Intervention de Gervais Morel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 2 mars 2011 : 1ère réunion
Loi de finances rectificative sur la fiscalité du patrimoine — Table ronde des fiscalistes

Gervais Morel, fiscaliste, expert comptable :

J'avoue ressentir un certain malaise. Ma vision est certainement moins macroéconomique ou macrofiscale que la vôtre. J'éprouve un certain découragement, car cela fait quarante ans que l'on attend la réforme fiscale, qui nous est régulièrement promise par le pouvoir politique à chaque nouvelle législature. Cependant, au bout du compte, aucune réforme structurelle n'est entreprise, tandis que le « millefeuille » continue à prospérer.

Les propos de M. Marini m'inquiètent. En effet, si l'on ne supprime pas l'ISF, je ne vois pas comment on pourrait supprimer le bouclier fiscal. Car on sait que le bouclier profite aux très gros patrimoines, que l'on veut garder en France. On a mis en place ce bouclier pour éviter l'exil fiscal. Dès lors, on en restera au système défaillant actuel, qui relève à mon avis de l'escroquerie. Je vous rappelle que, lorsque le bouclier a été créé en 2006, Bercy indiquait qu'il profiterait à 235 000 contribuables. On sait aujourd'hui que seuls 15 000 à 17 000 en bénéficient, et que 60 % de la restitution est absorbée par 6 % des contribuables, soit ceux qui possèdent au moins 100 millions d'euros de patrimoine.

De fait, la réforme à minima telle que vous la décrivez ne ferait que créer une tranche de millefeuille supplémentaire, c'est-à-dire de complexité. Je vous fais donc part de ma perplexité. Une fois de plus, comme le disait un économiste américain, les hommes politiques pensent davantage à la prochaine élection qu'à la prochaine génération, ce qui est franchement regrettable.

Nous parlions des dividendes tout à l'heure. Pour trouver des recettes, on pourrait s'inspirer d'une solution assez simple. Il y a quelques années, une réforme intelligente avait été mise en oeuvre. Celle-ci prévoyait que, lorsqu'une société faisait des bénéfices, elle payait l'impôt. Au contraire, lorsqu'une société distribuait des bénéfices, on lui permettait de réduire les dividendes distribués. Elle récupérait donc l'impôt qu'elle avait payé et on ne taxait que le bénéficiaire final dans le cadre de l'impôt sur le revenu. Cependant, cette réforme a été supprimée afin d'éviter la double imposition.

Pour trouver des recettes, on pourrait donc s'inspirer d'anciennes mesures. Il existait ainsi, autrefois, des mécanismes qui s'appliquent toujours dans un cas, à savoir la retenue à la source valant crédit d'impôt. Cela signifie que, pour les holdings intermédiaires dont mes confrères parlaient tout à l'heure, qui permettent de stocker les dividendes, on procède à une retenue à la source qui permet à l'État d'engranger des recettes fiscales provisoires. Ces dernières se réajustent au moment où le revenu est réellement encaissé. A ce moment-là, la mise en place d'une imposition globale est identique pour tous.

Ce système n'existe plus aujourd'hui que pour les bons de caisse nominatifs. Il existait auparavant sur les revenus d'obligation, où le fait de décaisser un tel revenu permettait à l'État de prélever à la source un certain pourcentage. Ensuite, quand le revenu passe dans le barème progressif de l'impôt sur le revenu, la taxation devient définitive et la retenue à la source est imputée sur l'impôt à payer.

C'est un mécanisme simple que l'on pourrait généraliser. Ainsi, les très gros patrimoines dispensés d'ISF ne seraient pas dispensés d'un minimum d'impôt sur les revenus de ce patrimoine. Par exemple, lorsque des dividendes distribués tomberaient dans une holding intermédiaire, ils éviteraient la taxation immédiate à l'impôt sur le revenu, mais on pourrait exiger de la société distributrice une retenue à la source qu'elle pourrait récupérer plus tard, quand elle appréhenderait ce revenu.

J'estime donc que trouver des recettes pour remplir les caisses de l'État est possible dès lors que l'on fournit l'effort d'initier une véritable réforme fiscale, que j'attends pour ma part depuis quarante ans.

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