Commission d'enquête sur l'immigration clandestine

Réunion du 24 janvier 2006 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CNCDH
  • asile
  • immigration
  • immigration clandestine
  • irrégulière
  • outre-mer

La réunion

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La commission d'enquête a tout d'abord entendu M. Olivier Gohin, professeur de droit public à l'université de Paris II (Panthéon-Assas).

Debut de section - Permalien
Olivier Gohin, professeur de droit public à l'université de Paris II (Panthéon-Assas)

a souligné que la situation de l'immigration clandestine en outre-mer revêtait une gravité particulière compte tenu du contexte économique et social fragile de collectivités au territoire souvent exigu, rappelant que les immigrés clandestins représenteraient environ les trois quarts des étrangers implantés en Guyane et à Mayotte ainsi qu'un quart, voire un tiers, de la population de ces deux collectivités. Il a relevé qu'à Mamoudzou, à Mayotte, deux tiers des naissances étaient le fait de Comoriennes et qu'à Saint-Laurent du Maroni, en Guyane, la moitié des Surinamiennes étaient en situation irrégulière, tandis que le nombre de reconduites à la frontière effectuées depuis Mayotte, la Guyane et la Guadeloupe représentait plus de 50 % des mesures de reconduite pratiquées sur le territoire national.

Il a indiqué que Saint-Martin était également touché par ce phénomène en raison de l'absence de contrôle entre les deux parties de l'île, ajoutant que la situation de La Réunion et de la Martinique était fragilisée par les relations que ces collectivités entretenaient respectivement avec Mayotte et la Guadeloupe. Il a mis en exergue le fait que l'immigration clandestine en France était un phénomène touchant d'abord et massivement l'outre-mer, alors que le débat public se focalisait davantage sur l'immigration en France métropolitaine, malgré les prises de position de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, sur l'adaptation du droit de la nationalité à Mayotte.

a indiqué que l'idée de freiner l'accès à la nationalité française de ressortissants d'Etats voisins de certaines collectivités ultramarines, évoquée par le ministre, tendait à se fonder sur les dispositions de l'article 74 de la Constitution dans leur rédaction antérieure à la révision constitutionnelle du 25 mars 2003 et telles qu'interprétées par la décision du Conseil constitutionnel du 20 juillet 1993 relative à la loi réformant le code de la nationalité. Il a rappelé que cette décision, relative à Wallis-et-Futuna et non à Mayotte, admettait de façon implicite mais certaine que le droit de la nationalité puisse suivre, dans ce territoire d'outre-mer, un régime spécifique attaché à son organisation particulière.

Il a indiqué que la solution dégagée par le Conseil constitutionnel s'appliquait aux collectivités territoriales d'outre-mer qui n'étaient ni départementalisées ni régionalisées, dans la mesure où le douzième alinéa de l'article 74 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 25 mars 2003, disposait que les autres modalités de l'organisation particulière des collectivités d'outre-mer étaient définies par le statut de chacune de ces collectivités, établi et susceptible d'être modifié par la loi après consultation de leur assemblée délibérante.

Il a exposé que le statut de chaque collectivité régie par l'article 74 de la Constitution, fixé par une loi organique, définissait un régime juridique « sur mesure » pouvant être, selon le cas, un régime de spécialité plus ou moins poussée ou, à l'inverse, un régime d'assimilation plus ou moins accentuée. Il a estimé, en conséquence, que si la solution dégagée par le Conseil constitutionnel en 1993 pouvait être transposée sous l'empire du nouveau dispositif issu de la révision constitutionnelle, elle pourrait s'appliquer à des collectivités d'outre-mer ayant un régime de spécialité particulièrement caractérisé, à l'instar de la Polynésie française, voire à la Nouvelle-Calédonie.

a néanmoins souligné que, selon lui, l'institution d'un droit de la nationalité dérogatoire pour ces collectivités romprait le principe d'unité de la République, lui-même déduit de son caractère indivisible affirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999, ainsi que le principe d'égalité des citoyens devant la loi, posé par l'article premier de la Constitution et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Il a en effet observé que ces deux principes postulaient que les conditions d'accès à la nationalité française soient les mêmes sur l'ensemble du territoire national.

Il a jugé que ces obstacles constitutionnels s'appliqueraient a fortiori à toute tentative d'introduction d'un droit de la nationalité dérogatoire à Mayotte, collectivité départementale sui generis soumise au principe de spécialité dans laquelle le droit de la nationalité était cependant soumis à un principe d'assimilation en application de l'article 3 de la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte. Il a ajouté que cette collectivité serait sans doute dotée d'un nouveau statut la transformant soit en collectivité d'outre-mer soumise au principe d'assimilation, soit en département d'outre-mer.

Il a considéré que de tels obstacles se rencontraient également pour la Guyane, dès lors qu'il s'agissait d'un département d'outre-mer pour lequel le droit de la nationalité relève de la compétence de l'Etat et qu'il ne peut faire l'objet d'une adaptation par le conseil général ou le conseil régional. Il a souligné par ailleurs qu'une adaptation de ce droit par l'Etat ferait l'objet d'un contrôle strict du Conseil constitutionnel sur les « caractéristiques et contraintes particulières » de cette collectivité territoriale, rappelé par la décision du 12 août 2004 sur la loi relative aux libertés et responsabilités locales.

Il a ajouté que la France, en tant qu'Etat-nation, n'avait, à ce jour, jamais différencié les conditions d'accès à la nationalité française entre la métropole et l'outre-mer ou entre les différentes collectivités ultramarines.

a toutefois estimé que les principes évoqués n'empêchaient pas la modification du droit de la nationalité dans un sens éventuellement restrictif, dès lors que des règles uniformes seraient prévues pour l'ensemble du territoire de la République. Il a observé que, par exemple, la régularité du séjour des parents d'un enfant mineur né en France et y résidant habituellement depuis cinq ans pourrait constituer une condition supplémentaire pour lui permettre d'accéder automatiquement à la nationalité française à treize ans, à condition que cette mesure s'applique dans la France entière.

S'agissant du droit des étrangers, M. Olivier Gohin a considéré qu'à l'inverse du droit de la nationalité, il pouvait faire l'objet d'une différenciation en fonction du régime juridique auquel est soumise telle ou telle collectivité ultramarine.

Il a souligné que l'article 73 de la Constitution autorisait des mesures d'adaptation au droit commun, relevant, pour la Guyane, que le Conseil constitutionnel avait d'ores et déjà validé, dans sa décision du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, l'absence d'effet suspensif des recours contre les arrêtés portant reconduite à la frontière puis, dans sa décision du 22 avril 1997 sur la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, le contrôle sommaire des véhicules n'appartenant pas à des particuliers dans les zones frontalières de ce département.

Concernant la Nouvelle-Calédonie et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution, il a précisé que des conditions particulières d'entrée et de séjour des étrangers étaient définies par des ordonnances, ce qui était le cas notamment pour Mayotte, en vertu de l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 modifiée par l'ordonnance n° 2005-704 du 24 juin 2005.

Il a précisé que des dispositions dérogatoires au droit commun de l'entrée et du séjour des étrangers ne devaient, en tout état de cause, pas être contraires aux libertés fondamentales : le sixième alinéa de l'article 73 de la Constitution dispose que les adaptations décidées par les assemblées délibérantes des régions ou départements français d'Amérique ne doivent pas porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, tandis que le onzième alinéa de l'article 74 de la Constitution exige le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques.

Il a souligné que ces prescriptions étaient d'application générale dans le droit de la décentralisation, le Conseil constitutionnel ayant estimé, dans sa décision du 18 janvier 1985 sur la loi portant diverses dispositions relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales, que le principe de libre administration des collectivités territoriales, de valeur constitutionnelle, ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi organisant l'exercice d'une liberté publique dépendent de décisions des collectivités territoriales et puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire.

a souligné que, dès lors qu'il touchait à la sécurité et à l'ordre publics, le droit des étrangers était une matière de souveraineté et ne pouvait, à ce titre, faire l'objet d'un transfert à une collectivité territoriale d'outre-mer, que celle-ci soit régie par l'article 73 ou par l'article 74 de la Constitution. Il a indiqué que le degré de différenciation du droit applicable aux étrangers dans une collectivité territoriale d'outre-mer par rapport à la métropole pourrait varier tant entre les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et celles relevant de l'article 74 qu'entre les différentes collectivités régies par l'une ou l'autre de ces dispositions. Il a rappelé qu'en tout état de cause, ces différenciations s'exerceraient sous le contrôle du juge constitutionnel.

Abordant la question du statut personnel applicable aux populations résidant dans certaines collectivités d'outre-mer, M. Olivier Gohin a rappelé que l'article 75 de la Constitution prévoyait que les citoyens de la République n'ayant pas de statut civil de droit commun conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé, précisant qu'il s'agissait d'un statut qu'il n'était possible d'acquérir que par filiation et pour lequel la renonciation était définitive, sauf pour la Nouvelle-Calédonie.

S'agissant du statut personnel à Mayotte, il a indiqué que l'évolution statutaire de cette collectivité serait sans incidence sur son existence dans la mesure où celle-ci était constitutionnellement garantie, mais qu'en revanche ce statut devait rester conforme à l'ordre public et s'inscrire dans les marges d'adaptation qui seraient autorisées par le futur régime juridique applicable à cette collectivité, soit en application de l'article 73, soit en application de l'article 74 de la Constitution.

Il a souligné que la suppression de la polygamie, de la répudiation ou de l'inégalité successorale, opérée en 2003 et pour l'avenir à l'initiative de M. Mansour Kamardine, député de Mayotte, s'inscrivait dans ce cadre, dans la mesure où elle visait à satisfaire aux prescriptions de l'ordre public français. Il a relevé que, dans sa décision du 17 juillet 2003 relative à la loi de programmation pour l'outre-mer, le Conseil constitutionnel avait considéré que, dès lors qu'il ne remettait pas en cause l'existence même du statut civil de droit local, le législateur pouvait adopter des dispositions de nature à en faire évoluer les règles dans le but de les rendre compatibles avec les principes et droits constitutionnellement protégés. Il a estimé que, de ce fait, il pourrait ainsi être envisagé d'imposer le mariage à Mayotte, par l'officier d'état civil, préalablement au mariage religieux devant le cadi.

Il a jugé que tout ce qui, à Mayotte, pourrait contribuer à consolider un état civil de droit commun conforme aux standards métropolitains permettrait de limiter les facultés de contournement de la loi qui sont actuellement ouvertes aux immigrés clandestins.

a enfin considéré que l'aide au développement constituait un facteur efficace de lutte contre l'immigration clandestine, dès lors que celle-ci tendait à répondre à des besoins de santé et d'éducation que les Comores notamment, et plus particulièrement Anjouan, n'étaient pas à même de satisfaire. Il a préconisé la construction, sur les fonds de la coopération régionale, d'une maternité performante ainsi que d'un ou plusieurs établissements scolaires à Anjouan, de même que la formation à l'université de la Réunion de personnels de santé et d'éducation pour les Comores. Il a souligné que ce type d'action pourrait également être entrepris au Surinam, pour ce qui concerne la Guyane, ou en Haïti, pour ce qui concerne la Guadeloupe.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

ayant souhaité avoir confirmation que le droit applicable aux étrangers, défini par l'Etat, pourrait être différencié selon la situation locale, M. Olivier Gohin a précisé que cette différenciation était possible juridiquement mais qu'elle variait selon le degré d'assimilation ou de spécialité du régime juridique applicable à la collectivité considérée, soulignant que le droit des étrangers pourrait être adapté en Guyane, département d'outre-mer, mais selon des marges plus réduites que s'il s'agissait d'une collectivité régie par l'article 74 de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

ayant évoqué l'idée de la transformation de l'hôpital de Saint-Laurent du Maroni, en Guyane, en une zone internationale afin de limiter l'afflux des Surinamiens, M. Olivier Gohin a estimé qu'il lui semblait difficile que la France puisse d'elle-même provoquer une extraterritorialité, une telle mesure ne pouvant intervenir, à l'instar de ce que connaissent les ports ou aéroports internationaux, qu'en vertu de conventions internationales. Or, a-t-il précisé, il n'existe, pour ce cas précis, aucune convention internationale applicable.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Othily

a souligné que la France avait financé la construction d'un hôpital à Albina, ville surinamienne sur le fleuve Maroni, sans que cette action ait limité l'afflux des ressortissants surinamiens en Guyane. Il a estimé que l'objectif des Surinamiens était en fait d'accéder sur le territoire de ce département français pour bénéficier de droits sociaux.

Debut de section - Permalien
Olivier Gohin, professeur de droit public à l'université de Paris II (Panthéon-Assas)

a jugé possible de procéder à des différenciations en ce domaine, sauf si cela avait pour conséquence de porter atteinte à la dignité humaine, ce qui conduisait à exclure notamment une différenciation dans l'aide médicale. Il a en revanche observé qu'il serait envisageable de limiter l'octroi des prestations sociales aux étrangers, M. Georges Othily, président, soulignant l'importance de la fuite de capitaux occasionnée par le rapatriement dans le pays d'origine des immigrants des prestations versées par la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Gautier

a ensuite demandé quelles pourraient être les solutions envisagées pour l'ensemble du territoire national et non pas seulement pour les collectivités ultramarines.

Debut de section - Permalien
Olivier Gohin, professeur de droit public à l'université de Paris II (Panthéon-Assas)

a considéré qu'il conviendrait de limiter les dévoiements dans l'acquisition de la nationalité française, évoquant en particulier le cas des clandestins faisant acquérir la nationalité française à leurs enfants. Il a rappelé que le droit de la nationalité n'était pas uniquement un « droit du sol ».

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

a indiqué que les élus de la commune de Saint-Martin avaient exprimé le souhait de bénéficier d'une certaine autonomie en matière de gestion des flux d'immigration dans leur future collectivité. Il a souhaité savoir si cette demande était compatible avec le dispositif de l'article 74 de la Constitution.

Debut de section - Permalien
Olivier Gohin, professeur de droit public à l'université de Paris II (Panthéon-Assas)

a souligné que le statut envisagé pour Saint-Martin ne lui confèrerait pas une réelle autonomie et qu'en conséquence, les marges d'adaptation en cette matière seraient faibles. Il a évoqué l'idée d'un rapprochement des parties française et hollandaise de l'île de Saint-Martin, estimant que les Etats français et néerlandais devraient se concerter pour pratiquer des politiques similaires dans les deux parties de l'île.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

a indiqué que la commune de Saint-Barthelémy bénéficiait déjà de dérogations, notamment dans le domaine de la fiscalité, avant même sa transformation en une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution. M. Olivier Gohin a rappelé que ces adaptations avaient un fondement juridique fragile à l'heure actuelle, qui serait néanmoins conforté par le futur statut de cette collectivité.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Othily

a souhaité savoir s'il serait envisageable que la compétence en matière d'immigration soit, dans les collectivités ultramarines, partagée entre celles-ci et l'Etat. M. Olivier Gohin a répondu que cette matière était insusceptible d'être transférée tant en application de l'article 73 que de l'article 74 de la Constitution et qu'un tel partage lui apparaissait de ce fait impossible.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

a insisté sur le fait que l'aide au développement constituait un facteur efficace de lutte contre l'immigration clandestine et a regretté que l'essentiel des réformes actuellement envisagées porte sur l'accroissement des mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Il a estimé que l'existence d'un marché du travail illégal ainsi que les reconnaissances frauduleuses d'enfants constituaient des vecteurs puissants d'immigration clandestine.

Debut de section - Permalien
Olivier Gohin, professeur de droit public à l'université de Paris II (Panthéon-Assas)

a reconnu que le problème de l'immigration clandestine ne se limitait pas à des considérations juridiques mais qu'il s'agissait d'un problème à la fois culturel, sociologique et humanitaire. Il a estimé qu'il convenait de trouver un équilibre en la matière et de faire preuve de modestie dans les solutions préconisées.

La commission d'enquête a ensuite entendu M. Louis Schweitzer, président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).

A titre liminaire, M. Louis Schweitzer a indiqué que la compétence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité s'étendait à toutes les discriminations, directes et indirectes, prohibées par les lois de la République ou un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé, mais pas à l'application de la législation relative à l'immigration. Il a ajouté que la Haute autorité était compétente à l'égard des discriminations concernant des étrangers, en situation régulière ou irrégulière, précisant qu'elle était ainsi déjà intervenue pour faire cesser le refus d'une école d'accueillir un enfant étranger dont les parents étaient en situation irrégulière.

Debut de section - Permalien
Louis Schweitzer, président

a rappelé que la Haute autorité avait été créée par une loi du 30 décembre 2004, que ses membres avaient été nommés par un décret du 8 mars 2005 et qu'elle n'avait véritablement été installée qu'au mois de juin 2005.

Après avoir souligné que toute personne s'estimant victime de discrimination pouvait saisir directement la Haute autorité, il a indiqué que 1.300 réclamations individuelles lui avaient déjà été adressées, classées en fonction du lieu et du motif de discrimination. En ce qui concerne le lieu de discrimination, il a relevé que les principaux motifs de saisine concernaient l'emploi (la moitié) ou le fonctionnement d'un service public (20 %). En ce qui concerne les motifs de discrimination, il a indiqué que 35 % d'entre eux étaient fondés sur l'origine ou la nationalité de l'auteur de la réclamation et 15 % sur son état de santé ou son handicap.

a exposé les pouvoirs d'enquête, de recommandation, de médiation ou de saisine de l'autorité judiciaire - dévolus par la loi à la Haute autorité. Il a indiqué qu'elle ne disposait, pour le moment, d'aucun pouvoir de sanction mais que le projet de loi pour l'égalité des chances, déposé récemment sur le bureau de l'Assemblée nationale et devant être prochainement examiné en urgence par les deux assemblées, tendait à lui en conférer un. Il a plaidé en faveur d'une telle réforme en faisant valoir que 40 condamnations pénales seulement étaient prononcées chaque année alors que des milliers de cas de discrimination étaient recensés. Il a estimé qu'un tel pouvoir permettrait, sans que la Haute autorité se substitue à l'autorité judiciaire, de rendre plus crédibles les sanctions prévues par la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

A la demande de M. Alain Gournac, M. Louis Schweitzer a précisé que la Haute autorité pouvait être saisie par toute personne s'estimant victime de discrimination : soit directement, soit par l'intermédiaire d'un député, d'un sénateur ou d'un représentant français au Parlement européen, soit conjointement avec une association déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et ayant pour objet de combattre les discriminations ou d'assister les victimes de discrimination.

Il a relevé que la quasi-totalité des quelque 10 saisines journalières de la Haute autorité, soit un rythme annuel de plus de 3.000 dossiers, émanaient directement des victimes, ajoutant que les associations préféraient sans doute traiter seules les cas dont elles avaient connaissance et que les lettres de parlementaires restaient encore peu nombreuses. Il a souligné que ces chiffres étaient sans doute très en deçà de ceux des pratiques discriminatoires, la Haute autorité restant en effet méconnue du grand public et les victimes hésitant encore, malgré l'absence de frais, à la saisir.

Debut de section - Permalien
Louis Schweitzer, président

a souligné que la Haute autorité disposait d'un pouvoir d'initiative soit en se saisissant d'office de cas de discrimination dont elle aurait eu connaissance, par exemple dans la presse, soit en pratiquant le « testing », c'est-à-dire en mettant à l'épreuve un employeur ayant fait une offre d'emploi ou encore un propriétaire ayant mis un logement en location.

Enfin, il a indiqué que la Haute autorité s'attachait à promouvoir l'égalité, afin de prévenir les discriminations. Il a ainsi exposé qu'une lettre avait été adressée à 150 grandes entreprises françaises afin de leur proposer la création d'une « bourse des bonnes pratiques » en matière d'égalité de traitement et que la Haute autorité entendait faire état, dans son rapport annuel, des bonnes comme des mauvaises pratiques. Il a ajouté qu'une convention avait été conclue avec la Fédération nationale des agents immobiliers afin de lutter contre les pratiques discriminatoires de certaines agences immobilières à l'occasion des locations de logements dont elles sont chargées.

a conclu son propos en exposant que la Haute autorité s'était déclarée incompétente à l'égard d'une réclamation concernant un refus de délivrance d'un visa mais qu'elle avait communiqué à l'auteur de la saisine les coordonnées d'associations susceptibles de lui prêter assistance.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

A la demande de M. François-Noël Buffet, rapporteur, M. Louis Schweitzer a précisé que la saisine de la Haute autorité par les étrangers n'était pas soumise à une condition de régularité de leur séjour. Il a ainsi rappelé qu'elle était intervenue pour faire cesser le refus d'une école d'accueillir un enfant étranger dont les parents étaient en situation irrégulière mais qu'elle avait constaté que le refus d'octroyer le revenu minimum d'insertion à un étranger dépourvu de titre de séjour régulier ne constituait pas une discrimination, puisque les étrangers en situation irrégulière n'ont pas droit à cette prestation.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Gautier

a souhaité connaître la limite des pouvoirs de la Haute autorité.

Pour illustrer ces pouvoirs, M. Louis Schweitzer a mis en exergue trois types d'actions entreprises par la Haute autorité.

Il a exposé en premier lieu que, saisie d'un cas de discrimination à l'encontre de travailleurs âgés de plus de 45 ans, la Haute autorité avait constitué un dossier sur l'employeur auteur de cette infraction et l'avait transmis au parquet. Il a toutefois exprimé la crainte que ce dernier ne classe l'affaire, en raison de sa complexité et d'un trouble à l'ordre public qu'il pourrait juger, à tort, peu important.

Il a indiqué en deuxième lieu que la Haute autorité entendait intervenir devant les prud'hommes dans un contentieux opposant des travailleurs à leur employeur, les premiers reprochant au second des discriminations fondées sur leur appartenance syndicale. Rappelant que le pénal tenait le civil en l'état, il a souligné que la Haute autorité n'avait pas saisi le parquet afin de ne pas retarder le jugement du conseil des prud'hommes. Soulignant à nouveau qu'en moyenne 40 condamnations pénales étaient prononcées chaque année, il a estimé que la dévolution à la Haute autorité d'un pouvoir de sanction permettrait de remédier à cette difficulté.

Debut de section - Permalien
Louis Schweitzer, président

a déclaré en troisième lieu que la Haute autorité pouvait procéder ou faire procéder à la résolution amiable des différends portés à sa connaissance, par voie de médiation, sous réserve de l'accord des parties.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

a observé que le GISTI et l'association Centre ville pour tous de Marseille avaient conjointement saisi la Haute autorité, en novembre 2005, d'une réclamation concernant deux types de pratiques jugées discriminatoires émanant de services fiscaux : à Marseille, à l'encontre de résidents étrangers d'hôtels meublés, et à Paris, à l'encontre de demandeurs d'asile domiciliés dans des associations. Précisant que ces personnes semblaient ne pas avoir pu obtenir un avis de non-imposition, malgré les déclarations adressées aux services fiscaux, il a souhaité connaître les suites données par la Haute autorité à leurs réclamations.

Debut de section - Permalien
Louis Schweitzer, président

a indiqué que les réclamations concernant les services fiscaux de Marseille étaient en cours d'instruction. Il s'est engagé à faire le point sur les réclamations concernant les services fiscaux de Paris.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

a souhaité connaître les moyens d'investigation de la Haute autorité, ses relations avec les services de police et de gendarmerie et les éléments qu'elle communiquait au parquet.

Debut de section - Permalien
Louis Schweitzer, président

a indiqué que l'effectif budgétaire de la Haute autorité - 50 agents en 2005, 66 agents en 2006 - ne lui permettait pas de créer des services délocalisés. Il a souligné que cet effectif était légèrement inférieur à celui de son homologue belge, alors que la population française était bien plus nombreuse que celle de la Belgique, et nettement moindre que celui de son homologue britannique, pourtant exclusivement compétente en matière de discriminations raciales.

Il a ajouté que, pour pouvoir effectuer des contrôles sur place, les agents de la Haute autorité devaient obtenir une habilitation du procureur général près la cour d'appel de Paris, observant que ce dernier tardait à délivrer les habilitations demandées. Enfin, il a exposé que la Haute autorité pouvait faire appel aux services d'huissiers de justice, en particulier pour valider des « testings », et d'avocats.

a précisé que la Haute autorité limitait le champ de son action au territoire national, n'avait pas encore fait appel aux services de police et de gendarmerie mais à ceux de l'inspection du travail et qu'elle remettait à l'autorité judiciaire l'ensemble des éléments réunis pour constituer un dossier.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

s'est demandé si les discriminations imputables aux services publics ne relevaient pas de la compétence du Médiateur de la République. Elle a souhaité savoir si la Haute autorité jouissait de la personnalité morale et, à l'instar par exemple des associations de protection de l'environnement, avait un intérêt à agir dans un procès.

Debut de section - Permalien
Louis Schweitzer, président

a indiqué que les domaines de compétences de la Haute autorité et du Médiateur de la République se recoupaient partiellement, soulignant toutefois que la première intervenait en cas de violation de la loi tandis que le rôle du second consistait à dénoncer les iniquités engendrées par une application correcte de la législation et de la réglementation. Il n'a pas jugé opportun de chercher à établir une frontière stricte entre les compétences de ces deux autorités administratives indépendantes, en exposant que leurs deux présidents s'étaient entendus pour laisser à la première autorité saisie le soin de traiter un dossier.

Il a indiqué que la Haute autorité ne disposait pas de la personnalité morale et ne pouvait donc se porter partie civile. Il a toutefois rappelé, d'une part, que les juridictions civiles, pénales ou administratives pouvaient, lorsqu'elles étaient saisies de faits relatifs à des discriminations, d'office ou à la demande des parties, inviter la Haute autorité ou son représentant à présenter des observations, d'autre part, que les juridictions pénales pouvaient, à la demande de la Haute autorité, l'inviter à présenter des observations, y compris à les développer oralement au cours de l'audience. Enfin, il a ajouté que la Haute autorité s'attachait, par des contacts informels, à ce que le parquet prenne en compte les dossiers qu'elle lui transmettait.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Othily

a rappelé que, lors de son audition par la commission d'enquête, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, avait estimé que l'immigration irrégulière avait un impact considérable sur la capacité de l'ensemble des populations issues de l'immigration à être intégrées. Il a souhaité savoir si le président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité partageait cette analyse.

Debut de section - Permalien
Louis Schweitzer, président

a précisé qu'il ne pouvait se prononcer sur cette question en tant que président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. A titre personnel, il a estimé ne pas être en mesure d'apprécier les externalités négatives résultant, pour les étrangers en situation régulière, de la présence sur le sol français d'étrangers en situation irrégulière. Il s'est demandé au demeurant si, en l'absence d'immigration irrégulière, les étrangers en situation régulière seraient mieux traités, à supposer que la suppression de l'immigration irrégulière fût possible. Enfin, il a observé que, selon les propos de responsables britanniques, le contrôle des frontières du Royaume-Uni restait difficile à assurer en dépit de son insularité et de son refus d'adhérer pleinement à l'espace Schengen.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Gautier

a souhaité connaître le sort réservé par la Haute autorité aux propos discriminatoires.

Debut de section - Permalien
Louis Schweitzer, président

lui a répondu que la Haute autorité était compétente à l'égard de propos appelant à la discrimination, par exemple à éviter de fréquenter un restaurant au motif qu'il serait tenu par un ressortissant étranger, mais pas à l'égard de propos blessants ou dévalorisants pour telle ou telle catégorie de personnes, par exemple les femmes ou les handicapés. Il a toutefois ajouté que la Haute autorité, lorsqu'elle était saisie de propos lui semblant constituer une infraction, transmettait le dossier au parquet.

La commission d'enquête a enfin entendu M. Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), accompagné de M. Jean-Yves Monfort, membre de la CNCDH et ancien président de la sous-commission « questions nationales » de la CNCDH.

Debut de section - Permalien
Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)

Ayant précisé que la CNCDH ne s'était pas penchée sur les problèmes de l'immigration clandestine et des flux migratoires en tant que tels, M. Joël Thoraval a donné la parole à M. Jean-Yves Monfort, président du tribunal de grande instance de Versailles, et dont il a rappelé qu'il avait été, sous la précédente mandature de la Commission, le président de la sous-commission C « questions nationales » de la Commission, compétente sur les problèmes de droit d'asile et d'immigration

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Monfort

Confirmant que la sous-commission qu'il avait présidée n'avait pas spécifiquement étudié l'immigration clandestine, M. Jean-Yves Monfort a exposé qu'elle avait en revanche longuement travaillé sur les conséquences pour le respect des droits de l'homme de la gestion des flux migratoires et des conditions d'application du droit d'asile.

Mentionnant l'avis circonstancié sur le droit d'asile qu'avait émis la CNCDH en 2001, il a rappelé que de 2002 à 2005, la sous-commission qu'il présidait avait poursuivi ses travaux sur ce sujet, auquel la Commission est particulièrement sensible et sur lequel elle mène une nouvelle étude qui devrait aboutir en avril ou mai 2006.

a indiqué que bien qu'elle n'ait pas émis d'avis sur la question de l'immigration clandestine, des questions voisines l'avaient cependant amenée à prendre en considération le statut des migrants, réguliers ou irréguliers, la sous-commission ayant toujours été attentive à la garantie de leurs droits fondamentaux, quel que soit leur statut au regard de notre réglementation et du cadre de plus en plus contraignant déterminé par l'Union européenne.

Rappelant que M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, avait relancé en janvier 2005 le débat sur la gestion des flux migratoires à travers la question des quotas, M. Jean-Yves Monfort a souligné que cette question avait « interpellé » la Commission, car il s'agit d'un débat complexe auquel il n'existe pas de réponse simple. Il a expliqué que la CNCDH avait alors procédé à des auditions d'experts et de spécialistes divers sur ce sujet compliqué, qui peut comporter des aspects positifs, comme la reconnaissance de la réalité du phénomène de l'immigration, mais aussi des risques pour les droits de l'Homme, surtout si les critères qui devaient prévaloir étaient d'ordre national, social ou ethnique.

a ajouté qu'ayant eu le sentiment que le Gouvernement n'allait pas dans l'immédiat déposer un texte, la Commission n'avait cependant pas élaboré de projet d'avis et décidé d'attendre d'éventuelles propositions de réforme de la législation. Cependant, les indications récemment publiées dans la presse faisant apparaître que le ministre de l'intérieur semblait vouloir proposer dans les semaines à venir un texte portant sur le contrôle des flux migratoires, la question se pose donc désormais de savoir si la CNCDH sera saisie pour avis de ce texte ou si elle devra s'en autosaisir.

Rappelant que la Commission avait abordé la question des flux migratoires à travers deux avis déjà anciens, l'un rendu le 23 mai 1996 et relatif à un rapport parlementaire sur l'immigration clandestine et le séjour irrégulier d'étrangers en France et l'autre, datant du 17 novembre 1999, sur le trafic des migrants par mer, M. Jean-Yves Monfort a déclaré que ces avis permettaient d'appréhender la philosophie de la Commission en la matière.

Ainsi, dans l'avis du 23 mai 1996, la Commission affirmait que « les droits de l'homme, universels et indivisibles, sont applicables à tout être humain, quelle que soit sa situation, dans le respect de la dignité humaine » et que devait être proscrit « tout amalgame entre demandeurs d'asiles et immigrés clandestins, entre immigrés et terroristes, entre étrangers en situation irrégulière et ceux qui ne sont pas », soulignant que ce type de confusion engendrait des suspicions ou des défiances à l'égard des étrangers et alimentait les préjugés racistes et xénophobes à leur encontre.

a relevé que, dans le même avis, la Commission notait également que l'immigration clandestine était un phénomène qu'il était nécessaire de maîtriser, « particulièrement en ce qui concerne l'exploitation du travail des clandestins par des commanditaires qui jouissent le plus souvent de l'impunité ».

Introduisant ainsi l'idée que les migrants en situation irrégulière étaient davantage les victimes de trafics d'êtres humains que les auteurs d'une infraction administrative, la CNCDH avait estimé que certaines des analyses et propositions contenues dans ce rapport parlementaire étaient contraires aux principes qu'elle rappelait.

a ensuite précisé que l'avis de la CNCDH sur le trafic des migrants par mer faisait aussi nettement apparaître l'idée que les migrants arrivant illégalement en France dans ces conditions étaient des victimes et qu'il mettait l'accent sur la répression des trafiquants, relevant que « le contexte, les conditions et les conséquences de ces activités illicites, qui constituent une nouvelle forme de traite des êtres humains, mettent en cause les droits de l'homme définis dans la Déclaration universelle et garantis par les instruments internationaux pertinents » : l'avis renvoyait notamment à cet égard aux dispositions du Pacte relatif aux droits civils et politiques proclamant que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » et que « toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ».

a exposé que c'était autour de ces principes que la Commission avait dégagé quelques droits fondamentaux des migrants, son avis du 17 novembre 1999 mettant en relief que les victimes du trafic des migrants par voie de mer devaient être autorisées à débarquer et que, dans l'attente de leur admission sur leur territoire ou de leur rapatriement, elles devaient être traitées avec dignité, et mises en mesure d'être entendues et de faire valoir leurs droits.

Il a souligné que la CNCDH recommandait par ailleurs de lutter contre ces trafics et de ne pas confondre leurs auteurs et leurs victimes dans un même projet répressif.

a également noté que dans l'avis, plus récent, que la Commission avait rendu le 15 avril 2003 et qui préludait à la loi du 26 novembre 2003, l'on retrouvait l'idée que la Commission, sans vouloir s'immiscer dans la définition de la politique d'immigration « qui appartient au législateur, dans les limites que lui reconnaissent les compétences de l'Union européenne », observait que l'on ne saurait « borner la politique d'immigration à sa seule dimension policière tant il est vrai que le développement des mouvements migratoires est dans la nature d'un monde de plus en plus globalisé » et qu'elle s'interrogeait « sur la pertinence d'une approche qui tiendrait pour acquise la liberté des échanges commerciaux, financiers et de l'information, tout en astreignant les hommes à résidence dans leur propre pays ».

Affirmant partager les préoccupations du Gouvernement de lutter contre les trafics de population et de réguler les mouvements migratoires, elle avait donc souhaité rappeler que ce n'était pas l'offre criminelle qui provoquait la demande mais bien le contraire.

En indiquant que ces avis fondaient toujours la philosophie de la Commission et sa réflexion sur la gestion des flux migratoires, M. Jean-Yves Monfort a ensuite exposé les positions de la CNCDH sur le droit d'asile.

Rappelant que le droit d'asile était une préoccupation cardinale de la Commission, il a observé que de ses plus récents avis sur cette question se dégageait une ligne directrice : le caractère de droit fondamental de l'asile interdit de confondre les questions de l'asile et de l'immigration.

Ainsi, il ne peut y avoir, en matière d'asile, de gestion des flux, même si l'asile peut parfois dissimuler des formes d'immigration clandestine. Il ne peut y avoir de « politique de l'asile », car la demande d'asile est chaque fois un cas particulier. On ne peut pas non plus fixer de quotas, ni faire de prévisions, et il faut respecter la règle imposant qu'un demandeur d'asile puisse accéder au territoire quelles que soient les conditions dans lesquelles il y arrive : M. Jean-Yves Monfort a remarqué que cette dernière considération avait fondé les critiques de la CNCDH à l'égard des notions restrictives les plus récemment introduites dans la loi, tels l'asile interne ou la notion de pays d'origine sûre.

Il a relevé que dans ses avis récents sur le droit d'asile, et notamment ceux du 14 avril et du 15 mai 2003 qui préludaient à la réforme de la loi du 27 juillet 1952, la Commission avait souligné que l'asile étant un droit fondamental, cela imposait au législateur, en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dite de « l'effet cliquet », de ne pas adopter de dispositions affectant les garanties essentielles de ce droit qui, au surplus, ne peut être mis en oeuvre par le législateur que dans le respect des engagements internationaux de la France et donc de la Convention de Genève.

Sur le fondement de cette position, dans un avis assez critique et qui avait donné lieu à des réponses très circonstanciées du Gouvernement, la CNCDH avait considéré que la réforme proposée de la loi de 1952 portait atteinte au caractère de droit fondamental, cardinal, qui est celui du droit d'asile.

En conclusion de ce rappel des droits des migrants dégagés par la Commission à l'occasion de ses travaux sur la gestion des flux d'immigration et le droit d'asile, M. Jean-Yves Monfort a évoqué l'avis adopté par la CNCDH le 23 juin 2005 pour encourager la ratification par la France de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants, adoptée dans le cadre des Nations unies en 1990 et entrée en vigueur le 1er juillet 2003. Pour la Commission, cette convention a l'intérêt de prévoir des normes minimales applicables à tous les migrants quelle que soit leur situation, ce qui va dans le sens du respect des droits fondamentaux inhérents à la dignité humaine.

a enfin mentionné la question particulière des mineurs étrangers isolés, sur laquelle la Commission a rendu deux avis, adoptés en1998 et 2000, ainsi qu'un autre, plus récent, portant sur le sujet des administrateurs ad hoc. La CNCDH s'était, dans ces avis, montrée vivement préoccupée de la situation de ces mineurs et avait souhaité, toujours dans le souci de la sauvegarde des droits fondamentaux de la personne, qu'ils fassent l'objet d'une véritable protection par les services de l'Etat.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

a demandé des précisions sur les modalités de saisine de la Commission et sur le moment de son intervention dans le processus d'élaboration des textes.

Debut de section - Permalien
Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)

a distingué deux cas de figure. La CNCDH peut d'abord être saisie d'un projet de texte par le Premier ministre ou par un membre du Gouvernement, à un moment qui peut se situer à des stades différents de son élaboration, soit très en amont si le Gouvernement souhaite disposer d'une étude de fond sur le sujet, soit avant le « bleuissement » de l'avant-projet de loi, soit avant la saisine du Conseil d'Etat, ou l'inscription du texte à l'ordre du jour du Conseil des ministres. Si elle n'est pas saisie par le Gouvernement, la Commission a la possibilité de s'autosaisir, ce qu'elle a fait systématiquement, pendant la mandature précédente, pour les textes concernant les droits de l'Homme.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

a posé des questions sur la composition de la Commission et sur les conditions de désignation de ses membres ; sur les moyens dont elle dispose ; sur l'objet et les destinataires de ses avis ; sur la possibilité pour des particuliers ou des personnes morales -syndicats, associations- de saisir la Commission.

Debut de section - Permalien
Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)

Sur ces différents points, M. Joël Thoraval a notamment apporté les précisions suivantes :

- les membres de la CNCDH, actuellement au nombre de 106, sont nommés pour trois ans par le Premier ministre au sein d'un certain nombre de catégories -organisations non gouvernementales, représentants des cultes de la libre pensée, personnalités qualifiées... La Commission compte également parmi ses membres un sénateur et un député et le Médiateur de la République en est membre de droit. C'est également le Premier ministre qui nomme le bureau de la Commission, composé d'un président, de deux vice-présidents et d'un secrétaire général ;

- la Commission travaille en général sur des textes, mais il lui est loisible de conduire des études de fond sur certaines préoccupations fondamentales ressenties au niveau de la société ou aux niveaux médiatique ou politique. Dans ce dernier cas, elle rend aussi un avis, qui peut ne comporter que ses propres préconisations lorsque l'étude a été réalisée, sous leur responsabilité, par des chercheurs ou des universitaires ;

- la CNCDH ne peut être saisie par des personnes extérieures ;

- les avis de la Commission sont adressés au Premier ministre et éventuellement au ministre concerné. En cas d'autosaisine de la Commission, l'avis de la CNCDH peut intervenir tardivement dans le cheminement du texte et être alors transmis au Président de l'Assemblée nationale ou du Sénat ;

- les moyens de travail de la CNCDH tiennent essentiellement à l'investissement de ses membres, tous bénévoles et qui assument la charge de la rédaction des rapports. Le nombre des emplois mis à sa disposition est très restreint et se limite à cinq personnes : un secrétaire général, une chargée de mission, une documentaliste et deux secrétaires.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

a demandé à M. Joël Thoraval si la Commission était actuellement saisie d'un projet de loi sur l'immigration et si, le cas échéant, elle s'autosaisirait d'un tel projet de loi.

Debut de section - Permalien
Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)

a répondu par la négative à la première de ces questions et par l'affirmative à la seconde.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

a ensuite souhaité savoir si l'avis de la CNCDH sur la préservation de la santé, l'accès aux soins et les droits de l'Homme tout récemment remis au Premier ministre évoquait la question de l'accès aux soins des étrangers en situation irrégulière.

Debut de section - Permalien
Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)

a répondu que cela n'était pas le cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

a posé des questions sur l'opinion de la Commission sur l'évolution envisageable de l'immigration dans les 10 ou 20 prochaines années, sur la perception qu'avait l'opinion publique du phénomène de l'immigration clandestine et sur l'estimation de l'importance de la population étrangère en situation irrégulière.

Debut de section - Permalien
Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)

a souligné que, dans la perspective de la mondialisation, il importait de veiller au respect des principes fondamentaux de la dignité des personnes et que les instances internationales -ONU, Conseil de l'Europe, Union européenne- semblaient aller dans ce sens.

Il a estimé qu'il ne fallait pas sous-estimer la pression considérable qui existe sur le plan de l'immigration économique mais chercher à traiter ce problème dans le cadre de l'aide au développement et de la coopération entre le Nord et le Sud, et à le régler sur une base équitable dans le cadre d'accords bi ou multilatéraux, notant que par ailleurs la France devait s'attacher à conserver la tradition républicaine qui l'honore et qui a contribué à son rayonnement.

Rappelant que bien souvent les migrants sont des victimes, il a évoqué, pour illustrer les différences de perception entre pays d'origine et d'accueil, le cas des jeunes travailleurs africains qui mènent en France des existences très difficiles mais qui sont des héros pour les habitants de leurs villages qu'ils contribuent à faire vivre. Il a donc estimé que s'il fallait faire preuve de rigueur, c'était à l'égard des trafiquants qui traitent les étrangers comme des esclaves et les escroquent.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Monfort

soulignant les multiples aspects de la question posée par M. Philippe Dallier, a estimé inéluctable un développement des mouvements migratoires. Il a fait état de la difficulté d'estimer l'importance de la population étrangère en situation irrégulière. Faisant remarquer que c'est la loi qui détermine le caractère régulier ou non de la situation des étrangers, car, selon l'évolution des textes, tel qui n'est pas aujourd'hui en situation irrégulière pourra l'être demain, il a observé qu'il convenait donc de prendre en considération le caractère relatif et évolutif de la notion même de clandestinité, par rapport aux droits fondamentaux des individus.

Enfin, en ce qui concerne la perception qu'a l'opinion publique du phénomène de l'immigration irrégulière, il a souligné qu'elle pouvait très rapidement évoluer et rappelé qu'en matière d'opinion publique, la roche Tarpéienne était souvent proche du Capitole.