Intervention de Chantal Jouanno

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 mai 2011 : 1ère réunion
Femmes et sports — Audition de Mme Chantal Jouanno ministre des sports

Chantal Jouanno, ministre des sports :

Je me réjouis que la délégation du Sénat aux droits des femmes ait choisi comme thème de son rapport d'information annuel « les femmes et le sport », car le retard de la France en ce domaine justifie qu'on veuille améliorer la situation : les nombreuses auditions que vous avez réalisées depuis plusieurs mois ont d'ailleurs dû vous confirmer l'intérêt de réfléchir à une telle problématique.

Je partage les propos que vous avez formulés l'an dernier lors de l'audition du directeur des sports. Vous estimiez que « le sport était un miroir grossissant des problèmes qui se posent dans notre société » et je regrette que l'on aborde souvent le sport sous l'angle du seul divertissement, alors qu'il est au centre des enjeux de société, en lien avec les problématiques de cohésion sociale, d'éducation, de santé publique, mais aussi de parité entre les hommes et les femmes.

Si la question de l'égalité entre les hommes et les femmes est loin d'être réglée dans l'ensemble de la société, je dois reconnaître que le secteur sportif est particulièrement en retard, sans doute, comme vous l'avez rappelé, en raison d'un héritage historique lourd au profit du masculin.

Il est vrai que les femmes font de plus en plus de sport : alors qu'en 1968, année où Colette Besson était sacrée championne olympique à Mexico, les femmes n'étaient que 9 % à pratiquer un sport, elles sont, aujourd'hui, près de 50 % à le faire. Cette progression de la pratique, qui tend à rapprocher la pratique sportive des femmes de celle des hommes, masque des inégalités qui tiennent en partie à la spécificité de la pratique sportive des femmes. En effet, ces dernières sont très peu présentes dans les clubs et, en particulier, dans les fédérations unisport : elles ne représentent que 36 % des licenciés et participent très peu aux compétitions, ce qui prouve que le système global d'organisation de la pratique sportive par les fédérations ne correspond pas à leurs aspirations, et pas nécessairement d'ailleurs non plus à celles de la population sportive dans son ensemble, puisque seulement la moitié des pratiquants sont effectivement licenciés.

Je voudrais insister particulièrement sur le fait que, lorsque des difficultés sociales ou d'intégration se présentent, les femmes sont les premières exclues : il est dramatique de constater que, dans ce qu'il est convenu d'appeler les « quartiers défavorisés », les jeunes filles pratiquent deux fois moins le sport que les jeunes garçons. A l'inégalité économique, s'ajoutent alors des facteurs culturels.

Au-delà de ces inégalités de pratique, les femmes sont encore sous-représentées dans le sport. Ainsi, la délégation française aux Jeux olympiques ne comporte, en moyenne, qu'un tiers de femmes, alors même qu'en 2004 à Athènes, les Françaises ont remporté près de 50 % des médailles (16 sur 33) !

Quand on sait que d'autres pays, comme la Chine par exemple, bâtissent leur réputation sur leurs championnes, on regrette que cette « ressource » ne soit pas, en France, mieux exploitée.

Ces championnes ne bénéficient d'ailleurs même pas d'une couverture médiatique à la hauteur de leurs exploits ! La pratique féminine du sport n'occupe guère qu'à peine le quart du volume global des pages sportives. Quand je m'en suis inquiétée auprès du responsable d'un journal sportif, il m'a répondu que consacrer la « Une » du journal à une femme sportive provoquait une chute de 25 % de ses ventes...

L'autre « plafond de verre » est celui qui tient les femmes éloignées des instances dirigeantes du monde sportif. On a beau être passé de sept à onze femmes présidentes de fédérations pour cent hommes, cette progression reste toute relative. Mon ministère ne peut présenter un bilan bien meilleur, puisque l'on compte seulement cinq femmes directrices techniques nationales, dont une seule en sport olympique, à savoir le cyclisme. Le sport fait donc encore moins bien que le monde politique.

Enfin, si l'on regarde en détail la pratique, on constate que les préjugés ont la vie dure : une jeune fille qui choisit la boxe ou le karaté sera considérée comme un « garçon manqué » et l'on essaiera de l'orienter vers des sports qui développent des « qualités féminines », comme la danse, la gymnastique ou l'équitation.

Depuis 2005, le ministère a impulsé une politique qui s'est appliquée pour la première fois en 2008 et qui a eu des effets positifs. Des lignes d'actions ont été définies : l'augmentation de la pratique des femmes, en particulier dans les quartiers défavorisés, est une priorité. Le Centre national pour le développement du sport (CNDS) y consacre 5 % de ses moyens, soit 6,3 millions d'euros en 2011.

Le principe de conditionnalité des aides s'applique également aux conventions d'objectifs signées entre le ministère des sports et les fédérations sportives : désormais, 7 % des sommes allouées aux fédérations sont conditionnées par la mise en oeuvre d'actions ciblées. La doctrine que nous avons définie et que j'appelle « civi-conditionnalité » s'est traduite, dans les conventions d'objectifs et de moyens, par l'inscription de dix points obligatoires qui engagent les fédérations sur des actions de lutte contre les discriminations, par exemple. Mais nous voulons aller plus loin et toucher directement les clubs : dès l'année prochaine, tous les clubs devront s'engager par un « projet de club », dont certaines clauses intègreront des actions en faveur des femmes. Il me semble que cet engagement de la base est essentiel au changement. Il constitue donc une priorité.

Ensuite, nous souhaitons travailler sur les équipements sportifs : le ministère a constitué un atlas de ces équipements destiné à identifier leur nombre et leur emplacement sur les « bassins de vie ». L'intérêt pour nous est de croiser cet atlas avec les attentes de la population. C'est l'objet des diagnostics territoriaux approfondis (DTA) établis en partenariat avec les collectivités territoriales ; ils prendront également en compte les attentes des femmes.

L'Assemblée du sport, constituée à parité de membres représentant respectivement l'Etat, le mouvement sportif, les collectivités territoriales et d'autres acteurs économiques, poursuit un objectif parallèle. Parce que je souhaite que cette assemblée se saisisse de préoccupations sociétales, au nombre desquelles la mixité hommes-femmes, j'ai souhaité y intégrer des représentants de la société civile. Ainsi, à titre d'exemple, la FEMIX, l'association « Ni putes, ni soumises » ou l'Union nationale des associations familiales (UNAF) participent à ces travaux.

Le groupe d'experts « femmes et sports » mis en place depuis avril dernier et animé par la direction des sports, travaille en concertation avec l'Assemblée du sport et doit proposer, d'ici la fin de l'année, des pistes d'action possibles pour améliorer l'accès des femmes aux responsabilités et développer la pratique féminine.

Les actions en direction des sportives de haut niveau s'inscrivent à l'heure actuelle au sein des objectifs fixés dans la perspective des Jeux olympiques 2012, notamment celui de doubler le nombre de médailles d'or auquel nous travaillons, notamment, avec l'INSEP. Il me semble évident que, pour les sportives, un accompagnement psychologique plus ciblé est nécessaire.

Pour améliorer la couverture médiatique des sportives, enfin, le ministère des sports et le ministère de la culture travaillent de concert à la redéfinition de la convention d'objectifs et de moyens de France Télévision dans l'objectif, notamment, d'améliorer la place de la rediffusion des compétitions féminines.

J'ai également d'autres idées concernant la féminisation des instances dirigeantes mais je laisse la place au débat.

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