La redistribution verticale s'effectue au profit des ménages à bas revenus, à partir de cotisations perçues sur les hauts revenus, notamment depuis que ces dernières sont déplafonnées. Mais, l'assurance maladie participe aussi - et fortement - à la redistribution horizontale. La cotisation sociale d'un membre d'un foyer est la même quel que soit le nombre de ses membres. Par les effets de redistribution horizontaux qu'elle organise, l'assurance maladie participe puissamment à la politique familiale.
Plus généralement, c'est aux deux extrémités de l'échelle des revenus que s'effectue la redistribution, c'est-à-dire des ménages aux revenus les plus élevés vers les ménages aux revenus les plus faibles, appartenant essentiellement au 1er décile. Ces derniers, après redistribution, voient leur niveau de vie augmenter de 44 %. En revanche, celui des ménages moyens - situés au milieu de la distribution - ne se modifie guère. Pour le dire autrement, le système socio-fiscal est progressif jusqu'à 20 000 euros de niveau de vie - ces 20 000 euros s'entendent par unité de consommation ou par personne -, puis il est proportionnel jusqu'à 50 000 euros. Au-delà le système est probablement dégressif au sommet de la distribution, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure.
La grande caractéristique du système français est que la redistribution horizontale y est particulièrement développée : celle qui s'opère entre ménages ayant un niveau de vie identique, des bien portants vers les malades, des célibataires vers les couples, des ménages sans enfants vers ceux qui ont des enfants. Les prestations familiales - notamment concentrées sur les familles d'au moins trois enfants - ainsi que le quotient familial et le quotient conjugal ont un rôle important. Mais cette redistribution n'empêche pas que 54 % des familles monoparentales avec trois enfants sont pauvres, en 2008, contre 36 % en 2004.
Parmi les mécanismes de redistribution horizontale, le quotient familial, créé en 1948, vise à moins taxer les ménages qui comptent en leur sein des enfants. Mais, même plafonné, il comporte des effets régressifs dans la mesure où l'économie d'impôt qu'il provoque croît plus que proportionnellement au revenu. Cette question n'est pas nouvelle et a fait l'objet de débats anciens et récurrents. Ce quotient familial constitue une exception, puisque, hors de France, il n'existe qu'au Portugal et au Luxembourg. D'autres dispositifs d'aide aux familles, avec des effets non régressifs, seraient envisageables, comme le crédit d'impôt forfaitaire appliqué aux États-Unis ou la réduction d'impôt comme celle qui existe en Italie et en Autriche.
L'autre illustration de l'imbrication entre redistributions verticale et horizontale est le quotient conjugal. Il est justifié au nom de l'équité horizontale : à revenu égal, les couples dans lesquels un seul conjoint travaille acquittent le même impôt que ceux composés de deux revenus. Pour autant, le rapport explique, aux pages 203 et suivantes, les raisons pour lesquelles l'avantage va croissant avec le revenu, de sorte que la proportion des couples bénéficiant de ce dispositif est de 7,1 % dans le 1er décile regroupant les ménages les plus modestes, alors qu'elle est de 71,5 % dans le décile supérieur de l'échelle des revenus. D'ailleurs, la tendance à l'individualisation de l'impôt sur le revenu est très nette dans les pays de l'OCDE, et, là encore, seuls la France, le Portugal et le Luxembourg font de l'imposition commune une obligation. En Allemagne, en Irlande, au Canada ou en Espagne, elle constitue une option. Sur les 34 pays de l'OCDE, 17 pratiquent la règle de l'imposition séparée. Cela montre que la redistribution verticale et la redistribution horizontale sont non seulement imbriquées, mais peuvent aussi se neutraliser, au point que certains instruments horizontaux - en particulier l'impôt sur le revenu avec le jeu des quotients - contrarient en partie les objectifs de redistribution verticale.
Enfin, à la lumière de ces caractéristiques globales, comment décrire nos principaux impôts en fonction des objectifs de progressivité et de redistributivité ? Premier constat : même si les prestations sociales jouent un rôle majeur dans la réduction des inégalités, elles y contribuent moins aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Pourquoi ? Parce que leur mode de revalorisation, fondé sur l'évolution des prix plutôt que sur celle des revenus moyens, les a fait diminuer, de 20 % à 30 %, selon les cas, par rapport au revenu moyen disponible. Elles ont donc perdu en progressivité. Or cette tendance est significative, dans la mesure où les prestations monétaires assurent près de 60 % du revenu des plus modestes.
La CSG a beaucoup modifié la physionomie de notre système « socio-fiscal ». Créées respectivement en 1991 et en 1996, la CSG et la CRDS s'appliquent désormais à l'ensemble des revenus : revenus du travail, de remplacement, des placements, du patrimoine, mais aussi aux gains de jeux. Du fait de sa proportionnalité, la CSG ne poursuit pas, à première vue, un objectif de redistribution. Elle comporte pourtant des effets redistributifs induits de deux façons. D'abord, contrairement aux cotisations sociales qui ne portaient que sur les revenus d'activité, la CSG, en se substituant à celles-ci, a élargi l'assiette des prélèvements sociaux à d'autres catégories de revenus, qui sont plutôt concentrés dans le haut de l'échelle des revenus. En outre ses taux sur les revenus de remplacement sont inférieurs à ceux qui s'appliquent aux revenus du travail. Ceux des revenus du patrimoine et des placements sont supérieurs à ceux du travail. Enfin, une partie de la CSG n'est pas déductible de l'impôt sur le revenu. Ce sont ces recettes qui permettent de socialiser les risques relevant du champ de la protection sociale, et c'est surtout par ce biais que la CSG comporte des éléments de redistributivité. Avec ses prélèvements annexes, elle représente aujourd'hui un produit de plus de 88 milliards d'euros, soit 4,6 % du PIB.
C'est évidemment sur l'impôt sur le revenu que je souhaite particulièrement insister. Historiquement, c'est l'impôt à qui l'objectif de progressivité et de redistribution a été clairement assigné. Pourtant il peine de plus en plus à remplir cette fonction ; ce constat, le Conseil des impôts l'avait déjà fait dès 1990, puis en 2004. L'IR ne représente plus que 2,6 % de la richesse nationale alors qu'il en représentait 5,2 % en 1985-1987. C'est le taux le plus faible des pays de l'OCDE et ses recettes d'environ 50 milliards d'euros stagnent depuis vingt ans. Sa concentration est forte, puisque 74 % de son produit est acquitté par les 10 % des foyers disposant des revenus les plus élevés, et que 47 % des foyers ne sont pas imposables. Cette proportion n'a pas varié depuis vingt ans. Son faible produit affecte d'autant sa capacité redistributive.
L'impôt sur le revenu est devenu moins progressif que par le passé, ce qui évidemment concourt au même effet. Sa perte de progressivité s'explique par trois raisons principales. D'abord son barème a fait l'objet de modifications successives, réduisant le nombre de tranches et abaissant les taux. Le taux marginal, à 41 %, est désormais inférieur à ceux en vigueur dans nombre de pays comparables, comme l'Allemagne où il est de 45 %, ou encore le Royaume-Uni où il atteint 50 %.
Ensuite, les nombreux mécanismes dérogatoires - les niches fiscales - réduisent son assiette. Sous la forme le plus souvent de réductions d'impôt, ils sont présentés comme ayant une vocation économique ou sociale ; je pense par exemple aux mesures en faveur de l'investissement locatif, des économies d'énergie ou du développement économique dans les DOM-TOM... Leur prolifération a en tout cas un coût budgétaire et présente aussi l'inconvénient de ne pas être forcément économiquement efficace.
Enfin, l'impôt sur le revenu comporte un effet régressif important dans la mesure où le taux de taxation est différent selon les catégories de revenus qu'il frappe. C'est le cas, notamment, de la fiscalité des revenus de l'épargne financière, avec la généralisation du prélèvement libératoire forfaitaire, qui concerne aussi les revenus des dividendes depuis 2008. Ce sont en effet les contribuables les plus aisés dont les revenus se composent davantage de revenus de capitaux mobiliers ou du patrimoine. Ces revenus, contrairement aux revenus salariaux, sont taxés à des taux forfaitaires ou proportionnels inférieurs. Par exemple, en 2009, les ménages appartenant au 1 % des revenus les plus élevés en France - soit un peu plus de 350 000 foyers fiscaux - ont un taux moyen d'imposition sur le revenu de 18,3 %. Au-delà, au sommet de la distribution, ce taux baisse à 15 %. Cette dualité de fait, même si elle n'est pas propre à la France, ne paraît pas toujours justifiée au plan économique - sauf pour lutter contre la fraude - et elle pose un problème d'équité fondamental.
Le chapitre 1er de la troisième partie du rapport décompose de manière précise les différentes étapes de calcul de l'impôt sur le revenu et présente l'ensemble des mécanismes qui permettent de fonder ce constat. L'impôt sur le revenu a vieilli, plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis sa dernière réforme d'envergure ; ses défauts se sont accentués ; ses recettes sont désormais faibles et il a perdu l'efficacité redistributive et économique qui lui était assignée. Le Conseil des prélèvements obligatoires estime qu'il ne s'agit plus désormais de procéder à des modifications qui remédieraient, ici ou là, à ces insuffisances, mais d'engager une réflexion et une réforme ambitieuses. Mais là, c'est de la responsabilité des parlementaires.
La fiscalité du patrimoine dans sa globalité - j'entends par là les taxes foncières -, les droits de mutation et l'ISF, soit une recette de l'ordre de 40 milliards d'euros, présente, sur le plan de la redistribution, des avantages car la concentration du patrimoine est plus forte que celle des revenus. Mais les défauts des uns et des autres sont bien connus : d'une part les bases des taxes foncières sont obsolètes, d'autre part les droits de mutation dont le rendement fiscal est le principal objectif sont plutôt préjudiciables à l'efficacité économique. Leurs caractéristiques redistributives sont pour le moins incertaines.
L'ISF comporte des éléments de modernité : c'est un impôt progressif dont les bases reposent sur des valeurs vénales, donc actuelles. On peut en outre déduire ses dettes de sa déclaration d'ISF, alors que ce n'est pas le cas pour les taxes foncières. Mais le Conseil des prélèvements obligatoires considère que son assiette est étroite - moins de 2 % des foyers français en sont redevables - et de nombreux actifs en sont exemptés. En corollaire, ses taux sont élevés, surtout dans les tranches supérieures, ce qui a conduit à instaurer des mécanismes permettant d'y déroger.
La taxe d'habitation était jusqu'à l'an 2000 un impôt continument dégressif sur l'ensemble de la population. La réforme intervenue en 2000 l'a rendue progressif pour les ménages situés dans la première partie de l'échelle des revenus, ce qui veut dire que des ménages modestes en ont bénéficié. En revanche, force est de constater que la taxe d'habitation reste dégressive pour la moitié la plus aisée des ménages.
L'évolution de la TVA et des accises a eu peu d'effets au total sur la progressivité de notre système socio-fiscal. Rapportée au revenu disponible des ménages, la TVA pèse beaucoup plus lourdement sur les plus modestes que sur ceux des derniers déciles. D'une manière générale, la taxation indirecte a des effets très régressifs. C'est un outil de rendement fiscal. Il y a vingt ans, la France se trouvait parmi les pays où les recettes de TVA étaient particulièrement importantes. Aujourd'hui, elle ne se situe plus que dans la moyenne. Les récentes baisses de taux à 5,5 % sur certains secteurs - rénovation immobilière, hôtellerie, restauration - n'ont pas atténué sa régressivité, puisqu'elles ont concerné des biens et des services qui ne sont pas particulièrement consommés par des ménages modestes. Quant aux accises - telles que le tabac ou les carburants -, elles ont un caractère régressif encore plus prononcé.
En conclusion, ce rapport a cherché à dresser un bilan le plus complet possible sur la progressivité, les effets redistributifs et l'évolution depuis vingt ans de notre système socio-fiscal. Il est complexe mais peu d'études à ce jour avaient fait le tour de la question de manière aussi approfondie. Enfin, il donne des indications importantes et nombreuses sur l'impôt sur le revenu, en particulier sur l'imposition des plus hauts revenus.
Et pour répondre à la question qui a été posée au Conseil des prélèvements obligatoires par votre commission, je dirai que notre système socio-fiscal est relativement efficace en matière de redistribution verticale, dans le sens où il permet de réduire les écarts de revenus. L'est-il davantage ou non, par rapport à d'autres pays comparables ? Il est difficile d'y répondre car il n'existe que peu d'études disponibles sur ce sujet précis, c'est-à-dire sur le caractère progressif et redistributif des systèmes au sein de l'Union européenne ou dans l'OCDE. Il n'est pas certain que notre système soit particulièrement efficient sur ces deux plans.
Mais ce qui caractérise particulièrement notre système, c'est l'importance de sa redistribution horizontale. Cette singularité explique que la France ait un champ de protection sociale plus étendu que dans d'autres pays. C'est pourquoi nos prélèvements sont élevés et que se pose avec acuité le problème du financement de notre protection sociale par l'emprunt, c'est-à-dire par un transfert de la charge sur les générations à venir.
Pour aller vers une meilleure redistributivité de notre système, une réforme de l'impôt sur le revenu est nécessaire, la fiscalité du patrimoine doit être reconsidérée de manière globale et la redistribution horizontale ne doit pas être telle qu'elle contrarie la redistribution verticale. Sur ce dernier point, le rapport fournit des clefs pour mieux distinguer ces deux dimensions de la redistribution.
Mais je ne perds pas de vue que chaque instrument fiscal doit se voir assigner, non pas plusieurs objectifs, mais celui qui convient le mieux à sa nature. Par exemple, l'impôt sur le revenu doit jouer un véritable rôle de redistribution, tandis que la TVA doit avoir pour objectif le rendement fiscal. C'est le meilleur moyen de favoriser progressivité et redistribution, comme nous y invite la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, selon laquelle « pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, à raison de leurs facultés ».