Intervention de Olivier Gohin

Commission d'enquête sur l'immigration clandestine — Réunion du 24 janvier 2006 : 1ère réunion
Audition de M. Olivier Gohin professeur de droit public à l'université de paris ii

Olivier Gohin, professeur de droit public à l'université de Paris II (Panthéon-Assas) :

a souligné que la situation de l'immigration clandestine en outre-mer revêtait une gravité particulière compte tenu du contexte économique et social fragile de collectivités au territoire souvent exigu, rappelant que les immigrés clandestins représenteraient environ les trois quarts des étrangers implantés en Guyane et à Mayotte ainsi qu'un quart, voire un tiers, de la population de ces deux collectivités. Il a relevé qu'à Mamoudzou, à Mayotte, deux tiers des naissances étaient le fait de Comoriennes et qu'à Saint-Laurent du Maroni, en Guyane, la moitié des Surinamiennes étaient en situation irrégulière, tandis que le nombre de reconduites à la frontière effectuées depuis Mayotte, la Guyane et la Guadeloupe représentait plus de 50 % des mesures de reconduite pratiquées sur le territoire national.

Il a indiqué que Saint-Martin était également touché par ce phénomène en raison de l'absence de contrôle entre les deux parties de l'île, ajoutant que la situation de La Réunion et de la Martinique était fragilisée par les relations que ces collectivités entretenaient respectivement avec Mayotte et la Guadeloupe. Il a mis en exergue le fait que l'immigration clandestine en France était un phénomène touchant d'abord et massivement l'outre-mer, alors que le débat public se focalisait davantage sur l'immigration en France métropolitaine, malgré les prises de position de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, sur l'adaptation du droit de la nationalité à Mayotte.

a indiqué que l'idée de freiner l'accès à la nationalité française de ressortissants d'Etats voisins de certaines collectivités ultramarines, évoquée par le ministre, tendait à se fonder sur les dispositions de l'article 74 de la Constitution dans leur rédaction antérieure à la révision constitutionnelle du 25 mars 2003 et telles qu'interprétées par la décision du Conseil constitutionnel du 20 juillet 1993 relative à la loi réformant le code de la nationalité. Il a rappelé que cette décision, relative à Wallis-et-Futuna et non à Mayotte, admettait de façon implicite mais certaine que le droit de la nationalité puisse suivre, dans ce territoire d'outre-mer, un régime spécifique attaché à son organisation particulière.

Il a indiqué que la solution dégagée par le Conseil constitutionnel s'appliquait aux collectivités territoriales d'outre-mer qui n'étaient ni départementalisées ni régionalisées, dans la mesure où le douzième alinéa de l'article 74 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 25 mars 2003, disposait que les autres modalités de l'organisation particulière des collectivités d'outre-mer étaient définies par le statut de chacune de ces collectivités, établi et susceptible d'être modifié par la loi après consultation de leur assemblée délibérante.

Il a exposé que le statut de chaque collectivité régie par l'article 74 de la Constitution, fixé par une loi organique, définissait un régime juridique « sur mesure » pouvant être, selon le cas, un régime de spécialité plus ou moins poussée ou, à l'inverse, un régime d'assimilation plus ou moins accentuée. Il a estimé, en conséquence, que si la solution dégagée par le Conseil constitutionnel en 1993 pouvait être transposée sous l'empire du nouveau dispositif issu de la révision constitutionnelle, elle pourrait s'appliquer à des collectivités d'outre-mer ayant un régime de spécialité particulièrement caractérisé, à l'instar de la Polynésie française, voire à la Nouvelle-Calédonie.

a néanmoins souligné que, selon lui, l'institution d'un droit de la nationalité dérogatoire pour ces collectivités romprait le principe d'unité de la République, lui-même déduit de son caractère indivisible affirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999, ainsi que le principe d'égalité des citoyens devant la loi, posé par l'article premier de la Constitution et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Il a en effet observé que ces deux principes postulaient que les conditions d'accès à la nationalité française soient les mêmes sur l'ensemble du territoire national.

Il a jugé que ces obstacles constitutionnels s'appliqueraient a fortiori à toute tentative d'introduction d'un droit de la nationalité dérogatoire à Mayotte, collectivité départementale sui generis soumise au principe de spécialité dans laquelle le droit de la nationalité était cependant soumis à un principe d'assimilation en application de l'article 3 de la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte. Il a ajouté que cette collectivité serait sans doute dotée d'un nouveau statut la transformant soit en collectivité d'outre-mer soumise au principe d'assimilation, soit en département d'outre-mer.

Il a considéré que de tels obstacles se rencontraient également pour la Guyane, dès lors qu'il s'agissait d'un département d'outre-mer pour lequel le droit de la nationalité relève de la compétence de l'Etat et qu'il ne peut faire l'objet d'une adaptation par le conseil général ou le conseil régional. Il a souligné par ailleurs qu'une adaptation de ce droit par l'Etat ferait l'objet d'un contrôle strict du Conseil constitutionnel sur les « caractéristiques et contraintes particulières » de cette collectivité territoriale, rappelé par la décision du 12 août 2004 sur la loi relative aux libertés et responsabilités locales.

Il a ajouté que la France, en tant qu'Etat-nation, n'avait, à ce jour, jamais différencié les conditions d'accès à la nationalité française entre la métropole et l'outre-mer ou entre les différentes collectivités ultramarines.

a toutefois estimé que les principes évoqués n'empêchaient pas la modification du droit de la nationalité dans un sens éventuellement restrictif, dès lors que des règles uniformes seraient prévues pour l'ensemble du territoire de la République. Il a observé que, par exemple, la régularité du séjour des parents d'un enfant mineur né en France et y résidant habituellement depuis cinq ans pourrait constituer une condition supplémentaire pour lui permettre d'accéder automatiquement à la nationalité française à treize ans, à condition que cette mesure s'applique dans la France entière.

S'agissant du droit des étrangers, M. Olivier Gohin a considéré qu'à l'inverse du droit de la nationalité, il pouvait faire l'objet d'une différenciation en fonction du régime juridique auquel est soumise telle ou telle collectivité ultramarine.

Il a souligné que l'article 73 de la Constitution autorisait des mesures d'adaptation au droit commun, relevant, pour la Guyane, que le Conseil constitutionnel avait d'ores et déjà validé, dans sa décision du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, l'absence d'effet suspensif des recours contre les arrêtés portant reconduite à la frontière puis, dans sa décision du 22 avril 1997 sur la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, le contrôle sommaire des véhicules n'appartenant pas à des particuliers dans les zones frontalières de ce département.

Concernant la Nouvelle-Calédonie et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution, il a précisé que des conditions particulières d'entrée et de séjour des étrangers étaient définies par des ordonnances, ce qui était le cas notamment pour Mayotte, en vertu de l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 modifiée par l'ordonnance n° 2005-704 du 24 juin 2005.

Il a précisé que des dispositions dérogatoires au droit commun de l'entrée et du séjour des étrangers ne devaient, en tout état de cause, pas être contraires aux libertés fondamentales : le sixième alinéa de l'article 73 de la Constitution dispose que les adaptations décidées par les assemblées délibérantes des régions ou départements français d'Amérique ne doivent pas porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, tandis que le onzième alinéa de l'article 74 de la Constitution exige le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques.

Il a souligné que ces prescriptions étaient d'application générale dans le droit de la décentralisation, le Conseil constitutionnel ayant estimé, dans sa décision du 18 janvier 1985 sur la loi portant diverses dispositions relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales, que le principe de libre administration des collectivités territoriales, de valeur constitutionnelle, ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi organisant l'exercice d'une liberté publique dépendent de décisions des collectivités territoriales et puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire.

a souligné que, dès lors qu'il touchait à la sécurité et à l'ordre publics, le droit des étrangers était une matière de souveraineté et ne pouvait, à ce titre, faire l'objet d'un transfert à une collectivité territoriale d'outre-mer, que celle-ci soit régie par l'article 73 ou par l'article 74 de la Constitution. Il a indiqué que le degré de différenciation du droit applicable aux étrangers dans une collectivité territoriale d'outre-mer par rapport à la métropole pourrait varier tant entre les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et celles relevant de l'article 74 qu'entre les différentes collectivités régies par l'une ou l'autre de ces dispositions. Il a rappelé qu'en tout état de cause, ces différenciations s'exerceraient sous le contrôle du juge constitutionnel.

Abordant la question du statut personnel applicable aux populations résidant dans certaines collectivités d'outre-mer, M. Olivier Gohin a rappelé que l'article 75 de la Constitution prévoyait que les citoyens de la République n'ayant pas de statut civil de droit commun conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé, précisant qu'il s'agissait d'un statut qu'il n'était possible d'acquérir que par filiation et pour lequel la renonciation était définitive, sauf pour la Nouvelle-Calédonie.

S'agissant du statut personnel à Mayotte, il a indiqué que l'évolution statutaire de cette collectivité serait sans incidence sur son existence dans la mesure où celle-ci était constitutionnellement garantie, mais qu'en revanche ce statut devait rester conforme à l'ordre public et s'inscrire dans les marges d'adaptation qui seraient autorisées par le futur régime juridique applicable à cette collectivité, soit en application de l'article 73, soit en application de l'article 74 de la Constitution.

Il a souligné que la suppression de la polygamie, de la répudiation ou de l'inégalité successorale, opérée en 2003 et pour l'avenir à l'initiative de M. Mansour Kamardine, député de Mayotte, s'inscrivait dans ce cadre, dans la mesure où elle visait à satisfaire aux prescriptions de l'ordre public français. Il a relevé que, dans sa décision du 17 juillet 2003 relative à la loi de programmation pour l'outre-mer, le Conseil constitutionnel avait considéré que, dès lors qu'il ne remettait pas en cause l'existence même du statut civil de droit local, le législateur pouvait adopter des dispositions de nature à en faire évoluer les règles dans le but de les rendre compatibles avec les principes et droits constitutionnellement protégés. Il a estimé que, de ce fait, il pourrait ainsi être envisagé d'imposer le mariage à Mayotte, par l'officier d'état civil, préalablement au mariage religieux devant le cadi.

Il a jugé que tout ce qui, à Mayotte, pourrait contribuer à consolider un état civil de droit commun conforme aux standards métropolitains permettrait de limiter les facultés de contournement de la loi qui sont actuellement ouvertes aux immigrés clandestins.

a enfin considéré que l'aide au développement constituait un facteur efficace de lutte contre l'immigration clandestine, dès lors que celle-ci tendait à répondre à des besoins de santé et d'éducation que les Comores notamment, et plus particulièrement Anjouan, n'étaient pas à même de satisfaire. Il a préconisé la construction, sur les fonds de la coopération régionale, d'une maternité performante ainsi que d'un ou plusieurs établissements scolaires à Anjouan, de même que la formation à l'université de la Réunion de personnels de santé et d'éducation pour les Comores. Il a souligné que ce type d'action pourrait également être entrepris au Surinam, pour ce qui concerne la Guyane, ou en Haïti, pour ce qui concerne la Guadeloupe.

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