Me voici aujourd'hui devant vous pour vous présenter les conclusions provisoires du groupe de suivi sur le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT, que j'ai l'honneur de présider. Ce groupe a été créé par le Bureau de notre commission le 14 septembre dernier. Il a auditionné le Ministère, organisé une table ronde avec le secteur routier et autoroutier et effectué deux déplacements en décembre, l'un dans le Gers, à l'invitation de notre collègue Raymond Vall, pour étudier le dossier de la RN 21 dans ce département, l'autre dans les Hautes-Alpes pour examiner le dossier de l'A 51 aux côtés du sénateur Pierre Bernard-Reymond. J'ai également pris l'initiative d'envoyer à l'ensemble des sénateurs une lettre fin décembre pour leur demander de me faire part de leurs observations sur l'avant-projet de SNIT. J'ai reçu à ce jour une quinzaine de contributions écrites, et je tiens à remercier leurs auteurs.
Qu'est ce que le SNIT ? Je serai bref car nous avons eu l'occasion d'entendre sur ce sujet devant notre commission M. Jean-Louis Borloo en octobre dernier, Mme Michèle Pappalardo en janvier et Mme Nathalie Kosciusko-Morizet hier après-midi. Je dirai que le SNIT est la « feuille de route » de l'État pour les vingt ou trente années à venir en matière d'investissements pour les infrastructures majeures de transport, dans les domaines ferroviaire, du transport urbain, routier, fluvial, portuaire et aérien, afin de rendre opérationnels les engagements que nous avons votés dans la loi dite Grenelle I.
Le Gouvernement a présenté vendredi dernier son avant-projet consolidé de SNIT, et nous l'avons analysé pour observer les avancées par rapport à l'avant-projet initial publié en juillet. Les conclusions que je vous présente aujourd'hui ne sont que provisoires et permettront d'alimenter la réflexion en séance publique que nous aurons mardi 15 février prochain, à la demande du groupe RDSE. Le Gouvernement prévoit quant à lui un débat au Parlement en mai ou juin sur le projet consolidé du SNIT, et le Conseil des Ministres devrait adopter le SNIT dans la foulée.
J'articulerai mon intervention en trois temps. Tout d'abord, quels sont les éléments de satisfaction que nous avons relevés dans la démarche du SNIT ? Ensuite, quelles sont les avancées de l'avant-projet consolidé par rapport à celui de juillet ? Enfin, quelles sont les limites qui demeurent dans l'avant-projet et quelles sont les préconisations du groupe de suivi ?
Schématiquement, nous ne pouvons que nous féliciter de disposer enfin dans notre pays d'un document stratégique sur les infrastructures de transports, opérant une mutation écologique et soumis à concertation.
Un document stratégique à long terme tout d'abord. Il s'agit d'une planification, pas d'une programmation financière. Nous disposons avec ce document d'une feuille de route pour les décennies à venir, que tout citoyen peut consulter, et qui offre une vision globale des projets de l'État. C'est une démarche nouvelle qui tranche avec les schémas de transports définis précédemment par les Comités interministériels d'aménagement du territoire, comme celui de 2003.
Un document opérant une mutation environnementale ensuite. Ce schéma donne clairement la priorité aux modes de transports alternatifs à la route.
Enfin, ce document est soumis à concertation. Madame la Ministre nous a indiqué hier le calendrier qui sera suivi. Depuis juillet, l'avant-projet est soumis au Comité national du développement durable et du Grenelle de l'environnement (CNDDGE). L'Autorité environnementale a également été consultée et son avis public du 22 septembre est précieux. Le Conseil économique, social et environnemental sera également consulté. Le Gouvernement a donc tourné le dos à l'ancienne logique de prise de décision « du haut vers le bas ».
Venons-en aux avancées de l'avant-projet consolidé par rapport à la version initiale, car force est de constater que la concertation a été utile depuis juillet.
En premier lieu, je me félicite que le SNIT aborde enfin la question des coûts de rénovation des réseaux de transports existants. Il est indiqué que les projets nouveaux, portant sur le développement du réseau, représentent 166 milliards d'euros. Les investissements en matière de régénération, permettant la remise à niveau des réseaux, s'élèvent quant à eux à 30,5 milliards d'euros, et les investissements de modernisation se montent à 59,5 milliards d'euros. L'enveloppe globale du SNIT passe de 170 milliards d'euros à 260,5 milliards d'euros. Le Ministère chiffre très précisément les coûts de régénération et de modernisation, mais sans expliciter les besoins ni l'échelle de temps des travaux.
D'où la première préconisation du groupe de suivi : le Gouvernement doit présenter un schéma des besoins de rénovation des réseaux existants, comportant un diagnostic précis et un échéancier des coûts. En matière fluviale, le Parlement a déjà demandé au Gouvernement un audit sur la régénération du réseau fluvial à vocation de transport de marchandises, et son coût financier, mais ce rapport n'est toujours pas déposé. Dans le domaine ferroviaire, suite au fameux rapport de l'École polytechnique de Lausanne en 2005, d'importants travaux de régénération du réseau ont été entrepris pour pallier 30 ans de retard, mais notre réseau ferroviaire, hier fierté nationale et internationale, est toujours en convalescence. Quant au secteur routier, qui concentre je le rappelle 90 % du transport de marchandises, il doit faire l'objet de la même attention que les autres réseaux. Nous souhaitons un diagnostic du réseau routier existant, réalisé si possible par un organisme étranger et indépendant, avec un échéancier des coûts de rénovation sur 20 ans. L'Union routière de France, qui regroupe tout le monde de la route, défend une idée comparable.
En deuxième lieu, l'avant-projet consolidé explicite la clef de financement entre l'État, les collectivités territoriales et les autres acteurs pour chaque mode de transport. Certes, le SNIT n'est qu'un document stratégique, mais dès lors que l'on parle de son coût, il est indispensable de disposer d'une vision financière pour rendre crédible ce schéma aux yeux de nos concitoyens, des collectivités territoriales, des entreprises et de nos voisins européens. Comme l'a souligné notre collègue Roland Ries, par ailleurs président du Groupement des autorités responsables de transport (le GART), la participation des collectivités territoriales devrait être de l'ordre de 80 milliards d'euros sur les 170 milliards d'euros prévus par le schéma. Le document du Ministère évoque le chiffre de 71 milliards pour les projets de développement, et 97 milliards pour tous les projets confondus. En définitive, sur une enveloppe globale du SNIT de 260 milliards, les collectivités territoriales dépenseront plus que l'État, qui ne contribuera au SNIT qu'à hauteur de 86 milliards.
C'est pourquoi notre groupe de suivi préconise une concertation approfondie avec les principaux décideurs locaux concernés par le SNIT d'ici mai-juin.
Le groupe de suivi demande également une hiérarchisation des projets présentés. Tous ne sont pas à placer au même niveau. L'avant-projet consolidé le reconnaît d'ailleurs clairement : l'ensemble des dépenses du SNIT « n'ont pas nécessairement vocation à se réaliser toutes et à 100 % sur la période considérée ». Le document conclut avec honnêteté qu'en tout état de cause, il n'y aura que 70 à 80 % du volume des mesures prévues dans le SNIT qui seront effectivement réalisées. Il existe des projets plus structurants et prioritaires que d'autres. Les engagements du Grenelle ont été pris avant la crise. Nous devons nous adapter aux contraintes économiques actuelles et hiérarchiser les projets, notamment parmi les nombreux projets de ligne grande vitesse. Je rappelle que la création d'un kilomètre d'une ligne LGV coûte 20 à 25 fois plus cher que la régénération ou l'électrification d'un kilomètre de voie ferrée de base. Le Grenelle, c'est concrètement 85 milliards d'euros de lignes nouvelles à grande vitesse avant 2030. Même en demandant des aides à Bruxelles, comme le suggère M. Raymond Couderc pour la ligne Nîmes-Montpellier-Perpignan, l'effort financier demeure considérable. C'est pourquoi je pense qu'il faudra à terme un Grenelle du ferroviaire pour poser clairement les enjeux financiers actuels du volet ferroviaire du Grenelle de l'environnement. Les projets concrets inscrits dans le Grenelle I ne sont pas intouchables, compte tenu de l'évolution actuelle des finances publiques. Ils doivent vivre, évoluer et se modifier sans que ces changements soient taxés de volte-face. Je pense notamment à la proposition intéressante de nos collègues Jean-François Mayet et Louis Pinton, sénateurs de l'Indre, de prolonger la future ligne Paris-Orléans-Clermont-Lyon (POCL), que soutient Rémy Pointereau, vers Limoges via Châteauroux, ce qui rendrait inutile la branche LGV entre Poitiers et Limoges pourtant inscrite dans la loi Grenelle I. À l'évidence, la question du raccordement entre la ligne Paris-Orléans-Limoges-Poitiers d'une part, et Paris-Orléans-Clermont-Lyon, qu'évoque également Jean Milhau, n'est pas tranchée aujourd'hui.
Troisième avancée : les projets qui bénéficient d'une déclaration d'utilité publique sont dorénavant regroupés dans une nouvelle annexe II dans un but pédagogique. En effet, les projets déclarés d'utilité publique étaient systématiquement exclus du SNIT dans la version initiale. C'était le sens de la contribution de notre collègue Alain Dufaut, relative à la deuxième tranche des travaux de la liaison Est-Ouest d'Avignon, et de notre collègue Bruno Retailleau au sujet de l'autoroute A 831. Leurs préoccupations ont été entendues. Malheureusement, le nouveau document n'est pas suffisamment explicite sur les mesures de modernisation du réseau ferroviaire. D'où l'interrogation de notre collègue Philippe Paul, qui s'étonne de ne pas voir figurer dans le SNIT l'amélioration de la desserte entre Paris, Brest et Quimper, financée dans le cadre des contrats de projet État-Région.
C'est pourquoi nous souhaitons que le SNIT présente dans une nouvelle annexe les efforts conséquents de l'État et de RFF en matière de régénération ferroviaire. Je rappelle en effet que 1 000 kilomètres de voies sont régénérées chaque année.
J'en viens maintenant aux difficultés récurrentes relevées par notre groupe de travail et aux solutions que nous préconisons.
Tout d'abord, nous constatons que les projets de développement portuaire et d'interconnexion avec le réseau fluvial manquent d'ambition pour relancer le fret ferroviaire. Les projets portuaires stricto sensu ne représentent que 2,7 milliards d'euros. Il est peu vraisemblable que ce schéma donne à nos ports, aujourd'hui encore bloqués par des grèves très pénalisantes, l'impulsion nécessaire pour rattraper voire dépasser les ports de l'Europe du Nord.
Le groupe de suivi estime que le développement du fret ferroviaire et des grands ports maritimes passe par une série de réformes, qui ont été exposées dans le rapport du Sénat sur l'avenir du fret ferroviaire, qui comprend en annexe les contributions des groupes politiques. Je pense par exemple à la création rapide de corridors européens de fret ou à l'embranchement des ports avec le canal Seine - Nord-Europe.
Le groupe de suivi demande également une nouvelle évaluation des externalités négatives générées par le transport routier de marchandises au niveau tant français qu'européen. Cette évaluation, réalisée si possible par un organisme étranger et indépendant, est indispensable pour sortir par le haut du débat sans fin sur les coûts réels respectifs de la route et du fer.
Plus globalement, nous estimons que le schéma doit montrer comment les projets ferroviaires, fluviaux et portuaires s'inscrivent dans le réseau de transport transeuropéen (RTE-T). L'annexe V, introduite par le nouvel avant-projet, n'est pas satisfaisante car elle évoque vaguement les flux européens par des flèches imprécises, au lieu de recenser l'ensemble des projets inscrits au RTE-T. Jean-Pierre Vial regrette que le SNIT n'insiste pas suffisamment sur la dimension européenne de la liaison ferroviaire Lyon-Turin. Notre collègue Daniel Raoul souhaite l'inscription dans son intégralité de la voie ferrée Centre Europe Atlantique (VFCEA) dans le schéma afin de donner au Port de Nantes - Saint-Nazaire un débouché sur Lyon.
En outre, le SNIT n'aborde pas la question de l'écluse fluviale au port du Havre, qui fait l'objet d'une étude entre le Port et Voies navigables de France (VNF) et que connaît bien notre collègue Charles Revet.
Par ailleurs, il manque au schéma une vision à long terme, car il n'évoque pas la question des ports avancés à l'intérieur des terres, qui pourraient pourtant se développer en vallée du Rhône comme le remarque Didier Guillaume. Enfin, la dimension de la lutte contre le bruit, essentielle pour garantir à long terme le développement du fret ferroviaire, doit être approfondie dans le SNIT.
Nous avons identifié une deuxième difficulté : l'aménagement et la modernisation des routes nationales existantes sont insuffisamment pris en compte par le SNIT, alors que la majorité des contributions que j'ai reçues traitent de cette question. Je peux citer l'aménagement de la RN 122 dans le Cantal, chère à notre collègue Jacques Mézard, de la RN 21 dans le Gers, sujet de préoccupation de Raymond Vall, des RN 12 et 162 dans la Mayenne, dont la mise à deux fois deux voies est défendue par Jean Arthuis. Je pourrais également évoquer la RN 149 défendue par Michel Bécot, la RN 2 évoquée par Antoine Lefevre, et la RN 164 mentionnée par Dominique de Legge. Vous le voyez, la liste est longue ! Face à ces demandes, le Ministère estime que ces questions doivent être traitées dans le cadre des programmes de modernisation des itinéraires routiers, les PDMI, qui s'élèvent à 1 milliard d'euros par an.
Il refuse en effet d'inscrire dans le SNIT, en tant que projets de développement, les projets d'aménagement des routes existantes qui répondent seulement, je cite, à des « problèmes locaux de desserte du territoire, de sécurité, de congestion, de nuisances ou encore d'intégration environnementale » et qui ne créent pas « de nouvelles fonctionnalités » qui viendraient modifier « à grande échelle les comportements » au travers « de nouveaux trafics ou des reports modaux ». En outre, chacun sait que les crédits de l'action budgétaire « entretien et exploitation du réseau routier national », qui ne servent qu'à la régénération des routes s'élèvent à 300 millions d'euros en 2011, en baisse de 27 % par rapport à 2010, ce qui creuse un fossé entre les demandes des sénateurs et les décisions du Gouvernement.
C'est pourquoi le groupe de suivi propose de davantage prendre en compte l'aménagement du territoire, en adoptant une interprétation plus raisonnable des critères du Grenelle. L'article 10 de la loi dite Grenelle I a posé comme principe que l'augmentation des capacités routières doit être limitée au traitement des points de congestion, des problèmes de sécurité ou des besoins d'intérêt local. Le Gouvernement a une lecture très stricte, voire trop stricte de ces critères. Il en va peut-être ainsi du projet de nouveau franchissement de la Loire, évoqué par nos collègues Bruno Retailleau et Daniel Raoul, car le pont de Cheviré est aujourd'hui saturé. Ou encore du projet d'effacement de l'autoroute A 7 à Valence, que défend Didier Guillaume. Le groupe de suivi considère que le troisième critère, celui de besoin local, doit englober la notion de désenclavement, notamment en l'absence de desserte par le rail. On pourrait ainsi répondre aux souhaits de nombreux sénateurs, comme Michel Teston, qui souhaite la réalisation d'ouvrages de franchissement du Rhône et du canal du Rhône pour relier la route départementale 86 au sud de Teil, à l'échangeur autoroutier de Montélimar-sud et désenclaver ainsi l'Ardèche. Plus globalement, je distingue trois régions qui posent questions en termes d'aménagements du territoire. Le Massif Central est relativement oublié dans l'avant-projet, comme l'ont regretté Mireille Schurch et Jacques Mézard. La question du franchissement des Pyrénées doit être approfondie, comme le souhaite notamment Raymond Vall, dans le cadre d'une réflexion stratégique sur les liens entre la France et l'Espagne. Enfin, la Bretagne, et plus particulièrement le Finistère, doit être reliée à Paris par une voie rapide.
Le groupe de suivi demande également que le Gouvernement engage, dès la prochaine loi de finances, des crédits d'études pour établir les cahiers des charges des 11 projets de désenclavement routier visés par la nouvelle fiche ROU 6 de l'avant-projet consolidé. On pourra alors savoir si des subventions publiques sont nécessaires pour réaliser les aménagements de ces axes.
Que dire enfin du projet emblématique de l'A51 ? La loi Grenelle indiquait, je cite, que « Les projets permettant d'achever les grands itinéraires autoroutiers largement engagés seront menés à bonne fin ». Quel sens y a-t-il à laisser un tel axe inachevé alors qu'il ne reste que le tronçon central à réaliser ? Cette jonction est d'ailleurs une question d'« équité territoriale » pour reprendre l'un des critères de l'avant-projet de SNIT. Enfin une traversée nord-sud des Alpes déchargerait l'axe rhodanien qui joue un rôle essentiel dans l'économie française et pourrait même servir de recours si cet axe était interrompu pour quelque raison que ce soit. Je crois donc nécessaire de mettre le plus rapidement possible tous les acteurs autour d'une table pour définir un plan d'action concret d'achèvement de cet axe.
Autant il est juste de tourner le dos à une politique publique donnant la priorité à la route, autant « passer à l'excès inverse de l'interdiction de tout projet routier » reviendrait à condamner les territoires à une « mort » certaine. Ces mots, ce sont ceux du Président de la République à Morée le 9 février 2010 et je les fais miens.
Dernière difficulté : l'évaluation environnementale du SNIT comporte de nombreuses limites. À la lecture du rapport environnemental, on ne sait pas clairement si la France parviendra, grâce au SNIT, à atteindre les objectifs ambitieux du Grenelle : diviser par 4 les émissions de CO2 entre 1990 et 2050 à l'échelle de la France ; et, pour les transports, réduire de 20 % les émissions de CO2 qu'ils génèrent par le secteur des transports et porter la part modale des transports alternatifs à 25 % en 2022.
C'est pourquoi nous souhaitons que l'évaluation environnementale du SNIT soit améliorée, notamment en termes de méthodologie, en suivant l'avis de l'Autorité environnementale.
Comment mesure-t-on l'impact, territoire par territoire, des nouvelles infrastructures ? Quelles sont les solutions de substitution possibles pour les grands projets d'infrastructures ? Quels sont les différents scénarios de référence à retenir ? Comment mesurer les ruptures dans les changements de comportements des usagers, et les effets de réseaux ? Toutes ces questions essentielles doivent être à nouveau abordées afin d'éclairer le débat prévu au Parlement sur le SNIT.