Si vous adoptiez ne serait-ce que la moitié des propositions de la Mutualité, cela me conviendra parfaitement.
Combien avons-nous de bataillons à mettre dans cette affaire ? A chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous nous demandons comment rentrer dans les cadres et ne pas perdre notre notation AAA. Quel est le budget qui sera consacré à cette réserve ? La France compte 18 000 visiteurs médicaux. Quel sera le budget de l'agence ?
Les plaintes au pénal font du bruit mais nous avons déposé une plainte au pénal depuis vingt ans pour l'amiante et les veuves attendent toujours. Il serait possible d'imaginer un corps complètement indépendant pour le médicament, sur le modèle de l'Igas, pour exercer une surveillance constante et régulière sur les médicaments ayant obtenu l'AMM, effectuée par des personnes qui ne peuvent avoir aucun lien avec une quelconque industrie. Ces personnes devraient à mon sens être des fonctionnaires d'Etat, qui constituerait une sorte de police du médicament.
Nous avons 5 000 molécules. Un autre exemple à suivre pourrait être celui de la cellule Tracfin. Nous avons des caisses de retraite du personnel des banques (CRPB) qui fonctionnent très bien puisque le nombre d'agents a été augmenté. Nous disposons d'une mine : les bases de données de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Une fois qu'il a été demandé à la Cnam de vérifier quelles personnes avaient pris du Mediator et avaient été hospitalisées quelques années après, elle a sorti les données avec rapidité et objectivité, de manière imparable. La Cnam ne doit toutefois pas prendre cette responsabilité et devenir une agence sanitaire bis. Un corps d'inspecteurs, composé notamment d'épidémiologistes, pourrait en revanche régulièrement exploiter ces bases de données en fonction des molécules. Ce corps devrait être indépendant, incorruptible. Il n'est pas acceptable que des signalements restent dans les tiroirs, comme l'a montré le rapport de l'Igas, digne d'un scénario d'Hollywood.
Un autre point concerne l'indemnisation. Je pense que nous ne pourrons pas évoluer sur la prévention si nous n'évoluons pas définitivement sur l'indemnisation. Nous avons développé ce point au cours de l'audition à l'Assemblée nationale avec Mme Le Pallec. Un sénateur, M. Badinter, a voté une loi fondamentale en 1985 sur les accidents de la route. L'idée était la suivante : dans un carambolage, vingt ou trente véhicules sont impliqués et les victimes ne peuvent prouver qui a causé le dommage. Plutôt que d'initier des procédures qui durent dix ou quinze ans, avec des expertises et des contre-expertises très coûteuses, la loi Badinter pose le principe, non pas de rechercher la cause, mais de considérer que, à partir du moment où un véhicule terrestre moteur est impliqué, le responsable doit payer. La voiture présente exactement les mêmes stigmates que cette affaire : la voiture est un élément de progrès incontestable pour notre société ; elle a un poids économique important ; sa possession entraîne une obligation d'assurance qui solvabilise les victimes ; elle crée un risque social évident. Il en est de même pour la santé au travail : à partir du moment où la loi de 1898 a été votée et que le problème de la causalité a été dégagé, l'employeur a été responsable pour tous les accidents survenus sur le lieu de travail et les employeurs ont mutualisé les risques. Il en est de même pour l'assurance automobile. A partir du moment où cette organisation est posée, le secteur s'auto-organise alors pour faire de la prévention. Il s'agit, pour nous, d'une pierre fondamentale. Or, pour le médicament, les victimes ne sont pas toujours indemnisées et s'engagent dans des procédures longues. S'il n'est pas possible de déterminer la causalité, nous pourrions dégager ce problème comme cela a été fait pour d'autres sujets sociétaux importants (le travail et la voiture). Il serait intéressant d'interroger M. Badinter car je pense qu'il a eu les mêmes problèmes à résoudre en termes de causalité. Quand un risque est socialisé par une assurance privée, ce risque mutualisé accélère la prévention. La socialisation du risque en 1985 pour l'automobile et la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) qui réunit les employeurs contribuent effectivement à la prévention.
Si nous admettons l'idée que le médicament est un progrès considérable, qu'il faut préserver l'emploi et les entreprises qui sont parmi les meilleures du monde, il faut alors avoir confiance dans le médicament. Les industriels doivent admettre l'existence d'un risque et refuser les scandales : il faut alors accepter de ne pas s'occuper de la causalité et que la responsabilité soit mutualisée. Si nous ajoutons une tranche supplémentaire dans le millefeuille, nous n'aurons fait qu'un saut de puce alors que la mutualisation de la responsabilité constituerait un pas de géant.
Le troisième point, également fondamental, du projet de réforme, concerne la politique pénale de la criminalité sanitaire. La France s'est dotée d'un pôle de santé publique mais sans politique pénale de la santé. Quelle est l'incrimination pénale spécifique pour ceux qui dépassent les bornes dans ce domaine ? Des incriminations spécifiques existent pour les personnes mais pas contre les grands groupes.