Je l'ai refusée, pendant deux ans et demi. J'ai expliqué, en juillet 2008, en toute transparence à l'occasion d'un point de presse, les raisons de mon refus puis de mon accord.
Une autre explication ne me semble pas convaincante : cela se serait passé ainsi parce que tel ou tel expert faisant partie du dispositif d'évaluation a eu des liens avec les laboratoires. De tels liens ont parfois existé et le développement dans la seconde moitié des années 2000 de la mise en oeuvre effective des règles de déclaration et de gestion des liens d'intérêts, pour laquelle il reste du chemin à faire, a rendu progressivement plus visible ce type de situations. Le dossier Mediator a toutefois été examiné par des générations successives d'experts siégeant dans plusieurs commissions : sans sous-estimer la capacité d'influence de certains operateurs, il aurait fallu qu'elle soit tentaculaire pour biaiser au long cours en sa faveur les processus d'évaluation faisant intervenir tant d'acteurs différents.
La troisième explication parfois avancée consiste à dire que les experts de l'AMM n'auraient pas voulu se déjuger. Or ceux qui ont statué en 1995, puis en 2007, n'étaient pas les mêmes que ceux qui avaient donné l'AMM en 1974 ou l'avaient partiellement revalidée en 1987.
Le quatrième argument vise à souligner que la pharmacovigilance aurait négligé des signaux forts venant de la notification spontanée des effets indésirables. Même si l'on reprend en compte, comme il faut le faire, certains signalements anciens, dès la fin des années 1990, qui avaient été perdus de vue ou négligés, comme le cas marseillais, et même si on applique un critère d'imputabilité plus large, le constat global reste le même jusqu'en 2008 ou 2009 : le nombre de signalements par les professionnels de sante a été très faible, pour les hypertensions artérielles pulmonaires mais aussi pour les valvulopathies.
Dans les années ou j'ai exercé mes fonctions, et si l'on met à part le bref article de septembre 2005 de Prescrire, dont la tonalité sur ce médicament particulier n'était pas spécialement virulente, je n'ai pas le souvenir, en tant que directeur général, d'avoir jamais reçu de messages d'alerte de professionnels de santé, de scientifiques ou de patients à ce sujet, alors qu'il ne passait pour ainsi dire pas de semaine sans que je reçoive directement de tels messages sur les sujets les plus divers touchant aux produits de sante. Irène Frachon elle-même, qui était fortement préoccupée par ce sujet et dont la contribution à la démonstration du risque est indiscutable, ne m'a jamais saisi personnellement, et, à ma connaissance, son premier signalement documenté de valvulopathie aux services de pharmacovigilance date du premier trimestre 2008.
La poignée de personnes - médecins chevronnés - qui soignent depuis quelques mois leur notoriété médiatique en martelant sans vergogne approximations, outrances et formules à l'emporte-pièce dirigées contre 1'Afssaps et certaines des personnes qui y ont servi, feraient mieux de se souvenir qu'elles n'ont pris aucune initiative sérieuse avant la mesure de suspension pour alerter les autorités compétentes sur un danger qu'elles présentent aujourd'hui comme aveuglant. Cet effort de mémoire devrait les porter à faire preuve de davantage de retenue et de moins de zèle destructif.