Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission procède, conjointement avec la commission des affaires européennes, à l'audition de M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
Je remercie M. le ministre d'avoir accepté de nous rencontrer pour nous entretenir du Conseil européen du 4 février. Depuis 2006, un débat préalable se tient au Parlement avant toute réunion ordinaire du Conseil européen. Aujourd'hui, la situation est un peu différente puisqu'il s'agit d'un débat du Conseil européen, certes ordinaire, mais thématique et consacré à l'énergie et à l'innovation. Dans ce cas, la règle coutumière du débat en séance publique ne s'applique pas. Il était pourtant difficile d'accepter qu'il n'y ait aucune expression parlementaire préalable sur des sujets aussi importants. C'est pourquoi le président Emorine et moi-même avons souhaité cette réunion.
Un point me préoccupe : nous avons le sentiment que l'Europe reste frileuse face à l'énergie nucléaire. Pourtant, la lutte contre le réchauffement climatique et la nécessité de diversifier les sources d'approvisionnement auraient dû favoriser une évolution des esprits, ce qui d'ailleurs semblait s'esquisser il y a deux ou trois ans. Nos partenaires évoluent-ils, monsieur le ministre ?
Cette question me conduit à évoquer la sûreté nucléaire : à l'heure actuelle, chaque pays à une législation propre avec des procédures d'autorisations particulières très lourdes, ce qui freine le développement de l'industrie nucléaire. Peut-on espérer une harmonisation européenne, voire internationale pour réduire cet obstacle ? Cette question a été au coeur des discussions que nous avons eues il y a quelques jours en Finlande, lorsque nous avons accompagné M. Laurent Wauquiez, votre collègue au Gouvernement.
Nous avons le grand plaisir de vous accueillir, monsieur le ministre. La commission de l'économie ayant des compétences en matière d'énergie, il est très intéressant de vous entendre avant le Conseil européen consacré à ce sujet.
Merci d'avoir bien voulu m'inviter à m'exprimer devant vos deux commissions réunies, à la veille du Conseil européen du 4 février consacré à l'énergie.
Les sommets des vingt-sept chefs d'État et de Gouvernement européens ne sont jamais des moments comme les autres. Mais celui-ci est encore plus particulier : il s'agit d'un véritable retour aux sources de la construction européenne. Au commencement de l'Europe, celle des solidarités concrètes, celle de Robert Schuman et de Jean Monnet, il y avait l'énergie : la communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1952, puis la communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM) en 1957.
Le volontarisme énergétique de l'Europe des Six a été l'un des moteurs de la croissance industrielle des Trente Glorieuses. Quel paradoxe pourtant, de constater que l'intégration européenne a effacé la politique commune de l'énergie. On nous disait qu'il n'y avait plus de bases juridiques. On n'évoquait plus l'énergie que sous l'angle de la mise en concurrence. Au fond, il n'y avait plus de politique de l'énergie, comme il n'y avait plus de politique industrielle. L'Europe oubliait ses racines. Nous avons réduit les enjeux énergétiques à ceux du climat : je ne dis pas qu'il faille réduire l'importance de la lutte contre le changement climatique, qui est fondamentale. Mais l'énergie, c'est aussi l'avenir de nos industries, le pouvoir d'achat de nos concitoyens, la compétitivité de l'Europe et la garantie d'avoir du gaz ou de l'électricité quand il faut se chauffer en hiver. C'est tout cela que nous avons réintroduit avec le traité de Lisbonne.
La politique de l'énergie a, enfin, son chapitre institutionnel spécifique. L'Europe va pouvoir renouer avec ses racines et reprendre le train de son histoire. Il était sans doute temps, car les élargissements successifs ont ramené l'énergie au centre des préoccupations européennes. La crise du gaz entre la Russie et l'Ukraine a souligné les graves déséquilibres d'approvisionnement en Europe. La nécessité de répondre à la croissance des besoins énergétiques, tout en diversifiant les sources, a montré qu'on ne pouvait pas accepter l'approche idéologique d'un mix énergétique unique à l'échelle de l'Europe. Un nombre toujours plus grand d'États européens s'interroge sur le « déni nucléaire » qui caractérise les discussions communautaires, au moment même où l'on constate la relance des programmes nucléaires civils dans nombre de pays dans le monde.
Nous devons impérativement préparer l'après-pétrole, tout en nous attaquant à la volatilité des prix, comme nous allons le faire dans le cadre du G20. Le Conseil européen du 4 février posera donc les bases d'une stratégie européenne de l'énergie pour les vingt à cinquante prochaines années.
Le premier objectif pour la France, c'est de construire une économie sans carbone. L'Europe devra réaffirmer l'objectif de 80 à 95 % d'énergie sans émission de carbone à l'horizon 2050. La Commission a, elle-même, relevé que cet objectif imposait une étape intermédiaire de deux tiers d'électricité décarbonée d'ici à 2020.
Notre deuxième objectif, c'est d'appuyer la décarbonisation de l'économie sur les quatre piliers d'une politique énergétique à la hauteur des enjeux européens. Ces quatre piliers, ce sont la compétitivité-prix de nos industries; la protection tarifaire des consommateurs, qui ont droit à une énergie abordable ; la sécurité des approvisionnements et, bien sûr, la réduction des émissions de gaz à effets de serre conformément à nos engagements du paquet énergie-climat et du Grenelle de l'environnement.
La compétitivité-prix est un objectif majeur du mix énergétique de demain. Nous devons avoir le mix le plus compétitif pour que l'Europe demeure une terre de production industrielle. Prenons l'exemple de l'aluminium : la production mondiale a été multipliée par trois en 30 ans, alors que la production de l'Union européenne a diminué d'un tiers. Or, le principal facteur d'attraction pour l'aluminium est le prix de l'électricité. Cette situation n'est pas acceptable et nous voulons y remédier.
Troisième objectif : l'instauration d'un socle nucléaire en Europe, aux côtés des énergies dites renouvelables. C'est la condition pour atteindre la décarbonisation de l'économie, tout en garantissant la compétitivité de l'Europe et des approvisionnements sûrs et abordables. Nous l'avons vu en France avec les tarifs appliqués au photovoltaïque. L'Italie, l'Espagne, et même l'Allemagne engagent à leur tour une réflexion sur les conditions nécessaires à la compétitivité des énergies renouvelables. Nous ne devrons pas imposer un mix énergétique unique aux vingt-sept États membres. Nous relevons avec satisfaction qu'un consensus se dégage enfin sur ce point et l'Union européenne s'est engagée à promouvoir les standards de sûreté nucléaire les plus élevés. Cela faisait bien longtemps que le mot « nucléaire » n'avait pas été mentionné dans des conclusions du Conseil européen.
Prochaine étape : les scénarios de la Commission devront intégrer le nucléaire en termes d'infrastructures et de fonctionnement de marché. Il s'agit de réconcilier durablement stratégie énergétique et politique industrielle, grâce à la compétitivité-prix, mais aussi à de véritables initiatives industrielles de décarbonisation de l'économie.
L'Europe doit réussir la « révolution » du véhicule électrique. La France est pleinement engagée dans ce chantier majeur des technologies de pointe. Mais nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'une guerre intra-européenne des normes. L'Europe a besoin de standards communs de recharge électrique pour garantir un marché européen du véhicule électrique et, au-delà, pour contribuer à l'émergence d'un marché mondial. Nous avons donc proposé que le Conseil européen accélère le calendrier, en fixant la fin du premier semestre pour l'adoption de véritables standards européens. Ces messages seront ceux de la France au Conseil européen.
Je voudrais également évoquer d'autres avancées récentes, qui devront être confortées le 4 février. Première avancée : la durabilité de la feuille de route pour les trois fois vingt, soit moins 20 % d'émissions de gaz à effet de serre, 20 % au moins d'énergie renouvelable, 20 % d'économies d'énergie. Le paquet énergie-climat trace une route ambitieuse jusqu'en 2020, comme l'a voulu le Président de la République. Ces objectifs sont cohérents par rapport à ceux du Grenelle. La France tiendra ses engagements et les dépassera même probablement pour la réduction des gaz à effet de serre.
L'efficacité énergétique joue un rôle essentiel. Il faut encore accélérer nos efforts dans le cadre de plans sectoriels. Évitons cependant de nous assigner de nouveaux objectifs chiffrés contraignants en Europe, alors même que le cadre d'ensemble figure déjà dans les trois fois vingt.
J'en viens au deuxième point, à savoir la sécurité d'approvisionnement. Des avancées importantes ont eu lieu en 2010. Elles se sont imposées d'elles-mêmes en raison de l'actualité, notamment avec la crise russo-ukrainienne du début 2009. Je pense aussi au règlement sur la sécurité d'approvisionnement en gaz et à la directive sur les stocks pétroliers, qui ont considérablement amélioré les réponses nationales et collectives en cas de crise. Là encore, les outils mis en place au niveau européen coïncident avec ceux qui existent en France.
Le troisième point concerne les infrastructures. L'importance nouvelle que leur accorde la Commission européenne est encourageante. L'Europe a besoin d'infrastructures, qu'il s'agisse de production, de stockage, de transport ou de gestion. Notre effort doit porter sur l'interconnexion des vingt-sept marchés nationaux et la recherche de routes ou de sources d'approvisionnement nouvelles. Ainsi nous parviendrons à équilibrer nos ressources et nos besoins à l'échelle européenne. Les infrastructures sont nécessaires pour la sécurité d'approvisionnement, ainsi que pour le développement des énergies renouvelables intermittentes. Nous avons obtenu au niveau européen la réalisation de plans de développement des réseaux. C'est un gage de responsabilité pour la sécurité énergétique qui permettra de mettre fin à des déséquilibres régionaux inacceptables.
Mais l'Europe doit aussi rester réaliste. D'une part, la politique énergétique ne doit pas se réduire à une géopolitique des « grands tuyaux ». Il faut maîtriser les coûts, ce qui passe par la recherche d'un équilibre entre des unités de production à forte intensité, proche des lieux de consommation, et l'acheminement souvent plus lointain des sources renouvelables. Cela passe surtout par la rentabilité des nouvelles infrastructures. A l'exception de certains équipements stratégiques, où des financements publics devraient pouvoir être trouvés, il faut tirer parti des mécanismes de régulation. La bonne régulation est celle qui définit le bon prix pour la rentabilité d'un nouvel investissement.
Quatrième point : priorité est donnée à la recherche. Le plan stratégique pour les technologies énergétiques, dit « SET-Plan », lancé en 2007, fonctionne. Il a permis d'identifier les technologies énergétiques stratégiques à moyen et long terme et de susciter les indispensables synergies pour la recherche. Six initiatives industrielles européennes ont été lancées, notamment pour l'éolien, le solaire, les bioénergies, la fission nucléaire et les réseaux intelligents. Tâchons de le faire monter en puissance avec le prochain programme cadre de recherche et développement. Plusieurs programmes phares de la France sont au centre du « SET-plan », comme la recherche sur le nucléaire de quatrième génération.
Cinquième et dernier point : la prospective. En matière énergétique, les investissements nécessitent dix à quinze ans pour entrer en service et durent pendant cinquante ou cent ans : nous devons donc voir loin. Au-delà des objectifs de 2020, nous devrons définir la feuille de route d'ici 2050.
La France, avec d'autres, contribue à faire avancer l'Europe de l'énergie. Le Conseil européen marquera une étape importante et je m'efforcerai d'en prolonger les avancées dans le cadre du prochain Conseil des ministres énergie du 28 février.
J'en viens à notre politique énergétique en France, qui est d'ailleurs étroitement liée à nos engagements européens.
La régulation est un maître mot dans l'énergie. La régulation en 2011, c'est d'abord la mise en oeuvre de la loi NOME. C'était une idée il y a un an et c'est désormais une loi, promulguée et qui sera entièrement applicable le 1er juillet. Nous travaillons à la fois sur les décrets opérationnels et sur le prix de l'ARENH (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Grâce à la loi NOME, la Commission européenne a reconnu que le mix énergétique français performant devait se traduire pour les ménages et les entreprises de notre pays par des prix de l'électricité compétitifs.
La régulation, c'est aussi l'obligation de capacités, dispositif ingénieux conçu notamment par M. Bruno Sido, qui permettra enfin de résoudre nos problèmes d'effacement et d'investissement. Une fois cette disposition mise en oeuvre, nous devrons en faire la promotion à l'échelle européenne.
La régulation, c'est également l'immense chantier de la précarité énergétique, avec l'amélioration des tarifs sociaux afin de les rendre plus attractifs et plus accessibles qu'aujourd'hui.
La régulation, c'est enfin la reconnaissance que les entreprises d'énergie, et particulièrement les entreprises historiques, ont une mission de service public. Le contrat de service public de GDF Suez est entré en vigueur début 2010 et j'espère signer celui d'EDF dans les mois à venir.
J'en viens au nucléaire, qui est un immense et exaltant chantier. L'ambition est claire : il s'agit pour nos opérateurs, emmenés par le plus expérimenté, d'être de vrais champions à l'export, capables de proposer différents produits et services dans une multitude de pays, avec le souci constant de l'excellence opérationnelle, de l'exigence de sûreté et de retombées industrielles dans notre pays. L'enjeu principal des prochains mois est le partenariat stratégique entre EDF et Areva, actuellement en discussion et qui m'occupe beaucoup. Les discussions sont en général sereines et de bonne tenue (Sourires). Il n'en reste pas moins que la vision peut ne pas coïncider de façon absolue sur tous les points. Dans ce cas, bien sûr, l'État jouera son rôle comme il l'a fait sur d'autres dossiers difficiles.
Si l'on parle de développement international, il faut être irréprochable en France. C'est pourquoi nous entendons fixer le plus haut niveau d'exigence pour le système français, qu'il s'agisse de gestion du parc actuel - redressement du coefficient de disponibilité, allongement de durée de vie - de réalisation des EPR de Flamanville et de Penly, de notre politique de gestion des déchets, de sûreté ou de recherche.
La politique énergétique nationale, c'est aussi le développement des énergies renouvelables. Nous y sommes tous favorables, à condition qu'elles s'inscrivent dans un véritable projet industriel. C'est d'ailleurs pourquoi le Premier ministre a décidé le moratoire sur la filière photovoltaïque et engagé une concertation. C'est aussi pourquoi nous avons voulu que le cahier des charges de l'éolien offshore ait une composante industrielle. Et c'est avec ce même état d'esprit que nous lancerons en 2011 les premiers renouvellements de concessions hydroélectriques.
La transition énergétique ne concerne pas que les énergies renouvelables, mais aussi toutes les filières industrielles qui seront touchées par l'évolution de la société. Il faudra en accompagner certaines dans leur mutation, comme celle du raffinage, et d'autres qui devront servir de relais de croissance. Je ne donnerai qu'un exemple frappant : celui des réseaux intelligents. C'est un sujet majeur, aux confins de l'énergie, de l'industrie, et de l'économie numérique, auquel je sais que la commission de l'économie est particulièrement attachée et dont nous reparlerons bientôt.
Voilà ce que je tenais à vous dire sur le cap européen et ses déclinaisons françaises en matière de politiques énergétiques, avant la réunion du Conseil de vendredi.
Ce sommet va être compliqué, car il se fait sous une présidence faible. Les États membres, notamment la France qui a des ambitions précises en matière énergétique, vont avoir du mal à faire valoir leurs vues.
Concernant l'efficacité énergétique, vous avez rappelé l'objectif des trois fois vingt, dont l'un concerne la diminution de la consommation d'énergie de 20 %. Lors d'un des derniers sommets, les objectifs étaient très précis dans le domaine du bâtiment, moins précis dans le domaine du transport et très flous pour la filière énergétique, car les États n'étaient pas d'accord entre eux. Avez-vous l'intention de proposer des avancées en ce domaine ? M. Barroso a estimé, il y a quelques semaines, que l'objectif du troisième 20 % ne serait probablement pas atteint.
Ma seconde question porte sur les infrastructures. Quand la Commission avait présenté le 17 novembre 2010 ses priorités en matière d'infrastructures énergétiques, les chiffres cités étaient assez impressionnants, puisqu'elle estimait à près de 1 000 milliards d'euros les investissements nécessaires dans notre système énergétique d'ici 2020. Mais les États membres ne sont pas d'accord entre eux. Quel sera la répartition des financements entre le privé et le public ?
Nous savons tous qu'il faut développer les lignes à haute tension pour transporter l'électricité. En France, quand on veut transporter de l'électricité de Flamanville au reste du pays, les oppositions se multiplient. Imaginez les réactions lorsqu'il s'agit de la transporter d'un pays à un autre ! En outre, ces investissements ne seraient pas financés par de l'argent public. Dans ces conditions, je crains que cet objectif ambitieux ne soit difficile à atteindre.
Allez-vous mettre les pieds dans le plat en ce qui concerne le financement privé - public des interconnexions ? Des financements publics seront indispensables. Malheureusement, l'Allemagne est très réticente sur ce point. Comment allons-nous résoudre cette équation ? Les objectifs existent, mais les désaccords portent sur le financement.
La Commission européenne a présenté ses priorités pour les infrastructures énergétiques pour les vingt ans à venir. Elle a défini les couloirs prioritaires dans l'Union européenne pour l'acheminement de l'électricité, du gaz et du pétrole afin d'atteindre ses objectifs « en matière de compétitivité, de développement durable, de sécurité d'approvisionnement ». C'est sur cette base de couloirs prédéfinis que les projets d'intérêt européen seront désignés. Quelle est la position de la France par rapport au principe même de ces couloirs prioritaires ?
Les objectifs énergétiques et climatiques, les trois fois vingt, nécessiteraient d'investir 200 milliards dans le seul transport de l'énergie. Les nouveaux projets d'infrastructures seraient réalisés pour l'essentiel grâce à des financements privés, en raison des réticences des États, mais aussi du manque de fonds publics disponibles. Ne faut-il pas rappeler qu'une part de financement public sera nécessaire dans certains cas afin de garantir la réalisation d'objectifs d'intérêt général ?
Il est question de diminuer de 20 % la consommation d'énergie. Le 14 décembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution qui invite l'Union européenne à donner un caractère contraignant à cet objectif. Quelle est la position de la France sur cette question ?
Nous n'allons pas reprendre le débat sur la loi NOME, que nous n'avons d'ailleurs pas votée. L'énergie est un élément essentiel de la qualité de vie des Européens, mais c'est aussi un enjeu essentiel pour la survie de notre industrie, et je pense en particulier à l'aluminium.
Le rôle géopolitique de l'énergie va lui conférer une place particulière dans le débat public, notamment dans les relations entre l'Union européenne et la Russie. C'est parfois douloureusement ressenti par les pays européens, surtout en Ukraine.
La Commission propose trois axes pour la politique énergétique européenne : la compétitivité, la sécurité des approvisionnements et la protection de l'environnement, les fameux trois fois vingt. Ces orientations sont globalement acceptables. En revanche, nous sommes perplexes sur la façon d'y parvenir.
L'approvisionnement en matières premières pose problème, et il en sera de même pour l'énergie fossile, tant pour le pétrole que pour le gaz. Comment assurer notre indépendance ou, du moins, notre sécurité d'approvisionnement ?
La Commission conçoit la concurrence entre opérateurs comme étant l'alpha et l'oméga de la compétitivité. J'ai l'impression que la Commission est affectée d'un TOC, le trouble obsessionnel de la concurrence ! (Sourires) Or, concurrence et planification sont antinomiques. L'Europe a besoin d'une véritable planification énergétique pour atteindre les trois fois vingt, en dépit de ses différences de développement : nucléaire en France, centrales à charbon en Allemagne et en Pologne...
Notre premier défi concerne la dépendance des économies européennes à l'égard du pétrole. Nous devons préparer dès maintenant l'après-pétrole. Le débat sur les gaz de schiste que nous avons eu hier avec Mme Kosciusko-Morizet concernant les explorations dans le centre de la France soulève un certain nombre de questions.
La politique européenne de l'électricité est fondée sur l'idée d'un marché théorique parfait. Imposer la concurrence dans un secteur comme l'électricité qui n'est pas un produit stockable peut se révéler très dangereux. Le respect et la protection du consommateur suppose une vision à long terme afin de mettre en place un parc capable de s'adapter à la consommation. Nous ne pouvons envisager de développement sans augmentation de production d'énergie, même si les nanotechnologies réduisent les consommations. Une régulation européenne, et non pas une autorité indépendante - vous savez ce que j'en pense - doit donc être mise en place pour imposer une planification du parc énergétique européen, pour optimiser les besoins et les ressources et pour atteindre les objectifs du trois fois vingt. La concurrence conduit de façon certaine au sous-investissement dans les capacités de production et de transport, surtout si elle permet aux concurrents de bénéficier de tarifs préférentiels. Vous voyez à quelle loi je fais référence...
Je m'occupe plus d'agriculture que d'énergie, mais le parallèle peut aisément être fait entre ces deux secteurs. En agriculture, les pays européens sont beaucoup plus concurrents que coopérateurs. Malheureusement, c'est la même chose dans le domaine de l'énergie, où la coopération ne fait bon ménage avec la concurrence voulue par le traité de Lisbonne. Il faudrait une Europe de la coopération énergétique, afin qu'elle soit compétitive au niveau mondial. Or, la concurrence morcelle, divise, oppose les entreprises. On va revenir avec la directive transport à la situation d'avant 1945, où chacun gérait sa petite boutique : c'est consternant.
Nous sommes prêts à soutenir tout ce qui peut être mis en commun : vous avez évoqué le socle nucléaire au côté des énergies renouvelables. Nous sommes favorables au socle nucléaire, car on ne peut faire autrement compte tenu des connaissances actuelles. Nous approuvons aussi les trois fois vingt et tout ce qui concerne les interconnexions.
Nous n'avons pas voté la loi NOME, car on ne peut prétendre encourager le nucléaire tout en obligeant ceux qui en produisent à vendre à perte leur production à des concurrents.
La France est un des premiers pays à avoir mis en place un socle nucléaire. Or, aujourd'hui, les médias nous disent que nous sommes en rupture et que nous devons aller sur les marchés espagnols ou allemands. Que faut-il en déduire ? Devrons-nous construire d'autres centrales ? L'éolien et le photovoltaïque apporteront-ils une énergie d'appoint suffisante ?
Comment voyez-vous en France et en Europe le développement du véhicule électrique ? Il existe des entreprises comme Heuliez, dans mon département, qui ont des compétences, mais aujourd'hui, tous les grands groupes s'intéressent aux véhicules électriques. Que vont devenir les petits poucets ? L'Europe va-t-elle coordonner, réguler ce secteur ?
Merci pour votre présentation très claire et merci surtout d'avoir insisté sur le volet industriel. Nous entendons peu de discours sur la filière industrielle française et nous aimerions que la détermination politique soit plus affirmée en ce domaine.
Hier, nous avons eu un échange avec Mme Kosciusko-Morizet sur le rapport Charpin dont une partie relève de vos compétences. On a reproché à ce rapport de ne pas avoir de vision industrielle. Or, nous avons dans notre pays un vrai tissu de PMI - PME qui ne demande qu'à se développer. La filière photovoltaïque représente en France un dixième de ce qu'elle est en Allemagne, tant au niveau de la production que du parc. On ne vous reprocherait pas d'avoir un peu plus d'ambition dans ce domaine. Pour maintenir la filière solaire, il faudrait une capacité minimum, de 700 à 800 mégawatts installés chaque année d'après les professionnels. De plus, il ne s'agit pas seulement de volume, mais aussi de tarification. Si nous voulons que la filière française puisse s'imposer, il faut qu'il y ait, comme pour les éoliennes, une traçabilité et une certification, afin que les produits français aient une place concurrentielle sur notre marché.
Je tiens à vous féliciter car vous parvenez à mettre en oeuvre la loi NOME. Grâce à vos services, cette loi va entrer prochainement en application. Elle a, notamment, prévu que le prolongement de vie des centrales nucléaires pourrait profiter aux industriels par le biais de participations. Ce dispositif n'enchante pas EDF. Pouvez-vous nous dire où en est le dossier ?
Vous avez évoqué le renouvellement prochain des concessions hydrauliques. Or, l'hydraulique au fil de l'eau est un outil d'accompagnement et d'adossement pour les industries très consommatrices. De nombreux pays ont su trouver des modèles viables. Il serait regrettable qu'à l'occasion de ces renouvellements, des concurrents étrangers prennent des parts de marché et que ces barrages, qui ont été financés par des capitaux français, ne puissent bénéficier à l'industrie française.
Il y a peu de temps, un Land allemand a fait savoir à EDF qu'il entendait reprendre 100 % du contrôle d'une société dans laquelle EDF avait des participations. Si cette région veut récupérer la pleine puissance de son outil énergétique, c'est sans doute pour favoriser son industrie. Nous devrions en faire de même.
Le nucléaire répond aux quatre critères que vous avez évoqués et auxquels j'en ajouterais un cinquième : le coût, nettement moins élevé en France, ce qui est essentiel pour nos entreprises.
Y a-t-il un risque que l'Europe nous impose des productions obligatoires ? Pourquoi ne pas prendre en compte le nucléaire dans les 20 % d'énergies renouvelables ?
La France utilise beaucoup de gaz. Il y a eu de grands projets d'implantation de terminaux méthaniers dans différents ports. Où en est-on ?
Notre commission a reçu successivement la présidente d'Areva et le président d'EDF et nous avons pu constater qu'il existait deux visions différentes de la filière nucléaire. Le Gouvernement entend-il imposer une seule vision stratégique pour la filière nucléaire française ?
Vous estimez à juste titre que la politique énergétique est au coeur de la politique industrielle. La question du prix de l'énergie est tout aussi essentielle. Un grand débat est engagé à l'heure actuelle sur les avantages et les désavantages de notre économie par rapport à celle de l'Allemagne. Quand nous sommes allés dans ce pays, on nous a dit que notre prix de l'énergie était un avantage évident pour nos entreprises. Nous devons garder cet avantage compétitif, d'autant que, lorsque nous avons été à Sophia Antipolis pour rencontrer les districts italiens, ils ne nous ont pas dit autre chose.
Quand nous nous sommes déplacés en Maurienne et que nous avons abordé la question de Rio Tinto et des électro intensifs, nos interlocuteurs ont montré leur grande inquiétude face à la loi NOME : l'État français sera-t-il capable de maintenir le prix de l'électricité à un niveau abordable ? Si tel n'est pas le cas, la délocalisation aura lieu, au mieux, au Canada, là où l'hydroélectrique ne produit pas de CO2, au pire, en Chine où la production d'aluminium est 22 fois plus polluante qu'en France. Qu'entendez-vous faire pour conserver l'industrie de l'aluminium dans notre pays ?
J'en viens à la filière photovoltaïque : la suspension des aides a mis un coup d'arrêt au développement d'une filière très intéressante : dans la Tribune d'hier, Bertrand Piccard disait que d'importants investissements dans la filière photovoltaïque étaient compromis. Le niveau des tarifs de rachat est une question fondamentale. Mais la prise en compte de l'empreinte carbone des panneaux solaires permettrait sans doute de favoriser la construction de capteurs photovoltaïques français de deuxième, troisième ou quatrième génération.
J'en viens au véhicule décarboné : faisons en sorte qu'il n'y ait pas de vision univoque. Le tout-électrique après le tout-pétrole serait une erreur. Autant nous devons travailler sur le véhicule électrique, comme le font nos deux constructeurs nationaux, autant les véhicules hybrides, les futures carburations, les nouveaux moteurs sont des pistes intéressantes qu'il serait dommage de négliger.
Monsieur le ministre, l'incertitude sur les tarifs de rachat de l'énergie issue de la méthanisation freine des projets pourtant bien avancés : avez-vous des informations sur ces tarifs ?
On présente souvent les atouts de notre pays, en particulier son agriculture, pour développer la biomasse : qu'en pensez-vous ? Sur le photovoltaïque, ensuite, ne considérez-vous pas que les dossiers déjà bien engagés doivent aboutir, en particulier dans le monde rural ? Enfin, je voudrais connaître votre opinion sur l'hydraulique de rivière, où des projets sont trop souvent freinés par des inquiétudes écologiques, au risque d'erreurs économiques.
La France promeut, à l'échelon européen, les standards les plus élevés en matière de sûreté nucléaire. Cependant, les décisions et les certifications relèvent des Etats membres, ce qui ne nous interdit nullement de participer à des instances communautaires et internationales de concertation.
La question industrielle est au menu du prochain Conseil européen, c'est une bonne nouvelle. Nous assistons à une prise de conscience de ce que le continent européen doit conserver sur son sol un certain niveau de productions industrielles : le débat sur le brevet européen en est un signe, tout comme celui sur l'indépendance énergétique. L'industrie, du reste, dispose de soutiens précieux parmi les commissaires, qui ne sont pas tous acquis à l'idée que l'Europe devrait être un espace de consommation où l'on ne produirait plus rien.
Deuxième bonne nouvelle, la place du nucléaire s'est réappréciée avec l'impératif de « décarboniser » l'énergie, au point que plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, l'Italie, la Hongrie et la Tchéquie, entendent relancer leur production nucléaire. En fait, deux exceptions se distinguent par leur volonté de se retirer du nucléaire : l'Allemagne et l'Autriche.
La deuxième étape consistera donc à intégrer l'énergie nucléaire dans la planification énergétique européenne. Il ne s'agit nullement d'imposer le nucléaire : chaque pays restera libre, aucun mix énergétique ne sera imposé. Ce que nous craignions, c'était que le nucléaire soit montré du doigt, que l'Europe s'en désengage ; l'inverse se produit, le nucléaire a démontré ses avantages de compétitivité et de prix, nous ne pouvons que nous en féliciter.
Sur l'interconnexion, des difficultés sont effectivement apparues : nous nous efforçons de l'améliorer, avec nos partenaires.
Sur le financement, nous n'adhérons pas au projet pharaonique des Allemands, qui évoquent la mobilisation de mille milliards d'euros. Tout comme pour les réseaux numériques, nous faisons confiance à la régulation et au partenariat public privé, avec une intervention publique circonscrite aux besoins non couverts par le marché régulé, en particulier dans les zones géographiques non rentables.
Sur la notion d'efficacité énergétique, la France propose de s'inspirer des bonnes pratiques, plutôt que d'imposer des normes contraignantes. Nous avons pris nos responsabilités, avec l'objectif ambitieux du plan bâtiment, par exemple, de réduire les consommations d'énergie du parc des bâtiments existants d'au moins 38 % d'ici à 2020. Certains de nos partenaires européens seront peut-être moins ambitieux, mais l'essentiel en la matière est que l'effort soit général.
Nous restons dépendants du pétrole, c'est une réalité. Nous le sommes cependant moins que d'autres, grâce au nucléaire, et nous préparons l'avenir, en améliorant notre efficacité énergétique et en investissant, par exemple, pour le véhicule électrique. L'après-pétrole passe par l'innovation technologique. J'ai récemment visité en Israël l'entreprise Better Place, qui prévoit de commercialiser dès septembre un véhicule électrique standard, qui bénéficiera d'un réseau d'échange de batteries sur tout le territoire israélien, les acheteurs potentiels de Renault s'y bousculent et repartent en signant les commandes: le véhicule de demain devient une réalité. Nous avons des atouts à faire valoir : notre production électronucléaire, l'avance qu'a prise Renault dans la construction de son modèle électrique, les investissements que l'Etat est disposé à mettre sur ce dossier. Nous essayons également de parvenir à une harmonisation des règles européennes, qui jouera en faveur de notre industrie puisque nous sommes en pointe. Le véhicule électrique est un sujet à part entière, sur lequel je vous propose que nous nous revoyons prochainement.
Le lien entre l'agriculture et la filière énergétique est fondé. C'est l'une des raisons qui ont conduit la présidence française du G20 à mettre l'accent sur la réduction de la volatilité des prix des matières premières agricoles et énergétiques.
En matière de concurrence, la France s'est opposée, avec succès, au démantèlement des groupes intégrés. Le Sénat a pris sa part, je vous remercie pour la bonne coopération qui a prévalu sur les ordonnances concernant le marché intérieur électricité gaz.
S'agissant de la sécurité d'approvisionnement, je rappelle que si la France importe de l'énergie, c'est uniquement pendant les périodes de pointe et cette importation est liée aux spécificités mêmes de notre appareil de production. Nous avons parfaitement tenu le choc des pics records de décembre.
Sur le photovoltaïque, l'important était de faire cesser les spéculations et de mettre notre pays en état de profiter de cette filière qui doit être industrielle. Je rappelle que la contribution au service public de l'électricité est de 30 euros par mégawattheure en Allemagne, contre 7,5 en France, et le prix de l'électricité est beaucoup plus élevé là-bas. La concertation s'achèvera bientôt, je suis sûr que le compromis mettra fin à la bulle spéculative sans nuire à une filière prometteuse.
Sur la compétitivité industrielle et l'énergie, nous voulons un allongement de la durée de vie des centrales nucléaires en partenariat avec les industriels ; une instruction a été prise sur la sécurité.
Les premières concessions hydroélectriques concernent la pointe et non le fil de l'eau et nous ne voyons que des avantages au partenariat public-privé.
Si l'énergie doit être décarbonée, chacun doit faire ses choix ; le nôtre consiste à faire du nucléaire la clé de voûte, tout en développant les énergies renouvelables. Sur le nucléaire, je m'exprimerai sous toutes réserves, puisque le Président de la République va réunir prochainement un Conseil de politique nucléaire. Des options stratégiques s'opposent, même si la presse ne retient que les différends de personnes. Parmi les questions stratégiques, celle du rôle que la France, spécialiste des réacteurs de troisième génération avec l'EPR et l'Atmea d'Areva, entend mener sur le marché des réacteurs de deuxième génération, qui intéressent par exemple des pays comme le Maroc ou la Jordanie et qui représentent un enjeu non négligeable. Idem pour la question des réacteurs de moyenne puissance : notre gamme n'en comporte pas, alors qu'il y a un marché. Des options stratégiques se distinguent aussi pour l'organisation de la filière : les relations se passent-elles entre Etats seulement, ou laisse-t-on des entreprises organiser une partie de la filière, avec EDF en chef de file ? Quelle place pour Alstom ? Quel rôle entend-t-on voir jouer à GDF-Suez, sur le moyen terme ? C'est à toutes ces questions, parmi d'autres, que le prochain conseil de politique nucléaire devrait répondre, pour redéfinir la doctrine française en la matière.
La loi Nome protège les consommateurs qui avaient craint un alignement des prix français sur les prix mondiaux. Quant aux électro-intensifs, nous accompagnons le dossier Excelsium. L'industrie de l'aluminium a été historiquement liée à l'énergie électrique, il faut pouvoir continuer.
S'agissant du tarif de rachat de l'énergie produite par méthanisation, le dossier est à l'instruction : nous agirons dans le sens de l'intérêt général. Enfin, sur la biomasse, je vous renvoie à l'arrêté que j'ai pris, qui vaut pour les scieries.
La France a de nombreux atouts, nous devons nous attacher à les conserver. L'exception énergétique française a longtemps été critiquée, mais tous les prospectivistes conviennent aujourd'hui que le choix d'un socle nucléaire civil a été un bon choix. Nous devons désormais nous attacher à l'harmonisation des règles sur le continent européen, dans le plein respect des souverainetés nationales, mais nous devons aussi développer notre filière nucléaire, ce qui suppose d'avancer sur l'aval, c'est-à-dire sur le traitement des déchets, et sur les réacteurs de quatrième génération. L'investissement dans les énergies renouvelables résulte d'un choix politique, la poursuite dans cette voie exige que ces énergies permettent la constitution d'une filière industrielle pourvoyeuse d'emplois, qui seront un retour sur investissement pour nos compatriotes, lesquels acceptent aujourd'hui de payer plus cher l'électricité produite par ces énergies renouvelables. Les décisions sur le photovoltaïque et sur l'éolien sont dictées par cette préoccupation.
Monsieur le Ministre, merci pour ces précisions. Nous sommes sensibles au temps que vous nous avez consacré, dans un agenda que je sais très contraint.
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -
La commission procède ensuite à l'audition de M. Philippe de Ladoucette, candidat aux fonctions de président de la Commission de régulation de l'énergie.
Conformément à la Constitution, nous allons auditionner M. Philippe de Ladoucette, candidat au renouvellement de ses fonctions à la présidence de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), puis nous voterons sur cette candidature, en même temps que nos collègues députés. Monsieur de Ladoucette, merci de nous présenter vos propositions pour la CRE.
Quelques mots sur mon parcours professionnel. Après une vingtaine d'années consacrées aux conversions industrielles, je suis entré en 1994 dans le monde de l'énergie en devenant président des Houillères de Bassin du Centre et du Midi puis, de 1996 à 2006, PDG de Charbonnages de France tout en assumant de 1996 à 2000, la présidence de la toute nouvelle filiale électrique de Charbonnages, la Société nationale d'électricité et de thermique (SNET).
À cette époque où nous transposions les premières directives européennes sur la libéralisation du secteur de l'énergie, deux scénarios étaient envisagés : constituer un pôle avec la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la filiale de la SNCF, la Société hydro électrique du Midi (SHEM), ou bien ouvrir le capital sur appel d'offres. C'est cette seconde voie qui fut choisie en 2000 par le Gouvernement. C'est ainsi qu'Endesa prit 30 % du capital de la SNET, qui devenait la première société française de production électrique partiellement privatisée. Tout en restant actionnaire principal, je laissai ensuite la présidence de la société à André Sainjon, qui mena à bien son développement, et parvint à la privatisation totale en 2004. Troisième producteur d'électricité sur le territoire national, elle appartient désormais à Eon.
J'en viens maintenant aux cinq années que j'ai passées à la CRE ponctuées par quelques faits marquants dans le monde de l'énergie.
Il y a d'abord eu l'augmentation des prix de l'électricité sur le marché de gros, qui a conduit à instaurer le Tartam afin d'éviter une perte de compétitivité brutale aux entreprises, puis à confier par la loi de décembre 2006 une nouvelle responsabilité à la CRE : la surveillance des marchés de gros en électricité et en gaz.
Il y a eu le « black out » électrique de novembre 2006, qui a souligné la nécessité d'une réelle indépendance des gestionnaires de réseaux de transport vis-à-vis de leurs maisons mères, ce qui a conduit la Commission européenne à défendre la séparation patrimoniale au sein du troisième paquet Énergie.
Pour des raisons différentes, la France parce que son système fonctionnait et l'Allemagne parce que le sien ne fonctionnait pas, ont défendu une option alternative dite « ITO ». C'est ce modèle que nous allons mettre en application dans les mois qui viennent et que la CRE aura à certifier.
Il y a eu, fin 2008, la crise du gaz russe, qui a montré la vulnérabilité et la dépendance des pays européens. Cette prise de conscience a conforté la conviction selon laquelle il était nécessaire de parachever le marché intérieur de l'énergie pour assurer sa sécurité d'approvisionnement.
Il y a eu le développement du gaz de schiste aux États-Unis et ses conséquences sur le prix du gaz avec une décorrélation des prix des contrats à long terme par rapport aux prix de marché. Situation qui a conduit la CRE à réviser la formule des tarifs réglementés pour y introduire 9 % de prix de marché et refléter ainsi les coûts d'approvisionnement actuels de GDF Suez.
Il y a eu les grandes tempêtes en France qui ont désorganisé les réseaux, privant une partie de nos concitoyens d'électricité et de chauffage. Ces événements ont mis en exergue les questions de sécurité et de qualité des réseaux, sujet que vous connaissez bien, et sur lequel la CRE a rédigé un rapport fin 2010.
Il y a eu le discours du président Obama sur les smart grids, les réseaux intelligents, suivi d'un extraordinaire engouement dont la CRE s'est emparée en lançant le premier colloque sur ce thème au Sénat. Il y a eu, enfin, le vote du paquet « énergie-climat » à l'échelon européen et du Grenelle de l'environnement, qui fixe un objectif de 23 % d'énergies renouvelables d'ici 2020.
De ce passé récent découlent les grands sujets que la régulation de l'énergie va devoir traiter, le tout encadré par la loi portant nouvelle organisation du marché de l'énergie (NOME) et la mise en oeuvre du troisième paquet « Énergie ».
Je retiendrai trois grandes priorités pour la CRE dans les années à venir.
Il lui faudra d'abord contribuer à la sûreté des systèmes et à la sécurité d'approvisionnement, en s'assurant d'un niveau adéquat d'investissements nationaux comme européens dans les réseaux et d'un nombre suffisant d'infrastructures.
Le troisième paquet confie à la CRE l'approbation des plans d'investissements décennaux, outre l'approbation chaque année des programmes d'investissement de gestionnaires de réseaux de transport. Cette responsabilité s'exercera en liaison avec la nouvelle Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), au niveau européen qui veillera à la cohésion.
Autre conséquence fondamentale de la troisième directive, l'élaboration d'un système de règles d'accès aux réseaux, communes pour toute l'Europe. Ces enjeux sont importants car il y va notamment du modèle de marché du gaz au travers des allocations de capacités.
S'il est souhaitable d'aller vers une harmonisation du marché européen de l'énergie, il faut combattre une certaine volonté technocratique d'uniformisation et laisser une marge de manoeuvre pour prendre en compte les spécificités des États membres.
L'un des grands problèmes de la construction du marché européen provient de l'approche divergente entre la France et l'Allemagne du mix énergétique, qui se cristallise sur le nucléaire. Le modèle allemand l'a emporté en matière électrique avec le choix du développement des énergies non renouvelables et la réduction des gaz à effets de serre en pourcentage et non en valeur absolue, ce qui n'est pas favorable au modèle français « décarboné ». J'en ai conclu que nous devions défendre nos intérêts en matière de gaz : c'est la ligne que la CRE a tenue, et que je compte poursuivre.
La CRE, ensuite, devra améliorer la qualité et l'efficacité des réseaux, sujet de nombreuses controverses. La durée moyenne de coupure de l'alimentation électrique ne cesse d'augmenter et la dégradation du service est largement établie.
La CRE devra développer les outils de surveillance. Lors de l'élaboration du Turpe 3 (tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité), entré en vigueur le 1er août 2009 pour quatre ans, elle a privilégié les investissements les plus favorables à la qualité d'alimentation avec 20 % d'investissements supplémentaires dédiés à la qualité de desserte. ERDF va ainsi investir de manière ciblée 3,3 milliards sur cette période.
Le diagnostic montre qu'il faut renouveler les réseaux basse tension aériens à fils nus, mettre l'accent sur les réseaux HTA et les « points noirs », situés le plus souvent au niveau des queues de distribution, où de fréquentes coupures sont observées. Ce sera certainement un des enjeux essentiels de Turpe 4.
Mais l'amélioration des réseaux passe également par l'introduction de technologies de l'information et de la communication et par le développement du comptage évolué. C'est le projet Linky, sur l'expérimentation duquel la CRE aura à donner son avis en avril prochain, excellemment analysé par M. Ladislas Poniatowski.
La CRE, enfin, devra créer les conditions d'une concurrence effective. Il y a d'abord une question de confiance : être certain qu'il n'y a pas de manipulations des marchés. La surveillance des marchés de gros depuis 2007 est satisfaisante, puisque aucune manipulation n'est à déplorer. En liaison étroite avec l'Autorité des marchés financiers (AMF), la CRE devra surveiller le marché du CO2. L'accord de décembre dernier fait ainsi de la France le premier pays à anticiper le projet de règlement européen sur la transparence des marchés de l'énergie que la Commission européenne vient de rendre public.
La CRE va aussi avoir la responsabilité de la surveillance du marché de détail.
Elle va mettre en oeuvre la loi Nome que vous avez votée. Au-delà du sujet central qui est le prix de l'Arenh (accès régulé à l'énergie nucléaire historique), il existe beaucoup de modalités pratiques à définir.
Ainsi le nouveau collège de la CRE aura plus d'une dizaine de délibérations à prendre au cours des mois prochains, dont l'avis sur le projet de décret ; la rédaction de l'accord cadre liant EDF et chacun des fournisseurs ayant droit à l'Arenh ; le contenu de la déclaration d'enregistrement; le contenu du dossier de demande d'Arenh ; enfin, elle donnera un avis sur les différents arrêtés sur le calcul des droits et celui des prix.
S'agissant du prix de départ, fixé en cohérence avec le Tartam, je rappellerai qu'il n'y a pas de définition scientifique de cette cohérence. Deux facteurs déterminent ce prix : les prix de marché, dont les cotations évoluent chaque jour, et la quantité d'Arenh allouée à un portefeuille.
Chaque modification apportée à l'un de ces facteurs modifie le niveau d'arrivée. Avec des hypothèses de 80 % d'Arenh et des prix de marché de 55 euros en base et de 75 euros en pointe, ce qui était le cas en juin dernier, on obtient un résultat inférieur à 40 euros. Avec les prix de marché du 14 janvier dernier - 55 euros en base et 67 euros en pointe - et toujours avec 80 % d'Arenh, le résultat est supérieur à 40 euros. Avec les mêmes hypothèses de prix mais 85 % de volume, il est supérieur à 41 euros. Avec un volume de 78 %, on est aux environs de 39. La cohérence Tartam est donc fortement tributaire des hypothèses de calcul retenues.
Le futur collège de la CRE aura donc tous les éléments pour émettre un avis sur la proposition du Gouvernement.
Il n'y a aucun lien entre le prix de l'Arenh déterminé en cohérence avec le Tartam et les coûts de revient de la production nucléaire d'EDF. Les enjeux pour le calcul d'un prix de l'Arenh représentatif des conditions économiques du parc nucléaire historique sont le montant des capitaux immobilisés à rémunérer, c'est-à-dire la valeur des actifs nucléaires historiques, et ensuite, et dans une moindre mesure, le montant et le mode de prise en compte des investissements de prolongation de la durée d'exploitation des réacteurs.
Les valeurs annoncées varient fortement, la commission Champsaur fera sa proposition, à travers un rapport, sur la base duquel le Gouvernement prendra un arrêté- la CRE donnant son avis et le Gouvernement décidant. Mais dans trois ans, la procédure changera : ce sera au Gouvernement de donner son avis, et à la CRE de décider.
Je terminerai par quelques mots sur la gouvernance. La CRE regroupe 130 personnes, ingénieurs, économistes, mathématiciens, juristes ; la moyenne d'âge y est de 35 ans, et la parité hommes-femmes est totale.
Le statut d'autorité administrative indépendante de la CRE et l'importance des enjeux de ses décisions impliquent que les principes de déontologie soient mis en oeuvre de manière exigeante. A cet effet, j'ai pris une décision qui interdit aux agents de la CRE de vendre ou d'acheter des valeurs mobilières de sociétés du secteur régulé de l'énergie. Par ailleurs tout agent quittant la CRE doit passer devant la Commission de déontologie.
En ce qui concerne le Collège, vous avez souhaité qu'il soit resserré à 5 membres à temps complet, pour un travail plus collégial ; j'espère néanmoins pour la CRE que ce sera le dernier changement avant longtemps de son mode de gouvernance car, pour parler franchement, les évolutions permanentes au cours de ces cinq dernières années ne nous ont pas facilité la tâche. Je salue le travail remarquable effectué par les commissaires femmes et hommes à temps partiel au cours de cette période, car - vous l'aurez remarqué - le collège dont le mandat se termine le 7 février comportait deux femmes.
Dans vos rapports d'activité, que j'apprécie, vous êtes sévère pour l'état des réseaux : comment pouvez-vous obliger ERDF à faire davantage pour l'entretien et la modernisation des réseaux de distribution, notamment la suppression de la basse tension-fil nu ? L'obligation d'y consacrer une part de l'enveloppe Turpe vous paraît-elle une solution ? Je suis sûr d'être ici l'interprète des présidents de syndicat !
Il existe un groupe des régulateurs européens. Quelle analyse faites-vous des efforts pour l'interconnexion des réseaux ? Nos « pics » de consommation diffèrent d'un pays à l'autre, c'est une chance à saisir.
Nos concitoyens, enfin, craignent que la libéralisation du marché du gaz s'accompagne d'une augmentation des prix. Vous nous avez indiqué que vous examineriez les moyens de réduire l'automaticité du lien entre prix du pétrole et prix du gaz : quels sont les résultats de vos réflexions ?
La CRE a rendu un avis sur le tarif de rachat de l'électricité issue de la biomasse pour les scieries mais rien n'est dit pour les petites unités de production, entre 2 et 5 mégawatts, qui devaient bénéficier du même tarif que les unités importantes.
Sur les réseaux de distribution, il est vrai que nous n'avons pas le même pouvoir que pour les transports : n'ayant pas notre mot à dire sur les programmes d'investissement, ne nous reste que la construction des tarifs. Nos moyens ne nous sont pas donnés par la loi : ils ne tiennent qu'au dialogue, qui a son efficacité. La loi NOME a créé les conférences départementales, organisations placées sous l'autorité du préfet, qui réunissent les parties prenantes, dont ERDF, qui gagnera à expliquer ses choix d'investissement pour gagner en transparence. Entre l'entreprise, les collectivités, l'État et la CRE, il faudra rechercher des consensus : améliorer la qualité, oui, mais jusqu'où le consommateur est-il prêt à payer ? En Allemagne, le réseau est de meilleure qualité, mais son coût est supérieur de 30 % alors même que, le pays étant plus dense, il y a moins de lignes à tirer. Même réflexion à mener sur le choix des énergies. Les Français sont favorables aux énergies renouvelables jusqu'à ce qu'on leur présente la facture. L'augmentation a minima de 3 €/MWh de la Contribution au service public de l'électricité (CSPE) au 1er janvier est loin de couvrir les besoins - la CRE prévoyait un passage de 4,7 à 12, 9 €/MWh. Il faudra bien rattraper le retard d'ici à 2014, et la proposition de la CRE s'appliquera automatiquement chaque année, plafonnée à 3 €/MWh, si le ministre n'intervient pas.
Vous m'interrogez sur la régulation et les interconnexions. Avec la mise en place de l'ACER, l'Europe s'est dotée d'une structure portant une vision supranationale et chargée de régler les problèmes d'interconnexion. Au cours des quatre dernières années, nous avons réussi à coupler les marchés et optimiser les liaisons entre Belgique, Pays-Bas, Allemagne et France, si bien que les réseaux ne souffrent pas de congestion et que la convergence des prix de gros a aidé à la constitution d'un marché européen, ce qui permet d'optimiser les moyens de production en jouant sur la différence dans les heures de pointe.
Le prix du gaz ? Sujet brûlant. Nous avons quelques semaines devant nous avant d'y revenir, début avril. En octobre dernier, nous avons modifié la formule, connectée sur les contrats à long terme - indexés sur les prix du pétrole - pour introduire 9 % de spot - le marché libre où les prix, actuellement, sont beaucoup plus bas.
C'est le taux qu'ont accepté les fournisseurs au terme des négociations engagées par GDF Suez. Nous sommes convenus de revoir chaque année la formule. Si GDF obtient davantage de ses fournisseurs, cela se reflètera dans la formule. Reste qu'il n'est pas sûr que la déliaison se poursuive au-delà de deux ans. Il est difficile, en ces matières, d'y voir clair, tant les analyses sont divergentes. Ce qui est sûr, c'est que l'introduction du spot n'est pas la martingale qui fera baisser miraculeusement les tarifs.
Comment garantir au consommateur que ses intérêts seront mieux défendus par la CRE que par le Gouvernement ? N'oublions pas que chaque année, le Gouvernement peut reprendre la main - ce qu'il a fait récemment pour modifier la formule.
Si nous n'avons pas pris position sur la biomasse, c'est qu'on ne nous a rien proposé. Nous avons donné notre avis sur les propositions émanant du Gouvernement, sans aller au-delà.
Ce que nous avons voté sur la petite biomasse n'est pas encore applicable.
Le décret sur les scieries pouvait être l'occasion de faire des propositions.
Il a été procédé à un vote à bulletin secret. La commission s'est prononcée en faveur de la nomination de M. Philippe de Ladoucette au poste de président du collège de la Commission de régulation de l'énergie (7 voix pour et 4 abstentions).