Le problème concerne l'ensemble de la fiscalité du patrimoine, et non le seul ISF. En France, celle-ci, exprimée en points de produit intérieur brut (PIB), est nettement plus lourde que la moyenne des pays membres de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) ou de l'Union européenne, et que celle de l'Allemagne, le rapport étant de l'ordre de un à trois en moyenne. Je rappelle qu'un bien est imposé lors de son acquisition (droits d'enregistrement), de sa détention (ISF, impôts fonciers) et de sa sortie du patrimoine (plus-values, droits de succession ou de donation). Ceux qui sont les plus habiles peuvent échapper en grande partie à ces impositions, ce qui suscite un rejet de la fiscalité du patrimoine par de nombreux contribuables, et est dangereux pour la démocratie.
Dans le cas des droits d'enregistrement, l'acquisition d'un pavillon en banlieue est imposée au taux de 5,10 %, alors que celle de parts d'un groupement forestier ou agricole l'est au tarif de 125 euros. Il existe 75 régimes différents. C'est formidable pour les spécialistes de la défiscalisation, mais où est la logique ? On veut faciliter l'accès des citoyens à la propriété immobilière, mais les taux sont plus élevés que la moyenne européenne, et l'assiette réduite par de nombreux régimes dérogatoires. Si l'assiette était plus large et les taux plus bas, peut-être aurait-on des recettes plus élevées.
D'autre part, la détention est taxée par l'ISF, mais surtout par les impôts fonciers, qui ne posent pas de problèmes majeurs, si ce n'est l'obsolescence de leurs bases, établies en 1970.
En ce qui concerne la sortie du patrimoine, le régime des plus-values immobilières, dont la réforme est récente, fonctionne assez bien. Cet impôt est simple et prélevé à la source par les notaires. Ses recettes sont bien supérieures à celles antérieures à la réforme. Une simplification et une harmonisation des différents régimes de plus-values (mobilières, immobilières, sur les oeuvres d'art...) seraient cependant souhaitables. Quant aux droits de succession et de donation, ils se caractérisent par une assiette étroite, du fait de nombreux dispositifs dérogatoires, et des taux élevés, ce dont bénéficient les spécialistes de la défiscalisation, mais qui n'est pas économiquement optimal.
S'agissant de l'ISF, il est psychologiquement mal supporté par les contribuables, qui jugent illégitime de devoir acquitter un impôt en l'absence de flux financiers. De plus, il est également structurellement compliqué - ce dont profitent également les spécialistes de la défiscalisation, à cause du vice fondamental qu'est la nécessité d'exclure l'outil de travail de son assiette. L'ISF est la cause première de la délocalisation des contribuables. Le Gouvernement affirme que les délocalisations sont de l'ordre de 300 ou 400 par an. Mais ces chiffres concernent seulement les contribuables antérieurement assujettis à l'ISF et non ceux, absents des statistiques, qui se délocalisent avant de vendre leur entreprise, par exemple à Bruxelles, où ils ne paient ni plus-values, ni ISF. Selon une extrapolation réalisée à partir de mes clients, ce sont plus de 1 000 contribuables qui se délocaliseraient chaque année. Comme leurs enfants partent aussi, et s'installent à l'étranger, ils ne reviendront pas.
Depuis un mois, on assiste à un « concours Lépine de la fiscalité ». Comme certains de mes collègues, j'ai eu au cours de ces trois dernières semaines plus de demandes de délocalisation que lors des treize mois précédents. Mêmes des contribuables disposant d'un patrimoine de 800 000 euros veulent se délocaliser, ce qui est absurde mais est un beau symbole de l'état d'esprit ambiant.
Enfin, il faut simplifier la fiscalité. 7 % des Français jugent les impôts injustes et trop lourds. Pourtant, 50 % ne paient pas l'impôt sur le revenu, 98 % ne paient pas l'ISF, 95 % ne paient pas les droits de succession. Notre fiscalité est à bout de souffle et les Français ne la supportent plus. C'est la démocratie qui est en jeu.