éloignées les unes des autres.

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