Pour la première fois cette année, nous avons choisi d'émettre un avis spécifique sur les crédits consacrés par le projet de loi de finances à la politique de l'asile, car celle-ci repose sur des principes distincts de ceux qui fondent une politique d'immigration. Il est certes légitime et nécessaire de définir une politique d'immigration. Mais la politique de l'asile, qui est fondée sur des droits garantis par une convention internationale et par des lois, relève d'une logique différente.
A première vue, les crédits consacrés à l'asile paraissent pouvoir être présentés de façon positive : en 2012, les crédits consacrés à l'exercice du droit d'asile par le programme n°303 : « immigration et asile » augmenteront de 25 % par rapport à ceux ouverts en loi de finances initiale pour 2011, passant de 327,75 millions d'euros à 408,91 millions d'euros. Dans le même temps, les crédits consacrés à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) par le programme n°165 : « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » augmenteront également de façon significative, passant de 20,52 millions à 25,21 millions d'euros en crédits de paiement (+22,86 %). Au total, l'effort consenti en faveur de la politique de l'asile s'élèverait en 2012 à 434,12 millions d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 24,65 % par rapport aux crédits ouverts en 2011.
Néanmoins, si l'on y regarde de plus près, cette présentation est trompeuse. Ces crédits sont en effet très inférieurs à l'activité réellement constatée en 2010 : 477,36 millions d'euros. Aussi la forte augmentation prévue par le PLF 2012 reflète-t-elle moins un effort particulier de la Nation en faveur de cette politique qu'une sous-dotation de ce programme depuis plusieurs années.
Pourtant le nombre de demandeurs d'asile ne cesse d'augmenter depuis 2008 : +14,4 % en 2008 par rapport à 2007, +13,3 % en 2009 par rapport à 2008, +7,3 % en 2010 par rapport à 2009. Au total, en 2010, 52 762 étrangers (dont 11 143 mineurs accompagnants) ont sollicité la protection de la France au titre de l'asile. Notre pays est en deuxième position, après les États-Unis, en ce qui concerne le nombre de demandes d'asile formulées chaque année. Si l'on tient donc compte à la fois de l'activité réellement exécutée en 2010, de la prévision d'activité exécutée en 2011 (plus de 520 millions d'euros, alors que la loi de finances initiale pour 2011 n'avait prévu que 327,50 millions d'euros) ainsi que de la persistance d'une demande d'asile en augmentation, il paraît d'ores et déjà possible de constater que les crédits prévus par le programme n°303 : « immigration et asile » pour la mise en oeuvre du droit d'asile - 408,91 millions d'euros - seront très insuffisants pour permettre à notre pays d'honorer ses engagements en 2012 et que des abondements de crédits seront nécessaires. Dans ces conditions, il y a lieu de s'interroger sur la sincérité de ces crédits, au regard notamment de l'article 32 de la LOLF.
Le Gouvernement mobilise depuis quelques années des moyens importants pour diminuer le délai moyen d'instruction des demandes d'asile devant l'OFPRA et la CNDA. Devant l'OFPRA, ces efforts n'ont pas encore porté leurs fruits : le délai moyen de traitement d'une demande d'asile est passé de 100 jours en 2008 à 118 jours en 2009 puis à 145 jours en 2010. Au début de l'année 2011, il était de 159 jours. Les résultats sont plus positifs devant la CNDA. Je vous rappelle que celle-ci joue un rôle très important car il en émane la plupart des décisions reconnaissant la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire. Environ 85% des décisions de rejet de l'OFPRA font à l'heure actuelle l'objet d'un recours devant la CNDA. En 2009 et 2010, le délai moyen de jugement des recours atteignait 15 mois. Afin d'enrayer ce mouvement, le Gouvernement a mis en oeuvre un plan d'action ambitieux : le nombre de rapporteurs est passé de 70 fin 2009 à 135 fin 2011. Quinze recrutements supplémentaires sont prévus pour l'année 2012. Le délai prévisible moyen de jugement a ainsi significativement diminué, permettant d'envisager un délai moyen de neuf mois dès la fin de l'année 2011 et de six mois à la fin de l'année 2012. Je tiens à souligner cette efficacité de la CNDA.
Un autre moyen permet au Gouvernement de réduire le délai d'instruction des demandes : il s'agit du recours à la procédure prioritaire. Celle-ci a des conséquences très importantes pour les droits des demandeurs d'asile :
- ceux-ci ne sont pas admis au séjour, c'est-à-dire qu'ils demeurent en situation irrégulière pendant l'instruction de leur demande ;
- l'OFPRA est tenu de statuer dans un délai de quinze jours - ou 96 heures lorsque le demandeur d'asile est placé en centre de rétention administrative ;
- enfin, et j'insiste sur ce point, le recours devant la CNDA n'a pas d'effet suspensif, ce qui signifie que l'étranger peut être reconduit à la frontière dès la notification de la décision de rejet de l'OFPRA.
A l'heure actuelle, un demandeur d'asile peut faire l'objet d'une procédure prioritaire dans trois hypothèses :
- soit il a la nationalité d'un « pays d'origine sûr ». Or cette notion fait débat. Je vous rappelle nos discussions lors de l'examen de la loi de 2003 sur l'asile : nous nous étions alors opposés à la notion de « pays partiellement sûrs »... Mes inquiétudes s'agissant des critères permettant au conseil d'administration de l'OFPRA de considérer un pays comme « sûr » semblent confirmées par plusieurs décisions du Conseil d'Etat ;
- le demandeur d'asile peut également être placé en procédure prioritaire si sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ;
- soit, enfin, il peut l'être si le préfet estime que sa demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile. J'attire votre attention sur le fait que le placement en procédure prioritaire est décidé par le préfet, préalablement de l'examen de la demande par l'OFPRA et la CNDA. Or seule l'instruction permet de dire qu'une demande est abusive !
Aujourd'hui, les préfectures recourent massivement à la procédure prioritaire, qui a concerné 24% des demandes d'asile en 2010 et 25,93 % de celles déposées au cours des neuf premiers mois de l'année 2011.
Cette procédure a des conséquences très importantes sur la situation des demandeurs d'asile : non admis au séjour, ils ne peuvent être accueillis en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) et ils ne sont pas éligibles à la couverture maladie universelle de base (CMU). Par ailleurs, ils ne peuvent bénéficier d'un hébergement d'urgence ni de l'allocation temporaire d'attente (ATA) après le rejet de leur demande d'asile par l'OFPRA, y compris s'ils ont saisi la CNDA d'un recours contre ce refus, en raison du caractère non suspensif de ce dernier. Les demandeurs d'asile en procédure prioritaire se trouvent donc dans une situation de grande précarité et d'abandon. A mon sens, il y a lieu de s'interroger sur la conformité de cet état du droit avec la Convention européenne des droits de l'homme ; la Cour de Strasbourg se prononcera d'ailleurs prochainement sur ce point.
L'exercice du droit d'asile est par ailleurs confronté à de graves difficultés. Tout d'abord, les CADA sont saturés et les crédits qui leur sont accordés diminuent : le prix moyen de journée d'une place de CADA passe ainsi de 26,20 euros en 2010 à 24,44 euros en 2012. Il est permis de se demander comme il apparaît possible de diminuer ce prix de journée de 6,7 % en deux ans et quelles sont les prestations qui sont affectées - ou en quoi la qualité de certaines prestations est affectée par cette diminution.
L'hébergement d'urgence est également confronté à de graves difficultés. Or comme l'ont souligné les associations que j'ai entendues, l'ensemble des crédits consacrés à l'allocation temporaire d'attente (ATA) et à l'hébergement d'urgence permettraient, s'ils étaient redéployés à cette fin, de financer plus de 20 000 places en CADA.
S'agissant de l'ATA, dans deux arrêts datés respectivement du 16 juin 2008 puis du 7 avril 2011, le Conseil d'Etat a considéré que l'ensemble des demandeurs d'asile placés en procédure prioritaire devaient avoir accès à l'ATA jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA. Nous avons interrogé le ministre sur les conséquences financières de cette dernière décision du Conseil d'Etat : ses services l'évaluent à environ neuf millions d'euros. Il me semble que notre commission ne peut qu'inviter le Gouvernement à clarifier très rapidement le droit applicable et à donner les instructions nécessaires pour que ces décisions du Conseil d'État, qui s'appuient sur les prescriptions du droit communautaire, soient pleinement mises en oeuvre.
Je dirai également un mot des difficultés d'accès à l'aide juridictionnelle devant la CNDA. La mise en oeuvre de l'aide juridictionnelle devant la Cour nationale du droit d'asile est aujourd'hui confrontée à une pénurie d'avocats volontaires pour exercer cette mission. Le nombre d'avocats inscrits sur les listes est nettement insuffisant au regard des demandes, en raison, essentiellement, de la faiblesse de la rétribution de l'aide juridictionnelle dans le contentieux de l'asile (8 UV, soit environ 185 euros seulement par dossier). Par ailleurs, les missions foraines que la Cour doit pouvoir organiser à Mayotte se heurtent à l'impossibilité de désigner sur place des avocats au titre de l'aide juridictionnelle, faute de texte le prévoyant. Cela est particulièrement regrettable. Il me paraît important d'insister dans le rapport pour qu'une revalorisation du taux de l'aide juridictionnelle dans le contentieux de l'asile ainsi qu'un élargissement des conditions permettant de désigner des avocats à ce titre soient envisagés dans les plus brefs délais.
Je terminerai en vous rappelant que le droit d'asile s'exerce désormais dans un cadre européen. Le fonctionnement du mécanisme « Dublin II » s'appuie sur la base de données EURODAC, qui recense les empreintes digitales des demandeurs d'asile aux fins d'identification. En 2009, la Commission européenne avait proposé que cette base pût être accessible aux services de police et de gendarmerie ; cette proposition, considérée comme inacceptable par une majorité d'États membres, avait été abandonnée dans un premier temps. Toutefois, la Commission européenne et la présidence hongroise de l'Union européenne ont présenté au Conseil JAI des 8-9 juin 2011 une lettre conjointe reprenant notamment cette idée. Notre commission des lois devra être vigilante face à ce risque de détournement des finalités de ce fichier.
La mise en oeuvre du mécanisme « Dublin II » est par ailleurs aujourd'hui confrontée aux insuffisances du système d'asile grec. Comme nous l'a indiqué M. Ilkka Laitinen, directeur exécutif de FRONTEX, lors de notre récent déplacement à Bruxelles, à l'heure actuelle, environ 90% des migrants illégaux pénétrant dans l'espace Schengen entrent par la frontière gréco-turque. Or dans un arrêt du 21 janvier 2011, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que le fonctionnement actuel du système d'asile grec était contraire aux articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. A la suite de cette décision, la France a suspendu temporairement les transferts de demandeurs d'asile vers la Grèce. On peut certes saluer cette décision, mais il est souhaitable qu'une évolution de la situation ait lieu rapidement.
En conclusion, il me semble que les moyens mis en oeuvre par le Gouvernement en matière d'asile soulèvent des difficultés majeures :
- d'une part, en dépit d'un effort notable, les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2012, inférieurs à l'activité exécutée en 2010 alors même que le nombre de demandeurs d'asile n'a cessé de croître depuis, seront insuffisants pour permettre à notre pays d'honorer ses engagements internationaux ;
- d'autre part, le recours excessif aux procédures prioritaires et la gestion erratique des dispositifs d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile compromet leur faculté d'exercer leurs droits dans des conditions satisfaisantes.
Pour ces raisons, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à l'asile par le projet de loi de finances pour 2012.