Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 mai 2011 : 2ème réunion
Prélèvements obligatoires reposant sur les ménages — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du CPO :

La TVA ou les cotisations patronales en sont des exemples éloquents. Par ailleurs, la redistribution emprunte d'autres canaux que ceux des prélèvements. L'existence d'un salaire minimum en France, le SMIC, ou la fixation du prix du gaz et de l'électricité permettent à la puissance publique d'opérer des choix qui, eux aussi - en amont ou en aval de la distribution -, ont des effets redistributifs.

Quand on parle d'effets redistributifs, encore faut-il être en mesure d'en distinguer les formes. Il existe une redistribution spatiale - par exemple la péréquation entre les régions ou l'existence de zones franches -, intertemporelle voire intergénérationnelle - comme l'illustrent les régimes de retraite -, une redistribution verticale qui s'exerce des plus aisés vers les plus modestes ; enfin une redistribution horizontale entre des ménages appartenant à la même catégorie de revenus - des bien portants vers les malades ou des célibataires vers les familles par exemple. Dans le rapport le CPO a privilégié les dimensions verticale et horizontale de la redistribution.

Enfin, nous n'avons pas perdu de vue que d'autres objectifs sont assignés à la politique fiscale, prise dans son sens le plus large : le rendement budgétaire, l'efficacité économique, ou encore la lisibilité et l'acceptabilité pour le citoyen. Le rapport, en s'appuyant sur l'analyse économique, tente de montrer dans quelle mesure il est possible de concilier efficacité économique et redistribution. Dans cette optique, c'est au prisme de la progressivité et de la redistributivité que notre système « socio-fiscal» a été passé en revue, comme votre saisine le demandait.

Notre travail peut se résumer par trois grandes questions. Entre 1990 et 2009, notre « système socio-fiscal » est-il devenu plus progressif ? En 2009, sur la base d'un arrêt sur image, quel diagnostic peut-on porter sur sa redistributivité ? Enfin, si on analyse nos impôts, pris cette fois isolément les uns des autres, quelles en sont les principales caractéristiques au regard de la progressivité et de la redistribution dans l'échelle des revenus ?

Notre système français est plus progressif en 2009 qu'il ne l'était en 1990. En France, les écarts de niveau de vie disponible sont sensiblement inférieurs à ceux de pays comparables. L'INSEE, qui a récemment publié une enquête sur les revenus et le patrimoine des ménages, relève que les inégalités des niveaux de vie ont peu évolué entre 1996 et 2008. Entre 1996 et 2004, cette stabilité reflète un « rattrapage» des classes moyennes par les plus pauvres. Toutefois l'INSEE constate, depuis 2004, que cette réduction se serait interrompue : le revenu des ménages les plus modestes a cessé d'augmenter alors que les revenus des plus aisés continuaient de croître, notamment sous l'effet de l'augmentation rapide des revenus du patrimoine.

Dans ce contexte, le taux d'effort des ménages - c'est-à-dire l'effort contributif demandé par rapport à leur revenu - a augmenté de plus de quatre points en vingt ans. Mais cette augmentation n'a pas été la même selon le périmètre d'analyse retenu ; d'où plusieurs lectures possibles. En retenant le champ le plus large, c'est-à-dire en incluant l'ensemble des prélèvements, y compris les transferts en espèce - et c'est le champ sur lequel le Conseil des prélèvements obligatoires fonde son analyse -, la progressivité du système s'est accrue sur la période. Même si c'est de manière différenciée selon les niveaux de revenus, cette augmentation a touché l'ensemble des déciles de la distribution : le taux d'effort est de 0,8 point pour les ménages du 1er décile, de trois points pour le 3ème décile et va continuellement croissant jusqu'au 9ème décile où il est de sept points. Le taux d'effort du dernier décile, c'est-à-dire la tranche des revenus les plus élevés, est toutefois légèrement inférieur : six points. Ces résultats sont ceux où les exonérations de cotisations sociales patronales sont considérées comme bénéficiant en totalité aux catégories de ménages comprenant des employés dont les salaires sont couverts par ces exonérations. Si cela n'avait pas été totalement le cas, l'augmentation de la progressivité aurait été plus faible et concernerait une fraction plus réduite de la distribution. Toutefois, on peut également considérer un champ plus restreint, sans tenir compte des transferts en espèce, mais seulement des prélèvements obligatoires. Dans ce cas, l'augmentation de la progressivité est plus marquée sur la période. En sens inverse, si on retire du champ de l'analyse les cotisations patronales, pour se rapprocher de la perception que les ménages ont de leur revenu net, le système socio-fiscal apparaît alors avoir perdu en progressivité.

C'est pour l'essentiel entre 1990 et 1998 que la progressivité a augmenté. Cette croissance des années 1990 doit largement à la fiscalisation de la protection sociale. En revanche, les évolutions intervenues ultérieurement, au cours des années 2000, n'ont que peu modifié la progressivité globale du système, même s'il faut tenir compte de la mise en oeuvre de la prime pour l'emploi ou de la réforme de la taxe d'habitation. Le taux d'effort moyen a légèrement diminué et a été globalement réparti de façon homogène sur l'ensemble des ménages.

La CSG a joué un rôle essentiel dans l'augmentation de la progressivité, puisqu'elle contribue pour 30 % aujourd'hui dans le financement de la protection sociale. En dépit de ses taux proportionnels, la CSG contient des éléments de progressivité que ne comportaient pas les cotisations sociales auxquelles elle s'est substituée. En outre, elle a une assiette plus large et s'applique aux revenus du patrimoine à des taux plus élevés. CSG et contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) réunies représentent désormais 4,6 % de la richesse nationale.

A l'inverse, d'autres phénomènes ont eu l'effet opposé de diminuer la progressivité. Les prestations sociales - qu'il s'agisse des minima sociaux, des allocations familiales ou des allocations logement par exemple - ont été revalorisées non pas en fonction de l'évolution du revenu moyen, mais le plus souvent selon l'indice des prix, ce qui les a rendues moins progressives. En outre, l'impôt sur le revenu, impôt progressif par construction, a vu son poids relatif et sa progressivité diminuer dans l'ensemble des prélèvements obligatoires. Il ne représente désormais plus que 2,6 % du PIB.

Le CPO a, dans un deuxième temps, opéré un arrêt sur image pour mesurer la redistributivité de notre système en 2009. Le premier enseignement que l'on en tire est que la redistributivité globale de notre système socio-fiscal repose moins sur les impôts que sur les transferts sociaux. En matière de redistribution verticale, les prestations sociales concourent pour les deux tiers à la réduction des inégalités et les impôts directs pour un tiers. Cela confirme les diagnostics antérieurs.

Le cas particulier de l'assurance maladie illustre bien le caractère redistributif d'une dépense sociale. En elles-mêmes, les dépenses d'assurance maladie ne sont pas supposées avoir d'effet redistributif. Mais, les cotisations sont proportionnelles au revenu, alors que n'importe quel régime d'assurance privée fixerait un tarif qui serait, non pas fonction du revenu de l'assuré, mais rapporté au risque encouru. C'est pourquoi l'assurance maladie opère une redistribution très importante, du fait que tout le monde a l'obligation de cotiser. Cette ampleur est d'autant plus importante que les prestations maladie représentent un enjeu financier de 163 milliards d'euros. En Allemagne, les cotisations ne sont pas obligatoires pour les revenus supérieurs à 4 000 euros : le même système appliqué en France provoquerait un déficit supplémentaire de 20 milliards d'euros.

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