Merci d'avoir bien voulu m'inviter à m'exprimer devant vos deux commissions réunies, à la veille du Conseil européen du 4 février consacré à l'énergie.
Les sommets des vingt-sept chefs d'État et de Gouvernement européens ne sont jamais des moments comme les autres. Mais celui-ci est encore plus particulier : il s'agit d'un véritable retour aux sources de la construction européenne. Au commencement de l'Europe, celle des solidarités concrètes, celle de Robert Schuman et de Jean Monnet, il y avait l'énergie : la communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1952, puis la communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM) en 1957.
Le volontarisme énergétique de l'Europe des Six a été l'un des moteurs de la croissance industrielle des Trente Glorieuses. Quel paradoxe pourtant, de constater que l'intégration européenne a effacé la politique commune de l'énergie. On nous disait qu'il n'y avait plus de bases juridiques. On n'évoquait plus l'énergie que sous l'angle de la mise en concurrence. Au fond, il n'y avait plus de politique de l'énergie, comme il n'y avait plus de politique industrielle. L'Europe oubliait ses racines. Nous avons réduit les enjeux énergétiques à ceux du climat : je ne dis pas qu'il faille réduire l'importance de la lutte contre le changement climatique, qui est fondamentale. Mais l'énergie, c'est aussi l'avenir de nos industries, le pouvoir d'achat de nos concitoyens, la compétitivité de l'Europe et la garantie d'avoir du gaz ou de l'électricité quand il faut se chauffer en hiver. C'est tout cela que nous avons réintroduit avec le traité de Lisbonne.
La politique de l'énergie a, enfin, son chapitre institutionnel spécifique. L'Europe va pouvoir renouer avec ses racines et reprendre le train de son histoire. Il était sans doute temps, car les élargissements successifs ont ramené l'énergie au centre des préoccupations européennes. La crise du gaz entre la Russie et l'Ukraine a souligné les graves déséquilibres d'approvisionnement en Europe. La nécessité de répondre à la croissance des besoins énergétiques, tout en diversifiant les sources, a montré qu'on ne pouvait pas accepter l'approche idéologique d'un mix énergétique unique à l'échelle de l'Europe. Un nombre toujours plus grand d'États européens s'interroge sur le « déni nucléaire » qui caractérise les discussions communautaires, au moment même où l'on constate la relance des programmes nucléaires civils dans nombre de pays dans le monde.
Nous devons impérativement préparer l'après-pétrole, tout en nous attaquant à la volatilité des prix, comme nous allons le faire dans le cadre du G20. Le Conseil européen du 4 février posera donc les bases d'une stratégie européenne de l'énergie pour les vingt à cinquante prochaines années.
Le premier objectif pour la France, c'est de construire une économie sans carbone. L'Europe devra réaffirmer l'objectif de 80 à 95 % d'énergie sans émission de carbone à l'horizon 2050. La Commission a, elle-même, relevé que cet objectif imposait une étape intermédiaire de deux tiers d'électricité décarbonée d'ici à 2020.
Notre deuxième objectif, c'est d'appuyer la décarbonisation de l'économie sur les quatre piliers d'une politique énergétique à la hauteur des enjeux européens. Ces quatre piliers, ce sont la compétitivité-prix de nos industries; la protection tarifaire des consommateurs, qui ont droit à une énergie abordable ; la sécurité des approvisionnements et, bien sûr, la réduction des émissions de gaz à effets de serre conformément à nos engagements du paquet énergie-climat et du Grenelle de l'environnement.
La compétitivité-prix est un objectif majeur du mix énergétique de demain. Nous devons avoir le mix le plus compétitif pour que l'Europe demeure une terre de production industrielle. Prenons l'exemple de l'aluminium : la production mondiale a été multipliée par trois en 30 ans, alors que la production de l'Union européenne a diminué d'un tiers. Or, le principal facteur d'attraction pour l'aluminium est le prix de l'électricité. Cette situation n'est pas acceptable et nous voulons y remédier.
Troisième objectif : l'instauration d'un socle nucléaire en Europe, aux côtés des énergies dites renouvelables. C'est la condition pour atteindre la décarbonisation de l'économie, tout en garantissant la compétitivité de l'Europe et des approvisionnements sûrs et abordables. Nous l'avons vu en France avec les tarifs appliqués au photovoltaïque. L'Italie, l'Espagne, et même l'Allemagne engagent à leur tour une réflexion sur les conditions nécessaires à la compétitivité des énergies renouvelables. Nous ne devrons pas imposer un mix énergétique unique aux vingt-sept États membres. Nous relevons avec satisfaction qu'un consensus se dégage enfin sur ce point et l'Union européenne s'est engagée à promouvoir les standards de sûreté nucléaire les plus élevés. Cela faisait bien longtemps que le mot « nucléaire » n'avait pas été mentionné dans des conclusions du Conseil européen.
Prochaine étape : les scénarios de la Commission devront intégrer le nucléaire en termes d'infrastructures et de fonctionnement de marché. Il s'agit de réconcilier durablement stratégie énergétique et politique industrielle, grâce à la compétitivité-prix, mais aussi à de véritables initiatives industrielles de décarbonisation de l'économie.
L'Europe doit réussir la « révolution » du véhicule électrique. La France est pleinement engagée dans ce chantier majeur des technologies de pointe. Mais nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'une guerre intra-européenne des normes. L'Europe a besoin de standards communs de recharge électrique pour garantir un marché européen du véhicule électrique et, au-delà, pour contribuer à l'émergence d'un marché mondial. Nous avons donc proposé que le Conseil européen accélère le calendrier, en fixant la fin du premier semestre pour l'adoption de véritables standards européens. Ces messages seront ceux de la France au Conseil européen.
Je voudrais également évoquer d'autres avancées récentes, qui devront être confortées le 4 février. Première avancée : la durabilité de la feuille de route pour les trois fois vingt, soit moins 20 % d'émissions de gaz à effet de serre, 20 % au moins d'énergie renouvelable, 20 % d'économies d'énergie. Le paquet énergie-climat trace une route ambitieuse jusqu'en 2020, comme l'a voulu le Président de la République. Ces objectifs sont cohérents par rapport à ceux du Grenelle. La France tiendra ses engagements et les dépassera même probablement pour la réduction des gaz à effet de serre.
L'efficacité énergétique joue un rôle essentiel. Il faut encore accélérer nos efforts dans le cadre de plans sectoriels. Évitons cependant de nous assigner de nouveaux objectifs chiffrés contraignants en Europe, alors même que le cadre d'ensemble figure déjà dans les trois fois vingt.
J'en viens au deuxième point, à savoir la sécurité d'approvisionnement. Des avancées importantes ont eu lieu en 2010. Elles se sont imposées d'elles-mêmes en raison de l'actualité, notamment avec la crise russo-ukrainienne du début 2009. Je pense aussi au règlement sur la sécurité d'approvisionnement en gaz et à la directive sur les stocks pétroliers, qui ont considérablement amélioré les réponses nationales et collectives en cas de crise. Là encore, les outils mis en place au niveau européen coïncident avec ceux qui existent en France.
Le troisième point concerne les infrastructures. L'importance nouvelle que leur accorde la Commission européenne est encourageante. L'Europe a besoin d'infrastructures, qu'il s'agisse de production, de stockage, de transport ou de gestion. Notre effort doit porter sur l'interconnexion des vingt-sept marchés nationaux et la recherche de routes ou de sources d'approvisionnement nouvelles. Ainsi nous parviendrons à équilibrer nos ressources et nos besoins à l'échelle européenne. Les infrastructures sont nécessaires pour la sécurité d'approvisionnement, ainsi que pour le développement des énergies renouvelables intermittentes. Nous avons obtenu au niveau européen la réalisation de plans de développement des réseaux. C'est un gage de responsabilité pour la sécurité énergétique qui permettra de mettre fin à des déséquilibres régionaux inacceptables.
Mais l'Europe doit aussi rester réaliste. D'une part, la politique énergétique ne doit pas se réduire à une géopolitique des « grands tuyaux ». Il faut maîtriser les coûts, ce qui passe par la recherche d'un équilibre entre des unités de production à forte intensité, proche des lieux de consommation, et l'acheminement souvent plus lointain des sources renouvelables. Cela passe surtout par la rentabilité des nouvelles infrastructures. A l'exception de certains équipements stratégiques, où des financements publics devraient pouvoir être trouvés, il faut tirer parti des mécanismes de régulation. La bonne régulation est celle qui définit le bon prix pour la rentabilité d'un nouvel investissement.
Quatrième point : priorité est donnée à la recherche. Le plan stratégique pour les technologies énergétiques, dit « SET-Plan », lancé en 2007, fonctionne. Il a permis d'identifier les technologies énergétiques stratégiques à moyen et long terme et de susciter les indispensables synergies pour la recherche. Six initiatives industrielles européennes ont été lancées, notamment pour l'éolien, le solaire, les bioénergies, la fission nucléaire et les réseaux intelligents. Tâchons de le faire monter en puissance avec le prochain programme cadre de recherche et développement. Plusieurs programmes phares de la France sont au centre du « SET-plan », comme la recherche sur le nucléaire de quatrième génération.
Cinquième et dernier point : la prospective. En matière énergétique, les investissements nécessitent dix à quinze ans pour entrer en service et durent pendant cinquante ou cent ans : nous devons donc voir loin. Au-delà des objectifs de 2020, nous devrons définir la feuille de route d'ici 2050.
La France, avec d'autres, contribue à faire avancer l'Europe de l'énergie. Le Conseil européen marquera une étape importante et je m'efforcerai d'en prolonger les avancées dans le cadre du prochain Conseil des ministres énergie du 28 février.
J'en viens à notre politique énergétique en France, qui est d'ailleurs étroitement liée à nos engagements européens.
La régulation est un maître mot dans l'énergie. La régulation en 2011, c'est d'abord la mise en oeuvre de la loi NOME. C'était une idée il y a un an et c'est désormais une loi, promulguée et qui sera entièrement applicable le 1er juillet. Nous travaillons à la fois sur les décrets opérationnels et sur le prix de l'ARENH (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Grâce à la loi NOME, la Commission européenne a reconnu que le mix énergétique français performant devait se traduire pour les ménages et les entreprises de notre pays par des prix de l'électricité compétitifs.
La régulation, c'est aussi l'obligation de capacités, dispositif ingénieux conçu notamment par M. Bruno Sido, qui permettra enfin de résoudre nos problèmes d'effacement et d'investissement. Une fois cette disposition mise en oeuvre, nous devrons en faire la promotion à l'échelle européenne.
La régulation, c'est également l'immense chantier de la précarité énergétique, avec l'amélioration des tarifs sociaux afin de les rendre plus attractifs et plus accessibles qu'aujourd'hui.
La régulation, c'est enfin la reconnaissance que les entreprises d'énergie, et particulièrement les entreprises historiques, ont une mission de service public. Le contrat de service public de GDF Suez est entré en vigueur début 2010 et j'espère signer celui d'EDF dans les mois à venir.
J'en viens au nucléaire, qui est un immense et exaltant chantier. L'ambition est claire : il s'agit pour nos opérateurs, emmenés par le plus expérimenté, d'être de vrais champions à l'export, capables de proposer différents produits et services dans une multitude de pays, avec le souci constant de l'excellence opérationnelle, de l'exigence de sûreté et de retombées industrielles dans notre pays. L'enjeu principal des prochains mois est le partenariat stratégique entre EDF et Areva, actuellement en discussion et qui m'occupe beaucoup. Les discussions sont en général sereines et de bonne tenue (Sourires). Il n'en reste pas moins que la vision peut ne pas coïncider de façon absolue sur tous les points. Dans ce cas, bien sûr, l'État jouera son rôle comme il l'a fait sur d'autres dossiers difficiles.
Si l'on parle de développement international, il faut être irréprochable en France. C'est pourquoi nous entendons fixer le plus haut niveau d'exigence pour le système français, qu'il s'agisse de gestion du parc actuel - redressement du coefficient de disponibilité, allongement de durée de vie - de réalisation des EPR de Flamanville et de Penly, de notre politique de gestion des déchets, de sûreté ou de recherche.
La politique énergétique nationale, c'est aussi le développement des énergies renouvelables. Nous y sommes tous favorables, à condition qu'elles s'inscrivent dans un véritable projet industriel. C'est d'ailleurs pourquoi le Premier ministre a décidé le moratoire sur la filière photovoltaïque et engagé une concertation. C'est aussi pourquoi nous avons voulu que le cahier des charges de l'éolien offshore ait une composante industrielle. Et c'est avec ce même état d'esprit que nous lancerons en 2011 les premiers renouvellements de concessions hydroélectriques.
La transition énergétique ne concerne pas que les énergies renouvelables, mais aussi toutes les filières industrielles qui seront touchées par l'évolution de la société. Il faudra en accompagner certaines dans leur mutation, comme celle du raffinage, et d'autres qui devront servir de relais de croissance. Je ne donnerai qu'un exemple frappant : celui des réseaux intelligents. C'est un sujet majeur, aux confins de l'énergie, de l'industrie, et de l'économie numérique, auquel je sais que la commission de l'économie est particulièrement attachée et dont nous reparlerons bientôt.
Voilà ce que je tenais à vous dire sur le cap européen et ses déclinaisons françaises en matière de politiques énergétiques, avant la réunion du Conseil de vendredi.