Quelques mots sur mon parcours professionnel. Après une vingtaine d'années consacrées aux conversions industrielles, je suis entré en 1994 dans le monde de l'énergie en devenant président des Houillères de Bassin du Centre et du Midi puis, de 1996 à 2006, PDG de Charbonnages de France tout en assumant de 1996 à 2000, la présidence de la toute nouvelle filiale électrique de Charbonnages, la Société nationale d'électricité et de thermique (SNET).
À cette époque où nous transposions les premières directives européennes sur la libéralisation du secteur de l'énergie, deux scénarios étaient envisagés : constituer un pôle avec la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la filiale de la SNCF, la Société hydro électrique du Midi (SHEM), ou bien ouvrir le capital sur appel d'offres. C'est cette seconde voie qui fut choisie en 2000 par le Gouvernement. C'est ainsi qu'Endesa prit 30 % du capital de la SNET, qui devenait la première société française de production électrique partiellement privatisée. Tout en restant actionnaire principal, je laissai ensuite la présidence de la société à André Sainjon, qui mena à bien son développement, et parvint à la privatisation totale en 2004. Troisième producteur d'électricité sur le territoire national, elle appartient désormais à Eon.
J'en viens maintenant aux cinq années que j'ai passées à la CRE ponctuées par quelques faits marquants dans le monde de l'énergie.
Il y a d'abord eu l'augmentation des prix de l'électricité sur le marché de gros, qui a conduit à instaurer le Tartam afin d'éviter une perte de compétitivité brutale aux entreprises, puis à confier par la loi de décembre 2006 une nouvelle responsabilité à la CRE : la surveillance des marchés de gros en électricité et en gaz.
Il y a eu le « black out » électrique de novembre 2006, qui a souligné la nécessité d'une réelle indépendance des gestionnaires de réseaux de transport vis-à-vis de leurs maisons mères, ce qui a conduit la Commission européenne à défendre la séparation patrimoniale au sein du troisième paquet Énergie.
Pour des raisons différentes, la France parce que son système fonctionnait et l'Allemagne parce que le sien ne fonctionnait pas, ont défendu une option alternative dite « ITO ». C'est ce modèle que nous allons mettre en application dans les mois qui viennent et que la CRE aura à certifier.
Il y a eu, fin 2008, la crise du gaz russe, qui a montré la vulnérabilité et la dépendance des pays européens. Cette prise de conscience a conforté la conviction selon laquelle il était nécessaire de parachever le marché intérieur de l'énergie pour assurer sa sécurité d'approvisionnement.
Il y a eu le développement du gaz de schiste aux États-Unis et ses conséquences sur le prix du gaz avec une décorrélation des prix des contrats à long terme par rapport aux prix de marché. Situation qui a conduit la CRE à réviser la formule des tarifs réglementés pour y introduire 9 % de prix de marché et refléter ainsi les coûts d'approvisionnement actuels de GDF Suez.
Il y a eu les grandes tempêtes en France qui ont désorganisé les réseaux, privant une partie de nos concitoyens d'électricité et de chauffage. Ces événements ont mis en exergue les questions de sécurité et de qualité des réseaux, sujet que vous connaissez bien, et sur lequel la CRE a rédigé un rapport fin 2010.
Il y a eu le discours du président Obama sur les smart grids, les réseaux intelligents, suivi d'un extraordinaire engouement dont la CRE s'est emparée en lançant le premier colloque sur ce thème au Sénat. Il y a eu, enfin, le vote du paquet « énergie-climat » à l'échelon européen et du Grenelle de l'environnement, qui fixe un objectif de 23 % d'énergies renouvelables d'ici 2020.
De ce passé récent découlent les grands sujets que la régulation de l'énergie va devoir traiter, le tout encadré par la loi portant nouvelle organisation du marché de l'énergie (NOME) et la mise en oeuvre du troisième paquet « Énergie ».
Je retiendrai trois grandes priorités pour la CRE dans les années à venir.
Il lui faudra d'abord contribuer à la sûreté des systèmes et à la sécurité d'approvisionnement, en s'assurant d'un niveau adéquat d'investissements nationaux comme européens dans les réseaux et d'un nombre suffisant d'infrastructures.
Le troisième paquet confie à la CRE l'approbation des plans d'investissements décennaux, outre l'approbation chaque année des programmes d'investissement de gestionnaires de réseaux de transport. Cette responsabilité s'exercera en liaison avec la nouvelle Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), au niveau européen qui veillera à la cohésion.
Autre conséquence fondamentale de la troisième directive, l'élaboration d'un système de règles d'accès aux réseaux, communes pour toute l'Europe. Ces enjeux sont importants car il y va notamment du modèle de marché du gaz au travers des allocations de capacités.
S'il est souhaitable d'aller vers une harmonisation du marché européen de l'énergie, il faut combattre une certaine volonté technocratique d'uniformisation et laisser une marge de manoeuvre pour prendre en compte les spécificités des États membres.
L'un des grands problèmes de la construction du marché européen provient de l'approche divergente entre la France et l'Allemagne du mix énergétique, qui se cristallise sur le nucléaire. Le modèle allemand l'a emporté en matière électrique avec le choix du développement des énergies non renouvelables et la réduction des gaz à effets de serre en pourcentage et non en valeur absolue, ce qui n'est pas favorable au modèle français « décarboné ». J'en ai conclu que nous devions défendre nos intérêts en matière de gaz : c'est la ligne que la CRE a tenue, et que je compte poursuivre.
La CRE, ensuite, devra améliorer la qualité et l'efficacité des réseaux, sujet de nombreuses controverses. La durée moyenne de coupure de l'alimentation électrique ne cesse d'augmenter et la dégradation du service est largement établie.
La CRE devra développer les outils de surveillance. Lors de l'élaboration du Turpe 3 (tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité), entré en vigueur le 1er août 2009 pour quatre ans, elle a privilégié les investissements les plus favorables à la qualité d'alimentation avec 20 % d'investissements supplémentaires dédiés à la qualité de desserte. ERDF va ainsi investir de manière ciblée 3,3 milliards sur cette période.
Le diagnostic montre qu'il faut renouveler les réseaux basse tension aériens à fils nus, mettre l'accent sur les réseaux HTA et les « points noirs », situés le plus souvent au niveau des queues de distribution, où de fréquentes coupures sont observées. Ce sera certainement un des enjeux essentiels de Turpe 4.
Mais l'amélioration des réseaux passe également par l'introduction de technologies de l'information et de la communication et par le développement du comptage évolué. C'est le projet Linky, sur l'expérimentation duquel la CRE aura à donner son avis en avril prochain, excellemment analysé par M. Ladislas Poniatowski.
La CRE, enfin, devra créer les conditions d'une concurrence effective. Il y a d'abord une question de confiance : être certain qu'il n'y a pas de manipulations des marchés. La surveillance des marchés de gros depuis 2007 est satisfaisante, puisque aucune manipulation n'est à déplorer. En liaison étroite avec l'Autorité des marchés financiers (AMF), la CRE devra surveiller le marché du CO2. L'accord de décembre dernier fait ainsi de la France le premier pays à anticiper le projet de règlement européen sur la transparence des marchés de l'énergie que la Commission européenne vient de rendre public.
La CRE va aussi avoir la responsabilité de la surveillance du marché de détail.
Elle va mettre en oeuvre la loi Nome que vous avez votée. Au-delà du sujet central qui est le prix de l'Arenh (accès régulé à l'énergie nucléaire historique), il existe beaucoup de modalités pratiques à définir.
Ainsi le nouveau collège de la CRE aura plus d'une dizaine de délibérations à prendre au cours des mois prochains, dont l'avis sur le projet de décret ; la rédaction de l'accord cadre liant EDF et chacun des fournisseurs ayant droit à l'Arenh ; le contenu de la déclaration d'enregistrement; le contenu du dossier de demande d'Arenh ; enfin, elle donnera un avis sur les différents arrêtés sur le calcul des droits et celui des prix.
S'agissant du prix de départ, fixé en cohérence avec le Tartam, je rappellerai qu'il n'y a pas de définition scientifique de cette cohérence. Deux facteurs déterminent ce prix : les prix de marché, dont les cotations évoluent chaque jour, et la quantité d'Arenh allouée à un portefeuille.
Chaque modification apportée à l'un de ces facteurs modifie le niveau d'arrivée. Avec des hypothèses de 80 % d'Arenh et des prix de marché de 55 euros en base et de 75 euros en pointe, ce qui était le cas en juin dernier, on obtient un résultat inférieur à 40 euros. Avec les prix de marché du 14 janvier dernier - 55 euros en base et 67 euros en pointe - et toujours avec 80 % d'Arenh, le résultat est supérieur à 40 euros. Avec les mêmes hypothèses de prix mais 85 % de volume, il est supérieur à 41 euros. Avec un volume de 78 %, on est aux environs de 39. La cohérence Tartam est donc fortement tributaire des hypothèses de calcul retenues.
Le futur collège de la CRE aura donc tous les éléments pour émettre un avis sur la proposition du Gouvernement.
Il n'y a aucun lien entre le prix de l'Arenh déterminé en cohérence avec le Tartam et les coûts de revient de la production nucléaire d'EDF. Les enjeux pour le calcul d'un prix de l'Arenh représentatif des conditions économiques du parc nucléaire historique sont le montant des capitaux immobilisés à rémunérer, c'est-à-dire la valeur des actifs nucléaires historiques, et ensuite, et dans une moindre mesure, le montant et le mode de prise en compte des investissements de prolongation de la durée d'exploitation des réacteurs.
Les valeurs annoncées varient fortement, la commission Champsaur fera sa proposition, à travers un rapport, sur la base duquel le Gouvernement prendra un arrêté- la CRE donnant son avis et le Gouvernement décidant. Mais dans trois ans, la procédure changera : ce sera au Gouvernement de donner son avis, et à la CRE de décider.
Je terminerai par quelques mots sur la gouvernance. La CRE regroupe 130 personnes, ingénieurs, économistes, mathématiciens, juristes ; la moyenne d'âge y est de 35 ans, et la parité hommes-femmes est totale.
Le statut d'autorité administrative indépendante de la CRE et l'importance des enjeux de ses décisions impliquent que les principes de déontologie soient mis en oeuvre de manière exigeante. A cet effet, j'ai pris une décision qui interdit aux agents de la CRE de vendre ou d'acheter des valeurs mobilières de sociétés du secteur régulé de l'énergie. Par ailleurs tout agent quittant la CRE doit passer devant la Commission de déontologie.
En ce qui concerne le Collège, vous avez souhaité qu'il soit resserré à 5 membres à temps complet, pour un travail plus collégial ; j'espère néanmoins pour la CRE que ce sera le dernier changement avant longtemps de son mode de gouvernance car, pour parler franchement, les évolutions permanentes au cours de ces cinq dernières années ne nous ont pas facilité la tâche. Je salue le travail remarquable effectué par les commissaires femmes et hommes à temps partiel au cours de cette période, car - vous l'aurez remarqué - le collège dont le mandat se termine le 7 février comportait deux femmes.