Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires économiques — Réunion du 29 janvier 2008 : 1ère réunion
Agriculture — Ogm - examen du rapport

Photo de Jean BizetJean Bizet, rapporteur :

Après avoir fait observer que, pour la deuxième fois en deux ans, le Sénat était appelé à examiner un projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés, le premier, adopté au Sénat en mars 2006, n'ayant pas été soumis à l'Assemblée nationale, M. Jean Bizet, rapporteur, a remercié ses collègues du groupe de travail sur les OGM de l'avoir assisté dans l'instruction de ce nouveau texte.

Se félicitant de l'inscription à l'ordre du jour de ce projet de loi fondateur sur les biotechnologies et de sa prochaine lecture à l'Assemblée nationale, prévue début avril, il a exprimé le souhait que la deuxième lecture de ce texte ait lieu avant l'été, puisque le Président de la République avait renoncé à la procédure d'urgence.

Il a considéré que ce projet de loi répondait à une triple nécessité et, d'abord, à une urgence démocratique : le Grenelle de l'environnement, « dialogue à cinq » inédit entre syndicats, entreprises, organisations non gouvernementales, élus et administration, avait constitué un exemple incontestablement réussi de démocratie participative et, s'agissant précisément des OGM, avait permis de dépasser l'alternative réductrice entre pro et anti-OGM en faisant émerger de grands principes consensuels ; il revenait désormais au Parlement, expression de la démocratie élective, de débattre et de finaliser le cadre législatif qui manque à la France en matière d'OGM, en prenant appui sur les réflexions et les pistes constructives ouvertes par le Grenelle de l'environnement.

a rappelé que dans l'attente de l'élaboration de ce cadre légal, le Gouvernement a jugé nécessaire de prendre immédiatement ses distances avec le cadre juridique en place : écartant les instances d'expertise existantes, jusque-là chargées d'évaluer les risques et d'autoriser l'utilisation des OGM, et anticipant leur refonte en une seule et nouvelle instance, le Gouvernement a institué, par un décret du 5 décembre 2007, un comité de préfiguration d'une haute autorité sur les OGM, chargé de « réévaluer les risques et bénéfices pour l'environnement et la santé publique, susceptibles d'être attachés à la dissémination volontaire de maïs MON810 », à l'heure du renouvellement de l'autorisation décennale de ce maïs génétiquement modifié. M. Jean Bizet, rapporteur, a fait observer que ce dispositif d'expertise, conçu comme provisoire, ne saurait perdurer et que c'était à la loi de refonder, de manière démocratique, un système d'expertise indépendant et légitime, sans lequel ne pouvait s'envisager une saine mise en oeuvre du principe de précaution.

Sans revenir sur le débat concernant la nature et l'ampleur du risque OGM, déjà largement analysé par la commission dans un rapport d'information en 2003, il a rappelé les enjeux économiques des OGM.

Il a fait valoir qu'en prévoyant un cadre pour leur utilisation prudente, le texte pouvait contribuer au développement d'une agriculture de production durable. Constatant que tous s'accordaient à reconnaître que l'agriculture devait respecter les milieux dans lesquels elle se déploie, il a également insisté sur la nécessité de donner à l'agriculture les moyens de le faire. Il a alors jugé que, parmi les outils susceptibles d'accompagner cette réorientation de l'agriculture, les OGM ne pouvaient pas être écartés par principe. Convenant que certains OGM pouvaient, par nature ou par leurs conditions d'exploitation, mettre en danger l'environnement, il a relevé que d'autres pouvaient présenter un très grand intérêt, par exemple comme alternative aux traitements phytosanitaires (plantes génétiquement modifiées résistantes aux insectes et bientôt économisant de l'azote), ou comme outil d'adaptation aux changements climatiques (OGM économiseurs d'eau).

Seule une recherche ouverte sur ces potentialités, distinctes pour chaque OGM, peut permettre de savoir si ces promesses seront tenues, alors qu'explose la demande alimentaire mondiale chez les pays émergents. Ainsi, le rendement accru et la quasi absence de mycotoxines dans les cultures de maïs Bt ont entraîné un nombre croissant d'agriculteurs français à cultiver ce maïs OGM, sur 22.000 hectares en 2007, surtout localisés dans le Sud-Ouest.

Il a ensuite considéré que fixer un cadre légal à la culture d'OGM dans notre pays était aussi une façon de prendre acte de la structure actuelle des échanges agricoles mondiaux.

D'une part, il a rappelé l'extrême dépendance de notre pays, comme de l'Europe entière d'ailleurs, vis-à-vis des importations pour l'alimentation de ses animaux d'élevage (porcs et volailles essentiellement), particulièrement depuis l'interdiction des farines animales en 2000. Ainsi, l'Europe doit importer 75% de ses protéines végétales en provenance des Etats-Unis, du Brésil et de l'Argentine. Les cultures transgéniques ayant représenté 100 millions d'hectares dans le monde en 2006, 80 % des importations européennes de soja contiennent des OGM tandis que, pour sa part, la France importe chaque année environ 3,5 millions de tonnes de tourteaux de soja OGM (sur les 5 millions que consomme son bétail).

Il en a conclu qu'il n'existait donc pas aujourd'hui d'alternative économiquement viable au soja OGM. Il a précisé qu'il serait irréaliste d'imaginer une alimentation animale sans OGM, qui déstabiliserait profondément les filières de viande blanche. Dès lors, ne pas introduire de cultures OGM en France, de manière encadrée et responsable, serait se priver du moyen de réduire notre dépendance en protéines végétales et de préserver le pouvoir d'achat.

D'autre part, M. Jean Bizet, rapporteur, a tenu à rappeler que la France appartenait au système commercial international et se trouvait soumise aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il a indiqué que les Etats-Unis jugeaient protectionniste la législation européenne à l'égard des OGM et menaçaient l'Union européenne de rétorsions commerciales que la commissaire européenne à l'agriculture Mme Fischer Boel, évalue à 800 millions, voire 1 milliard de dollars par an et qui prendraient la forme de hausse des droits de douane pour des produits agricoles européens emblématiques, et particulièrement nos vins et champagnes, nos fromages AOC, notre foie gras...

En outre, tarder à légiférer sur les OGM emporte un dernier coût économique : en entretenant la confusion, la France a fini par décourager ses chercheurs en sciences du vivant, les lignes budgétaires ouvertes pour la recherche en biotechnologies n'étant même pas consommées. Il ne suffit pas d'afficher un consensus en faveur de la recherche mais il faut aussi lui donner un cadre sécurisé pour se déployer, afin de préserver l'indépendance de la France : en persistant dans une attitude défensive à l'égard des OGM, on risque de voir la propriété sur les traits génétiques monopolisée par des multinationales étrangères.

Enfin, M. Jean Bizet, rapporteur, a indiqué que ce projet de loi répondait à un impératif juridique : la France est poursuivie pour défaut de transposition des directives 98/81 relative à l'utilisation confinée d'OGM et 2001/18 relative à la dissémination volontaire d'OGM et la Cour de justice des communautés européennes, saisie en février 2007, demande une sanction de plus de 42 millions d'euros, qui vient encore gonfler « la facture de la confusion » française.

Concluant que le projet de loi était attendu, M. Jean Bizet, rapporteur, a noté que le texte se présentait sous une forme nouvelle par rapport à 2006 puisqu'il était bâti sur les grands principes dégagés lors du Grenelle de l'environnement, à savoir liberté de produire ou consommer avec ou sans OGM, expertise indépendante, responsabilité des producteurs et transparence des informations relatives aux OGM.

Présentant le premier volet du texte, relatif à la création d'une Haute autorité sur les OGM destinée à remplacer la commission du génie génétique, compétente pour les utilisations confinées, et la commission du génie biomoléculaire, compétente pour les disséminations volontaires, il a expliqué que cet organe nouveau, doté d'un comité scientifique pluridisciplinaire et d'un comité économique, éthique et social, composé de représentants de la société civile, aurait pour fonction première d'évaluer les risques pour la santé et l'environnement, mais aussi les bénéfices de l'utilisation de chaque OGM, et que son avis serait transmis au Gouvernement, chargé de décider d'autoriser ou non cet OGM.

Il a annoncé qu'il proposerait de rebaptiser cet organisme en Haut conseil des biotechnologies, pour marquer son rôle essentiellement consultatif, et de bien distinguer, au sein des comités, l'avis des experts, celui du comité scientifique, de la parole de la société civile, expression des valeurs portées par le « comité de la société civile ». Il a aussi suggéré un mode de dialogue entre ces deux sections, venant remplacer le collège prévu pour réunir le président de la Haute autorité et les présidents des deux comités.

Il a également tenu à bien dissocier l'évaluation du risque, apanage de ce Haut conseil, de la surveillance biologique du territoire, qui devait être assurée par le comité de biovigilance et qui concernerait aussi bien les OGM que les phytosanitaires, par exemple. Il a proposé enfin de bien réaffirmer la nécessité d'une évaluation scientifique, par ce nouvel organe d'expertise, de toute information nouvelle, avant de décider d'une mesure d'interdiction ou de suspension de l'autorisation déjà donnée à un OGM.

Abordant ensuite le second volet du projet de loi relatif à la responsabilité, M. Jean Bizet, rapporteur, a d'abord suggéré d'élargir ce cadre pour parler plus généralement de responsabilité et de coexistence des cultures puis a proposé deux innovations sur ce point :

- l'étiquetage des semences, pour favoriser la coexistence entre les cultures ;

- et, en contrepartie d'une transparence des cultures OGM jusqu'à la parcelle, un délit de destruction de champs pour offrir aux exploitants des garanties quant au respect des biens et des personnes, délit aggravé lorsque la destruction porte sur un essai.

Evoquant l'indemnisation du préjudice économique en cas de présence fortuite d'OGM dans une récolte, il a fait état de l'évolution de sa réflexion sur ce point : il a rappelé que le projet de loi de 2006 prévoyait un fonds d'indemnisation, qui avait l'avantage de simplifier le processus et d'offrir une alternative pour le cas où aucun produit d'assurance ne pourrait être souscrit par le cultivateur ; il a relevé que le projet de loi actuel ne prévoyait plus ce dispositif et se limitait à imposer aux producteurs OGM de souscrire une garantie financière. S'appuyant sur les auditions conduites par le groupe de travail sur les OGM et sur la position incertaine de nombre d'acteurs, il a expliqué en être arrivé à la conclusion qu'il n'était pas nécessaire de faire des ajouts au dispositif du projet de loi et qu'il existait des possibilités de mutualisation entre exploitants, avec sans doute une participation des semenciers et, vraisemblablement, un rôle à jouer pour les organismes stockeurs qui le souhaiteraient. Il a précisé qu'il s'agissait là d'un mécanisme privé, ne nécessitant pas d'intervention du législateur et pouvant notamment prendre la forme d'un échange, par l'organisme stockeur, entre une récolte qu'une présence accidentelle d'OGM obligeait à étiqueter et le même volume de récolte non soumise à étiquetage OGM.

Il a ensuite indiqué qu'il pourrait préciser ces points lors de l'examen des amendements.

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